Littinéraires viniques » Christian Bétourné

QUAND MON PALAIS DEGUSTE AU CHÂTEAU…

 Léonard de Vinci. La vierge, l’enfant Jésus et Sainte Anne.

 

Dans ma quatre-roues non motrices que j’aime, j’ai glissé sur la RN 10 comme un céphalopode entre les hannetons aux carapaces luisantes, lourds (dans tous les sens du terme…) en caravanes longues. Rien à voir alentours, le regard fixe, les lombaires humides, attentif aux yeux rouges du cul des monstres. Les routes encombrées tuent les paysages. Puis j’ai franchi le pont qui n’est pas d’Avignon. Personne n’y danse sous les radars affamés. Mon copilote, dame à la voix morne, me guide. Je l’écoute comme un enfant sa mère. Les mères, mais pas toutes, aiment leurs enfants petits, et même vieux parfois. Celle-ci, pourtant inhumaine, qui me porte dans son ventre binaire, m’entraine ensuite, passé les voies aussi rapides qu’impénétrables, sur les départementales buissonnières. Là je tourne et vire dans le secret des paysages qui offrent à ma sérénité retrouvée, le calme des arbres en touffes feuillues, la paix des plaines herbues et des reliefs doux. Cette femme dyadique est plus tendre que ces vieilles marâtres aux seins secs, qui maltraitent encore leurs vieux enfants douloureux. Quelque chose de la rencontre à venir me pacifie. Mon cerveau droit déconnecte, le gauche s’exprime où loge, d’amour et de soie, de paix et de joie pure, primesautier, mon ange, mon maître qui me guide. Mon pied se fait léger, je musarde, je me glisse en douceur et roule sur le bitume étroit entre les premières vignes du Médoc. Petits châteaux, domaines inconnus des médias cannibales, ceps tordus aux entre-rangs encore trop souvent roussis, villages immobiles se succèdent.

Puis vient Labarde, Cantenac enfin.

Timide, j’entre dans pâle mère (?). Palmer de son vrai nom. Place Mähler-Besse, je me range et m’extraie de mes tôles. Quelques secondes déplient mon corps contraint par le voyage. Sous mes pieds les galets blancs me massent. Les énergies circulent à nouveau dans les méandres fatigués de ma vieille carne. Des bâtiments anciens, petits et grands m’entourent, comme dans un village qui en a vu d’autres. Légère, elle apparaît à l’angle d’un bâtiment aux volets vert d’eau. Un corps menu, que souligne et mets en grâce un jean étroit sous un coton tissé translucide mais pas trop, me sourit de ses yeux clairs pétillant de bulles. Un sourire vrai sur des lèvres ourlées. Le teint frais, rose hâlé, découvre des ivoires réguliers. La T’Chad herself, dans toute sa splendeur, se matérialise. Elle ne se penche pas vers moi. Pour une fois, je suis à la hauteur. La petite est menue, gracieuse. Elle sent bon le cuir frais et les fleurs de printemps, quand nos visages se touchent un instant. Ses lèvres n’embrassent pas le vague du ciel blanc de brume, mais mes joues. Je le lui rend bien. Oui, c’est bien elle que j’avais pressentie. Une fois encore, La Toile n’a pas menti. « Rouge, Blanc et Bulles » sera mon guide, intelligente, finaude, joueuse et habilement bordélique. Vivante !

Comme j’aime !

Palmer, que je n’aurais pas l’outrecuidance de présenter, grand Troisième Margalais, est en révolution douce. On s’active, on casse les murs pour mieux dévoiler le Château, on retrace un parcours. Palmer veut se donner au yeux de ses visiteurs. Annelette m’explique. Nous cheminons. Derrière la bâtisse, arrêt et échanges à baguettes rompues avec le paysagiste qui restructure jardins et chemins. Tête burinée, poils blancs et visage de vieux faune au regard droit. Les mains terreuses, épaisses, faites pour tailler, planter. Au service de convictions, de projets, d’amour de la nature, qui nous parle de liberté, de terre propre, de plantes et fleurs vivantes, à marier en bouquets comme des taches de couleurs en désordre apparent, sur l’herbe verte du parc, entre les vieilles essences centenaires. Chêne liège, tout en superbe, à la peau grumeleuse, platane altier, châtaignier imperturbable, arbre mystère (pour moi) comme un croisement hasardeux entre un érable et un vieux plant de cannabis, aux feuilles pointues et dentelées à la fois… Mais je délire.

Nous tournons autour du château. Le mur qui longeait la route est tombé, puis reconstruit très bas, plus en retrait, après qu’une porte d’angle, fermée d’une grille bleue, finement et étrangement sculptée, pierres et fines briques rouges en strates, a été magnifiquement restaurée par des tailleurs de pierre respectueux des traditions et de leurs beautés. Le château, en majesté, régale désormais le regard du chaland. Nous remontons un instant la départementale et entrons au chai à barriques en construction. Ici encore, tradition et histoire sont au service de l’architecture. Le bâtiment immense abritera et protégera des aléas climatiques les vins entonnés qui patiemment attendront la fin de leur élevage. La vaste salle reproduit à l’identique les allures et frontons du passé.

Retour au « village » existant. Une porte discrète s’ouvre sur une salle de dégustation immaculée. Sur les murs, aux deux tiers de la hauteur, une frise à la gloire du raisin brise de ses couleurs vives, l’austérité quasi monacale du lieu. Au centre une table haute, carrelée. Sur la table une batterie de grands verres attendent. Alter Ego et Château Palmer 2010 à leur côté. Elevage en cours bien entendu.

Quelques lustres avant que l’âge m’ait assagi, je fréquentais ces vins. Les étiquettes noires et ors m’étaient familières. C’était au temps où les grands vins de Bordeaux étaient encore abordables aux bourses plates des amateurs énamourés. Alter Ego est château noir sur fond or. Palmer est son inverse comme l’est une photo à son négatif. Château d’or sur fond noir. Comme deux eaux fortes gravées dans un intangible passé. Seul pour moi le millésime est nouveau. Les jus sont d’encre, violette comme purée de myrtilles fraîches. Alter n’est pas austère, qui s’étale en largeur à mon palais consentant, après qu’il m’a lâché au nez ses parfums floraux puis rouges et noirs de fruits mûrs et crémeux. Le millésime fait son office, ajoutant à ce vin « horizontal » fait pour être avenant dès sa jeunesse, une droiture, une rectitude, une « verticalité », qui augurent d’une belle évolution à terme. Puis vient le temps de Palmer. Qui se goûte parfaitement. Une belle boule de vin, parfaite sphère de purs fruits purs d’une précision et d’une définition nanométriques, sussure à mon palais, avec race et élégance. Certes le yearling est fougueux, pas complètement assagi et « débourré », mais la matière, pas brute pour autant, est splendide. C’est une soie sensuelle de tanins, poudre de craie finement épicée, qui laisse au palais ses fines touches réglissées. Le vin semble se plaire en bouche, et luette franchie, il semble toujours présent, et… longuement. Déguster c’est recracher, mais là, je ne sais pourquoi, atteint d’une amnésie aussi subite que partielle, j’ai oublié.

Bacchus, dans sa mansuétude, m’a pardonné !

Annabelle, du château elle aussi, qui veille sur le 2,0, se joint à nous. Nous débarquons en « Gare gourmande » restaurant de poupée, minuscule, avenant qui ne peut accueillir qu’une poignée de voyageurs gastrolâtres. Les deux brunettes s’entendent comme larronnes en goguette. Regards complices et sourires jumeaux. Anne s’est éclipsée, Laurence est apparue… Sur la table apparaissent deux bouteilles du château, dans les millésimes 2007 et 1991, auxquelles courte vie est promise. La première est ouverte, rieuse, qui se donne sans détour comme un enfant confiant. La seconde issue d’une année difficile – la vigne a connu un gel printanier qui a détruit la récolte (20 à 80% selon les endroits) – et pluvieuse pendant les vendanges. Carafé le vin est un rubis brut, peu brillant mais sans aucune turbidité. Les notes mentholées dominent un nez automnal fait de fines touches d’humus humide, de champignon frais (certainement des ceps « Têtes de Nègres », bordelais oblige !!), au travers desquelles quelques notes myrtillées subsistent. C’est une dentelle de Bruges qui honore mon palais. Le vin, à son sommet, est d’une exquise délicatesse de toucher et de texture. Il roule en bouche, caressant comme l’aile d’un papillon poudré une paupière. Me vient à l’esprit l’image de la Fée Clochette ! Mystère des analogies fulgurantes. A l’avalée, les épices douces accompagnent les tannins, si fins, qu’ils semblent, poètes, avoir disparu…

Retour au village. Conversation à blogs rompus. Tendances, chapelles, guéguerres picrocholines, embrouillaminis de la Toile, papotages diserts, le temps doux s’étire…

La dame à la voix plate, patiente, me parle. Je roule en mode automatique. Les sourires légers des filles de Palmer m’accompagnent au creux de ma mémoire immédiate. Je franchis à nouveau le pont laid recouvert de fourmis affairées. Regards las, sourcils froncés, sourire béats, doigts qui fouillent, qui tapotent, qui grattent, spasmodiques, les volants brûlants sous le soleil blanc. Carcasses multicolores impavides, odeurs de gomme et de bitume chaud.

Retour vers les vignes, trop souvent rouquemoutes des maltraitances chimiques réitérées de la Champagne, qui se dit Grande… Cognac pointe le bout de mon logis…

Je souris à mon palais qui garde le souvenir secret des vins et du bonheur des filles du Château.

 

EMELANMOALCOOTILISEECONE…

LA JEUNE BOURGOGNE MÛRE À POINT…

Jean-Baptiste Paul Guérin. Le sous-lieutenant Joachim Murat.

 

Le Maréchal, à la dixième génération, aurait-il laissé trace de son passage, du temps de sa sous-lieutenance, en Bourgogne, en la personne d’Hervé Murat, vigneron de son état ? «Pirapce beute note choure…» ! Pourtant, quand l’œil de l’esprit traverse le temps, la ressemblance avec Hervé est frappante… A l’imagination intuitive, rien d’impossible !

Hervé s’installe en 2005 à Nuits Saint Georges, « riche » d’un hectare et cinquante deux ares de Hautes Côtes de Nuits « Les Herbues » qui lui vient de son grand père. Depuis 2007 une activité de négoce est venue compléter la gamme sur des appellations village et premier cru de la Côte de Nuits. C’est ainsi que sur le millésime 2009, ce n’est pas moins de neuf cuvées qu’il vinifie et élève. A ce jour, à force de travail, Hervé règne, en main propre, sur trois hectares et quarante ares, auxquels s’adjoignent les achats de raisins de son entreprise annexe. Petit à petit le petit sous-lieutenant Nuiton va, pour sûr, prendre du grade…

A tout cœur tout honneur, la cavalcade des rouges du millésime 2009 commence par la vigne fondatrice du domaine :

Le Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits « Les Herbues », 9000 flacons, d’un beau rubis grenat, est résolument dédié à la griotte et ce, à tous les étages. La mûre l’accompagne. La bouche riche, à la matière conséquente et racée, finit, bien longue et prégnante, sur des petits tannins croquants, torréfiés et précis. Prêt à entrer dans la coterie des Hautes Côtes…

Le Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits Rouge « Le Clos Duc », quarante deux ares et 3000 fiasques est la fierté du domaine. Sur le dessus du disque rubis, irisé de lueurs violettes et roses intenses, la pivoine crémeuse, au calice parfumé sous des fragrances minérales, s’ouvre et vous salue. Sous la fleur, la griotte des Hautes Côtes, à la suavité finement amère, vous mets la langue en turgescence. La bouche, à l’équilibre tendu, réitère et vous tapisse le palais d’un coulis de fruits tramé de tannins minuscules, frais et finement salés qui vous honorent d’une présence qui n’en finit plus. Un vin pour qui le vinificateur a fait patte douce. Comme le rubis – qui illumine les étiquettes du domaine – est le prince des cabochons précieux, le  ” Clos Duc » est un des plus hauts joyaux des Côtes…

Morey-Saint-Denis « Le Village », 900 fioles doucement extraites d’une parcelle lilliputienne au cœur du village, et concoctées pour un tiers sous bois neuf. Un vin jeune, et ses notes vanillées l’attestent, qui amène le verre à l’émoi et fièvre pourprée, quand on le verse. Le jeunot, taiseux, ne consent à s’entrebâiller que peu et lâche un « pet » épicé classieux, avant que de daigner donner ses fruits au sang. Un jus replié ravit déjà la bouche cependant, de son grain fin et racé plein de promesses. Un village « sur le haut ! », à terme.

Morey Saint Denis « Les Charrières », quelques 600 bouteilles produites d’un premier cru idéalement situé sous le Clos de la roche ! Une dentelle de rubis cœur de framboise, aux notes aériennes de fruits mûrs et doux qui planent avec grâce sous le nez. Son jus tendre de fruits frais, à la matière prégnante, noie la bouche sous un flot mûr et goûteux puis s’installe avec élégance et finit en laissant au palais le souvenir long de ses fins tannins soyeux. Un « Loup » Morétain de haute lignée.

Chambolle-Musigny « Les Échézeaux » : 900 bouteilles de pur rubis incarnat. La grande finesse olfactive de ce vin aérien se retrouve en bouche. Une dentelle de cerise sauvage et de fruits rouges, ample cependant, sur un bois discret. Le langage de l’élégance, de la retenue, de la soie crissante, qui déclenche le désir… de boire.

Nuits-Saint-Georges « La Petite Charmotte » : 900 aiguières d’un vin de sombre rubis dont la puissance appelle les 30% de fûts neufs qu’il digèrera sans peine à terme. Naturellement concentré sans qu’il ait fallu l’extraire trop, ses fruits sauvages et cacaotés, son cuir frais, encore tendus par la jeunesse, impressionnent par leur matière puissante marquée par la réglisse et l’empreinte minérale de son berceau pierreux. Un village, certes, mais un grand !

Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits. Et un petit coup de blanc pour finir ! Vingt trois ares de pinot blanc qui deviennent 1800 cols d’un jus jaune franc, moiré de vert, ample, frais et gras à la fois, aux fragrances florales, à la belle texture, dont la souplesse en bouche n’exclut pas la vigueur.

« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années… » Corneille dixit ?

L’HOMME QUI PARLE A LA QUEUE DES LOMBRICS…

Clin d’oeil : Egon Schiele. Cardinal et Nonne.

—–

Souvent, hommes sourient d’un air faux…

Là haut sur sa Montagne proche de Saint Emilion, « Pierre Le Grand » nous accueille, Daniel « Le Cardinal » Sériot et moi à vrai sourire ouvert. L’environnement, du genre immense souche post industrielle, est surprenant ! De grands bâtiments des temps anciens, solides, marmoréens, construits pour défier les temps, disséminés ça et là, comme des Cathédrales profanes érigées à la gloire du Bacchus triomphant des jeunes années du siècle d’avant. Ils dominent les environs comme des pyramides occidentales. Un Château, volets entrebâilles au fond d’une vaste cour d’allure un peu froide, est assis sur la roche calcaire qui affleure. Sûr qu’il y a peu, relativement au lent temps de l’histoire des roches, le domaine était vaste, qui regroupait nombre de propriétés riches et prospères. Les générations qui se sont succédée, décades après décades, responsables ou dilettantes ont peu à peu lâché les brides du bel équipage et « l’empire », bribe après bride s’en est allé, érodé par les vents mauvais. Les pierres, depuis 2005 de Pierre la propriété, ont subi – résistant au mieux aux outrages des hommes plus que du temps – les affres d’un entretien négligé. Leur redonner le lustre de naguère demanderait des moyens gigantesques qui ne sont pas – dureté de la vie oblige – la priorité du moment.

C’est que le bestiau à l’œil clair qui sourit aux pampres de ses vignes, colosse aux pieds d’argile sur calcaire, tient avant tout à rendre à la terre qui porte ses lambrusques sa vigueur originelle. C’est qu’il est convaincu l’Obélix des Astéries que les très vieux braves fragiles qui ont survécu à la maltraitance des homoncules, méritent d’être à nouveau respectés. Sur les 26 parcelles qui font les 12 hectares de vignes, il s’est mis en tête – pour être « aimable » il n’en est pas moins opiniâtre – de permettre aux troncs tordus par l’âge et les misères qui leur ont été faites, de ses vieilles souches (les plus vénérables datent de 1901, les plus jeunes de 2002. entre elles, 1902, 1934, 1946 !) de replonger leurs racines dans les mystères nourriciers des argilo-calcaires de ce terroir qui fut beau. Alors, raisonnable comme un ex-citadin modeste (ils ne sont pas légions) devenu viticulteur par choix, il travaille dur à soigner la terre. Pas étonnant alors qu’il soit depuis 2007 certifié en agriculture raisonnée.

Les deux pieds plantés dans le sol, à l’écart d’une largueur d’épaules, il nous raconte d’une voix douce son quotidien. Le temps est au beau en cet Avril bleu et semble s’y plaire. Les argiles de surface sont craquelées. Pierre écarte herbes et fleurs diverses qui colorent les rangs et les fracturent en quadrillages grossiers apparaissent. Mais sous les 45 cm (en moyenne) de terre, la roche fissurée est là, l’humidité aussi. La liane y plonge ses doigts qui cherchent les failles étroites ou les parties délitées, pour s’y enfoncer en zigzags toujours réinventés. À la recherche de son mystérieux miam-miam. Vieux courbus boiseux et/ou de chairs sur herbes tendres, fleurs et insectes. Tel un microcosme en paix (rires !) au sein chaud duquel il fait bon se trouver en ce Samedi 23 avril à 18 heures et douze minutes exactement.

Le hasard est une idée ancienne qui a la vie dure…

Or donc « 1901 ». Trois hectares en sept parcelles de ces enfants du début du siècle, cabernet franc et merlot mêlés à « l’ancienne ». Près de 20000 survivants à toutes les guerres chimiques qui, bon millésime mal an, remplissent à ras col (50% Merlot, 50% Cabernet franc dont les raisins macèrent ensemble en cuve) entre 1000 (un accident !) et 5000 à 6000 flacons d’un sombre élixir juteux. Les 9 hectares (45 ans de moyenne d’âge) restant, en 19 parcelles à combinaisons variables, vont au Château Beauséjour (de 8000 à 27000 bouteilles de 70 à 95% de merlot selon les années) puis à Charme de Beauséjour (« Vestibule » eut été plus judicieusement amusant !) et enfin à la cuvée Tradition.

A vieux ligneux, bon bois ! “1901” s’en va malolactiquer dans 60 à 100% de bois neuf. Il y passe, de l’embryon à l’éléphanteau, quelques 15 à 20 mois. Beauséjour copie l’Ancien dans 30 à 60% de fûts vierges et reste au chaud dans le ventre des douelles entre 8 et 14 mois. Tout cela, qui va de soi, en fonction de ce qu’exige la qualité des années.

Anecdote sur le gâteau, les vieux bois de « 1901 » – il a fallu quelques années pour mener l’entreprise à terme – ont été, en collaboration avec Monsieur Vauthier propriétaire du Château Ausone, littéralement scannés par le regard analytique d’un ampélographe. Chaque pied a été étudié minutieusement. De ce travail scrupuleux, 31 « étalons » presque parfaits, beaux, solides, résistant mieux que les autres aux maladies et aléas divers du grand âge, sont ressortis vainqueurs. Ce sont eux qui fournissent les « petits bouts de bois » destinés à remplacer les souches mortes. C’est qu’ils sont fragiles les chenus aux silhouettes tourmentées ! Le moindre choc les brise comme cristal labile… Au fil des rangs, entre les vieux sages survivants, pointent le bout de leurs rameaux juvéniles nombre de nouveaux nés prometteurs. Depuis l’aube du peuple des vignes vivantes, les générations se suivent, permettant, époque après siècle, aux hommes qui les accompagnent la possibilité d’un espoir de grand vin.

L’eau de la clepsydre, insensible à nos émotions qui tordent le temps, l’accélérant ou le ralentissant, imperturbable, a coulé. Le quart d’heure a passé les deux heures sans que soif ni faim nous réveillent. Il est comme cela, qui jalonnent la vie de perles rares, des moments presque parfaits, lumineux comme les gouttes d’eau claire accrochées aux fils en balance de la toile d’une épeire entre deux rameaux de bois, le soir après l’orage, à l’instant précis où le soleil bascule.

Au juste instant, ils tombent en Terre mais vous restent en mémoire.

Beauséjour, qui l’est sans conteste, est de ceux-là…

Cinq jours ont passé, je n’ai pu résister. Quid de ces vins dont les parents m’ont conquis. Leurs enfants de jus ont-ils ce caractère qui marquait les vignes ? Le jus de l’union de l’argilo-calcaire, des bois torturés et de l’homme attentif coule enfin dans mon verre en ce début de nuit, à l’heure où les lombrics forniquent. Dans le silence des heures noires le vin sera communion ou détestation !

Capsules et bouchons se sont donnés sans peine comme si les vin impatients de chanter dans ma gorge avaient poussé de leur côté. C’est Beauséjour 2007 qui entre le premier en lice car c’est bien d’une joute sensuelle qu’il s’agit. La robe est toute de fièvre pourprée intense, brodée d’un fin liseré violet, elle rutile sous la lampe. Le disque sombre qui roule dans le verre comme une danseuse espagnole lascive lâche ses volutes invisibles et odorantes de mûres, de fruits rouges et d’épices suaves mêlés. Le toucher de bouche est peluche fondante qui s’insinue entre langue et palais. Puis le jus fait sa boule de fruit qui s’ouvre et se resserre sur des tannins encore fermes. Mais le tout est mûr, bien équilibré et d’intensité moyenne. A l’avalée, le vin pourtant tombé au fin fond du corps, persiste un moment. Frais, il laisse aux lèvres une trace de sel fin.

Puis vient à moi « 1901 » 2007 et c’est un jus de centenaire (rire) qui glisse sur la rondeur du verre comme une eau de sang, amarante et lumineuse. Le vin roule au long des hanches de cristal que mon poignet agite. Quand il s’apaise, demeure sur la paroi comme l’image translucide d’un aqueduc gras. Fugace, l’image d’une violette tremblante se pose sur le verre, dominant un instant les parfums floraux qui échappent à la surface mouvante. Suivent des fruits en foule, un nez de cade, un marché d’épices, quelque chose d’un peu sauvage et l’idée d’une crème pulpeuse. Le souvenir d’un poivre frais aussi. L’attaque est douce, onctueuse, tendre, délicate, subtile. La matière est dentelle de tannins fins et réglissés après que la violette et la cerise ont eu faits leur grosse boule qui caresse la bouche puis enfle plus avant. Une puissance contenue encore jeune, une tension manifeste, structurent ce vin. L’image d’une ballerine fine et forte à la fois qui danse sur des pointes claires s’imprime un instant derrière mes yeux clos. Je me résous à la séparation. Éploré (rire) j’avale… Après la bascule « post luettique » le vin semble toujours présent, laissant à marée basse et bien longtemps après que le poète a disparu, ses tannins croquants, mûrs et réglissés. La sève de ce vin, sommet de Montagne, est de race certaine bien que de millésime moyen. Il pourrait de haute lutte en terrasser plus d’un de mi-Côtal (singulier au regard du Coteau ordinaire)…..

Et pendant ce temps là, qu’il fasse nuit, qu’il fasse jour, sous nos pas lourds d’humains maladroits, dans le dédale invisible de la géologie des sols, quelque part entre terre grasse et roche dure, à la sombre clarté des micro-feuilles d’argile piquetées de cailloux blancs, les lombrics aux corps gras, comme des laboureurs invisibles transmutent inlassablement la terre sauvée de la bêtise crasse des hommes… ?

AU SUPPLICE À SAINT SULPICE…

Rembrandt. La leçon d’anatomie.

  

Avril, qui assoiffe les terres, est beau…

Le soleil tendre de ce printemps décuple les forces telluriques, la vigne exulte, avant que la souffrance ne la gagne et ne lui arrache le plus beau du coeur de son jus. Sur la route qui serpente entre les vignes, je roule vers le plateau calcaire de Saint Emilion. Et accompagne, d’une voix de fausset, le timbre beurre fondu d’une cantatrice, qui fait de l’habitacle de ma quatre roues de gomme, le plus confortable des boudoirs masculins. Là bas, tout au bout de ma route incertaine, les forces insoupçonnées qui masquent les destins me guident, mieux que le plus sophistiqué des GPS, vers Saint Sulpice de Faleyrens. M’y attendent de faux inconnus. Oui, les Voies de la Toile, elles aussi, sont impénétrables. Dieu, qui est humour, ne néglige pas ces couloirs virtuels reliant entre eux ces âmes solitaires à deux pattes frêles, qui se prennent pour les maîtres de la création mais qui ne savent pas, orgueilleux comme des paons aux plumages ternes, qu’ils ne gouvernent pas même le bout de leurs humeurs…

Au milieu de l’impasse perdue, impair et gagne, la porte au marteau léonin cache encore à mon regard inquiet, La Fleur et son Cardinal. On ne dira jamais assez combien les vibrations subtiles qui nous entourent, corps invisibles, sont plus puissantes que l’apparence de nos chairs. Aussi temporairement belles soient elles, nos viandes parées, quoiqu’exquises parfois, nous aveuglent, pièges charmants mais grossiers. Au fil des prisons temporelles qui nous abritent, incarnations après vies, nous nous croisons et recroisons. Nos âmes, que nous ignorons, se reconnaissent… elles. Le pas de la porte à peine franchi, la lumière qui éclaire les regards qui m’attendent, me parle sans qu’aucun mot soit dit. Ces deux vies qui s’aiment au-delà des épreuves, je les reconnais d’instinct. Pourquoi, comment, quand, où, je ne saurais dire, mais la certitude qu’ils sont d’anciens compagnons de misères et de joies, fulgure en moi comme un rai coruscant, pur, tranchant comme Chardonnay sur calcaire. Les consciences sourdes, que nous sommes tous trois, balbutient quelques pauvres mots émus. Mais les regards absents de nos vieilles âmes tribulantes, présentes comme nos egos ne le seront jamais, s’étreignent et chantent la joie muette des retrouvailles… Cent, mille mots ne pourraient l’exprimer.

Je suis chez eux, qui me disent en silence que je suis chez moi.

Le Cardinal Daniel doux sera mon guide, comme sans doute j’ai pu l’être, en d’anciens temps. La Fleur, immobile danseuse, belle de toutes ses rondeurs, a le regard noir des plus chatoyantes olives, le cil long et le sourire timide des bayadères caressantes.

Deux jours qui seront Éons…

Isabelle est un essaim d’abeilles*. Toujours en mouvement, elle paraît immobile. Elle écoute, participe, enrichit les échanges, tandis que ses mains, indépendantes, ne cessent de s’activer. Nourricières, elles volètent, concoctent, sans que rien n’y paraisse, plats légers, inventifs et multiples, qui enchantent les palais et charment les esprits. Elle a cette voix douce du corps et du coeur, que l’on écoute sans qu’elle ait à la forcer. Non, ne croyez pas que je flatte, c’est ainsi, simplement. Le Cardinal des Astéries a le regard des conquis, quand au soir d’un long jour le soleil s’attarde. Il a les mots taiseux des pudiques énamourés. Je les regarde vivre et me repais – comme un affamé devant la vitrine embuée d’une pâtisserie un petit matin d’hiver – de ces moments goûteux et charmants…

Toiser, Sériot, malgré son nom, ne sait. Il ne vous parle jamais tant que lorsqu’il se tait. Il a le regard tendre de ceux qui aiment vraiment le vin. Comme un Italien, le pain et les femmes, il aime aussi ! Etrangement me vient le souvenir flou d’un monastère ancien. Lui et moi y cheminons en prière au fil du déambulatoire, et croisons parfois une novice sous voile qui passe furtivement, à petits pas rapides. Nous ne levons pas les yeux, mais le bruissement de son habit et l’air parfumé qu’elle déplace à peine, nous touchent à coeur. Le temps d’un soupir, parfois, affleurent, venues du fond de l’oubli, de mystérieuses réminiscences…

À Larcis Ducasse, à Mangot, à Cassini, à Beauséjour, des Côtes à la Montagne, Daniel m’a emmené. En sortant de Ducasse j’étais loquace, à Mangot ce fut tango, de Cassini je fus épris, à Beauséjour c’était velours… Tranches de bonheurs viniques, différents, uniques, délirants. Attachants. Dents violettes et sourire noir. Nez chargé de fruits, lèvres salées de calcaire et coeur à la chamade. Sérieux comme un pape quand il déguste à la géologue, Le Cardinal des Astéries plonge une seule fois le nez dans le verre, roule quelques secondes trois gouttes de vin en bouche, recrache illico, lève un instant les yeux au ciel quand ils ne restent pas fixés sur le bout de sa chaussure. Puis d’une d’une voix forte et singulière qui n’appartient qu’à ces moment pénétrants, en quatre mots, il décortique, dissèque, analyse et prédit l’avenir du jus qu’il vient de palper du bout des papilles. « La leçon d’Anatomie » de Rembrandt appliquée à l’art de la dégustation ! Le bougre est impressionnant.

Le temps a passé comme une étoile filante dans le ciel ater d’une nuit d’été.

La table des gourmandises est apprêtée. Les verres luisent dans la mi-pénombre. Patricia, oeil de chat, sourire timide et Pierre Bernault, colosse paisible à la voix douce, ouvrent le bal. L’homme est un sourire, sur pattes hautes et large torse. Une gueule, belle, aussi. Chaleureux et taquin, tendre souvent. Yasmine, quatre ans d’ange, belle, ronde, entourée de Papa Sériot Fils et Maman Corne de Gazelle, fait une entrée triomphale, confiante comme une petite vie en herbe. Puis Marie-longue-Lyn se coule dans la pièce, bouquet court de roses multicolores à la main qui met la touche finale à la table. Les verres brillent maintenant comme arc-en-ciel pastel. C’est lumière douce. Elle est grande et souple La Lyn, comme un bambou au vent. Gracieuse, balancée, l’oeil qui rit la malice, elle tient par le « zoom » l’oeil numérique qui ne la quitte pas. Sur son corps –  la courtoisie me retient de me laisser aller… – les tissus, en couches légères, sont vivants. Et glissent sur ses épaules, qu’elle a fines, comme des soies vibrantes. Elle les remonte régulièrement d’un geste inconscient. Tous les mâles en bon état qui m’entourent, pensent en silence comme moi ! Très fort. En souriant bêtement… Sauf le Cardinal qui n’a d’yeux que pour sa Nonne ! Le bougre bafouille quand elle  farfouille déjà en cuisine. Cette presque femme (elle n’est pas encore mariée…) est une énigme. Elle « biloque » comme personne. Une vraie brigade en une seule femme… C’est un harem que le Cardinal épouse tantôt ! Entre la cuisine, le service, les conversations, jamais là et toujours présente, elle trouve encore le moyen de manger, de boire (et bien!) et de filmer scène et hôtes, à la manière d’un Lelouch en dentelles, valsant comme un Derviche. Bruno Delmas, long comme un jour sans (se)(v)in, de noir vêtu comme un sacristain, coupe de cheveux à la parachutiste, regard sérieux, se joint alors à l’équipage. En attendant que le dernier s’en vienne enfin boucler le dixtuor, le nonuor s’installe, prêt à jouer le concerto des mandibules en élixirs majeurs. Mais le voici-le-voilà, l’Arnaud Daudier, accompagné de son double De Cassini. Un regard bleu, délavé par les flux et reflux incessants de la vie, au centre duquel brille une pierre de malice, surmonte un grand sourire, doux et triste à la fois.

A peine est-il assis, que l’odyssée amoureuse de la fine cuisine, de la lymphe et du sang des vignes, commence…

Mais je suis à l’histoire ce que Jeanne Moreau est à la chanson, j’ai la mémoire qui flanche.  Les plats qui nous furent servis, délicats et subtils, se bousculent dans ma tête. Les tétons d’Aphrodite, en langoustine et supion sauce à l’orange télescopent les Saint Jacques à la citronnelle. Les fromages affinés se mêlent aux boules de melon à la crème de fleur d’oranger, tout aussi bien qu’au jambon en daube à vins multiples et fruits de mer décoquillés, aux fèves à l’ail et au caviar d’aubergines  aux anchois. Délices successifs, orgasmes gustatifs réitérés, secousses douces, corps en extase… ont peuplé ma brève nuit de rêves marins et de sirènes souples.

Comme une pluie qui brille à contrejour sur un ciel d’orage, les vins ont coulé dans les gorges offertes. Le bal des luettes fut somptueux. Francis Boulard n’était pas là, mais son « Petraea » a parlé pour lui. Un miracle d’équilibre entre le vineux du Pinot noir et la lame brute-minérale-affutée, adoucie en son milieu par une touche d’oxydation élégante, aussi justement fruitée que maîtrisée. Le foie gras en trio en a fondu de bonheur. Saint Jacques et citronnelle se sont roulés de plaisir sous la caresse élégante, l’équilibre d’école et la fraîcheur sans fin du Meursault Charmes2002 de la Maison Bouchard. Bien loin des jus du derrick, le ” Schlossberg 2009  d’Albert Mann nous l’a jouée, le jeunot, tout en retenue, sur la finesse, la mirabelle mûre et la belle acidité finale. Sous les tétons d’Aphrodite, langoustine et supion ont frétillé dans leur délicate sauce orangée. Sur le jambon mariné braisé, le caviar d’aubergines aux anchois et les fèves à l’ail, il fallait bien Larcis et son cousin Pavie Macquin, en 2004, pour tenir, haute, la note. Qui me dira que 2004 n’est pas des meilleurs n’est qu’un généraliste inculte et n’a pas dégusté les cousins sus-cités ! Larcis, épanoui comme l’odalisque de Manet, montre que vin bien fait vaut mieux que matronne opulente. Pavie, Hermès Trismégiste, au corps musclé dégraissé par les ans, n’est pas loin, ce n’est qu’affaire de goût. Brillat-Savarin et Saint Nectaire à point ont joliment jouté avec Branaire-Ducru 1995, Saint Julien plein, rond, aux tannins polis comme Jésuite charnu en chaire ! Puis vint la fin, l’ultime, le contre-ut des agapes. Imaginez dans la nuit qui s’étire, au sommet d’un long pied, la coupe fragile d’un verre, au creux duquel poudroient, sous la chantilly aérienne que parfume avec grâce l’amande et la fleur d’oranger, quelques billes de melon frappé. A dessert gracioso comme libellule au vent, il fallait une dentelle. Dans le millésime 1990, le SauternesTour Blanche” aux atours d’ambre et de calcite roulée eut la parfaite  élégance attendue. Il dansa au palais la farandole finale des fruits, de la crème et de la bigarade…

A ce moment de la soirée, les rires fusaient à feu continu, les femmes avaient aux joues les couleurs des roses de la table. Le Bernault qui n’est ni Bernin ni benêt, bernait La Lyn à coups de I-Phone malins. La sus-nommée, une main serrée sur le zoom et de l’autre relevant nerveusement un gilet rebelle qui cherchait régulièrement à s’enfuir, mitraillait à tout vat de la troisième – je voyais alors un peu triple – ses pauvres voisins de table, les verres vides, les pleins, les fleurs, les reliefs de repas, les miettes de pain, les couverts. Enfin parfois tout, et souvent rien, comme quoi tout est dans rien… et réciproquement ! Patricia riait, et ses yeux d’écureuil, agiles, couraient de visage en visage. Bruno, à l’arrêt, semblait en prière, visage figé et regard fixe. Arnaud le Double se fendait carrément la poire, son visage n’était que plis de joie, et on voyait comme un soleil couchant dans le lavis bleu de ses yeux. Face à face, Isabelle et Daniel, La Fleur et le Cardinal, regardaient, satisfaits et souriants, leurs convives électriques. Heureux ils étaient, de nous voir transportés. Certes, le Cardinal avait bien la joue rose et le sourire un tant soit peu béat, mais le regard tendre dont sa Nonnette l’enveloppait l’aidait à combattre la torpeur qui le gagnait. Elle, l’Isabelle, contemplait l’aréopage qu’elle avait réuni, d’un regard attendri.

Aux lèvres, l’ébauche de sourire d’une Lisa de Vinci

Bacchus était en nous, hilare, et secouait ses grappes comme un fou ses grelots.

Ah oui, j’oubliais ! Si j’avais été une femme guerrière, j’aurais aimé monter Cassini**

*anagramme.

** celle là, certes mauvaise, m’a gratouillé toute la soirée.

EMOÉTICOMUNEE.

DANS LES REPLIS DE LA TOILE, L’ÉCHELLE QUI MÈNE AUX ÉTOILES…

Van der Weyden. Portrait de Francesco d’Este.

 

Il en va des blogs dédiés au sang de Bacchus comme des vins «nature» dans le paysage viticole, comme de l’usage des intrants et autre soufre dans le secret souffrant des chais, comme de l’art d’accommoder les patates… comme de tous les possibles auxquels l’homme s’attelle. Ça balaie large, de l’insipide au grandiose, de l’anodin à l’inspiré. Et mieux, il arrive que l’anodin fasse son inspiré et/ou que le grandiose de grande surface soit insipide !

L’un des tous meilleurs à mes modestes yeux est animé de souffle de maître par un Suisse iconoclaste, qui cite Deleuze sur des airs de R’n’Roll des années 70. L’homme est sec comme une gousse de vanille, son œil est vif comme un instantané de Cartier Bresson, et son sourire enfin garde quelque chose de l’espièglerie tendre de l’enfance. Mais il est d’affaires aussi ! Certes il traîne sa silhouette déguingandée et ses santiags (?) dans tous les palaces de la planète, en compagnie des plus illustres et supposés seigneurs du microcosme vinique. Il goûte plus souvent qu’à son tour à tous les grands jus de la terre que vous ne boirez jamais, mais peut-être aussi (?) aux plus obscurs des sirops que concoctent les «chercheurs» inconnus, dans la pénombre des caves perdues de tous les «continents», à toutes les altitudes… même les plus improbables. Sans doute.

Il ne néglige rien et reste en éveil. C’est sa «posture» naturelle. Il ne la force pas, il ne la joue pas. Ou alors c’est de la belle ouvrage, très nature-nouvelle-vague du temps passé. C’est ainsi qu’il «est», c’est du moins comme ça qu’il me semble que je le sens, Mister Tambourine Wine. Du royaume de l’Être avant que de la banque de l’Avoir, semble t-il. C’est sa fraîcheur à lui, qui pourrait ronronner ses certitudes installées, encore et toujours, comme d’autres qui se roulent dans la soie des vins et des draps à longueur de vie. C’est un curieux, de cette fratrie en voie d’extinction de la Curiosité, qui connait et fréquente les tables les plus huppées comme moi ma pizzéria préférée, mais qui semble au comble de la joie, quand il improvise dans sa cuisine perso ses petits frichtis qu’ont l’air gourmands et précis. Il traverse les mille-plateaux de l’expérience comme l’ont fait avant lui quelques touche-à-tout, dilletantes détachés. Je ne sais s’il l’est, suprêmement décontindéjanté, mais… sûr qu’il aime Cocteau. Bukowski ?

De la race des Mercuriens, il butine avec talent, talon agile, et nez au vent des cimes des impossibles.

Les petits marquis ont beau étaler les extraits secs de leur culture aride, aligner les citations et déverser leurs remarques ampoulées aux pieds de Monsieur qui aurait pu être d’Este, il leur répond, enfin… pas toujours, et ne se lasse jamais. Un des plus souriants silences que j’ai jamais lus.

Qu’il soit remercié de m’emmener ainsi, chaque jour ou presque, d’un pas léger, sur les sentiers escarpés de ses voyages, de ses rêves, de ses escalades, de ses fantaisies.

Mais je ne suis pour autant jamais sûr de rien, même pas du bleu céruléen de ce matin d’avril, si ce n’est en l’affaire, de mon optimisme. Qui veut bien peindre les oeufs de Pâques en rose… ?

EGIMMOMETISOMECOLOVIN’NE.

L’ARAMIS DE METHAMIS…

Le cœur sur la croix *.

Du dix septième siècle à nos jours,

il n’y a qu’un battement d’aile de colibri…

Et la réincarnation étant ce quelle est, c’est çà dire une croyance que partagent plus d’humains que notre Europe majoritairement cartésienne et comptable est censée en fédérer, pourquoi ne pas penser, ou plutôt pressentir du bout du cerveau droit – voué aux gémonies en nos démocraties pétries de certitudes inébranlables (pour ce qui concerne les démocrates de chair, il y a toujours moyen de s’arranger en matière «d’inébranlablement»…) – que l’Aramis d’Alexandre Dumas est de retour sur notre belle orange bleue ? Pour les embranchés égarés qui me liraient sur leur I-Phones 12 entre deux sessions d’un co-working en Vinocamp sous la tente, leur dire qu’Alexandre est un auteur «ancien» qui n’a point connu l’I-Pad, la High Tech, ni l’amphigouri clinquant cliquetant.

Malheur, enfer et damnations égales, il lui a bien fallu, lui Aramis le roué diplomate, le subtil prélat, croiser les chemins très ordinaires et réitérés au fil de l’histoire, des enchristés de l’époque, tous plus courtisans et girouettes folles des vents portants que notre Jack de la Saint Jean, archétypal et recousu comme un spinnaker en bout de route du rhum…

Oui Aramis is back ! Il a enfilé une autre peau. De deuil. Qu’il n’a pas volée. Lui, le prélat à l’âme défroquée, l’amphibolique. L’augural, le fuselé, qui traverse le siècle et la Compagnie des Mousquetaires de bien sinistre façon. Pour finalement tirer sa révérence, le Kharma lourdement accoré aux basques. On le reconnaît à l’amour du chapiteau qui ne l’a pas quitté. Il a troqué la plume contre le galurin paillé – l’épée vaut le sécateur – la Cour du Roi et ses fastes pour la solitude des vignes. Il garde en ce temps d’aujourd’hui, de son passé de ferrailleur délicat, sous la lèvre inférieure, la pointe drue de sa triple bacchante crochue d’antan. La boucle d’argent, qui lui perce l’oreille, signe de sa présence discrète le fer de ses tourments passés.

Il a posé la flamberge pour manier la pipette qu’il pique gaillardement dans le flanc de ses fûts, vers le ventre obscur. Le sang des vignes qu’il suce est chargé de l’amour qu’il leur porte. A prendre les vies il a renoncé, pour la donner à boire aux palais curieux de ceux que les vampires – succubes modernes – réincarnés autour de la corbeille des avidités spéculatives, n’hésitent pas à saigner à vif. Dracula changé en « trader »? Mais il n’a pas finit pour autant de payer les effets des moeurs légères de l’éclatant cavalier au coeur de papier mâché. La dame plus de pique que de coeur, apeurée par les arias, s’en est allée voleter ailleurs. L’Aramis/Olivier B, se retrouve clouté, coeur à cru, au pilori des adorations proscrites. Comme un cep sous eutypiose, étranglé par la finance, il a perdu bonne partie de sa sève. Mais les maîtres du Karma, sévères à l’ordinaire, donnent parfois dans le facétieux. Reconnaissant les indéniables efforts du spadassin des vignes, ils lui accordent l’aide – de peu de poids certes – mais gratuite, d’un quarteron de blogueurs illuminés.

Nul ne sait ce qui adviendra, mais l’amicale bouffée d’air apportée semble le regonfler. Ses vins se vendent un peu plus, pas suffisamment sans doute, mais se vendent… La Toile (humour karmique !) a oeuvré. Le buzz a dépassé le laps ordinairement très bref consenti à l’attrait futile de l’éphémère. La machine tient bon et le temps, pour une fois, prend son temps !

Puissent ces quelques lignes relancer la machine,

et dénouer les fesses des banques qui l’échinent… ?

Les « Amidyves » 2007 continuent d’enchanter mon palais à jamais conquis par leur chair onctueuse. Un nez aussi généreux qu’un poème de cassis, mûre et cerise tressé. Une telle attaque onctueuse et suave, une telle densité fondante, j’en redemande jusqu’à ce qu’amour s’ensuive…

*image empruntée au site du vigneron

 http://vigneronajt.centerblog.net/

EPUGMONATICECONE…

 

HOUELLEBECQ ET SAINT DENIS…

Andy Warhol. Sel-portrait.

Son côté féminin a déjà fait sa ménopause…

Son alter qu’il croit sérénissime, son masculin couillu, résiste. Il bande, de toute sa volonté, les quelques hormones qui survivent encore à la catastrophe annoncée. La lutte est âpre mais sans lendemain. On peut en suivre les péripéties sur son crâne plat. Le long catogan qui lui bat la nuque – lourde métaphore – il se le débourre amoureusement tous les matins, histoire de se donner au monde le poil bien lisse et brillant. L’entretien de cette quenouille à moitié déplumée de haridelle sur le retour, qu’il nourrit avec amour chaque jour qu’Éros éjacule, à grands renforts de baumes exotiques issus de cultures bios et durablement développées, il s’y consacre sans faillir. Au sommet de son crâne et de sa couronne de douilles en péril, comme l’olivier torsadé d’un César à l’antique – le sculpteur homonyme, coqueluche de la jet-set Tropézienne, déflore son salon d’un de ses pouces phalliques – luit un dôme gras et quasi déplumé, en voie de déforestation amazonienne.

Féministe militant, adorateur béat de Gisèle Hilima la grande prêtresse pétitionnaire qu’il révère, il rêve souvent en secret, de Julia Krastevi (dont il a longtemps suivi les séminaires abscons à La Sorbonne, en auditeur libre, entre deux cours d’archi…). Dans ces moments d’inconscience reposante, il la prend à la hussarde, nue sur une photocopieuse recyclable, dans l’arrière salle d’une bibliothèque crasseuse. Paradoxe déchirant, las des intellectuelles rigides aux reins bloqués par un structuralisme abstrus et un cortex surdéveloppé, depuis que Bérénice l’a planté pour une catcheuse américaine bodybuildée, souvent Sollers à la petite semaine et Bataille les jours fériés, l’emmènent à l’orgasme solitaire !

Depuis peu Charles-Hubert délaisse les très surfaits Bordeaux marmoréens, et consacre partie de ses rares loisirs à sillonner, au volant de son luxueux chariot à la limite du malus écologique, les vignes enherbées des néo vignerons qui élaborent dans le demi secret de leurs chais bricolés, en d’incertaines contrées encore sauvages, des vins dits «Naturels» sans soufre ajouté ou presque, patiemment cultivés et élevés par ces fous intègres qui ne roulent pas encore sur l’or. Et puis toutes ces étiquettes innovantes que l’on dirait designées par Philippe Sturck, son charmant voisin du Cap Ferret, l’enchantent… Ah, sa maison pure planche du CapFer, il aime à s’y retirer quand il n’en peut plus des agitations du «Huitième» et des diners en ville, incontournables. Sa vie d’éditeur indépendant n’est pas de tout repos, hélas ! La possibilité d’un havre, ce petit territoire niché dans la pliure d’une carte Michelin, sa particule élémentaire, cette plateforme de bois brut face à la mer, cette extension du domaine de ses luttes citadines, il l’aime tant ! Quand la voix, robot tendre, du GPS murmure : «Tu es arrivé Hubby», il manque défaillir.

«Che» l’impeccablement toiletté, son Afghan péteux à la truffe fouineuse, joue avec des paquets d’algues vertes humides qui croquent leur sable blanc sous ses dents spasmodiques. Il les agite et les recrache en toussant et s’étouffant à moitié, puis se rince la gueule en mordant à coup de dents crissantes les vaguelettes salées qui le poursuivent. La brise tiède de ce printemps faussement précoce agite les larges pans du pantalon de lin sauvage sous lequel se rétractent délicieusement les maigres cuisses, déplumées elles aussi, de l’inénarrable «T’Chub», ainsi qu’affectueusement le surnomment ses peu nombreux intimes, les soirs qu’il déprime, à moitié vautré, l’oeil glauque et la lèvre humide d’un alcool de marque, dans le carré VIP d’une boite branchée sans âme. La plage déroule ses vagues figées à l’infini… Comme dans ces pubs pour parfums vulgaires. Au loin, les dunes poudroient, aveuglantes. Comme dans ces pubs pour crétines siliconées. T’CHub frissonne, l’air vif l’étourdit un peu, il respire à petites goulées pointues comme un emphysémateux prudent. Son regard d’alcoolique qui se refuse à l’admettre, flotte et semble se vider. Frileusement il resserre les manches du pull de soie vierge pur cocon des Andes, négligemment nouées autour de ses épaules étroites qui dépassent à peine de son bréchet de poulet malingre et bizarrement saillant entre ses pectoraux convexes. Les quelques centaines de mètres qu’il a parcourus sous le vent l’ont épuisé. Que n’a t-il point pensé à enfourcher son Quad électrique ! «Che» n’est plus qu’un point flou sur la grève scintillante. Comme dans une pub pour cabots de luxe. Sa voix de fausset, à peine raucie par les tombereaux de Celtiques sans filtre qu’il inhale à longueur de «co-working- intense» dans les «reading-camp» et les «discovering-new-sheet-author», quand ce n’est pas dans les «co-eating-working-fucking-hard» avec ses rabatteurs intercontinentaux, peine à percer le souffle aigu du noroît suret qui maintenant forcit. Il cherche maladroitement à siffler entre ses doigts engourdis de poupée ivoirine, mais ne réussit à cracher qu’un peu de salive translucide qui s’agite en longs fils épais opalescents sous son menton saillant. Une douleur à pleurer, aigüe comme le pic à glace d’un tueur froid, lui perce soudainement la poitrine et lui dévaste le bras droit. Le ciel livide vire lie de vin, s’obscurcissant. Sous ses genoux pointus, le sable exsude deux aréoles humides tandis qu’il se désarticule, toutes forces envolées, comme un piquet qui se brise. La langue fétide du chien gémissant lui lèche la bouche à coups de râpe chaude. Ses lèvres verdâtres, crispées par un rictus à la Munch, voudraient crier à l’aide, mais elles n’en peuvent mais.

Sous le soleil orange qui, lui semble t-il, pulse lentement comme un œil énucléé, la nuit de l’inconscience l’avale et l’apaise doucement…

Saint Denis veille sur lui. Dans sa bouteille. Comme un phare obscur dans la clarté de ce jour irréel. T’Chub est perplexe, entre deux désirs tiraillé, il peine à faire surface. Ce cheveu d’aubert fin qui le relie à l’autre en bas qu’il sait être lui aussi, l’intrigue un moment. Puis la bouteille le rappelle au plaisir de l’instant d’en haut, puis il replonge vers les sables étincelants, puis il revient, puis… De n’en plus savoir, la tête lui tourne. La soif d’en bas, qui le gagne en haut, finit par l’emporter et fixe sa conscience balbutiante. Pourtant, le cul entre deux mensonges il connaît, lui qui a toujours crié avec les pauvres et bu avec les riches, signé à gauche et fait son beurre à droite. Les écrivains exotiques, mal payés, qu’encensaient les chapelles littéraires pro-asiatio-mongolo-crypto… il s’en est grassement repu.  Adossé à un chêne centenaire, gland au milieu de ses pairs qui lui piquent les fesses, Charles-Hubert se sent léger comme une bulle au bout d’une paille. La prairie verte est drue d’herbe tendre et de fleurs translucides aux couleurs saturées. Andrinople épaisse, ambre coruscant, azurite profonde comme une ecchymose mature, zinzolin coeur hyalin clignotant, constellent l’épais gazon céladon. Etrangement son regard traverse l’épaisseur des choses. Là-bas, tout en bas, bien que minuscule, il se voit nettement, tâche dérisoire allongée sur les sables du Cap. Comme dans une pub pour la Croix Rouge. Toute proche de son corps, vue de cette distance, sa maison blonde, comme une petite boite à secrets, semble l’attendre. Comme dans une pub pour investisseurs madrés. Il lui suffit de jouer du cristallin pour passer d’une scène à l’autre. Mais l’énergie douce du vieux rouvre le ramène à la réalité champêtre. A sa gauche, de guingois sur son cul de verre opaque, Saint Denis l’appelle. Sous le généreux pretexte de porter à la lumière des mondes démocratiques, les résistants de toutes obédiences, emprisonnés dans les cloaques pénitentiaires des dictatures galonnées sous bien des continents, Charles-Hubert s’est largement graissé les rognons. Oyster massif et chaussures Testoni dos de croco. Humble et bienveillant, toujours à la pointe des combats télévisuels, ne ménageant ni sa peine, ni sa com. Une référence, au parti !

La soif augmente, ses lèvres transparentes craquellent et le ramènent au flacon luisant. Sur l’étiquette, un peu kitsch à son goût, il lit : «Clos Saint Denis» Grand Cru 2005, Domaine Henri Jouan. Quand Dionysos est sous verre, le paradis n’est pas loin ! La bouteille est ouverte, le bouchon neuf à peine marqué de rose git à son côté. Le verre est beau, cristal fin, hanches ovoïdes et buvant rétréci. Comme un Riedel dans un trois étoiles. Sans qu’il ait à bouger le bras, le graal translucide monte vers lui, à demi plein d’un jus rubis foncé aux bords épiscopaux. La possibilité d’une délicate fragrance de violette réanime ses narines blêmes. En volutes invisibles, des particules élémentaires de fruits rouges et de cuir frais réactivent ses glandes salivaires endormies. Comme si Houellebecq était dans le verre, l’extension du domaine olfactif se poursuit… Puis le liquide soyeux lui délie la langue et dresse ses papilles en une délicieuse turgescence oubliée. L’idée de l’élégance délicate, alliée à l’harmonie miraculeuse, à la finesse palpitante et à l’équilibre tremblant, mais toujours à la mesure de la chute possible, passe du concept inappétant à la réalité affriolante. La matière pulpeuse joue et s’étale sur son palais conquis. La carte du vin délimite le territoire de sa bouche. A demi lévitant, il laisse l’élixir passer coulant, caresser sa luette et franchir le détroit pellucide de sa gorge. Les tannins de levantine, frais et relevés de réglisse légère, s’étirent, sans jamais vouloir cesser, dans le temps arrêté au cadran de la mort espérante. Le choc du terroir la renvoie aux enfers.

Tout là-bas, sur la terre très brutalement dense des territoires encartés, le soleil couchant rase les grains dorés. Une silhouette noire se penche, et pose un masque sur la bouche tordue du corps étendu dont les côtes ont cédé sous le massage cardiaque. Dans une gerbe furtive de lumière verte, la mer a éteint l’hélianthe de feu affolé, juste après qu’il a fulgoré sur le casque d’argent du pompier.

Le fil de lune s’est brisé.

La mort et la vie, cavales sauvages, souvent se chevauchent…

« Think rich, look poor ». Andy Warhol.

ESMONOPTIOBCONE.

DANS LA BRUME VERTE DE SES YEUX NOISETTE …

L’absence.

«Il fait nuit sur la ville et sur elle»,

Se dit-il à longueur de jour, et à langueur de nuit…

La fée électrique a quitté son réseau et parasité le sien… Monophasé, biphasé, triphasé, déphasé. Qui brûle, qui détruit, qui éclaire, qui annule la nuit ou l’y envoie pour le reste des temps ternes qui lui restent. Ça passe ou ça casse. Lumière aveuglante des nuits de l’absence obligée. Blues bleu, écailles mordorées, cuivres brunis des saxos rutilants dans le halo d’un cœur sous insuportable tension. Solitude brute dans la foule en transe. Éclairs brûlants, morsures intenses, chair rôties des suppliciés d’Alcatraz. Sous la lumière diffuse d’une ampoule de peu, l’enfant d’antan s’accroche au sein de l’amour absente. Soleils sidérants des artifices. Flammes glaciales des sourires de façade. Regards jaunes des renards alcooliques aux dents aigües. Éblouissements factices des fêtes tristes. Feulements sibilants des fêlures en do mineur cachées sous les ressouvenances labiles. Arcs orageux, plus secs que tous les os calcinés des crématoires. Odeurs putrides des corps ardents de Calcutta. L’ombre efflanquée de Bashung plane sur les charniers au croisement des déserts surpeuplés. Comme une orange aveuglante, la Terre, ce soir, est blues électrique, ondoyante, flamboyante comme mille étincelles sous l’arc céleste. Sous son crâne, les fils rouges, bleus et blancs s’entremêlent comme des lombrics extasiés, et sans grâce, il disjoncte. Il entend les cliquetis secs de ses synapses qui fondent, le froissement poisseux de son cortex en surchauffe, les crissements soyeux de ses nerfs en pelotes douloureuses, les grésillements indignés de sa raison dépassée.

Dans le fin fond de ses entrailles, son âme en pagaille, tressaille…

«Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;

La rêverie avec le doigt contre la tempe

Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;

L’heure du thé fumant et des livres fermés ;

La douceur de sentir la fin de la soirée ;

La fatigue charmante et l’attente adorée ;

De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,

Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit

Sans relâche, à travers toutes remises vaines,

Impatient mes mois, furieux des semaines !»

Paul Verlaine. «Le foyer, la lueur étroite de la lampe».

Manger le temps à pleines dents pour qu’il ne soit plus. Boire à longues gorgées goulues pour n’avoir plus soif. Dévorer pour ne plus avoir à se ronger les sangs. Tuer tout ce qui passe pour ne plus avoir à vivre. Détester pour oublier d’aimer.

Artaban peine à se convaincre que «le petit chat est mort» et bien mort. Même carrément décomposé. Depuis le temps… Il a beau lui souffler dans la tête à longueur de longueur, le minou ne bouge plus. Il est loin là-bas qui frétille dans une autre lumière. Mais rien n’y fait. Il a tout essayé.

La camomille.camille,

les bonbons.bb,

lescarottesrâpées.fessesroses,

leFengShui.jp,

lesvinsnaturels.bobo,

lesanxiolytiques.came,

les somnifères.dodo,

leswinesdeswineries.bx,

lesvinsd’auteurs.snob,

boitesdenuitsglauques.bit,

lesproduitsillicites.dope,

lesescortgirlshorsdeprix.kiki,

mythique.com,

t’esdanslamerde.fr,

acouillesrabattues.ch,

masoeurmonange.ciel,

bourretoilagueule.be,

connard.org.

Tout, absolument tout ! Rien n’y a fait.

Artaban geint en silence, dans le secret muet de sa conscience qui clignote. Derrière sa gueule en coin qui intimide même les putes, ça tourne en rond. Il n’en sort pas de cette absence qui lui a vidé le cœur et pourrit le sang. Ce sang rouge, qui aimait tant à vivre, à pulser, à faire son palsambleu, son très froid aussi et qui, depuis lors, n’arrête pas de le lâcher, de fuir, de couler, d’inonder ses draps et ses mouchoirs. Putain de vérole de moine borgne ! Crever comme ça, en se vidant, comme une sale chiasse rouge, comme une malédiction incontrôlable ? Artaban ne veut pas. Il a beau renâcler, hurler du fond de ses nuits noires écarquillées, rien n’y fait, rien ne stoppe sa vie qui s’échappe sans prévenir, à grosses giclées chaudes et collantes, la nuit, le jour, entre chiens comme entre loups… Finir comme son Pépé Jean qu’il aimait tant, lui semble la seule voie qui lui reste. Plein de tous les vins qu’il aime. Alcoolo digne. Par nécessité, choisir le bocal. Devenir la poire qui baigne dans son jus, en équilibre dans sa bouteille, figée, confite, sidérée. Attendre que le niveau monte, jusqu’à avoir l’œil jaune qui flotte dans le sauternes épais.

Un jour, un très beau, plein de ciel vert et de chants d’ivrognes beuglants, ce sera le verre de trop, l’ultime goutte – celle que les pochetrons destinent au caleçon – qui lui explosera le foie. La bile en flots verdâtres lui envahira les tripes, dévalera ses boyaux dans un ultime rafting, pour faire tâche jaune sur son calbut. Au même instant – il a toujours aimé la précision – il flatulera son dernier pet chuintant et expirera ses dernieres bouffées fétides d’air vicié, d’entre ses lèvres croûteuses. Nul doute que son corps, macéré avant l’heure, mariné à l’extrême, pourrira subito. Il donnera toute instruction pour être enfoui au plus vite, à même la terre, entre deux rangs de vignes propres, au flanc d’un coteau pentu. La viande rassie, avariée avant l’âge, de sa dépouille, fera la joie du biotope. Insensiblement, il atteindra ce à quoi il aura toujours aspiré, la légèreté de l’être…. Purifiées, allégées, épurées, par ses seuls vrais amis les asticots et les lombrics gras, rouges de son sang nourri aux subtilités des Bonnes Mares et autres jus de croix de Romanées sublimes, sa substance transcendée biodynamisera les vignes de ses amours.

De sa main qui ne tremble pas encore, il vrille le bouchon tendre de cette bouteille qui va l’enchanter. Le pet sec et sonore de la libération salue son bonheur imminent. Le liquide noir aux reflets violets que la lumière ne peut pénétrer, tapisse les flancs lisses du verre de cristal fuselé. Aussitôt la czardas ensorcelante des fragrances subtiles commence. La pureté des arômes le ravit. Défilé des élégances. La violette sourd du verre, à peine perceptible, fugace, furtive. Lui succèdent les parfums sauvages du genièvre, de l’orange confite qu’épicent la menthe et les épices poivrées. Les yeux clos, il savoure. Puis après que le bord du verre a trouvé son chemin, les fruits toniques de la chair de ce vin onctueux lui prennent la bouche et lui rappellent la caresse tendre disparue. Un instant qu’il voudrait éternel, la fraîcheur que la vie lui refuse, lui entrouvre les mondes subtils de la paix définitive. Il se retient d’avaler, de respirer, de penser. Il lâche prise un instant, libéré des douleurs de l’absence. Ses papilles turgescentes captent la candeur tendre et apaisante du flot racé que sa bouche tiédit. Il ne bouge plus, entièrement captivé par le velours qui s’étale en volupté et réconforte son âme dolente… Passé la luette, le vin n’en finit plus de le transporter – Aladdin sur son tapis volant – longuement, comme naguère le faisait le regard lumineux de sa belle parjure à jamais envolée.

Un jour peut-être, celui qui se régalera, comme lui, de cette élégante syrah 2006 du «feu de Vulcain», rendra grâce à Robert Michel, d’avoir trimé, sa vie durant au flanc du Coteau de Cornas.

Dans les millésimes à venir, les racines longues des vieux ceps fureteurs auront pompé ses humeurs délitées mariées à la terre. Dans le fond du verre vide d’un buveur de bon, des particules quasi invisibles danseront la valse triste de sa vie perdue, lui donnant en filigrane le bonheur qu’il n’aura pu connaître….

Dans la brume verte des yeux noisettes de la belle louvoyante,

Se désagrège l’écume des vénérations mourantes.

EEMOPERTIDUECONE.

HARISSA ET FRUITS ROUGES…

Explosion Interstellaire.

 

L’actualité du monde – je veux dire des mondes – est telle depuis quelque temps que j’en ai la gorge serrée, le pacemaker détraqué, et la plume sidérée. Le bassin méditerranéen est au piment. Et la Harissa enflamme le Maghreb. La pauvreté n’en peut plus d’être pauvre, et l’étalage, l’accumulation insolente des richesses dérobées, a fait le reste. Le mur, supposé d’airain du silence, ne tient plus face aux paraboles tournées vers l’occident, et la fibre optique grésille de vérités. Ni jasmin, ni papyrus ! Laissons le romantisme de pacotille aux penseurs indolents qui se croient beaux, qui glosent dans les lounges branchés, la flûte à la main, dans le confort tiède des capitales européennes. Qu’adviendra t-il de ces pays peu à peu révoltés, nul ne sait si la lumière brûlera l’ombre… Mais il se peut – l’apprentissage et le temps aidant – que le ciel d’azur, qui donne reliefs découpés et douceur sucrée aux paysages contrastés de ces pays, du bord des eaux si belles, purifie le cœur et l’esprit de ces purotins en souffrance. La liberté, efflorescence fragile, est entre leurs mains gourdes, surprises d’y toucher…

Dans le même temps, les marchés, la phynance, règnent encore en maîtres incontestés, et il fait toujours beau et bon se goinfrer en s’étalant. Jusqu’où nos «misères» européennes de relativement riches le supporteront-elles? Se pourrait-il que nous connaissions, sous peu, une révolution des patates? Que l’on voit poindre une redistribution un peu plus équitable et solidaire des frites? Peu probable à court terme, mais…

Va savoir Balthazar…

Il suffirait qu’un banquier Français, pour «faire genre», incendie son Oignon Haut de Gamme place Vendôme, qu’un milliardaire Chinois «s’la pète», en arrosant son soja avec une Romanée-Conti place Tian’anmen. Voire qu’un billionnaire Texan exhibe, pour «faire style» à Dallas, ses santiags en peau de pauvre, et que ceux-là qu’il dépiaute, lui coupent ses envies de derricks. Qu’au même moment l’axe de la Terre bascule ! Peu de choses en somme, pour secouer, un peu aussi, les anciens pays rois du monde et les princes émergents aux dents longues, qui crachent le fric et la fumée noire à jets continus.

La lumière est en exil. Blafarde, diffuse, contenue, elle peine à percer. L’hiver règne sans partage, comme un Ben Ali inflexible. Les nuages s’étalent, en une couche tellement épaisse, que le ciel en perd tout relief. Tout est fade et plat, presque autant que les fenêtres en plasmas mous, qui agitent à longueur de programme, d’étincelants prédateurs humains incultes…

Retrouver la lumière, l’énergie, l’envie d’être au monde, le goût des autres, la chaleur à l’intérieur, la vibration d’un sourire, la spontanéité d’une main tendue sans arrière pensée, ces petites perles de tendresse simple, humaine, sans calcul, qui remettent en ciel, les cavaliers sans sel, égarés, que nous devrions être. Alors comme il faut bien amorcer la pompe, retrouver l’espoir, rien ne vaut cette eau rouge, quintessence fluide des soleils concentrés disparus, enfants nés de l’union des vignes et des hommes.

Alors Jean descend, clopin-clopant, l’interminable volée de marches de sa maison sans cave. Elle s’enfonce dans le sol vers son paradis en stock. Comme à l’habitude, il marche à tâtons dans le noir absolu des galeries du plaisir sans fin des extases à venir. Ses doigts le guident, qui s’accrochent aux parois de calcaire brut, frôlent les piles entassées, les échafaudages de verre sombre, les montagnes fragiles, les hectolitres fragmentés en fioles de paradis possibles. Puis comme à chacun de ses voyages, il s’arrête sans raison, brutalement – l’important est de ne pas réfléchir, de lâcher prise – et tend la main vers le col de l’élue du hasard, qui l’attend.

Sous la capsule molle, le bouchon est noir d’avoir vécu dans l’ombre. Mais ne résiste pas, comme s’il savait combien l’instant a été si longtemps espéré. Tendrement, Jean essuie le goulot souillé dont le verre retrouve aussitôt la lumière blème de la nuit. Le vin, longtemps comprimé, retenu, engoncé dans la transparence froide de la bouteille impitoyable, chante et s’ébroue en bulles carmines dans la combe de cristal qui l’accueille. L’heure est à l’oeil. Il s’enivre des lueurs roses orangées qui moirent, changeantes, tandis que le vin fait son derviche tourneur au creux du verre qu’agite rondement le poignet. Par moments, la palette automnale chatoie furtivement de l’éclat fragile des roses en bouquet, diffracté par l’incandescence faussement estivale de la lumière artificielle. A l’inspiration lente, lui  montent au nez, harmonieusement mariés, les fruits rouges dont la fraise dominante, le vieux cuir, les senteurs des sous bois de la Toussaint, champignon, humus et souche mouillée. La finesse et l’élégance marquent souvent les Bourgognes mâtures de leurs parfums fondus. L’extrême subtilité de ce nez aux arômes abouchés, qui psalmodient à voix basse, est très évocateur des grâces Volnaysiennes de ce Fremiets 1995 de J.Voillot….

La bouche est à l’unisson. L’attaque est fraîche et douce à la fois. La matière n’a pas l’air «d’en avoir»; elle glisse sur la langue, aérienne, puis se déploie, libérant sa puissance fruitée, lentement, comme un éventail qui s’ouvre pour donner à se pâmer de ses rutilances cachées. Le vin s’empare de sa bouche, qui consent, pour ne la plus quitter…. La finale donne un supplément de relief à cette félicité faite vin, laissant à peine grumeler des tanins parfaitement polis mais encore croquants.

Sûr que la bête a du sembler rétive dans sa jeunesse.

Le verre vide prolonge le rêve odorant.

Le sort est conjuré, Jean lévite…

EBEMOATITECONE.

LE COUP DE PIED DANS LES POUILLES…

Le Caravage. Méduse.

 Ce soir, plus qu’à l’ordinaire, ils sont sortis les membres d’AOC (Association des Oenophiles Cognaçais), de leurs tanières confortables. Ils ont laissé les mamans seules, et se sont poussés jusqu’au siège, prendre un bain de vins Italiens. Treize vins, histoire d’oublier les douceurs de Simone et de conjurer le sort. L’espoir de sortir un peu des sentiers habituels, agréables certes, mais néanmoins trop battus et rebattus, pour qu’on ne finisse par s’y ennuyer grandement… Juste avant l’ouverture de la session, une prière muette à Sainte Curiosité, l’un des plus puissants moteurs de l’action…. Puisse-t-elle visiter ce soir mes acolytes, ordinairement bordeaulisés jusqu’à la douelle !

Un tour d’Italie donc, de ses appellations, de ses cépages, à grands traits bien sûr, à longs traits surtout.

Tous les vins ont connu une heure trente de liberté en carafe.

Une erreur ce systématisme diront justement certains…

 Mea à peine culpa !

Les commentaires des participants, peu loquaces, vaguement synthétisés par moi, seront partiaux, déformés un peu peut-être ( le vin est pure subjectivité, n’en déplaise aux prescripteurs !), et voueront aux gémonies les appréciations discordantes. Telle est l’inébranlable conception de la Démocratie au sein du Club. Je m’en empare donc avec délectation. Suit la litanie dégustative…

SICILE : Sur les pentes de l’Etna auxquelles la vigne s’accroche, tous ceps crispés, roches volcaniques, pierre ponce, vent, altitude, la vie des lambrusques n’est pas rose…

Tenuta Delle Terre Nere 2006 : La robe de cet “Etna Rosso” est d’un beau rubis intense et brillant. Le nez dégage des notes fugaces de pivoine, de fruits rouges dont la cerise est le coeur. Puis viennent la truffe, la terre sèche, les herbes aromatiques. La fraîcheur exhausse le tout. Puis les fruits rouges entrent en bouche. La cerise s’étale, gourmande, la truffe la sublime et l’épice. La finale découvre de petits tanins mûrs qui peuvent encore se fondre. La fraîcheur minérale du jus laisse la bouche propre, et ce vin est d’une telle gourmandise, qu’il faut la volonté d’un repenti pour ne pas vider la bouteille à glotte rabattue. La Sicile aurait-elle été Bourguignonne ?

Cusumano « Benuara » 2006 : Parure de soie noire à reflets violets. Confiture de fruits rouges, épices, réglisse, pierre chaude, garrigue méditéranéenne… pour sûr, plein le nez ! La bouche est moins gratifiante, un peu courte peut-être mais très fruitée, minérale et fraîche.

SARDAIGNE : D’une Île à l’altra, la balade se poursuit.

Argiolas « Turriga » 2002 : La robe, oxymorique, évoque « L’ obscure clarté des étoiles ». En foule se bousculent, cacao, chocolat, toffee, bâton de gingembre, puis myrtille et crême de cassis. Un vin d’équilibre qui rejoue sa gamme en bouche, la matière est imposante, toute en fruits rouges et noirs et chocolat. les tanins sont fins, frais et crayeux. Quelques petites bouches frileuses et fragiles parlent d’astringence… soit ! Ce sont les mêmes qui seront génées par « l’excessive fraîcheur des vins ». Des bouteilles de Coca sont prévues à leur intention pour la prochaine soirée.

BASILICATE : Une région particulièrement désolée, la voute plantaire de la botte, aux ras des Pouilles, c’est dire !

Basilisco « Aglianico del Vulture » 2003 : Une robe quasi colérique, rouge magma comme le jabot d’un dindon courroucé. Sous le nez, le bestiau se met à glouglouter, si fort que son haleine à brûler une allumette, emplit le verre de sa fragrance phosphorique. Une fois l’incendie maitrisé, le vin, jusqu’alors peu expressif, pétarade du fruit rouge en rafale, puis du cèdre dans une poignée de poivre. En aérant le jus tels des derviches qui peineraient à trouver l’extase, les notes de fruits juteux prennent de l’ampleur, le vin se déploie aromatiquement. Un toucher de bouche velouté rachète un peu le nez, quelque peu décrié par l’assemblée. L’attaque franche et poivrée dévoile, après que les papilles ont fait leur job, une chair aussi pulpeuse que celle de l‘Angélica de Visconti.

ABRUZZES : Le bas de la cheville, tournée vers l’Adriatique, plutôt proche des Pouilles…

Marina Cvetic Montepulciano d’Abruzzo 2005 : L’attaque acétique envoie la bouteille au vinaigier, qui ne s’en plaindra pas.

PIEMONT : Le Nord de l’Italie, loin des Pouilles.

Dizzani Ruche di Castagnole Monferrato 2005 : Un rubis d’intensité moyenne pour cette robe. Un nez qui prend son temps malgré le carafage, un effet de son jeune âge qui laisse ensuite parler sa fougue olfactive : Cerise, pelure d’orange – ou plus exactement essence d’orange, avec laquelle, enfants, nous jouions à nous aveugler – , muscade, tabac blond, gousse de vanille, puis « a long time after », la salade fraîche de fraises et groseilles déchaine les salivaires. La bouche est au diapason, une attaque épicée, une matière mûre et fruitée, enfin une finale fraîche et réglissée.

Conterno Fantino Barolo « Barussi » 2001 : La robe est de deuil, à peine bordée d’un soupçon de violet sacerdotal. Au nez, après que ça a giboyé,apparaissent le cuir frais, l’orange sanguine, le sous bois, puis enfin le goudron. Le bois, encore très présent, est Français, du meilleur Tronçais. Les bois de l’Allier seraient-ils prisés au Sud des Alpes ? La bouche rejoue les mêmes notes sur une matière imposante fruitée et réglissée. Une barrique prégnante qui demande à se fondre. Et toujours cette fraîcheur !

Braïda Barbera d’Asti « Montebruna » 2001 : Une robe rouge sang, quelques traces d’évolution. L’écurie, la bouse, la merde, hurle élégamment la confrérie unanime. Rien n’y fait, ni le temps, ni la patience… Une bouteille déviante.

Reverdito Barbera d’Alba « Butti » 2003 : Sombre robe pour ce Barbera. Un nez surprenant, séduisant même. De la cerise, de la gelée de mûre, du cassis et conjointement du citron, du pamplemousse et des épices. La purée de fruits rouges se retrouve en bouche, sur le cassis surtout, le zeste de citron également. Longue et gourmande est la finale, fraîche aussi, mais faut-il encore le répéter ?

TOSCANE : Grande région viticole de réputation Internationale qui, bien que loin des Pouilles, a donné à Bob ses plus beaux orgasmes….

Avignonesi « Nobile di Montepulciano » 2003 : C’est un beau rubis profond qui illumine cette robe. Un nez frais, surprenant qui mèle des notes de betterave, de coulis de tomate, à la terre, au zan, et au poivre gris. Quelques uns ne s’en remettront pas et finiront au composteur… Très vive attaque en bouche qui décline tous les états de la cerise, de la burlat au fruit à l’alcool. Finale longue et finement chocolatée.

Lisini Brunello di Montalcino « Ugolaïa » 1998 : Très viandé, le nez prend le temps de s’apaiser, pour libérer des beaux arômes de chocolat-cacao, d’épices, de poivre, de réglisse tout en contrapunctant de jolies notes de citron vert parfumé. Le fruit, relativement discret au nez, s’installe en bouche, prune et cerise s’en donnent à coeur joie. Matière fine, aux tanins légers. Le type de vin que l’on aurait du éviter de carafer, selon certains détracteurs sans pitié pour les petites mains maladroites qui ont oeuvré.

Ricasoli « Castello di Brolio » 1999 : Un chianti Classico à la robe carmine largement bordée d’orange. Les abonnés à la pizzeria du quartier renâclent et manifestent leur crainte devant ce vin dont la bouteille Bordelaise ne leur inspire aucune confiance : où sont les rondeurs et la paille délicate de leurs habituel flacons ? Un nez enchanteur leur cloue le bec. Crème de chocolat mousseuse et fruits rouges à foison, dont la cerise juteuse et la prune tendre, envahissent les sinus. Soie, velours et taffetas de tanins délicats, une matière élégante qui emplit la bouche de fruits mûrs et de tanins caressants. Longue et fraîche finale. Un vin de châtelain, le vin de la soirée.

Antinori « Tignanello » 2003 : L’un des domaines à l’origine de l’expression « Super Toscan ». Depuis lors, ces nectars sont très appréciés par des grands professionnels de la très sérieuse chose internationale du vin…. La robe de la Diva est d’encre, éclairée d’une très discrète frange rose-orangé sur les bords du disque. Au nez, c’est Oum Khalsoum. Tout l’Orient dans le verre. Pèle-mèle, fleur d’oranger, coriandre, épices de « là-bas », qui donnent, aux notes fruitées qui s’y lovent, une puissance et un charme supplémentaires. L’odeur de la reine claude craquelée, dont on perçoit la chair orange, pulpeuse et sucrée, domine, puis s’unit à la réglisse. La matière est puissante et lisse, comme l’est celle de tous les vins travaillés par les « magiciens du chai ». Le pouvoir de séduction est patent, tout est mûr et « bien en place » (expression favorite des techniciens de tous bords – professionnels de la technicité – , du raisin comme du ballon…), le chocolat ajoute encore au charme de la finale, longue, fraîche et réglissée. Eminemment consensuel!!!

Le bataillon des dégustateurs échevelés, bien qu’égaré en terres nouvelles, semble satisfait. Aucune tentative de putsch, pas de prise d’otage à redouter, ça blablatte certes, ça rouspétouile, mais c’est plus culturel que réel. En fait ils ont aimés ces vins qui les ont parfois déroutés. C’est à table je pense qu’ils trouveraient leur parfait équilibre et leur pleine mesure.

Beau voyage d’hiver en Italie, dont les vins sont aussi frais et élégants, que le Président de la République Italienne est lourd et vulgaire.

 

ECAMOPRITIC’ESTCOFININE !