Littinéraires viniques

NICOLAS ROSSIGNOL VOLNAY CAILLERET 2008.

Les temps sont aux exagérations tous azimuts. Le libéralisme triomphant ne connait que le toujours plus, le syndrome de « Bahlsen », le dieu croissance, avatar de l’éternel veau d’or, dévore tout sur son passage, la cupidité, l’appât du gain, toujours et encore, dominent « l’esprit » des petits hommes, qui s’attachent opiniâtrement à tout détruire au nom de l’accumulation des profits. Les Valeurs, les Idéaux périclitent au nom du pragmatisme, les homoncules naïfs croient encore et toujours aux masques dont s’affublent leurs dirigeants. Toutes les avancées technologique sont perverties ou en passe de l’être. Enfin, en un mot comme en cent, le Néant est en passe de succéder à l’Être. Il se pourrait bien que l’humanité disparaisse, assez vite au regard du temps long de la Terre, et s’en retourne « aux enfers », dont je finis par craindre qu’elle ne soit issue. Bon débarras.

Pourtant le Rossignol chante encore, à mi-coteau sur des terres marneuses et caillouteuses, les vignes de pinot noir, filles de la Nature généreuse, continuent, chaque automne, mais pour combien de temps encore, à porter de belles grappes de pinot, gonflées de jus et de vie.

En Bourgogne le millésime 2008 n’est pas de ceux que l’on a encensés, ce sont ces années là, classiques, ni trop ceci, ni trop cela, que je préfère, le pinot noir n’aime pas les excès climatiques, quels qu’ils soient. Pour ce qui concerne l’envolée folle des prix de ces beaux vins, les humains s’en chargent, au point que l’amateur « sincère » s’en voit désormais privé.

Cet unique premier cru Cailleret 2008 est arrivé jusqu’à moi par des voies détournées peu après sa naissance. Depuis il a reposé dans son sarcophage de verre, bien à l’abri dans un endroit frais. Je l’ai attendu avec patience et j’ai bien fait je pense. Aéré en carafe trois heures avant le repas, ce qu’il fallait me semble-t-il, pour laisser ce vin à la robe d’un rubis profond mêlé de vieux rose se déplisser à son aise.

Sous le nez, les fragrances de fruits rouges et les notes automnales s’équilibrent et se marient parfaitement. Le bouquet est complexe, pêle-mêle, la cerise rouge et son noyau, la groseille, la pivoine et la rose, le sous bois, l’humus, et certainement d’autres subtilités dont le détail n’est pas nécessaire à mon plaisir, s’échappent, invisibles mais odorantes de la surface calme de ce lac rubis circulaire. Le vin a digéré son bois, il est en tout début de maturité.

C’est un jus frais et savoureux qui me ravit d’emblée la bouche. La matière, sans être extravagante, est présente, avec grâce elle enfle en bouche, donne à mes papilles consentantes leur lot de plaisir. Le vin est équilibré, les fruits rouges sont à la fête, accompagnés de légères notes de réglisse et d’amertume. A rouler au palais, le vin se déploie et s’installe longuement, les petits tanins frais et enrobés augurent d’une possible garde plus longue. Après l’avalée, le vin persiste, ses tanins fondants et veloutés sont délicieux, la finale, à peine saline, prend le temps de s’estomper. Le verre vide célèbre les noces du cuir et de la rose.

On dit que les vins de Volnay sont féminins, tant ils sont fins. Pourtant j’en connais d’officiellement féminines qui manquent sacrément de finesse. A force d’être communs, les lieux et généralités touchent souvent au stupide. Amen.

UN SERPENT.

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L’insinué de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Un boa s’insinue dans une large fente,

Sa tête est déjà loin quand sa queue est ici,

Comme un soupçon malsain qui rampe sous la soupente,

Quant à la nuit tombée, les enfants cramoisis

S’enfoncent sous les draps, tout au fond de leurs lits.

Le serpent est un doute qui glisse sans un bruit.

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Le reptile imbécile a gobé un lapin,

Un lapin de passage aux oreilles tendues,

Seule sa queue tressaille, son corps a disparu

Envolé, englouti, comme un vulgaire boudin.

Sur les écailles lisses du boa déformé,

On peut voir les oreilles du lapin dessinées.

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A digérer ainsi une telle boule de poil,

Le boa a plongé dans un sommeil profond,

Il rêve d’un gros chat allongé sur un poêle,

De lui parler tout bas pour l’avaler tout rond,

Et l’entendre miauler, étouffer, rubicond.

C’est un boa pervers, effrayant et cruel.

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Le serpent est un fat, ne craint ni dieu ni diable,

Tout le monde s’enfuit, et sa gueule béante

Est un four de soie rose, fascinant, insatiable,

Sa langue noire fendue comme un sabot crochu

Caresse les jeunes proies, les petites pantelantes.

Oui, le dragon sans ailes a perdu ses vertus !

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Vous qui vous promenez dans les forêts lointaines,

Gardez vous de rêver sur un tronc vermoulu,

Ne fermez pas les yeux, méfiez vous des fontaines,

Des lianes enchevêtrées et des regards goulus,

Parfois entre vos jambes un boa se promène,

Prêt à vous enfourner, petites ingénues !

ALORS NOUS DANSERONS.

Alors nous danserons avec les arcs-en-ciel de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Un jour que je n’avais plus d’âge, le mal courant m’a rattrapé

Un soir que je n’étais plus sage une plume d’encre m’a piqué

Comme une douleur douce dont je ne suis plus sorti

Dans l’encre de la seiche je me suis englouti.

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Irrépressible envie, besoin de voyager

Dans les mondes invisibles où règne l’étrangeté

Où la mort est la vie, la vraie, la délivrance,

Où la raison s’efface devant l’exubérance.

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Alors je suis parti loin des rivages calmes

J’ai remonté les fleuves et j’ai chaussé les palmes

J’ai rencontré la mort est ses beaux yeux de jais

Son sourire d’ivoire, sa morgue et son palais.

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De grands singes m’ont souri, sur les ailes poudrées

Des papillons gracieux j’ai visité le monde,

Les monstres de tous bords attachés à mes basques

Les vouivres, les succubes, les anges, la tarasque.

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Aux confins des déserts où la soif m’a saisi

Dans les plaines sans fin, les collines et les lits

Des rivières asséchées où j’ai trempé ma plume

J’ai rencontré le diable sous ses plus beaux costumes.

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Un jour que je nageais dans les eaux de l’oubli

Ramant comme un pauvret en mal de paradis

Une sirène pâle, cachée sous ses cheveux

M’a regardé en face et j’ai connu les feux.

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Mais il va bien falloir qu’une nuit d’argent terne

La mort ma tendre amie éteigne ma lanterne

Alors je partirai loin des miasmes du monde

Au paradis des fous j’attendrai que ma blonde

Tire sa révérence, s’envole et vagabonde.

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Alors nous danserons avec les arcs-en-ciel.

APRÈS.

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Pietas. Roberto Ferri.

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@christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Le ventilateur barométrique s’arrêta, sa fenêtre s’illumina dans le noir total de la chambre. Le silence se fit. Définitif.

Il faisait très froid dans cette chambre, il aimait à dormir fenêtre entrouverte, même au cœur glacé de l’hiver. A trois heures et quarante deux minutes de cette nuit de février deux mille ce qu’on voudra, à l’heure exacte du véritable milieu de la nuit, à l’heure où les tardifs enfin se glissent comme des morts sous leur linceul nocturne, à l’heure où les matinaux ne sont pas loin de s’agiter comme des pantins dérisoires, à l’heure des équilibres furtifs, quand les regards aveugles des maisons effraient les chats errants, quand les vitres ternes ne reflètent plus les ombres floues des vies fragiles en mouvement, quand la ville, l’espace d’un court moment, semble gélifier le temps, l’homme passa de l’ici à l’ailleurs. Comme ça. Abruptement. Pour lui le coucou de la pendule s’étrangla, bec ouvert, son tic tac se figea, l’homme venait de quitter le présent. Dégagé de l’implacable tyrannie du temps, il ne vieillirait plus, comme s’il avait préféré la liquéfaction de ses chairs à l’érosion lente de son être.

Des années durant l’air sous pression lui avait fouetté le visage toutes les nuits. Sous le masque de silicone qui lui irritait l’arête du nez, qui l’emprisonnait jusqu’au ras du menton, au plus fort de ses apnées, la machine lui balançait quinze bars en pleine face. C’était à ce prix là qu’il respirait correctement, c’était grâce à cette terrible machine que ses arrêts respiratoires avaient quasiment disparu. L’air violent qui lui déformait la bouche, lui desséchait les muqueuses, il s’y était habitué, il n’entendait même plus le bruit irritant du long tuyau qui reliait le masque à la machine et qui frottait contre le bois du lit au moindre de ses sursauts. Les bouchons d’oreille qu’il s’enfonçait tous les soirs au plus profond des conduits auditifs l’isolaient du monde, il n’entendait plus rien, ne voyait plus rien, sa chambre baignait dans le noir absolu. L’homme aimait ça. Il se centrait sur lui même, rien ne le distrayait. Il n’était pas du genre à s’endormir comme un plomb dès la tête posée sur l’oreiller, bien au contraire le sommeil mettait bien une heure pleine, voire plus, à lui voiler la conscience pour l’amener dans un ailleurs toujours différent. Pendant ce long moment avant qu’il ne s’endorme, dans cet entre deux états, il se laissait aller aux extravagances de son imagination, ça fusait dans tous les sens dans la matière molle de son cerveau. L’homme était un pur visuel, sous sa boite crânienne les images défilaient à vive allure, si vite qu’il avait des difficultés à se suivre ! Mais ça commençait toujours de la même façon, il se voyait se regardant. Le dos collé au plafond de sa chambre il observait la scène, sa scène : un grand lit recouvert  d’une couette fleurie, sous la couette, un corps immobile couché sur le côté droit, un visage blanc sous des cheveux sel et poivre, équipé comme un pilote de chasse. Lui. Et sous l’os de son crâne, cette scène étrange, chaque soir rejouée, immuable, rituélique, bercée par le ronronnement modulé de la machine, et l’état de plaisir, de bien être qu’il ressentait. Dans ces moments là les phrases affluaient, se bousculaient, impatientes de naitre, les poèmes naissaient comme des corolles qui s’ouvrent ces instants là, juste avant le basculement, la chute ou l’ascension dans les volutes incolores de l’ensommeillement, il écrivait sur le voile mouvant de la nuit noire des pages entières, belles, émouvantes à faire sangloter les plus endurcis des cœurs, les mots jaillissaient en geysers incandescents, en gerbes multicolores, en bouquets magnifiques. La beauté devenait son amante, sa muse, sa complice et son amie, il lui était totalement asservi comme un esclave, pour rien au monde il n’aurait aimé être affranchi du joug délicieux que sa superbe maitresse lui infligeait.

L’homme aurait bien voulu garder mémoire intacte de ces merveilles, étonnamment à la moindre inattention la source tarissait. Il avait bien près de sa main un dictaphone numérique de la dernière génération, mais avec ce domino de plastique qui lui couvrait la bouche et le nez, impossible de murmurer à l’oreille de l’enregistreur les somptuosités que son esprit engendrait. Au moindre mouvement du petit bout du bout de son petit doigt le miracle s’évanouissait. Le lendemain, il se brisait la tête à retrouver un peu de ces perfections, alors il besognait, butait, assemblait, souffrait de ne pas se souvenir. De jour, le lien avec la source était coupé, il avait beau fermer les yeux, faire silence, mettre cent fois l’ouvrage sur le métier, foutre de Boileau ! Rien n’y faisait !

Une fois encore il se retrouva d’un coup dos collé au plafond, il revit la même scène, exactement crut-il un instant, puis la lumière qui baignait la chambre ordinairement sombre, une lumière à la fois douce, puissante, dont il ne distinguait pas la source, une lumière qui ne faisait pas d’ombre, comme si les objets, le corps inerte allongé sous la couette, étaient illuminés de l’intérieur, lui parut étrange, différente, presque vivante, palpable. Et la chambre semblait animée, les contours du lit, de l’armoire, tremblaient légèrement, se déformaient, les objets entourés par un halo de lumière rosâtre, passaient du bleu électrique au vert smaragdin, au jaune safran puis à d’autres étranges couleurs inconnues. L’homme, mort au sens où l’entendent les humains, voulut instinctivement regagner son sac de chair inerte, mais il ne le put pas. Il se sentait déchiré entre cette impossibilité nouvelle et l’étrange langueur qui le prenait, entre la tristesse et la plus totale indifférence pour ce qui apparaissait n’être plus qu’un théâtre. Puis le spectacle se figea un court instant avant que les images du lieu ne se mettent à défiler à toute vitesse et à rebours. Jours et nuits, lit fait, défait, les couettes se succédèrent comme les pages d’un livre giflé par le vent, puis les murs de béton brut apparurent, le plancher s’évanouit. Très vite il ne vit plus qu’un sol de terre parsemé de détritus et de gravats.

Et la nuit totale tomba. Fondu au noir.

Alors le mouvement s’inversa. Vertigineusement. Quand il s’arrêta, la maison avait à nouveau disparu, désagrégée, dissoute par le temps, enfouie dans le sol. A la place s’élevait très haut un gigantesque amas de tôles épaisses, de canons tordus, de chenilles d’acier brisées, de ferrailles diverses. Tout cela sans qu’il ressente la moindre émotion.

Puis tout cela s’effaça comme un papier que l’on froisse rageusement.

AUTRE sut qu’il n’existait plus, n’appartenait plus au vivant, il n’était plus qu’une vague clarté palpitante. Plus d’empathie, de détestation, d’émotion, de sentiment, insensiblement il devenait autre, il se sentait étranger, libéré des chaînes propres à l’humanité, il était en voie de transformation. Coupé de ce qu’il avait été, il flottait, complètement insensible, mais il voyait, non plus avec des yeux, mais avec tout son nouvel être. Comme s’il était en pleine néo parthénogénèse, il se développait, découvrait. Il percevait à 360°, entendait les bruits du vivant dont il ne faisait plus partie. Il fut étonné par tant de stridences, de souffrances, d’abominations suggérées par les souffles à la raucité douloureuse, par les cris suraigus qui n’en finissaient pas de résonner. Plus étrange encore, l’atmosphère donnait l’impression d’être épaisse, alors qu’elle ne l’était pas, ce n’était pas de l’air, mais une sorte de chair aux atomes distendus, une luminescence plutôt qu’une lumière.

Parallèlement, alors qu’il se sentait immobile dans la lueur ambiante, il eut la sensation de s’élever dans cette ouate diffuse qui n’était ni air, ni chair, ni lumière. Aucun repère ne lui permettait d’être sûr de ce qu’il ressentait, non pas dans son être, son corps, mais dans sa nouvelle inqualifiable existence. Dans cet hic et nunc dont il ressentait l’intensité et la vie par tous les pores de son nouvel état il lui semblait insensiblement monter, du moins il en avait l’intuition. Ses modes de perception changeaient, pourtant il continuait à savoir, à ressentir, comme s’il y était encore, absolument tout de l’ancien monde qu’il venait de quitter. Il s’aperçut aussi qu’il ne pensait plus, au sens humain du terme, c’était autre chose, il avait la connaissance immédiate,  sans commencement ni fin. Oui c’était ça, le temps, l’espace, les limites en général avaient disparu, toutes sans exceptions !

L’ailleurs était autre, comme lui même qui devenait cet ailleurs et cet autre à la fois. Qu’était-il en train de vivre? Le temps aussi s’était dissous, l’avait quitté comme il avait abandonné le monde. De quoi noircir, verdir, blêmir de terreur. Mais rien de son ancien ordinaire ne l’habitait plus. Il ne baignait pas non plus dans le bonheur, le ravissement, la félicité, l’extase ou tout autre émerveillement dont lui avait, toute sa vie humaine durant, parlé les livres. Non les espérances humaines avaient fondu comme Jeanne au bûcher. Un sentiment de plénitude paisible, lentement le pénétrait, enfin façon de parler car en ce lieu plus rien ne pénétrait l’impénétrable qu’il était devenu.

Et le jour total fut. Fondu au blanc.

Tout autour de lui flottaient une infinité de formes géométriques d’un blanc translucide, parfaites et parfaitement invisibles dans cet univers lactescent aux pulsations régulières. En termes humains, on aurait pu penser qu’il naviguait dans un organisme sans limites. Ce n’était que lorsque sa nouvelle conscience frôlait ces objets étranges qu’il percevait leur contours délicats. Les innombrables étaient partout, il les traversait sans que jamais, bien que cet adverbe soit à proprement parler inapproprié en la circonstance, l’ordonnancement de leurs mouvements en fût affecté.

Alors il sut et vécut ce qu’est l’ineffable quand il berça dans une musique cristalline, une musique parfaite d’une douceur violente, inaudible et tonitruante, qui lui parvenait de partout à la fois et de lui même tel qu’il était devenu.

Au fur et à mesure qu’il se transformait en l’autre le blanc pâlissait encore, quelques éclairs d’albe aigus et lents jaillissaient de nulle part. Puis ils disparurent tandis que toutes couleurs s’évanouissaient, laissant place à ce que l’absence de mots ne permet pas de décrire.

Alors le silence bruyant se fit, l’autre sut qu’il était mort à la vie et qu’il était la vie.

Dans son ancien monde mille ans venaient de s’écouler.

UN LOMBRIC.

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Le lombric à brac foutraque de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Il a foré bien des tunnels, patiemment il chemine

Digérant longuement des brassés de terres grasses

Il avance lentement mais jamais ne se lasse

Il trace son chemin, aveugle et sans canines.

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Frédéric est son nom, les taupes se le disent

Elles l’évitent toujours et nul ne sait pourquoi

Quand s’approche sa queue, sa tête ! Quelle méprise !

Qui se glisse vers elles sidérées par l’effroi.

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Frédéric le lombric a l’esprit de synthèse

C’est un aspirateur il ne craint pas la glaise

Il ventile, il aère et tout ce qu’il avale

Devient terre légère, il y fait bon danser !

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La pluie est son amie, c’est l’heure de sa toilette

Le lombric facétieux fait des bulles dans l’eau

Il frotte ses anneaux, s’astique la braguette

Chante l’air des lampions en s’aspergeant le dos.

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Sa cousine Jasmine, il en rêve la nuit

Parfois il la rencontre au détour d’une motte

Elle fait sa mijaurée mais toujours l’éconduit

Alors il s’en retourne en ignorant la sotte.

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Frédéric le lombric se méfie de l’air libre

Parfois il sort la tête en rêvant du ciel ivre

Monte sur un caillou en gardant l’équilibre

Mais voici que du ciel a piqué la mort vive.

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Entre les rangs de vignes un bout de queue s’agite

Frédéric le lombric repoussera par là.

MINE DE RIEN.

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La double mine de La De.

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 Mine de rien, mine de plomb, mine de chardon

Tu ne vois rien, je ne dis rien, terrible enjeu

Le ciel lapis, le ciel grognon, mine de chardon

Langue de chat, mine de chien, dardent les yeux !

Encre de seiche au coin des cieux, mine de son.

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Mine de cuivre, mine de givre, peau de glaçon

Le ciel se moire, ferait beau voir et la nuit bâille

Au saut du lit, coule le lait, café citron

Matin chafouin, pelure de sein, s’ouvre la faille

Dans le lointain, le cri d’un fou, coup de poinçon.

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La rose noire, reflets bleu-nuit dans la pénombre

Et vire et volte, ciel de réglisse, aux catacombes

Glisse le lin, carde la laine, le rouet siffle

Les jambes fines sous les jupons dansent à la ronde

La vielle chante, les blés sont mûrs, les vieilles tristes.

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Mais le soir tombe, l’âtre s’éteint, le fer au cœur

Rêves d’or fin, vient le matin, s’ouvre la fleur

Les brumes fondent sous le soleil, la nuit se meurt

Encore toujours chacun chez soi, pleure l’amour.

ZUANNE L’ANGIOLETTO.

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Antonello da Messina. Annunciazione. 1474.

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@christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Dans la cour de l’école on l’appelait fils de pute à longueur de récré. En classe aussi, il recevait des billets roulés en boule couverts de dessin aussi obscènes que maladroits. Cela ne le gênait pas. Gina sa mère en était une. En fin de carrière! Il lui fallait aussi supporter son prénom, Zuanne. Pas facile non plus. Entre fils de pute et Suzanne le pédé, il préférait encore fils de pute. Il était le seul “fils de pute” de l’école, le seul à porter un tel “titre”. Certes il pouvait lire dans le regard de ceux qui l’insultaient de la bonne grosse haine bien sale, bien noire, mais aussi de la cruauté mêlée de rage et de dégoût. Dans leurs yeux noirs pourtant il percevait, fugace mais bien réelle, une sorte d’admiration cachée sous l’atrabile. Et les quelques fois où, entre deux crachats, il arrachait aux yeux de ses bourreaux le secret qu’ils s’efforçaient de lui cacher, alors dans ces moments là il se sentait plus fort que Don Vito lui même !!

Dans ce quartier populaire de Palerme la vie était dure. On y vivait comme on pouvait. Des petites combines aux trafics divers tout était bon pour survivre. Zuanne, au caractère doux, vivait avec sa mère dans un sous sol sombre non loin de la Piazza Marina. La pièce minuscule ne voyait jamais le soleil. Gina, fanée avant l’heure, ne voyait guère plus qu’un client une à deux fois par semaine. Pour ne pas perdre ce dernier vieux fidèle elle se donnait pour presque rien, acceptait les humiliations, les coups et les exigences tordues de celui qui lui permettait de subsister à peine deux ou trois jours. Zuanne gagnait le reste. Plusieurs heures par jour, après ou pendant l’école, dimanches et vacances aussi, il déambulait Piazza Marina et alentours. Il vendait des morceaux de pizza. La grande plaque de fer brulée, noircie à force d’être enfournée, tanguait un peu sur son crâne. Son cou de moineau peinait à soutenir sa tête alourdie par la charge odorante. Il la tenait, mains crispées, bras largement écartés, sa tignasse blonde, épaisse et bouclée, faisait office de coussin car la plaque, et son épais tapis épais fumant encore, était bien lourde pour un “angioletto”  de douze ans. Il en paraissait dix au plus. Zuanne était petit, fluet, maigrichon, ses grands yeux clairs mangeaient son visage triangulaire à la peau couleur crème de lait. Entre la charge et les kilomètres parcourus, toujours à se faufiler dans la foule des touristes, ses yeux se cernaient de violet, ses lèvres pâlissaient, donnant à son sourire un air de langueur douce, un charme résigné. Zuanne fatiguait vite, il s’activait pour vendre le plus rapidement possible et soulager ainsi sa nuque meurtrie.

Ce jour, sur la place balayée par le sirocco venu d’Afrique, l’air était irrespirable. En vagues lentes la chaleur était montée tout au long du jour. A l’heure où le soleil, rouge d’avoir donné son meilleur, ferme sa paupière, à l’heure où sur le port la mer étale l’accueille en son sein rafraichissant, Zuanne, bras crispés sur sa plaque encore brulante, entamait sa tournée. La place, en cette mi août, était noire de monde, colorée, bruyante. Le petit zigzaguait, de sa voix aiguë il proposait ses merveilles, vantait le craquant de la pâte, le moelleux des tomates mûres et le goût puissant des anchois dans leurs robes d’oignons rissolés. Les rectangles dorés partaient comme des hosties à la messe. Sainte Rosalie veillait sur l’enfant.

Il faillit buter sur un petit homme basané. Fine moustache, lunettes noires, maigre comme un chien errant, sa bouche sans lèvres souriait, un rictus plus qu’un sourire. Il tendit la pièce à Zuanne qui lui présenta son plateau. Salvatore, c’était son nom, prit son temps pour choisir, il détaillait chacune des parts de pizza, les soulevait du bout du doigt méticuleusement jusqu’à ce qu’il trouve les petits sachets empaquetés dans une pochette de plastique. Zuanne les devina plus qu’il ne les vit, tant Salvatore fut rapide. Puis, la main crispée sur la poche il disparut dans la foule. Zuanne ouvrit la main, la pièce était un billet, un gros, de quoi acheter bien dix plaques de pizza ! L’enfant épuisé tanguait. Les dernières portions, à chacun de ses pas, glissaient de droite à gauche, quand une bande d’affamés, un vrai vol d’étourneaux le dévalisa. Le ciel décidemment veillait sur lui.

L’enfant courut vers la maison. Tandis qu’il galopait, il voyait déjà s’éclairer le regard las de sa mère. Elle sourirait peut-être, c’était si rare. Sauf quand il faisait le lapin en croquant sa carotte. Là, elle riait même franchement, à se mouiller les yeux. Zuanne se jetait dans ses bras, respirait son parfum bon marché, une odeur de patchouli un peu violente, il sentait battre son cœur sous ses seins ramollis pendant qu’elle pleurait en silence. L’enfant lui essuyait les yeux avec un coin à peu près propre de son tee-shirt troué. Puis il la berçait, se berçait aussi. Gina chantonnait d’une voix douce.

Gina prit l’argent sans rien dire. Elle lui demanda des explications auxquelles il répondit évasivement. L’homme ne lui avait rien volé sauf quelques sachets de farine oubliés sur la plaque. Les sourcils de sa mère froncèrent mais elle resta muette. Le lendemain Gina poussa la porte de la pizzeria. Ce n’était pas une pizzeria classique, personne n’y  achetait jamais rien. Un local sordide, mal éclairé. Debout devant une table de bois brut un gros homme, à larges gestes généreux, saupoudrait de farine une armée inerte de grosses boules de pâte molle. La farine volait dans la pénombre. Le gros Beppo s’essuya les mains sur son marcel grisâtre, ralluma le mégot mouillé collé à sa lèvres inférieure, se gratta la panse, se massa l’entre jambes, regarda Gina puis s’immobilisa en soupirant. Il finit en se raclant la gorge avant de balancer un gros glaviot sur les sacs de farine écroulés contre le mur. Un filet verdâtre, accroché au croc gauche de sa moustache, se balança un moment avant de tomber sur ses godasses fatiguées. Une tête de morse moustachu sur un corps de lion de mer, des bras énormes, des yeux globuleux couleur d’huître avariée qui regardaient mornement Gina. Ses grosses lèvres, rouges comme des sangsues pleines à craquer, tremblaient un peu. La pluie de farine retomba. Beppo s’était figé. Gina, d’une voix mal assurée lui demanda de laisser son garçon hors de son trafic. Qu’il vende ses pizzas, certes oui, mais en faire un dealer, cet innocent ! Non, elle ne voulait pas de ça.

Le pizzaïolo se traina jusqu’à elle. Il souriait, un sourire inquiétant. Ses yeux luisaient dangereusement. D’une main il lui enserra la taille. De l’autre il lui écrasa un sein. Sa bedaine flaque s’écrasa sur Gina. Sous la bourrade elle recula. Les aspérités coupantes du mur lui égratignèrent le dos. Elle eut beau se débattre, Beppo la tenait. Il se répandit sur son ventre avant même d’avoir pu l’enfourcher. Puis le porc s’essuya d’un revers de tablier avant de la jeter hors de la pièce en l’insultant. Humiliée au quotidien Gina se foutait bien d’avoir été maltraitée une fois de plus, elle avait une telle faculté de détachement qu’elle restait de marbre en toutes circonstances, mais là il s’agissait de Zuanne. La peur qui lui brûlait le ventre ne cesserait pas tant qu’elle n’aurait pas trouvé moyen de le sortir de là.

Asdrubale la visita le lendemain comme à son habitude. “The last one”. Elle était aux petits soins avec lui, acceptait tous ses caprices et lui souriait en toutes circonstances, quand bien même il l’étranglait en la renversant rudement sur le carrelage. Depuis le temps qu’il la montait elle lui devait un bon paquet de commotions et d’ecchymoses. Une fois même, il lui avait tant serré le cou avec sa ceinture qu’elle avait perdu connaissance un bon moment. Et ce coup là, putain ! Asdrubale avait jouit partout comme un âne !! Heureusement, avant que la fièvre ne le prenne, ou après qu’elle l’ait eu quitté, Asdrubale savait se montrer délicat et charmant. Ce matin il lui offrit en souriant un bouquet d’œillets des poètes, minuscules et parfumés, il était de bonne humeur, Gina en profita. Elle lui raconta toute l’histoire.

Asdrubale buvait son café très chaud. Il sirotait, suçotait prudemment. Toutes les deux gorgées il tirait sur son fume cigarette une énorme bouffée – bien un quart de sa cigarette – qu’il gardait longuement en poitrine. C’était un homme qui aimait s’imprégner des atmosphères, des choses et des gens. Toujours tiré à quatre épingles Asdrubale était un capo respecté, craint, une sorte d’officier de la Cosa Nostra. Costume trois pièces et cravate blanche sur chemise noire en toutes saisons, cheveux gominés, collés au crâne, rebiquant un peu dans le cou et s’éclaircissant à la limite de la clairière sur le sommet de la tête. La tête penchée il écoutait attentivement, opinait régulièrement, tenait les deux mains de Gina dans les siennes, son regard d’ordinaire glacial brillait d’une lueur chaude. Quand elle lui raconta l’épisode de la pizzeria il serra plus encore les mains de la pute éplorée, son visage étroit prit un air sauvage que Gina ne remarqua pas. Avec son front bombé, son long nez aigu et son menton fuyant, on eut pu voir un rapace penché sur un oisillon en détresse. Quand elle eut fini de renifler, il la prit dans ses bras et la consola longuement. Gina se calma. Ce jour là Asdrubale ne la toucha pas mais il fuma beaucoup. En partant il lui dit d’une voix très douce que tout cela cesserait bientôt.

Salvatore se planta devant Zuanne. Avec  ses lunettes noires, son teint olivâtre et ses bras grêles flottant dans un tee-shirt couleur de nuit sans lune, il avait l’air d’un scorpion endimanché. Il sourit à l’enfant qui prit peur et se figea. L’homme lui tendit un billet. Il n’eut pas le temps de finir son geste. Deux mastars le saisirent sous les aisselles. Le trio disparut dans la foule.  Zuanne interloqué s’enfuit en courant. Quand Beppo apprit ce qu’il venait de se passer, il verdit, ses jambes flageolèrent, il débarrassa l’enfant de son chargement et le congédia sans même penser à récupérer la recette du soir.

A l’écart de la ville, côte à côte, mains et pieds ligotés sur des chaises, Salvatore et Beppo furent lentement découpés au cutter. Les hommes déposaient soigneusement les lambeaux de chair dans une bassine. Le sol était couvert de sang, les deux prisonniers se vidaient goutte à goutte. Asdrubale passait deux fois par jour, se campait devant les deux suppliciés et les regardait longuement sans un mot. Trois jours après, quatre hommes les avaient rejoints, attachés, bâillonnés, minutieusement dépecés eux aussi. Huit bacs furent remplis de viande saignante. Ils moururent lentement l’un après l’autre. On leur voyait les os.

Asdrubale disposait avec soin les roses rouges dans un beau vase de cristal. Gina souriait bêtement, le regard fixé sur la bague qui étincelait à son doigt. Depuis la veille Zuanne vendait des viennoiseries derrière le comptoir d’une des plus belles boulangeries de Palerme.

Au milieu d’un champ brodé de fleurs multicolores, deux hommes vidaient leurs bassines de viande faisandée dans un grand trou, qu’ils rebouchèrent, et recouvrirent d’herbes. Le soleil, rouge sang de bœuf gras, se cachait derrière la mer. Au dessus du tapis fleuri un vol de grosses mouches vertes bourdonna longtemps.

 

 

 

 

 

 

 

 

LE CRABE ET LE SCARABÉE.

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Le Diptyque qui pique de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Une bassine rouge trainait au bord de l’eau

Le ciel était si bleu que la mer verdissait

La jalouse boudait, préparait ses rouleaux

Elle alerta grand vent qui se mit à souffler

Quand un scarabée noir tomba dans la cuvette

La tempête grondait comment lui résister ?

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Un crabe avait grand faim, la mer il connaissait

Sous sa carapace dure, du vent il se moquait

Le rouge de la bassine l’excita tout d’un coup

Son sang ne fit qu’un tour, il hurla comme un loup

Monta sur la cuvette en  grimpant comme il put,

Et se laissa tomber en tortillant du cul.

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Les deux se regardèrent un peu interloqués

Le crabe rigola en découvrant l’insecte

Un minus tout noir à carapace laquée

Il lui dit tout de go, enfin dans son dialecte,

Que d’un coup et d’un seul il allait le croquer

L’autre ne comprit rien et resta sans bouger.

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Le scarabée muet claquait des mandibules

Ses antennes bruissaient, sa gueule faisait des bulles

Dans une langue ancienne il insultait le crabe

Le traitait de lourdaud en dodécasyllabes

Le tourteau agacé leva sa garde lourde

Lui dit qu’il le broierait comme une vulgaire palourde.

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Sur le sable mouillé, un enfant promenait

L’enfant jetait des bois, son chien les rapportait

Sous le vent décoiffant les goélands riaient

Au loin au bord de l’eau, un récipient tanguait

Et sous le soleil d’or, sa couleur qui claquait.

Le labrador courut par le rouge attiré.

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Les deux grands combattants levèrent à peine la tête

Occupés qu’ils étaient à jouer leur saynète

Ils crurent que la nuit déployait son manteau

Le crabe d’un coup de pince découpa l’ateuchus

Des antennes au thorax, des ailes jusqu’à l’anus

Mais le chien en grondant ouvrit grand son museau.

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Le labrador gourmand aboya de plaisir

La bassine chavira et la mer l’emporta.

L’OPALE NOIRE DE CAGLIOSTRO.

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Brut d’opale noire.

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@christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Le jour, Cagliostro était grouillot chez un notaire du 7ème, dans une prestigieuse étude qui brassait de mirifiques affaires. Il avait passé la quarantaine feutrée, travaillait dans l’officine depuis vingt ans sans avoir jamais progressé. Ses nuits étaient autres. Il rêvait, voyageait dans l’extraordinaire, à la recherche de l’ultime et mystérieux bijou dont il n’arrivait pas même à imaginer la forme, la couleur, et encore moins les raisons pour lesquelles chaque nuit il s’évadait ainsi de son sommeil. Quelque chose d’inconnu le poussait. Mais sa nature était telle que cela ne l’inquiétait ni même ne l’interrogeait. D’une certaine façon, une façon paisible, Cagliostro était indifférent à la vie.

Le jour donc, Cagliostro était authentiquement quelconque, tellement insignifiant que personne ne semblait le connaître, dans aucun des bureaux du sous-sol, du rez-de-chaussée ou de l’étage. Il était de ces gens qu’on ne regarde pas parce qu’on ne les voit pas, un simple figurant sans visage dans le grand film de la vie. Ses parents, incultes mais grands amateurs d’occultisme et autres ésotérismes auxquels ils ne comprenaient rien – et c’était justement l’obscurité totale des sciences dites sombres, leur impénétrabilité qu’ils aimaient, au point d’avoir lu leur vie durant, ou plutôt déchiffré, maints grimoires, fascinés qu’ils étaient, sans en avoir jamais saisi un traître mot – ses parents lui avaient donc donné comme prénom, l’un des nombreux titres de fausse noblesse empruntés par le sulfureux et dérisoire Joseph Balsamo, le très fameux mage-escroc qui sévit au 18e siècle en Europe. C’est dire le contraste entre l’aventurier qui défraya la chronique et l’insipide gratte papier !

Cagli, c’est ainsi qu’on le surnomma, eut une scolarité terne. Personne jamais ne le maltraita, pas plus à l’école qu’au service militaire qu’il occupa à plucher des patates dans les services d’intendance. Pour se retrouver, au sortir de l’armée, engagé comme grouillot de 5ème classe, chargé de transporter dossiers et monceaux de papiers insipides, d’études en bureaux et vice versa. Outre ces va- et-vient incessants, il faisait le ménage après le départ des personnels.

Un soir qu’il regagnait sa soupente perdue dans une lointaine banlieue livide, une lueur étrange, puissante et colorée, sur un trottoir, au détour d’une rue, attira son regard. A marcher constamment tête baissée, il ramassait souvent tout un tas de bricoles que personne d’autre que lui ne remarquait. Il entassait ses trésors, petites pièces de monnaie, épingles à billets, à cravate, peignes, alliances, clous tordus et mille autres étrangetés, pêle-mêle, dans une boite de chaussures qu’il n’ouvrait jamais.

Quand il se baissa, pour voir de plus près ce qui luisait ainsi, la lueur disparut ! Cagli, intrigué, se mit à genoux et découvrit une pierre de bonne taille qu’il prit pour un caillou. Quand il voulut la ramasser elle se remit à briller. Sous la pluie fine qui s’était mise à tomber, il ramassa le caillou mouillé, le posa dans le creux de sa main, il s’éteignit à nouveau. Cagli finit par comprendre que son corps faisait par moment écran, entre la pierre étrange et la lumière ambrée des réverbères. Il enfouit son trésor dans sa poche et s’en fut. Pour la première fois de sa vie, il leva la tête et regarda droit devant jusque chez lui. Dans le ciel, entre les nuages lourds qui couraient à perdre leurs eaux, il vit quelques étoiles. C’était la première fois qu’il regardait le ciel. Dans la poche droite de sa veste élimée, transpercée par la pluie qui redoublait, l’opale noire, comme un cœur dans les ténèbres, pulsait lentement.

Cagliostro tomba follement amoureux de l’opale, mille fois plus que des filles ensorcelantes qu’il lui était arrivé de suivre dans la rue des mois durant parfois, les épiant, décortiquant leurs vies jusqu’à connaître leurs goûts, leurs habitudes, leurs amours. Le soir, seul dans sa soupente, il s’astiquait spasmodiquement en leur honneur. Plusieurs fois, il avait discrètement dénoncé les infidélités de leurs amants. Un petit mot dans la boite aux lettres et le tour était joué. Quand il les revoyait le lendemain, tête baissée, les yeux rougis par le chagrin, il était aux anges, c’étaient des moments de jubilation d’une incomparable intensité. La soirée qui suivait c’était feu d’artifice garanti ! L’invisible Cagli était aussi un salaud ordinaire.

Mais l’opale c’était bien plus fort que ça, il se mit à l’aimer d’amour pur, chaste, total, définitif. Il ne la quittait pas, machinalement il la caressait en dormant. Le jour il la glissait sous sa chemise, dans un petit sachet de soie rouge qu’il suspendait à son cou. Toute la journée il sentait la petite morsure de l’opale sur sa peau, à la limite de la douleur,  c’était pur bonheur. Puis il se mit à économiser sou par sou, il ne mangea plus que le soir, frugalement, une tranche de jambon translucide sur un bout de pain, il restreignit toutes ses dépenses jusqu’à se priver de presque tout. Quand il eut rassemblé la somme nécessaire, il fit monter la pierre sur une bague d’or fin décorée – en hommage à ses parents – de signes cabalistiques qu’il avait recopiés au fond des librairies spécialisées. Le vieux bijoutier, qui vivotait dans une échoppe perdue au fond d’une rue borgne, y travailla des jours, faisant et refaisant. A force d’explications complexes, il réussit à convaincre Cagli de lui laisser façonner la pierre, d’en faire un bijou d’opale, à la manière du Koh-I-Noor. Cagliostro l’aurait préférée montée brute, pourtant le vieillard finit par le persuader, il consentit donc, mais demanda à assister à la taille.

Le vieux joaillier vivait terré au fond de sa boutique comme un vieil hibou. Nez crochu, lèvres minces, noires de tabac à chiquer, il flottait dans une veste de coutil bleue élimée. Autour de son cou décharné, il portait, enroulée, hiver comme été, une écharpe de laine crasseuse d’un vert douteux, dont les fils pendants se mélangeaient à sa barbe blanche, longue, frisée et touffue. Mais ce qui le rendait vraiment étrange, c’étaient les deux pierres étincelantes, deux eaux vives, d’un bleu très pur, au regard étonnamment jeune, qui détonnaient tant elles illuminaient son visage de momie émaciée. Au dessus de la vitrine de son magasin, on pouvait lire, en lettres rouges affadies par le temps : “Zeus Adamantin, Joailler”. Rares étaient ses clients, mais ceux qui franchissaient le seuil de l’échoppe, après qu’ils se soient habitués à la pénombre, percevaient derrière le comptoir de bois noir, l’extraordinaire regard de l’étrange bonhomme qui leur souriait étrangement. Nombre d’entre eux rebroussaient vivement chemin, les plus aguerris dominaient leur malaise. Aucun d’entre eux ne l’a jamais regretté. Zeus leur fit découvrir d’insoupçonnés trésors. Avec deux ou trois seulement, il partagea des secrets.

Dégrossir une opale n’est pas chose facile, la pierre est fragile et poreuse, impossible de la refroidir à l’eau. Le lapidaire prit le temps de l’affiner, de la polir lentement, par phases successives, avec d’infinies précautions. L’opale larmoya et saigna beaucoup, ce qui mit Cagliostro au martyre. Par moment la pierre pleurait des larmes de lumières multicolores qui roulaient sur l’établi avant de disparaître mystérieusement dans l’atmosphère de la pièce. Alors l’air ambiant devenait électrique, des étincelles de couleurs vives éclataient de tous côtés, et les énergies libérées pénétraient le corps des hommes. L’opale saigna abondamment et continûment tout au long du facettage, plus elle perdait de la masse, plus l’infinité des nuances apparaissait, elle prenait de la puissance, reflétait le moindre éclat de lumière, l’atelier sombre brillait comme un plein jour. Petit à petit, sous la main caressante du vieil homme, les 66 facettes de l’opale façon brillant étoilé prenaient forme. Une première pour une opale noire.

Quand elle fut terminée et enchâssée, la bague fit feu de tout bois, au point qu’à la lumière du jour, elle reflétait intensément l’infinité des couleurs et des nuances, même celles qui échappaient au spectre optique humain. Une pure beauté ! Elle brasillait, brillantait, chatoyait, éclaboussait, étincelait jusqu’à l’ensorcèlement.

Cagliostro paya le bijoutier qui lui conseilla de ne la montrer à personne pour ne pas attiser les convoitises. “Cette pierre est puissante” lui dit-il, “si puissante que celui qui la regarde devient immédiatement son esclave, et ne rêve plus que d’une chose, la posséder. Possession illusoire, vous êtes à elle, mais elle ne sera jamais à vous”. Le vieil homme l’enferma aussitôt dans un carré de soie noire. “Ne revenez plus jamais ici, je ne veux plus jamais vous voir, et la pierre encore moins que vous” dit-il avant de pousser Cagliostro hors de sa misérable échoppe.

Un temps, la bague orna l’annulaire de sa main gauche qu’il tenait enfouie dans la poche de son pantalon. La chaleur douce qu’elle dégageait le pénétrait et gagnait son corps, le protégeant du froid humide. Le ciel hésitait entre deux temps, Cagliostro, tête baissée marchait à grands pas vers sa mansarde, son regard fixait mécaniquement le revêtement changeant des trottoirs qu’il suivait. Il se sentait bien, et cheminait en frottant doucement son bijou contre son ventre au travers des tissus, quand il s’arrêta brutalement. Devant lui sur le sol, il venait d’apercevoir une petite boite violette. Il se pencha, la ramassa. Le ciel noir posé sur le haut des immeubles laissait filtrer par instant sur la ville de longues lames d’or liquides qui caressaient les toits et les rues quasi désertes. Seules quelques voitures traçaient leurs sillons sur le bitume des boulevards mouillés en soulevant de grandes gerbes d’eaux mortes et grises qui s’en allaient éclabousser les rares âmes égarées le long des avenues. Perplexe, Cagliostro fixait les pièces d’or qui remplissaient la boite à ras bord. Dans la grisaille ambiante, l’or reflétait le peu de lumière que les cieux joueurs dispensaient parcimonieusement. Un rayon soudain enflamma les jaunets. Il vida la boite dans une de ses poches. La bague, de l’autre côté de ses hanches, avait refroidi d’un coup. Le soleil disparut dans l’épaisseur des nuages. Alors Cagli prit peur, il décida de cacher le bijou chez lui.

Posée dans le creux de ses mains réunies en coupe, l’opale noire parfaitement lustrée, sous la lumière de l’ampoule qui pendait au plafond du cagibi, chatoyait intensément. Au moindre de ses mouvement, les couleurs changeaient. C’était comme un arc-en-ciel qui se renouvelait à chaque instant. Cagliostro, assis en tailleur sur sa paillasse, le dos arrondi et les cheveux en bataille, les yeux écarquillés, secs et blessés à force de contempler sa beauté, semblait avoir perdu la notion de la réalité et du temps. Il n’était plus qu’une conscience inconsciente du monde. Le lendemain, il réussit à s’extirper de cet étrange état. Quand il reprit son obscur travail routinier à l’étude, personne ne s’aperçut de rien. Le soir sur son chemin, il ramassa un portefeuille de cuir luxueux, anonyme, vide de tous papiers, mais gonflé d’une épaisse liasse de gros billets qu’il rangea près des pièces d’or dans sa boite à chaussure. Les jours suivants, il revint chaque soir avec un nouveau trésor. C’est ainsi qu’il accumula or, diamants, rubis, émeraudes, saphirs et autres précieusetés. Quand sa boite fut pleine, il en ouvrit une autre, puis une autre encore….

Quand l’hiver eut jeté ses glaces et ses eaux, le printemps lui succéda. La lumière revenue nettoyait la ville qui retrouvait ses couleurs, tandis que la vie qui sourdait impatiemment du sol verdissait les arbres et épanouissait les fleurs fragiles dans les jardins. Dans les rues, les sourires fleurissaient aussi sur les visages des passants. Certains même se regardaient aimablement, quelques aventuriers se saluaient furtivement, de très rares audacieux allaient jusqu’à dire bonjour à haute voix. Il paraît, plusieurs sources officielles l’attestèrent, que certains chantonnaient en marchant.

Cagliostro vivait toujours dans sa souillarde tout en haut sous les mêmes toits, dans une banlieue livide que le soleil le plus radieux ne parvenait pas à égayer. Insensible aux contingences il continuait à vivre pauvrement, ne changeant rien à ses habitudes. Tous les soirs en rentrant de l’étude il remplissait ses cachettes, ses trésors s’entassaient. Des centaines de boites  disparates, pleines à ras bord, encadraient maintenant son matelas. Il s’était aménagé un chemin entre sa couche, un petit coin pour manger et un autre pour se laver comme un chat. Et cela lui suffisait.

Totalement indifférent, il ne vivait plus que pour sa bague, cachée-perdue le jour dans un écrin de soie, au milieu des boites à chaussures qui montaient maintenant la garde jusqu’au plafond. Au milieu des trésors accumulés  – une véritable fortune – elle pulsait patiemment en attendant le soir venu qu’il revienne. Dans le noir total, Cagliostro la regardait, amoureux à mourir. Chaque soir c’est dans un nouvel univers qu’elle l’entrainait. Aspiré par la puissance de l’opale, il basculait et tombait dans ses rutilances. Débarrassé des pesanteurs de la chair, des petitesses de l’esprit, des inconvénients des amours humaines, libéré des limites ordinaires, guidé par l’infinité des chatoyances de l’opale à pleine puissance, il volait dans l’espace illimité qu’elle lui ouvrait. Il parlait à voix basse aux grands cristaux complexes qu’il croisait, éclatant de blancheur dans le noir sidéral, il s’enroulait en riant dans les salves rougeoyantes des laves immatérielles, nageait dans les eaux ruisselantes des océans disparus, chantait avec les harpes et les lyres exaltées qui dérivaient en fredonnaient des psaumes envoutants dans le dédale tortueux des planètes inventées à la dérive, accédait aux innommables secrets que les dieux susurrent aux oreilles d’argent des étoiles damassées piquées sur le brocart des cieux anciens. Cagliostro connaissait l’orgasme délicat des âmes en partance, volait comme un oiseau léger, et la mort son amie, rieuse, vêtue de soies sauvages mordantes, lui tenait la main, sa faux de pur diamant lui déchirait la poitrine, lui crevait les yeux, le vidait de ses tripes fumantes, et tous deux riaient comme des enfants espiègles. Quand au petit matin l’opale lui rouvrait les yeux, il vaquait à sa vie, rempli d’une force terrible, indifférent aux avanies du jour, il traversait les heures. Sur son chemin, les fleurs s’inclinaient discrètement, les animaux couraient vers lui, les enfants dans leurs poussettes lui tendaient les bras, les femmes connaissaient des orgasmes brutaux, si violents et soudains qu’elles en étaient effrayées et refusaient le soir les bras qui se tendaient vers elles. Cagliostro se sentait monstrueusement puissant mais n’usait pas de cet effrayant pouvoir, il se contentait de transporter ses dossiers en silence, tandis que les secrétaires aux cheveux brillants rougissaient sans savoir pourquoi à son passage. Le très important premier  clerc de l’étude lui proposa de le seconder, lui faisant miroiter une carrière éclair. Edgard Mironton le notaire lui même se mit de la partie. Cagli, muet comme une pierre brute, se contentant d’assurer sa modeste tâche, ne répondit jamais aux sollicitations multiples et insistantes qui lui furent faites. Le réel l’indifférait. Cagli désespérait l’étude, mais il demeurait incorruptible.

Le soir venu, dans le sillage de l’opale vissée à son doigt, il repartait dans des voyages toujours renouvelés.

Une nuit, à l’heure où les cloches des églises sonnent minuit, l’ampoule de sa soupente, sans raison sérieuse, éclaira vivement le logis, explosa, les débris incandescents embrasèrent la forteresse de carton qui entourait le lit de Cagli en voyage, l’incendie se propagea aux étages, de nombreux vieillards acariâtres périrent dans d’affreuses douleurs, des familles entières furent calcinées, mais les chiens, les chats, les pots de fleurs, les oiseaux en cage, les poissons rouges, les cafards, les termites furent épargnées. Les pompiers luttèrent jusqu’à l’aube. Rien ne subsistait, les trésors avaient fondu avant de couler en cachette dans les égouts, entrainant dans leurs flots les pierres précieuses, les monceaux de gros billets s’envolèrent en brulant, déclenchant de merveilleux feux d’artifice dont personne ne sut jamais d’où ils provenaient.

Sous les décombres amassés, noircie plus encore par le feu, l’opale noire, intacte, cachée dans la boue nauséabonde, avait retrouvé sa taille d’origine. Dans son cœur caché, une faible lumière pulsait par instant. L’étoile noire des lumières, patiente, attendait qu’une pauvre main la retrouve. Par le plus grand des hasards …

UN PANDA.

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Rock’roll panda de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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La peluche noire et blanche à vraiment l’air commode

Quand elle dort accrochée au milieu des bambous

Les enfants sont en joie, les femmes jolies robes

Elles rêvent alanguies de câlins tendres et doux.

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Dans les forêts de Chine il traîne sa fourrure

Et ses yeux au beurre noir sur sa face si blanche

Comme un regard crevé regardent le ciel pur.

Son âme sucre candi, son cœur en avalanche.

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Bientôt il va mourir ce croqueur de roseaux

Avalé par les hommes dévorés par l’ego

Qui avancent sans cesse en mangeant la forêt

Il sent que sonne l’heure des déserts annoncés.

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La colère et la peur noircissent son pelage

La douceur le quitte, la cendre l’envahit

Mieux vaut ne pas sourire à l’animal en rage

Le doudou du bébé est devenu sauvage.

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Un soir je l’ai croisé du côté de Qionglai

La montagne était belle sous le soleil mourant

Des rayons de la ruche coulait un miel doré

Sur le dos de la bête se fanaient les diamants.

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Au crépuscule magique, panda était si beau

Sa pelisse à deux tons rutilait dans le noir

Immobile et pensif, la mine au désespoir

Il poussait des soupirs à fendre les miroirs.