Littinéraires viniques » Vivaldi

LAVILLE HAUT BRION 1951.

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Endormie pendant plus de soixante ans dans la cave obscure de la grand-mère de *********, cette belle assoupie se réveille entre mes bras. Dire que l’émotion me gagne est un bel euphémisme. Par pudeur, je ne vous dirai pas toutes les images, tous les sentiments qui m’ont envahi. Elles, ils, m’ont accompagné du premier regard à la dernière gorgée …

Et la voici cette bouteille de verre blanc, encrassée par la poussière déposée, que l’humidité a coagulée. Sous ses flancs Bordelais, ce premier cru de Pessac-Léognan au regard jaune prononcé, me regarde, hautain, hiératique, muet. Et c’est à moi, pauvre vermisseau égaré en ce début de vingt et unième siècle désolant, que revient l’honneur de lui faire la conversation.

Alors, avec délicatesse, j’entreprends de la décapsuler. Sous la lame précautionneuse de mon fidèle sommelier, je coupe sa collerette de métal ductile. Puis je la décolle et découvre une couche de dépôts noirs et collants qui masque le bouchon. Je nettoie religieusement la vieille bouche de verre de cette dame fragile, puis j’enfonce progressivement ma vrille de métal usée dans le liège humide et délicat qui protège encore cet élixir supposé. La surface du liquide est à deux centimètres de la base du bouchon. Une goutte de sueur tombe de mon front et trace une courte rigole sur l’épaule de l’espérée. Elle ne bronche pas. Le sommelier fait levier, lentement, très doucement le bouchon glisse. Jamais, je le confesse, je n’avais, à ce jour, dépucelé une douairière de cet âge … Au juste moment où j’extraie enfin la barrière liégeuse qui, depuis si longtemps, défendait son intimité, elle émet un discret chuintement de plaisir. En silence, moi aussi je soupire.

Mais il ne faut pas la brusquer, ni l’effrayer, alors je l’emmène un instant encore, reposer au frais, à l’abri de la lumière vive que le ciel, magnanime, enfin déverse, sur ce premier jour de vrai printemps. Une bonne heure, je la laisse déplisser ses atours. En l’attendant, je l’imagine, retrouvant sa jeunesse au contact de l’air frais, s’ébrouant, retrouvant sa beauté d’antan, la soie de sa peau et dans ses yeux qui s’entrouvrent, la vie qui renaît.

Dans le verre immaculé que j’ai soigneusement lavé et essuyé, elle s’étale. Sa robe de bronze patiné brille comme la cuirasse d’un centurion romain. Sur les parois de cristal, quelques larmes dessinent d’énigmatiques entrelacs. Je me penche, les yeux fermés, comme à l’habitude, concentré, recueilli. Superbe ce bouquet qui s’ouvre pour moi, de cire fine, de fruits éclatés sous le soleil ancien, de prune jaune, de miel fin, de jus d’abricot frais, de menthe écrasée, de fleur de genet, d’épices douces et de poivre blanc. Son mon nez en extase, le vin chante le « Gloria in excelsis Deo » de Vivaldi, d’une voix de jeune Diva dont les jeunes seins oblongs se soulèvent au fil du chant.

La belle ressuscitée a maintenant gagné ma bouche. Sa matière, grasse, onctueuse, aussi souple que la peau d’une amante comblée après la douche, enfle sur ma langue. Roule, me câline, et déverse sa crème de fruits jaunes et mûrs sur mes papilles conquises de douce lutte. La pêche et l’abricot, doux et frais, m’offrent leurs délices que les épices exhaussent. J’avale enfin ce nectar ancien au comble de sa jeunesse retrouvée, comme un miracle, une remontée du temps à rebours, que les humains jamais ne connaissent, prisonniers qu’ils sont du cours irréversible du temps.

Le vin s’en est allé réchauffer mon corps ravi. Dans ma bouche déserte, interminablement l’empreinte du vin demeure, qui se dépouille au ralenti de son fruit, comme une belle mutine qui se dévêt, pour me laisser enfin au palais, l’amertume subtile des noyaux de ses drupes. Son poivre blanc aussi.

Dans le fond du verre vide, les abeilles ont laissé un peu de leur cire. Dans le vieux flacon rigide, la jeune fille aux yeux dorés me sourit …

MOLLARD ACHILLE EN CAGE…

Paul Klee. Drawn one.

 

Ce jour là, Achille n’aurait pu imaginer …

L’oisillon avait pris des plumes et du grade dans la couvée hétéroclite des « Caïds ». Melloul le taiseux au poing vif-argent veillait sur lui et le suivait désormais pas à pas. Achille lui racontait ses espoirs, l’aidait aux devoirs, lui prêtait des livres que Melloul tournait et retournait sans oser les ouvrir, prenant un air déconfit et apeuré. C’était bien les seuls instants où le gamin laissait apparaître ses émotions, lui qui avait d’ordinaire le visage impassible en toutes circonstances. Cette indifférence apparente faisait sa force, son regard noir ne cillait jamais et nul ne savait quand la foudre allait tomber. Au contact d’Achille le bavard qu’il écoutait le front plissé, Melloul changeait en secret et ne regardait plus les fleurs des champs de la même façon. En vérité ce n’est pas qu’il les regardait d’une autre façon, c’est simplement qu’il les voyait et les couleurs subtiles des soleils couchants, aussi … Petit à petit il osa parler, mais à Achille seulement; son premier commentaire fut «جَمي» qu’il lâcha d’une voix rauque et basse un soir qu’ils étaient assis sur un mur de pierres sèches, silencieux devant l’astre mourant. Achille sut se taire bien qu’il en eût eu les larmes aux yeux. Un jour de flânerie Melloul lui proposa de venir goûter chez lui. Sa famille habitait une petite maison de briques nues et de tôles ondulées à moitié rouillées qui tenaient lieu de toit. Le sol de terre durci de l’unique pièce du logis était recouvert de tapis de laine rase qui se recouvraient l’un l’autre comme les pièces multicolores d’un patchwork oriental. Au centre une table basse à la marqueterie naïve et fatiguée, entourée de poufs de cuir patinés par l’usage, rassemblait la famille. La pièce embaumait les épices et les agrumes, elle avait cette odeur puissante et enivrante qu’Achille garderait définitivement en mémoire, ce parfum de musc, de cumin, de fruits frais et de terre rouge qu’il retrouverait intact à chacune de ses escapades Maghrébines. Encadrant les murs, des matelas recouverts de voiles colorés faisaient office de divan le jour et de couchages pour la nuit. La mère de Melloul une petite femme ronde au visage rieur, aux mains déformées par le travail, noires de henné, le regarda de ses petits yeux de jais et déposa devant lui sur la table basse, à peine le seuil franchi, une crêpe de blé noir accompagnée d’un verre bouillant de thé vert sucré et longuement infusé. Achille fit l’expérience de l’hospitalité vraie, désintéressée, qui n’attend pas de retour. Dans un des coins de la pièce, sur une petite étagère de bois brut vernis Achille reconnut, soigneusement rangés par taille croissante, les livres passés à Melloul qui sourit discrètement en surprenant son regard. A l’instant le pacte fut scellé, Achille devint le cinquième enfant de la maison, le second grand frère des quatre petites filles espiègles qui le dévoraient des yeux en pouffant entre leurs petites mains potelées. Adossé à l’un des murs, assis en tailleur sur l’un des matelas, un petit homme malingre, tout en tendons noueux, le visage fin et racé, le regardait en silence. Pas un muscle ne bougeait sur son visage, ses joues creuses, son nez florentin et ses lèvres absentes lui faisaient visage de rapace mais sous ses sourcils épais la lumière chaude de son regard rassura Achille. Cet homme avait des yeux verts profonds, hypnotiques, que la bonté chaude et lumineuse qu’il jetait sur les êtres rendait profondément humains. La chéchia rouge sang qu’il portait droit sur la tête lui donnait un air noble et distant. Achille ne se résolut jamais à l’appeler autrement que Monsieur Bachir. Les petites piaillaient, groupées comme une portée de chats autour d’un des premiers livres qu’Achille avait donné à Melloul, une bande dessinée sur la Révolution Française. Elles pointaient chacune leur tour un dessin du bout des doigts et le commentaient longuement, puis immanquablement ça finissait en fou-rire ! Faut dire que Marat était un sacré comique.

La bande des cinq caïds tenait désormais le haut du pavé dans le quartier et sa réputation avait gagné les alentours, jusque dans la cour de l’école. Du haut de son mètre et quelques centimètres, Achille, fort de ses quelques dizaines de kilos, faisait son malin, paradait, parlait fort et n’hésitait pas à provoquer tous ceux qui osaient émettre des avis différents des siens. Plus d’une fois, face à des clients plus âgés qui pesaient deux fois son poids et affichaient une barbe naissante, il se trouva en grande difficulté. Faut dire qu’avec sa gouaille et son sens de la formule moqueuse il clouait le bec facilement à ses contradicteurs. Alors pris au piège, incapable de rétorquer, humiliés par les répliques acides du gamin, ceux-ci, passaient à la castagne histoire de rabattre le caquet du morveux. Quand l’air commençait à sentir la châtaigne grillée, Melloul qui n’était jamais loin se rapprochait de l’attroupement, le regard noir et les poings serrés ce qui apaisait instantanément les tensions. Achille croyait marcher sur les eaux, un sentiment de toute puissance l’avait tout entier gagné. Le soir en rentrant de l’école il ne manquait pas d’envoyer quelques méchancetés bien senties à la bande du haut dont personne ne regardait plus les beaux vélos luxueux et rutilants. Ils avaient beau eu les décorer de plumes, de fausses queues de renard et autres bouts de carton qui faisaient chanter les roues, rien n’y faisait. Les caïds, généreux et malins, prêtaient de temps à autre leur guimbarde de bric et de bois aux enfants du quartier qui depuis lors leur mangeaient dans la main. Le règne de la bande semblait devoir défier les temps. Le pauvre Achille se croyait l’élu des Dieux. Sans le savoir il faisait l’expérience de l’ivresse du pouvoir, du sentiment de toute puissance qu’accompagne immanquablement le total mépris d’autrui.

Un soir, de retour de l’école après qu’il eut quitté Melloul à l’entrée du quartier, alors qu’il cheminait vers son nid, répondant au salut des enfants, de-ci de-là, souriant et confiant comme un paon, la bande du haut surgit en paquet de derrière un muret et l’entoura au plus près. Il sentit une onde de terreur lui manger la moelle épinière, qui le paralysa un instant. Puis il sourit comme un bravache tandis que son cœur serré dans un étau glacé balbutiait ses battements désynchronisés. Le chef, un grand rouquin au visage poinçonné de taches de rousseur le prit à bras le corps, lui coupant le souffle. Les autres le soulevèrent de terre et le jetèrent dans une volière géante, vide, sale et rouillée dont ils fermèrent la grille sans un mot. Achille se releva, les vêtements souillés par les excréments qui faisaient une couche épaisse et puante sur le sol de terre humide. Le soleil rouge de la Saint Jean continuait sa lente descente vers l’horizon, noyant la végétation tremblante sous la chaleur, dans un halo orangé aveuglant qui semblait mettre le feu au paysage. Seules les silhouettes épaisses des cactus se découpaient en masses charbonneuses sur le ciel d’encre bleue. Leurs contours hérissés d’épines menaçantes ajoutaient à l’effroi du garçon qui sentait venir l’imminence du châtiment. Seuls les yeux brillant de haine des ennemis étaient visibles, leurs visages à contre-jour n’étaient que masques noirs sans vie. Le souvenir des sacrifices humains lus dans les comics et qui, des nuits durant avaient alimentés ses cauchemars, lui revinrent en mémoire comme un flot d’images précises et terrifiantes. Telle une pluie de shrapnells mous, les crachats gluants des gosses s’abattirent sur lui, le couvrant de glaires tièdes qui coulaient plus grasses qu’un vin de Ximenez. Achille se protégeait le visage de ses mains serrées mais les huiles fétides arrivaient à glisser entre ses doigts. Il avait beau s’essuyer à toute vitesse, les glaviots épais finirent par glisser entre ses lèvres crispées. Il vomit à longs jets, jusqu’à la bile aigre qui lui brûla les muqueuses. Penché vers l’avant il hoquetait et pleurait à blanc, humilié et vaincu. Seul les raclements de plus en plus sonores des assaillants qui allaient chercher au profond de leurs gorges leurs derniers mollards verdâtres, sonorisaient la scène. La dernière rafale, la plus épaisse, rougie de sang lui recouvrit le visage d’une toile d’araignée répugnante. Puis ils débloquèrent la grille et s’évanouirent au crépuscule, sans un mot, comme chiens et loups.

Humilié au plus profond, le cœur révulsé, l’estomac retourné, plus courbatu qu’après une bonne raclée, Achille rasa les murs jusqu’à la maison. Ses parents prenaient l’apéro chez les voisins; il se jeta tout habillé sous la douche. L’eau brûlante le décapa plus sûrement que le savon. Puis il se déshabilla sous le jet, frotta ses vêtements au savon vert et les piétina longuement. Quand l’eau redevint claire, il s’assit sur la céramique blanche et pleura sans une larme. Il resta là un long moment, hébété, honteux. Il lui faudra du temps avant de comprendre, petit à petit, à force d’erreurs répétées des années durant, qu’on ne peut longtemps se mentir en toute impunité.

Aujourd’hui encore,

Il ne sait toujours pas,

S’il a vraiment compris …

Ce soir là Achille le vieux craquait une Boulard, une bouteille « Les Murgiers » issus des millésimes 2008/07/06 (2/3 meunier, 1/3 pinot noir) dont l’ambre pâle à peine percée par un cordon de bulles fines tranchait les ombres et se reflétait sur la nuit. C’est ce cordon insécable qui l’avait entraîné au fond de sa mémoire. Là, sur l’écran embué du cristal le film de ses souvenirs s’est déroulé d’un trait. Il a revu la scène en détail et les cailloux blafards comme les calcaires blancs du pays de champagne qui défilaient sous ses pieds dans la clarté de la lune d’alors, tandis que tête baissée, plus gluant qu’une méduse, il courait comme un éperdu vers la maison de son enfance. Étrangement ses larmes sèches d’antan prennent eau ce soir comme s’il fallait bien qu’un vieux jour elles sortent enfin. Le vin lui est entré en bouche comme un repentir silencieux et lui a délié le cœur. Le soulagement qui s’en est ensuivi a grossi comme le centre rond et mûr du vin. La pomme tiède de la légère oxydation lui a mis autant de baume au cœur qu’au palais, les fruits blancs se sont épanouis, enrobés d’une furtive pointe de cannelle, puis la cire, la poire, l’amande et le pamplemousse ont chanté la délivrance. Les noyaux de fruits après que le vin est avalé lui ont laissé l’âme apaisée et la bouche propre …

Rien ne se crée,

Rien ne se perd,

Mais tout s’expie,

Un jour, une nuit,

Quand on ne s’y attend plus…

EÉMOBERTILUÉECONE.

LE BEAU JOUR OU ACHILLE A MAUDIT PHILIPPINE …

Egon Schiele. Couple.

 

Faut avouer qu’un Montrachet 1947, ça secoue …

Ce soir là, Achille ne savait pas que ce premier Montrachet serait sans doute – à moins d’un miracle qui aurait maintenant intérêt à ne plus trop tarder – son dernier aussi … Après que le temps eut passé, il arrivait en bout de course, à l’âge où à s’être trop protégé on a parfois le sentiment de n’avoir plus d’âge. Il semble alors que la vie a perdu ses reliefs, qu’elle s’écoule, monotone vers sa fin. Plus aucune montagne à l’horizon, plus de cet air pur qui brûle les poumons, plus d’élans, d’envies, de folies, d’espoirs … Sur la morne plaine stérile de sa vie il cheminait sans grâce.

Puis un beau jour maudit il retrouva sa moitié d’amande, son complément d’âme, sa lumière. Instantanément il sut dans une intuition fulgurante que cette étrangère ne l’était pas, il sentit que la plus enfouie de ses cellules la connaissait, qu’il avait souvent marché à ses côtés depuis l’aube des temps. Les épreuves étaient passées, les comptes étaient réglés, il crut que le ciel l’autorisait à connaître le bonheur, que le temps de la moisson était venu. Elle lui fut instantanément plus familière que sa propre conscience. Tout en elle lui parlait. Jamais il n’avait connu un tel sentiment de plénitude. « Bliss » ! C’était comme s’il était gonflé à l’hélium. Dans sa tête, Mozart déroulait ses grâces.

Achille, inconditionnellement, aima « l’Amour de sa vie » !

Et crut à la sincérité de la réponse.

Le long d’un chemin blanc, sous les sommités moussues des maïs en pousse de ce printemps naissant ils s’avouèrent d’une même voix les enlacements de l’Amour. Cela ne ressemblait pas aux emportements d’intensités diverses qui avaient émaillé leurs vies. Sans le savoir ils n’avaient travaillé qu’à préparer leurs retrouvailles et leurs inclinations récentes n’avaient été que pâles esquisses de ce sentiment total qui les emportait au sommet. Ils osèrent même penser que le bonheur, cette inaccessible félicité, semblait à leur portée. Entre les murs verts qui ondulaient et bruissaient sous la brise ils entendaient rire les anges. Accrochés l’un à l’autre, serrés pour ne faire plus qu’un, têtes contre épaules, ils étaient ivres de leurs parfums. Certes ils leur faudrait franchir des obstacles, fracasser leurs vies actuelles, mais ils étaient confiants.

Dès lors Philippine, comme sa moitié d’amour, ne devait plus quitter son esprit. Elle était là, toujours et partout, intimement liée, fondue en lui. Chacune de ses cellules lui parlait, l’associait à tous les événements du jour et de la nuit. Elle volait en souriant dans sa tête, regardait par ses yeux. Par instant, perdant presque l’équilibre quand un torrent de tendresse lui traversait le corps entier, il devait s’asseoir en feignant un accès de fatigue. Souvent il devenait sourd aux bruits du monde, tout occupé qu’il était à lui parler en silence. Il lui arrivait aussi de bredouiller des mots à moitié audibles que personne ne comprenait quand admirant le soleil couchant, il le buvait pour elle. Devant la complexité de sa situation Achille acceptait de ne la voir qu’en coup de vent, au hasard des parkings pluvieux, au bout des chemins perdus, à la terrasse des cafés, où faisant mine de n’être qu’une connaissance ordinaire, maîtrisant ses gestes, refoulant ses élans, contrôlant ses regards, il s’efforçait de parler le banal babil des humains en société. Elle lui demandait d’être patient, d’attendre qu’elle ait réglé ses « affaires » ; lui, plus éperdu qu’un éperlan devant une girelle en habit d’Arlequine, ruminait mais attendait, acquiesçait, subissait, s’attristait … C’est qu’ils s’étaient promis de quitter leur vie présente en douceur, dans le respect des autres, en évitant le plus possible de faire souffrir leurs proches. Cependant, au fil du temps Achille s’étiolait, croupissant le plus clair du temps dans la solitude et l’affliction. Parfois, mais rarement, au prix de minables manœuvres, de mensonges dégradants et d’acrobaties incertaines, ils se ménageaient une nuit à eux, voire, exceptionnellement, quelques jours.

Elle coulait dans ses veines plus que son propre sang !

Ces rares moments volés, ils les dévoraient, ils partaient au loin, se réfugiaient à l’ombre protectrice des vignes Bourguignonnes ou Languedociennes et s’aimaient comme des affamés. Souvent, sans qu’elle le sache, Achille pleurait de joie. Au creux de sa poitrine, sur les ailes diaphanes de son âme exaltée, ces larmes de cristal fondu, mêlées au sang chaud de son désir, effaçaient les blessures de son quotidien ordinairement solitaire. De retour, l’angoisse de la séparation lui serrait à nouveau la gorge. Le temps passait, les choses traînaient, Achille s’impatientait et devenait irascible. Philippine, toujours « en affaires », continuait à afficher aux yeux du monde sa fausse petite vie superficielle de gracieux papillon, souriait à l’entour, courait de-ci, de-là, embrassant la ville entière comme si de rien n’était … Cinquième roue du carrosse de la belle, Achille se morfondait à l’ombre de la remise, attendant que son tour vienne enfin pour prendre place à ses côtés, au grand jour. Philippine, qui n’avait jusqu’alors jamais réfléchi plus loin que le bout de son nez tout entier plongé dans la vie matérielle, lui fit quelques affronts cinglants dont elle n’eut même pas conscience, acceptant cadeaux de prix et soirées mondaines, au prétexte de ne pas éveiller l’attention.

Pourtant, envers et contre toutes ses frasques, à son contact, l’armure d’airain dans laquelle Achille s’était peu à peu enfermé depuis l’enfance, se désagrégeait. La douceur de ses lèvres, ses mains qui lui semblaient siennes, et la lumière surtout, qui inondait ses yeux quand elle le regardait le faisaient fondre. Il se retrouva les chairs à vif, les nerfs à nu. Les grandes et lourdes portes derrière lesquelles son cœur ne battait plus depuis si longtemps s’effondrèrent ; il se confia comme un aveugle à son chien, se donna tout entier, réapprit à palpiter, désemparé et plus fragile qu’un Pétrel des neiges au Sahel … Elle lui répétait à l’envi qu’il était le grand amour de sa vie, mais ne cessait de réinvestir ses gains quand elle prétendait vouloir une nouvelle vie.

Achille dissolvait d’un revers de main brutal les craintes qui lui traversaient l’esprit et lui piquaient le cœur. Il s’employait à neutraliser sa lucidité et se réfugiait lâchement dans une confusion inconsciemment entretenue. Petit à petit, chez lui, il prenait ses distances, préparant doucement son départ, persuadé que la délivrance approchait. Le temps, en suspens, n’en finissait pas d’égrener ses gouttes de plomb coruscantes. Les années s’étaient empilées comme de lourdes briques paralysantes, il ne savait plus ce que vivre en liberté était. Certes les frustrations accumulées éclataient parfois en gerbes épaisses qui effrayaient Philippine. Elle préférait en toutes circonstances la mer calme aux flots rugissants, aimant à vivre sans presque respirer, attachée au paraître, ne comprenant pas qu’il est des actes plus meurtriers que des mots. Achille devenait boule de détresses agglutinées qui fusaient en longs jets douloureux de reproches exacerbés et inutiles. Elle ne l’entendait pas.

Comment lui faire comprendre, qu’arrivé un temps, celui des temps trop longtemps accumulés, le temps n’a plus le temps de prendre son temps en patience ? Pourtant, par tous temps comme en tous temps, elle lui importait comme au premier jour des temps. L’intensité des vicissitudes réitérées lui fit mesurer la puissance inépuisable du sentiment qui l’animait plus que jamais, tant et tant, qu’il sublimait le temps, le temps aidant, le temps forçant !

Ô temps, à suspendre ton vol, renonce,

Préfère oublier le vieux temps,

Renaît au temps nouveau,

Et reprends ton cours,

Plus clair que l’eau,

Enfin.

Achille s’accrochait aux parenthèses, vivant entre leurs crochets, en forcené, ces temps de lumière arrachés à la nuit noire du reste de sa vie. Il offrit à Philippine le Louvre qu’ils arpentèrent, ils se coulaient dans les longues galeries bondées comme des amants heureux. Ses yeux brillaient peu à peu d’une lumière nouvelle, plus intérieure. Pour elle il caressa à mots choisis « La Belle Ferronnière », plutôt que « La Joconde » au fond de la galerie devant laquelle s’écrasaient vingt mètres d’Asiates qui l’incendiaient à coups de flashes enfarinés. Devant le « Scribe assis » il lut l’étonnement dans ses yeux, puis l’intérêt, puis il lui expliqua, veillant à la faire rire, les mystères des Empires Anciens. Des heures entières ils marchaient dans Paris, mains empaumées, emmitouflés dans leurs laines énamourées, au hasard … Quand le temps leur manquait ils fuguaient au plus près, s’enfermaient, marchaient au long des caps, frôlant l’eau de leurs talons rieurs, folâtraient sur le sable chaud, plongeaient dans les vagues claires, couraient et jouaient comme des enfants oublieux. Hors de son monde elle ne se ressemblait plus, elle devenait curieuse, avide d’apprendre, de comprendre, de sentir la vie en profondeur. Un beau jour qu’il n’oublia jamais, elle lui dit ne plus vouloir de sa propre appréhension du monde, ne plus pouvoir se contenter de survoler la surface des choses et des êtres. Il crut à la prunelle de ses yeux …

Ailleurs, l’hiver,

Ils se turent devant la mer,

Sur laquelle,

Communiant,

Il leur semblait,

Immobiles,

Voguer ensemble.

Cette nuit est une nuit différente des autres. Dans cette parenthèse noire du 24 au 25 Mars 2012, Achille le canonique est plongé dans son souvenir pas si vieux que ça comme une goutte de vinaigre diluée dans l’huile chaude des tendresses disparues. Le temps est arrêté dans ce no man’s land temporel du changement d’heure. Ô temps, en suspendant ton vol, à l’instant où ce souvenir l’envahissait, tu as figé Achille, le temps d’une heure pleine, dans son présent ressuscité, comme si sa mémoire prenait le pouvoir sur la réalité en le ramenant, à la stupeur de ses sens qui n’en croient pas leur yeux, dans la perception étrange et bouleversante de la présence, aussi vraie que nature, de Philippine. Elle est là près de lui, la main posée, caressante, sur son avant bras droit, ses bras l’entourent, ses seins réchauffent son dos. Il sent son souffle sur son cou, son odeur qu’il aime tant, ses cheveux blonds et drus qui lui chatouillent la joue. Achille s’ébroue pour relancer les aiguilles de sa montre qui reste obstinément gelée.

Il est deux heures piles du matin,

Une heure durant, il revivra,

“L’insoutenable légèreté de l’être”.

Sur un coin du bureau de cuir patiné, à mi hauteur dans un verre de cristal au pied élancé, brille sous la lumière jaune chrysocale de la lampe la robe brillante d’un coeur de rubis éclatant plongé au profond de la corolle d’une rose aux pétales incendiées par un soleil mourant. Alors Achille comprend enfin. C’est CE vin de Pernand-Vergelesses, du Domaine Rapet Père et Fils, cette « Île des Vergelesses » du millésime 2000 qui l’a entraîné dans l’entrelacs des vignes proches de Corton. Sur le disque éclatant du vin il revoit le kaléidoscope des jours florissants, les flânes par les sentes, les nuits de dentelles froissées, et ce vin de Pernand qu’ils avaient bu ensemble au pied de la côte … Sous le nez qui implore montent les parfums des fruits rouges, groseilles et cerises mûres, la douceur du cuir, les notes mouillées des feuilles sous le bois d’automne, les piqûres tendres des épices douces, l’âpreté du café fort et les étincelles subtiles du poivre blanc. Achille soupire. Puis désireux de prolonger l’éternité il prend au buvant du verre une gorgée de vin à la matière demi-corps. Délié et concentré à la fois par le temps, le vin diffuse délicatement à son palais ses fruits prégnants, comme l’amoureux ses sortilèges. Puis il se dépouille lentement, libérant des tannins fins et polis, sous lesquels, à l’avalée qui réchauffe le corps, apparaît l’ultime expression des calcaires sous terre ferrugineuse qui l’ont engendré. C’est à cet instant précis que les vins parlent d’Amour, ce sentiment rare, puissant, authentique qui se construit pas à pas, véritable transmutation de l’inclination amoureuse que dépassent si rarement les êtres inconstants aux coeurs de papier crépon.

Un beau jour maudit, Philippine s’en est allée,

Sans se retourner …

Dans la solitude glacée,

De sa nuit intérieure,

Achille,

S’épuise,

Et lentement se meurt,

En insultant le ciel …

EÀMOJATIMAISCONE…

ACHILLE ENFOURCHE LE CHEVAL BLANC …

Oleg Dou.

 

Au sortir du lycée, la vie commence …

Le Bac à l’arrache, au baratin, en finesse, après une année de musique sombre, « hard », glauque, comme qui dirait « sauvage petit bourge ». L’esprit vif, le regard décalé, quelques idées pas trop connes, à la marge, avaient séduit les profs, trop contents de lire autre chose que les sempiternelles régurgitations de cours mal digérés. Les temps étaient à l’agitation compulsive, aux rêves, à l’espoir, et aux luttes à cœurs éperdus pour un « monde meilleur ». La jeunesse se gavait d’idéaux, d’utopies. Les temps depuis lors ont changé, l’accumulation, le consumérisme effréné, ont anéanti la soif de vivre, l’égoïsme a tué la solidarité, certes un peu niaise mais généreuse, qui alimentait les actes et les discours. Le politique est mort, le politiquement correct règne, sinistre et désespérant. Les anges ont perdu leurs ailes.

Or donc Achille vibrait de toutes ses jeunes fibres …

Hector, que les études rebutaient mais qui ne manquait pas de talents divers, s’était auto proclamé photographe et avait ouvert une boutique. Dans le labo sombre, il pataugeait dans le révélateur, et son studio était un parfait piège à filles. Accueillant et généreux, il hébergeait en milieu de semaine Achille, qui venait à la métropole suivre ses cours en Faculté. La journée était studieuse, Achille se vautrait dans la littérature, et admirait béatement les grandes œuvres qu’il découvrait avidement. Stendhal l’enivrait, Flaubert le ravissait, Céline l’interloquait … La mode était au structuralisme triomphant, à l’analyse psychanalytique des textes, et l’engouement pour le « Nouveau Roman » ruisselait dans les amphithéâtres. Tsvetan Todorov le fascinait, Julia Kristeva accaparait ses rêves et Philippe Sollers, ce dilettante talentueux et brillant, qui déchirait grave les filles aux seins lourds, posées comme des gâteaux crémeux aux flancs des amphis bondés, était son modèle absolu. Un temps il se mit au fume cigarette, histoire de faire « genre » intello profond. Bientôt Roland Barthes le laissa sans voix. Achille vivait pleinement l’âge des émerveillements à géométries variables. Le jargon fleurissait dans son jardin, il se saoulait de formules absconses et d’affirmations obscures. A chacune de ses lectures, il croyait toucher aux vérités définitives. A force de baffes monumentales et de bouillons amers, lentement, virant et revirant, il dut se rendre à l’évidence : le monde a mille facettes et la solitude absolue est le sort ordinaire des humains …

Un soir, à l’occasion de la communion solennelle d’une des sœurs d’Hector, il fut invité chez les parents de son ami. Son père était un radical socialiste de centre droit, habitué aux grands écarts de la pensée, amoureux de la langue, et des longues discussions blêmes jusqu’au bout des nuits. Médecin de campagne, c’était un notable qui vivait bien, généreux et grand amateur de vins. Hector préférait le Coca et les alcools forts. Les hasards de la table placèrent Achille à côté du maître des lieux qui se mit à l’entreprendre aimablement, à le questionner sur ses études, à parler politique et autres sujets brûlants. A partir de ce jour-là, entre le bourgeois rompu aux duels oratoires serrés et le jeune homme, aussi mal débourré que fougueux, cela crocha, les extrêmes se rejoignirent, et ça se mit à péter de tous côtés. L’air, entre eux, sentait la pierre à feu. Achille apprit l’art de la diatribe, celui de l’esquive et de la tortue romaine, il travailla son verbe, son vocabulaire et l’exercice de la pensée construite et argumentée. Cet homme, éloigné de lui par les origines et la fortune, fut un peu son pygmalion. Un vingt deux mars d’une année restée célèbre, ils passèrent la nuit entière, assistés de quelqu’autres acolytes – vieux mâles hargneux en fin de carrière, diplômés de prestigieuses écoles – , à combattre comme cerfs au brame. Une nuit enfiévrée, haute en tensions, en affrontements, en défis, une nuit sans merci, mais pleine de l’amour des hommes qui passent durement le témoin à leurs enfants.

Sur la table en fête trônait une bouteille, mystérieuse, sans intérêt pour Achille. Le vin n’était alors pour lui, qu’une boisson de limace de comptoir. Pourtant le flacon empoussiéré par le temps l’intrigua, tant il lui paraissait à la fois impressionnant et inabordable. Sur le haut de l’étiquette à demi délitée subsistait un écusson rouge sale, piqué de six points vieil or. Sous l’écusson, une citation latine quasi illisible. Il crut y vaguement distinguer « Su ??? semper veritat ?? », quelque chose qui parlerait d’être « Toujours au-dessus de la vérité ?». Une maxime célébrant sans doute la recherche incessante et jamais atteinte de la perfection ? Un millésime : 1945. Un vin plus vieux que lui, qui avait à peine passé vingt ans ! L’image désuète d’un Château sans style, ensuite, puis un nom : « Château Cheval Blanc ». Le vieil homme au visage hâlé et émacié, ne disait mot. Sa chevelure noire étonnait, qui surmontait un faciès buriné, torturé de rides complexes, profondes mais harmonieuses. Ses yeux d’un noir perçant sourirent, quand il s’aperçut que le garçon ne l’écoutait plus, fasciné qu’il était par la bouteille poussiéreuse. La bouche arrondie, les yeux marqués par l’interrogation, le juvénile, éperdu, se tourna vers lui. Un long moment, l’ancien lui raconta Bordeaux, Saint Émilion, la rive droite, merlots et cabernets, lui dit qu’il avait sous les yeux grand vin en grande année.

Achille se mit à boire les mots,

Qui l’amèneraient au vin,

Achille entrait en initiation …

Cette courte journée d’hiver entrait déjà dans sa nuit. Achille, le regard noyé dans la robe d’encre du vin, les doigts crochés, au bord des crampes, autour de la fine tige de cristal, plus tremblant qu’un chenu, s’évertuait à faire tourner la soie enténébrée de l’élixir dans la large coupe de verre fragile. Sous la lumière artificielle du grand lustre qui illuminait la pièce, la houle du vin tournoyant qui dansait au rythme de son poignet, l’hypnotisait, et les fulgurances alabandines qui traversaient le vin, l’avalaient comme derviche en transe. A la surface du disque des ondes orangées pulsaient parfois, s’enroulant et se resserrant vers le centre dépressionnaire du verre. Récitant parfaitement la leçon qu’il avait reçue, il plongea le nez vers le verre. Les odeurs en foule indistincte qui montèrent, riches et puissantes, vers lui, le surprirent. Elles lui étaient familières, ils les connaissait mais ne pouvait les nommer. A son oreille, la voix de Roger – c’est ainsi que se nommait le vieil homme – énumérait les arômes : Fruits rouges, café, touches balsamiques, caramel, viande séchée, épices, poivre … il mettait des mots sur les perceptions du novice. A chaque parfum, il pensait, oui ! bien sûr ! Certainement ! Je l’savais ! C’était joie et ravissement, son cœur riait et battait l’amble. Puis, à la commande, il entrouvrit la bouche et happa le vin. Interloqué, il ferma instinctivement les yeux quand le jus, puissant et gracieux à la fois, s’étala comme une soie fraîche sur ses papilles surprises. Il fit l’apprentissage de l’équilibre, de la gourmandise, de l’élégance et de la race. Le sens de la maxime, qu’il avait à demi traduite sur l’étiquette fanée, lui apparut clairement comme une évidence qu’il n’oublierait jamais plus. Son palais exulta, tout son être vibra quand la matière déversa fruits et épices mêlés qui n’en finissaient pas de s’étirer comme chat angora au réveil. Le jus passa sa luette sans encombre, une boule de chaleur douce partit de son œsophage et irradia tout son être. Quand il s’aperçut que le vin, bien qu’avalé continuait à vivre en bouche, couvrait sa langue d’un étrange et fin lacis crayeux de « tannins » frais, que cela ne cessait pas, interminablement, sa joie se mit au diapason …

Bacchus venait de l’adouber !

En retrait, dans l’ombre,

Silencieux maintenant,

Roger souriait …

EDEOMOGRATICOTIASNE.

LES SOURIRES DE CATHERINE…

  Cranach l’Ancien. Les fiançailles mystiques de Sainte Catherine.

 

Une énigme sur longues jambes que cette femme roseau. Brune haut perchée, esprit vif, et revers de volée à qui la cherche. Mais fondante aussi, derrière le masque fermé de ses sourires absents. Une ligne à hanter les cocktails parisiens… rive droite, des mains certes soignées, mais marquées quand même par les travaux des vignes. Une femme complexe donc, qui marne dur dans ses Villafranchiens, ses Carbonifères et ses Basaltes sévèrement burinés. Les terrains volcaniques, somme toute, lui vont bien ! Selon les caprices du temps, elle est en « Lune Rousse », en « Lune Blanche », en guerre avec « Arès » qui boude sa malo, quand « Les Six Rats Noirs » embaument le cassis dans un coin du chai.

Vous dire, que de visu, jamais je ne l’ai vue. C’est une virtuelle. Mais une amie, car la fibre ne ment pas, et par l’étrange voie de l’optique lumineuse, les atomes crochent envers et contre toutes idées reçues. Ceci dit par honnêteté de blogueur, pas « Ô Ministre… », mais intègre néanmoins. Et vertueux, qui se veut aussi. Mais laissons là Victor et son Ruy. Blasé ne serai point. Et passerai au tamis implacable de mon palais de peu, les vins de la sus-évoquée.

Madame n’est point seule sur les rangs de Carignan, Syrah, Grenache, Roussane, et autre Mourvèdre. Daniel Leconte des Floris, son ex-mari lui reste associé, pour le pire comme pour le meilleur du labeur. Une belle paire de complémentaires, passionnés, opiniâtres, et durs au mal d’airain. Madame écume les piscines (municipales) pour se délasser les lombaires que la vigne lui noue. Daniel, lui, je ne sais, mais l’homme a l’air suffisamment Villafranchien, pour résister aux tourments du corps meurtri par les travaux de la terre si basse. C’est que vie de vigneron n’est pas  champ de poète, et la terre ne donne que ce qu’elle reçoit. La pioche sur silex résonne dans les bras, le basalte est compact et la végétation recherchée envahissante parfois. Saison après saison, ça n’en finit jamais !

Or donc mes gens, on travaille propre au Domaine, qui sans hurler avec les loups, à gorge éructante, respecte plantes et sols, n’engraisse pas la terre et ne l’inonde pas non plus de produits délétères. Naturellement Bio-Ecocerté dès le prochain millésime… La moindre des politesses, quand « des Floris » clôt en bouquet le patronyme particulé de ces jardiniers des lianes.

Mais allons voir mignonne si ces particules dorées et pourprées, n’ont point perdue en cette vesprée, leurs charmes annoncés. Et supputés…

La première approche est un échec. « Arès » 2007, fier guerrier, ne se rend pas au « sommelier » affûté, qui lui attaque pourtant le col en extrême douceur. Il préfère mourir, pollué par le bouchon ! Foutre d’Archevêque vérolé, marri je suis. Navré aussi. Résigné, enfin.

Mais sous son aube faussement pacifiée, la vieillesse est un volcan paisible sous les cendres duquel grondent encore les flots brûlants des magmas filandreux, rouges de tous les sangs noirs des désillusions passées. Me fiant à ma douceur naturelle, au charme lumineux de mes grands yeux bleus, à demi recouverts par l’âge qui effondre les paupières, je me dis que nulle « Lune », fut-elle « Blanche » et native de 2007, ne saurait me résister. Mais ne point effrayer la fragile surtout. Alors, c’est avec un doigté d’Archiprêtre grand manieur d’encensoirs fragiles, que je me fais plus léger que papier d’Arménie. La belle ne bronche pas quand je la décapsule de la pointe légère du canif. C’est en lui souriant, droit dans l’étiquette qu’elle a claire et ourlée de caractères tourbillonnants élégamment, qu’avec la plus infinie tendresse, je lui glisse la lame hélicoïdale de mon vieux sommelier poli par l’âge et les expériences moultes fois répétées, au plein centre de son bouchon encore pâle. Prudemment j’extirpe sans à-coups – de ces à-coups réservés aux vieilles lunes – l’oblong cigare de liège tendre qui la protège des tentations du monde. Elle émet un bruit gracieux, un petit pet clair, sous lequel montent déjà effluves et parfums. Jamais, je le confesse humblement, je n’avais eu mouvement aussi parfait de la lame, extirpation aussi compassionnelle. Généreuse, ravie, reconnaissante, la jeune lune s’offre alors à mes désirs multiples. Cette lune en premier quartier ne donne à humer que parcimonieusement. Elle prend air et temps pour monter au zénith. La pierre fumée domine d’abord, dans un corset fin d’épices douces, de cire, puis de pêche et d’abricot. Ajoutez une once de vanille, un soupçon de réglisse et vous aurez sa palette de jeunesse. C’est une autre affaire en bouche ! La donzelle ouvre largement ses quartiers et se montre pleine, ronde, caressante, fine et complexe. Enveloppée d’un gras gourmand, elle inonde le palais de fruits jaunes mûrs, de miel d’acacia, amer ce qu’il faut, et prend un beau volume. En milieu de bouche, elle enfle et lâche généreusement, la pêche, l’abricot et la réglisse. Derrière les fruits, c’est une soie délicate, fraîche et tendue qui relance le vin. La finale, sur le noyau et le poivre blanc, est longue et rechigne à faiblir. Le dernier quartier de cette gibbeuse n’est pas pour demain ! Et si tous les vins de lune avaient ce charme gracieux et cette opulence fraîche, je voudrais bien m’appeler Pierrot !

Petit tour, avant que de m’en aller, du côté du « Carbonifère ». Enfant j’entendais souvent : « Si tu n’es pas sage, tu finiras en Carbonifères !». La grosse trouille et les pleurs assurés. Mais place à l’une des Œuvres au Noir du domaine, sur Carbonifères justement (Schistes, grès, argilites…), au rendement de 25 Ho/Ha, élevages en demi-muids neufs et de un à deux vins… 2007 flambe sur l’étiquette et 2008 pyrogravé sur le bouchon !! Le mystère plane, que le vin va dissiper. Le temps qu’il daigne sortir de son placard. Pas très causant ce soir au premier fond de verre, le vin se révèle le lendemain midi.

Plutôt engoncé dans une stricte robe, opaque comme celle de la plus pudique des rosières, le vin ne laisse entrevoir de sa chair qu’un fin liseré rose soutenu, au bord du disque étroit. Après qu’agité à tours de poignet au long des courbes cristallines du verre fin, l’invisible pinceau de la vigne, esquisse le Pont du Gard et les frêles arrondis sous piliers ténus des chefs-d’œuvre Romans

Comme une poignée de cerises noires et de cassis écrasés sur un lit de mures mûres traversée d’épices douces fumées, et d’une furtive pointe de zan, chapardé par un gamin gourmand à l’étal d’un marché de printemps, me titille gaiement ce parfois bel organe fragile, qu’abondamment Rostand détaille.

La matière dense, fraîche et pulpeuse fait sa ronde charnue, qui s’étale et se déploie en ondoyant. Au sortir des fruits, la pierre sort de sa gangue et retend le vin comme un arc de pierre aiguë. Passé l’étroit détroit de la luette, la finale installe longuement au palais enchanté d’imperceptibles tanins crayeux, épicés et réglissés.

Quant au sourire de Catherine, c’est dans ses vins, pudique, qu’il se cache…

EHIMOLATIRECONE.

 

LA TERRE EST SOMBRE ET SIRIUS EST EN SYRAH…

 Sous le regard des deux lunes de Sirius…

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De là-haut, la terre est à pleurer, tout est beau. Et pourtant…

Plus beau que somptueux même, magnifique, voire féerique par endroits. Hors caresse de l’astre roi, la Terre, longtemps, fut nuitamment, de pur jais, insondable. Sa face sombre est maintenant piquetée d’étincelles, d’éclats, de fils de lumière, d’étoiles artificielles, dont les ganses de velours palpitantes soulignent les continents en les arrachant aux ténèbres. Les Fils de Sirius, qui croisent à l’occasion, n’en croient pas leurs antennes. Cette vieille terre, la «boule des débiles», comme ils l’appellent entre eux depuis l’aube des temps, cette vieille reine de rien, cette chiure de constipé du bulbe, qui souillait l’Univers, resplendit depuis peu (comme un clignement de paupière, à l’échelle sidérale). D’aussi loin qu’ils s’en souviennent, dans la totale obscurité galactique, son côté sépulcral ne se détachait pas des espaces à perdre la raison, et nombre de fois, leurs vaisseaux l’avaient évité de justesse. Quelques Flèches d’Orion, toujours téméraires, ont laissé quelques traces de leurs trépas brutaux sur les flancs des Andes, dans les déserts Australiens aussi. Les fourmis bornées, qui rampent au creux de l’extrême densité terrestre, se grattent – l’occiput pour les rares plus futés, et le coccyx pour les autres – depuis des millénaires, à la vue des étranges stigmates de toutes formes, qui balafrent par endroit, le sol dur du caillou stupide… Ces peuples ailés, que ne contrarient plus les pesanteurs de toutes natures, ces formes ultimes de l’évolution, pour lesquelles le 2.0 renvoie à l’époque reculée des fractales dichroïques (l’équivalent de nos Calendes Mésopotamiennes), stationnent volontiers dorénavant, au large de la honte du système solaire, fascinés par les sols dont s’échappent ces langues de lumière qui trouent, comme des aiguilles vibrantes, les ténèbres épaisses. Certaines contrées semblent même avoir totalement déchiré le manteau mortel des nuits, tant leurs énergies palpitent, jusqu’à aveugler les spectateurs de l’espace.

Des masses de ferrailles, en tonnes tourmentées, tournent autour de la Terre, satellites abandonnés et autres immondices humaines, polluent déjà l’espace. L’Homme est un Chieur Universel, une abomination sidérale et sidérante, un puits sans fond de bêtise concentrée, de fatuité vide et d’égoïsme délirant. C’est en très raccourci, ce que sait l’Étre (?), invisible tant il est substance légère et subtile, qui observe la Planète qui fut bleue. Oui, vous dire aussi que Léon (je lui donne un nom pour plus de commodité), ne pense pas, il sait. Et oui, d’emblée. En relation constante avec le grand livre de l’Akasha, il a accès à l’ensemble de l’histoire détaillée de la Terre comme à celle de l’Univers d’ailleurs. Akasha, la grande “Bibliothèque”, au sein de laquelle sont imprimés dans l’Ether, images, pensées, actes, paroles. D’avant les origines au plus lointains avenirs, tout est dans le «livre» éthérique, de ce qui a été, aurait pu être, est multiplement, à ce que pourrait être l’infinité des futurs possibles. N’imaginez surtout pas Léon engoncé dans une combinaison flashy, aux commandes d’une grosse ferraille à propulsion hypra – prostatomique. Bien sûr que non, misérables petits adorateurs de l’I-Phone 4 ! Léon n’est qu’énergie pure.

La perfection est simplissime…

Ce que Léon veut, Léon l’obtient, instantanément. Absolument tout lui est possible. IL est hors matière, sans être pour autant pur esprit. Mais il ne peut vouloir et atteindre, que ce qui est en parfaite harmonie avec l’équilibre du Tout. Léon ∞-∞ de Sirius est l’aboutissement de l’évolution, tandis que l’homme en est l’avant commencement… Vortex impalpable, luminescent, volatile et mouvant, Léon de Sirius est pur Amour, ni plus ni moins. Des contrées les plus insensées lui parviennent, les bruits, les vies, les joies, les douleurs des Mondes. Alors, en équilibre à la périphérie terrestre, il souffre abominablement. Le fracas de la terre, les souffrances des martyrs de chairs molles, les pensées terrifiantes des êtres de boue grasse, l’épouvantent.

Mais que fait-il là? Qu’espère t-il? Nos inconséquences le lacèrent, nos cupidités l’effraient, le culte imbécile que nous vouons aux accumulations sans fin l’épouvante, l’étrange adoration qui nous attache à ces tas de petits papiers froissés, à cet «argent» puéril, à ce métal, aussi mou que doré, le navre. Mais ne le décourage pas! C’est qu’il m’observe moi, oui moi, moi qui suis à l’Alpha et l’Oméga, ce que la défécation des mouches est à la mécanique Quantique.

«Étonnant, non?»

Enfin moi, non, mon ego m’égare! C’est plutôt ce verre, remplit de pur liquide rouge, qui le fascine. Ce modeste sang des vignes dont il s’abreuvait jadis, il y a si longtemps, plus longtemps encore que naguère, du temps où l’espace et le temps l’emprisonnaient dans une coque de viande rouge et d’os blancs, du temps où la pesanteur l’écrasait, au temps où il traversait ses expériences humaines, du temps des limites, de l’aveuglement, du désespoir, là-bas, sur les murailles de Saint Jean d’Acre, prisonnier d’une lourde armure brûlante sous le soleil de Palestine. A chaque fois que les misères de l’incarnation – et il a bourlingué le Léon, de la banlieue de Cassiopée à Sirius, en passant par ses quelques dix mille séjours chez les bouseux d’en bas, il a connu bien des expériences, de la plus infâme à la plus tendre (les dents de nacre d’Isabeau, sa démarche à peine chaloupée, ses cheveux drus, le creux tendre de sa hanche, son regard qu’il avait cru si franc, cette dague acérée qui lui vide le cœur, ce sang, ce sang, toujours ce sang…) – s’abattaient sur son échine, pourtant ployée, quand il sentait ses forces le fuir, sa raison faire feu d’artifice, il se réfugiait entre les bras berçants de Sainte Syrah. À travers les âges, Sœur Syrah a accompagné son lent chemin de géhenne, elle l’a consolé, lui a redonné des forces, du courage, lui a lavé la conscience, lui a, à chaque fois rappelé, que le chemin de l’évolution, l’élévation progressive de l’âme, demeuraient le but. Au fur et à mesure que ses vies s’empilaient, Léon sentait bien que sa perception du monde, puis des mondes, évoluait. Non, non, là j’embellis, je brode! Léon, a trainé pattes et galères des vies durant, essayant de survivre, basta! Mais aujourd’hui – ce présent transcendé – l’être spirituel qu’il est devenu, accède au langage absolu, à la Musique des Sphères, à l’expression suprême de toutes les langues des mondes empilés. Dans sa conscience pleinement ouverte, le verre pansu qui brille, et le rubis étincelant qui palpite en son sein, l’émeuvent au plus haut point.

Léon irradie mon chakra coronal de sa présence muette. Hommelet grossier et aveugle, je pédale maladroitement sur mon clavier de plastique figé, lorgnant du coin de l’œil ce vin qui se réchauffe lentement, perdu au fin fond ignoré de l’infini de la création, atome nanoscropique, gouttelette dérisoire, infime particule de vie.

Le cristal limpide, rempli à mi hauteur, tremble, au cœur de ma nuit. Du disque fragile, invisibles et prégnantes, s’échappent en volutes fragiles, les chants sucrés des pivoines en fleurs. Léon pleure en pleine communion avec mes sens extasiés. Les arômes Rôti(e)s de cette Côte sont déjà fondus, qui donnent à humer l’olive, la framboise puis les épices douces et le jambon cru à peine fumé. Une sensation crémeuse vient, en finale olfactive, anoblir le bouquet épanoui de cette syrah tendre. Perché entre les étoiles qui constellent le vide interstellaire, Léon tremule au souvenir des grappes croquantes qui ont ensoleillé ses anciennes douleurs. Il ne fait qu’un avec moi, étroitement enlacé à ma vie qui l’ignore. Ses vibrations hautes, rehaussent les miennes, et je frissonne sans savoir pourquoi. Une étrange émotion me gagne. De mes yeux clos, coulent à flots tièdes, des pleurs qui m’enchantent et me consolent. Mon esprit obtus ne comprend pas, mais la sensation est si douce, si pleine, si noble que je me laisse ouvrir, comme la bouche de mon amour sous ma langue humide.

Le jus frais, finement extrait, des raisins de septembre 2006, inonde mes papilles attentives. Un sentiment de plénitude et d’équilibre me prend à plein corps. Tout là-haut, Léon chatoie. Sa substance délicate se moire d’arcs-en ciel fragiles, et les chants éthérés des chœurs supposés Angéliques, vibrent à l’unisson. La matière mûre des fruits rouges éclatés sous la presse, déferle en vagues successives. Le mot pâmoison vit au palais de ma bouche consentante. Léon lance le cri silencieux qui apaise, et fend, un instant, le mur d’airain des ignorances crasses. L’harmonique de son chant inaudible arrête le temps, unifie les vies polymorphes, et mets l’univers en symphonie. Le vin est le creuset de la création, il fait jour un instant éternel dans ma nuit, mon amour est à mes cotés… J’exulte. L’incroyable puissance douce de Léon est sur moi, en moi. Mes cellules grésillent comme oeufs au plat, ma carcasse grince de toutes parts comme une vieille machine en surchauffe. Pourtant je suis en jubilation, il me semble presque léviter, une onde surnaturelle me traverse, m’allège et me porte…

Je meurs à l’étriqué et m’ouvre à l’immense.

Pour la première fois, je saisis l’essence de la Joie, je danse sur l’ineffable, me heurte à l’indicible… Par la grâce de Léon, l’Illuminé Céleste, cette Côte Rôtie 2006 du Domaine Burgaud devient la quintessence de ces syrah septentrionales, que la fraîcheur des coteaux magnifie. Le vin coule dans ma gorge, et Léon l’avale. La robe scintillante du Sirien pulse comme danseuse Espagnole sur récifs tropicaux, quand la lune ronde, opalescente comme un oeil aveugle, éclaire la nuit terrestre. Ma conscience vacille, clignote, au bord de l’abime, prête à se fondre dans l’espérance. Mais le temps d’après, bien proche pourtant, n’est pas encore venu. Alors j’avale le vin, qui dévale mon oesophage accueillant, pour gagner mon centre. C’est une poudre de tanins juste réglissés, fine et croquante, très longue en bouche, au bout de cette liqueur de félicité, qui me ramène devant l’écran de mes écritures titubantes.

La nuit n’en finit pas.

Harrassé je me sens, sans trop savoir pourquoi. Cette syrah somptueuse, m’aura, sans doute, un peu estourbi…?

Reviens Léon…;-)

 

EC’ESTMOTIFOUCONONNE?

DE LA TERRE, DES VIGNES ET DES HOMMES…

Antonello Da Messina. Montage trois oeuvres.

 

Une fois l’an je m’en vais flâner par là-bas. Comme un bouchon de liège je me laisse porter par les flots verts des vignes, je me remplis de l’humeur des paysages, des couleurs, des gens et de la vibration subtile des lieux.

De Mâcon à Dijon je fais mon petit pèlerinage à moi, plus spirituel qu’il n’y paraît…Les paysages m’imprègnent. Je les regarde, les admire, les écoute. Ils entrent en moi autant que je m’y glisse. Dialogues muets, échanges subtils, silences riches de lumières et d’eaux mêlées. Le vin n’est pas absent certes, je fais ma vendange de cartons et de caisses, de regards et de sourires, de silences et de mots d’amitié.

Elodie m’accueille à la Soufrandière. Les frères sont empêchés par une soudaine révolte mécanique quelque part au milieu des vignes. Un sourire, une vraie gentillesse, une compétence de femme de vigneron. Je ne perds pas au change…Des vins et des mots dans le chai; tout est frais, fruité. Les vins glissent dans les gosiers, l’atmosphère, polluée par quelques relents de soufre est purifiée, nettoyée par l’authenticité et la simplicité noble des êtres. Petite balade dans le parc et les «Les Quarts». La terre est grasse des pluies récentes, les cailloux blancs brillent de tout leur calcaire sous le ciel de mercure. On entend pousser la vigne que la terre généreuse nourrit. Que ce silence est fort, que l’équilibre est vibrant, que tout cela est fragile… «Humilité et Respect». «Évidences Terriennes». Retour au sens profond de ces mots trop souvent bafoués.

Changement attendu et subi chez Verget-Guffens. C’est bouclé et chargé en quelques minutes. Les vins sont bons, même très bons souvent et c’est autant de temps gagné pour zigzaguer sur la route sinueuse et «buissonnière»… qui remonte vers Meursault.

Passage à Saint Romain, la «Corgette» et ses charmantes chambres d’hôtes, puis en fin d’après midi irruption amicale au domaine Buisson Charles. Le sourire de Catherine, le Patrick derrière son écran, de petits travaux dans la cour, d’autres plus professionnels à l’arrière, ça ne bouge pas que dans les chais!!!! Patrick m’entraine dans les vignes de Meursault à bord de sa «Puma» grise, j’écoute et je questionne, villages, crus, rangs, travail et nature des sols, qualités différentes au sein d’un même climat…. Dire que la Bourgogne est subtile est une banalité mais le vivre physiquement, le ressentir par tous les pores de la peau, par toutes les vibrations des couleurs, par toutes les fines nuances du cœur et de l’esprit, alors là Mes Seigneurs, alors là, ça vous humanise la «mémoire vive», ça vous gonfle de bonheur et ça vous remets le «microprocesseur» en juste place!!!!!!!! La relative pénombre de la cave, la plongée de la pipette dans la barrique…. Changement de décor, survol gourmand du millésime 2008. La malo et ses parfums levurés. Ça picote sous la langue. Je refais en vins et en bouche le tour amoureux des vignes. On rigole bien; l’ impression chaleureuse du plaisir de se livrer un peu, les atomes qui se courbent à en devenir crochus, c’est bon la vie…. Pas pressé d’emmener mes bouteilles je repasserai par là plus tard histoire de nous revoir, de ne pas nous quitter trop vite.

Le soir à Pernand, une sublime bouteille. Un Rapet de 1990, une «Ile des Vergelesses», m’envoie au sixième ciel, le septième n’est pas loin….de toute façon.

Perdu dans les rues de Morey le lendemain matin; mais il est où le Castagnier??? Dans son jardin de la rue du même nom, bien sûr, à l’abri derrière les vingt centimètres carrés qui «affichent» le nom du domaine. Constatation amère, il me faudra revoir le docteur des yeux, ma vue baisse!!! Conversation à bâtons rompus dans la fraîcheur d’une cave, inimaginable sous cette habitation relativement récente… Je suis décidément en Bourgogne et nulle part ailleurs… En tout cas sûrement pas au pays des Châteaux!!! Valse de la pipette, du Charmes-Chambertin au Clos de Vougeot, avec plongées fruitées au cœur des Clos de la Roche et de Saint Denis, descente dans les Bonnes Mares. Eh oui, on ne se refuse rien! Madame Malo est toujours plus ou moins là, elle aime décidément le fût!!! On cause prix bien sûr. Le Jérôme qui joue si bien de la pipette, comme de la trompette d’ailleurs, refuse de vendre ses vins aux Chinois – qui pourraient aussi bien être Guatémaltèques – prêt à lui lui payer, Yuan sur l’ongle, la totalité de ses pièces de Bonnes Mares… Aaah, r’joue moi-z’en d’la trompeeeeeettteuuuu, d’là trompeeeeeettteuuuu!!!!!! J’aime bien cet air là et tant pis pour les tenants du Libéralisme effréné. Comme disait Madame Mère, « Pourvou qué ça doure… »

Morey toujours, mais chez les Loups cette fois de l’autre côté de la Nationale. Une silhouette de Décathlonien, c’est Alain Jeanniard qui apparaît au sortir de la cour, flanqué de deux Québécois aussi joviaux que déconneurs. La dégust va pas être triste me dis-je en ma Ford intérieure (dédicace spéciale ). M’étais pas trompé, ça dure. Ça peut vu que c’est très très bon. HCN R&B, puis les trois glorieuses Chambolle-Morey-Gevrey, de «la chantilly à la crème pâtissière en passant par la crème anglaise» dixit Alain, de «une couille à trois couilles en passant par deux pour Morey» dixit moi-même…. Mes deux comparses du Grand Nord ont bien aimé, des fondus de Bourgognes ces deux-là, sincères, enthousiastes, natures, deux bonheurs sur pattes, le cœur dans les yeux. Sûr qu’Alain se souviendra de la soirée qui l’attend!!!!

Changement de Côte le lendemain matin. En avance comme à mon habitude je fais le tour de la maison Morey-Coffinet, splendide et imposante bâtisse sur le haut de Chassagne-Montrachet. Personne. Tout le monde dans les rangs sans doute… C’est le fils, le Thibault, grand gaillard qui arrive, de la vigne comme je le pressentais. Le chai et les caves du domaine sont impressionnants de propreté, immenses, anciens. Nous sommes quatre cents ans sous la maison. De superbes voûtes du 16éme siècle bandent leurs arcs de pierres disjointes au dessus de moi. Je me sens «anachronique» tout à coup, au milieu de ces rangées de barriques pleines des jus délicieux du 21éme siècle…. Le Thibault est «taiseux», ils sont souvent comme ça en Bourgogne. Prudents, ils vous observent calmement et attendent. Une fraction de seconde je me sens «souris». J’en ris en silence!!! Un petit tour du Bourgogne blanc générique, quelques mots – je réfrène ma nature bavarde – et déjà ça évolue doucement. On cause, à droite, à gauche, à côté du vin surtout, histoire de se connaître un peu. Ah le foot, ça m’a toujours aidé et comme le Thibault traine ses crampons sur les pelouses de la région, «ça le fait» assez vite. Nous entrons en confidence dans les Chassagnes blancs, agrumes, fraîcheur et droiture tout du long. Plus de matière, d’amplitude et de fruits dans les Premiers. C’est la ronde enchantée des «Caillerets», «Romanée», «Farendes», «Dent de chien»…tous sont bel et bien beaux et bons, du fruit, un soupçon de gras, de la puissance bien maîtrisée, marqués du premier au dernier – superbe Bâtard tout juste né – du sceau de la rigueur, de la droiture sans concession de la pierre. Oui, je le dis comme je les ai ressentis, éminemment tendus. La pendule se tait ou plutôt s’arrête dans les caves, le rêve immémorial est près de se réaliser : Maître du Temps….l’espace d’un instant!!!! En remontant les siècles des escaliers, j’aperçois sur un mur, dans la zone «commerciale», un grand tableau de métal gris constellé de cadrans futuristes qui affichent les températures des cuves. La liaison est faite entre «Citeaux» et «La guerre des Étoiles», entre la Tradition recueillie et la High-Tech bien comprise. Thibault est le «Padawan» qui fait le lien… Sans que je dise un mot, il transforme mes «Farendes» 03 en 06. Plus qu’un signe, un geste complice et amical.

Le terme est proche. Comme souvent la tristesse, tel le calcaire dans les vignes, court sous la paupière….

Volnay, début d’après midi. Retard. Encore une machine en panne dans les vignes. C’est pas un moine qui nous ferait ça!!! Enfin il apparaît, échappé, remonté, extirpé, des grandes Œuvres Rabelaisiennes. Impressionnant! Fait pour protéger du soleil comme de la pluie, «Jean-Pierre Charlot des Entommeurs» est devant moi!!! Très gros contraste entre nous!!!! Waouuuwwww!!!!! Si ça se passe mal et si je dois plaquer, pas plus haut que les chevilles sinon, même le SAMU…. La tête est à cinq centimètres des poutres, l’œil sous le sourcil régulier, est perçant, vif, railleur. Large est le nez!! La narine palpite comme une aile de chair fragile, émotive et friande de mets fins mais roboratifs. La bouche est large, ourlée et lippue, les commissures regardent le ciel, l’homme est gourmand de mets, d’idées et de vie. La corpulence est avérée et la barrique du vigneron masque à peine… une sangle abdominale devenue plus discrète. Cet homme est bon, sensible et grande gueule, il aime l’humour et les gens, me dis-je «in peto» (à ce moment de mon voyage, je n’ai plus le budget pour les «Ford intérieures…). C’est du tout tendre, on vaaaaaaaaa, s’aiiiiéééémeeeer. Les fleurets sont mouchetés mais les bretteurs sont pugnaces. On se réééégale, c’est un grand moment de vérité humaine. Dieu que les discours stéréotypés, tout de provocation et de snobisme habités sont loins. Merci J P de cet accueil franc, direct et sans fard. «degustateurs.com…» le «gourou et les disciples» sont laminés à coup de grands sourires et d’apostrophes amicales et incisives. C’est bon à entendre comme est bienvenue la finale fraîche d’un Meursault de noble origine. Les bouteilles du domaine J.Voillot valent le voyage. Volnay et Pommard sont ici en majesté et les quelques vieux millésimes que j’emmène avec moi me promettent quelques feux d’artifices.

«Le Chevreuil» et ma très tendre compagne me consolent le soir même du départ imminent. Plus de rangs de vignes en pousses, de murets bancals, de villages immobiles, de soleil fragile entre les nuages. La chenille de fer des poids lourds à la queue leu-leu me ramène à la réalité oubliée des routes polluées qui «transversent» la France, de Beaune à Cognac……………………………………….

Allez, à l’Ouest toute!!!

Sur la Terre, des Vignes.

Dans les Vignes, des Hommes.

Dans le verre, le vin de la Terre, des Vignes et des Hommes….

 

EMOEMTIBUÉECONE.

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

 

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe, qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

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