Littinéraires viniques » Paolo Fresu

LA REMIGE, NI PUTE, NI SOUMISE…

Lucian Freud. Autoportrait.

 

Que sont ces que, ces qui, qui font pis que pendre, quand se cloque ma syntaxe, qui se disloque sous les coups de courtes queues coquines et se fracture, os à l’air, lorsque les qui craquent et croquent sous ma tectrice patraque ? Stylistique anachronique, analytique, anarchique ? Variations apoplectiques, antirabiques, antipathiques, analgésiques ? Maniérisme académique, aristocratique, arthritique ? Rien d’artistique, de poétique, d’ascétique, ? Que de l’asthénique, de l’asthmatique, du pathétique ? Que d’la barrique bucolique qui sonne cacophonique, aux coins carrés de ma prose cadavérique ! Qui peut prétendre bouffer autant de que, que moi, qui reste coi, quand couinent les caciques canoniques, qui se coincent les coquilles dans les cantiques et la casuistique de mes délires catastrophiques ?

Jean-Raymond s’en tamponne le coquillard !

On sonne à la porte. La factrice ronde lui sourit des canines, l’œil froid et le stylo pointé comme une arme blanche. Signez là. Oui. Merci madame. Deux cartons pleins. Encore. Il n’en revient toujours pas. Il pleut des bouteilles pleines de délices à ne plus que savoir en boire. Pourtant il ne demande rien à personne. Ni lèches ceps, ni sucettes sucrées sur les pages luminescentes qui éclairent partie de ses nuits. Jean-Raymond tape et retape sur le clavier noir qui luit sous la lampe. A sa gauche, un verre à long pied, à cul large et à bouche étroite, à demi plein d’un liquide au cœur duquel brille le filament incandescent d’où pulse le cône artificiel jaune brumeux qui enveloppe son espace et le protège des dangers térébrants de l’ombre impénétrée. Immobile et patient, le liquide odorant comme un lac d’agrumes épicés, l’attend. Mais Jean-Raymond n’est plus là. Seuls ses mains sont vivantes.

Il rêve du bout des doigts…

« Oui, le sinistre « Fils de Machine à Laver » is dead. Le rouge au front il a rencontré les Forces Spéciales du pays du Deuxième Amendement. Le choc a été frontal et définitif. Ite Missa Est ? Tu parles que non Gaston. On signale un requin pèlerin au large de Saint Tropez, la Mecque des ors affichés, des airbags surgonflés, et des implants revigorants. Il va bien s’y trouver une villa sur les hauteurs, y faire la bombe et prêcher aux Rolexmen, toujours prêts à s’en mettre plein les fouilles, pas archéologiques pour un sou, les vertus du commerce de la Kalach

Au cœur d’une nuit sans caprice, tandis que l’insomnie le caresse de ses ongles crissants, il apprend la nouvelle et se rendort enroulé dans sa Burqa de plumes tièdes. Bashung plane entre les mondes et chante dans son demi sommeil ce « Comme un lego » qu’il aime tant… Dès qu’il dort, il s’envole. Moineau anonyme, il suit avec difficulté les brasses puissantes des grands aigles. De là-haut, tout là-haut, « …voyez vous tous ces humains danser ensemble à se donner la main…à ne pas voir demain comme ils seront… vêtus d’acier, vêtus de noir… on voit de toutes petites choses qui luisent, ce sont des gens dans des chemises…dans le silence ou dans le bruit… comme un damier ou un lego… ». Les courants ascendants l’entraînent en spirales fulgorantes au-delà des apparences. L’oiseau translucide crève les nuées qui ne le mouillent pas. Il boit au cœur du soleil le miel de l’éternité qu’il espère. Mais les pesanteurs de l’espace étroit et du temps contraignant rognent les ailes de son rêve, à l’heure où l’aube pointe sa lumière sale, au vrai moment qui voit les vampires terminer leurs « after » gluants et refermer les couvercles lourds de leurs cercueils vermeils. Le fil d’argent, comme un lasso translucide, le ramène sur la terre plombée des pesanteurs multiples et destins urticants. Il s’étire, s’ébroue puis se fige. Au travers de ses paupières closes, le jour saigne et rougeoie comme un œil crevé qui palpite encore. Nu comme un lombric mort, les pieds sur le carrelage glacé. Il grimace un rire. N’est pas la Vénus Anadyomène qui veut ! La traversée du jour et des certitudes épaisses de ses frères bipèdes l’attendent. « Aucun express ne m’emmènera vers la félicité… ».

Mais il ne quittera pas « La Contre Allée ...», l’herbe y est fraîche, elle longe et musarde le long des ruisseaux, de Pinot et Chardonnay le plus souvent, des rus multiples et chatoyants, entre les pierres desquels roulent les jus du Melon de Bourgogne, les élixirs de Rieslings dorés sur tranches de cailloux roses, les filets incarnats du Cabernet très Franc ou Sauvignon, du Merlot mûr sur astéries, qui laissent à sa bouche orpheline les traces finement salines des calcaires fossiles de la rive droite, et comme un filet tendre de silex chaud au détour d’un affluent de Chenin. Toutes ces sources secrètes, ces résurgences cristallines, ces torrents de plaisirs lui sont encore inconnus. Ils décideront l’heure venue de s’offrir ou non à lui. »

Trip sinistre dont il sort bouche sèche et doigts crispés. Tête lourde et dos voûté. Jean-raymond se dit que cette nuit n’est pas la bonne, qu’il peine, qu’il pioche ses phrases, qu’il rame à contre-courant, que ça ne coule pas du bon jus de mots frais. Dans un coin gris de sa conscience, caché derrière son cervelet rose strié de veines rougeâtres, quelque chose le gène, lui bouffe la mémoire vive, le ronge et l’empêche de pondre ses habituels œufs meurettes. Il feint encore de ne pas savoir et lutte contre la lumière intérieure. Bon d’accord, ces p…..s de cartons, de caisses qu’on lui envoie, il ne les a pas demandées. Non, merde non, elles arrivent ! Oui mais pourquoi ne dis-tu rien, enfant de salaud ? Pourquoi les acceptes tu, espèce d’empaffé, de faux cul, de Jésuite foireux. Tu n’es plus crédible ! OK ta crédibilité, tout le monde s’en branle, tu n’es rien, ni personne. Mais toi qui te vois, qui sais, ça devrait suffire à te foutre la honte. Et la morale alors !!!

Ainsi va la vie du blogueur de rien, désargenté, soumis aux tentations de SaintDenis, du Clos de la Roche et autre roi Chambertin, cols étroits et larges culs, jus soyeux et glissants qu’il lorgne, lippe humide, doigts crochus et bourse plate.

Jean-Raymond se marre dans son pilou.

Tout cela n’est que fadaises et cauchemars éveillés. Par Bacchus, il aimerait être ainsi sollicité, il aimerait tendre les bras aux cartons de la factrice, mais sa page, hors ses griffouillis, est vide, vierge de toute trace de commerce espéré. Il est certes au désert, mais n’est pas Saint Antoine soumis aux affres de la tentation. Son désert est sa nuit, le sable ne gratte que ses paupières, et le verre près de lui, il a parcimonieusement économisé pour pouvoir le remplir. La lampe suinte toujours sa lumière jaunâtre qui peint le vin d’une couleur artificielle. C’est un jus, blafard comme un soleil d’hiver de Vermeer, qui prend de fausses teintes d’ambre dans les mensonges de ce triste borgnon. Limpide et transparent en vérité, sa pâleur étincelle des promesses qu’il espère. C’est un François Crochet de Sancerre 2010, payé en bels et bons euros, qu’il croche d’une main ferme. Jean-Raymond est dès lors, hors délires, hors rêveries. Seul compte ce sauvignon blanc qui vagabonde sous son nez des arômes délicats d’agrumes fumés. Pomelos et citron jouent ensemble l’air de la jouvence fraîche. L’attaque en bouche est vive, le toucher, vibrant et cristallin. Les papilles se dressent sous les piques juvéniles du jus des vignes graciles. Les épices sourdent du vin qui lave la bouche à grandes giclées de citron et pamplemousse mêlés. Cette nubilité a de la présence cependant, et surprend par sa consistance naissante. Elle reste vive après avoir dévalé la pente du gosier, et laisse à l’avaloir, plus longuement qu’attendu, sa fraîcheur poivrée de blanc et le fumé de sa terre à silex.

Le vin de vie a dissipé le délire comme la pluie lave le paysage.

In petto.

N’est pas né le libertiphage madré qui le contraindra…

EELIOTMONESSTICONE.

QUAND MON PALAIS DEGUSTE AU CHÂTEAU…

 Léonard de Vinci. La vierge, l’enfant Jésus et Sainte Anne.

 

Dans ma quatre-roues non motrices que j’aime, j’ai glissé sur la RN 10 comme un céphalopode entre les hannetons aux carapaces luisantes, lourds (dans tous les sens du terme…) en caravanes longues. Rien à voir alentours, le regard fixe, les lombaires humides, attentif aux yeux rouges du cul des monstres. Les routes encombrées tuent les paysages. Puis j’ai franchi le pont qui n’est pas d’Avignon. Personne n’y danse sous les radars affamés. Mon copilote, dame à la voix morne, me guide. Je l’écoute comme un enfant sa mère. Les mères, mais pas toutes, aiment leurs enfants petits, et même vieux parfois. Celle-ci, pourtant inhumaine, qui me porte dans son ventre binaire, m’entraine ensuite, passé les voies aussi rapides qu’impénétrables, sur les départementales buissonnières. Là je tourne et vire dans le secret des paysages qui offrent à ma sérénité retrouvée, le calme des arbres en touffes feuillues, la paix des plaines herbues et des reliefs doux. Cette femme dyadique est plus tendre que ces vieilles marâtres aux seins secs, qui maltraitent encore leurs vieux enfants douloureux. Quelque chose de la rencontre à venir me pacifie. Mon cerveau droit déconnecte, le gauche s’exprime où loge, d’amour et de soie, de paix et de joie pure, primesautier, mon ange, mon maître qui me guide. Mon pied se fait léger, je musarde, je me glisse en douceur et roule sur le bitume étroit entre les premières vignes du Médoc. Petits châteaux, domaines inconnus des médias cannibales, ceps tordus aux entre-rangs encore trop souvent roussis, villages immobiles se succèdent.

Puis vient Labarde, Cantenac enfin.

Timide, j’entre dans pâle mère (?). Palmer de son vrai nom. Place Mähler-Besse, je me range et m’extraie de mes tôles. Quelques secondes déplient mon corps contraint par le voyage. Sous mes pieds les galets blancs me massent. Les énergies circulent à nouveau dans les méandres fatigués de ma vieille carne. Des bâtiments anciens, petits et grands m’entourent, comme dans un village qui en a vu d’autres. Légère, elle apparaît à l’angle d’un bâtiment aux volets vert d’eau. Un corps menu, que souligne et mets en grâce un jean étroit sous un coton tissé translucide mais pas trop, me sourit de ses yeux clairs pétillant de bulles. Un sourire vrai sur des lèvres ourlées. Le teint frais, rose hâlé, découvre des ivoires réguliers. La T’Chad herself, dans toute sa splendeur, se matérialise. Elle ne se penche pas vers moi. Pour une fois, je suis à la hauteur. La petite est menue, gracieuse. Elle sent bon le cuir frais et les fleurs de printemps, quand nos visages se touchent un instant. Ses lèvres n’embrassent pas le vague du ciel blanc de brume, mais mes joues. Je le lui rend bien. Oui, c’est bien elle que j’avais pressentie. Une fois encore, La Toile n’a pas menti. « Rouge, Blanc et Bulles » sera mon guide, intelligente, finaude, joueuse et habilement bordélique. Vivante !

Comme j’aime !

Palmer, que je n’aurais pas l’outrecuidance de présenter, grand Troisième Margalais, est en révolution douce. On s’active, on casse les murs pour mieux dévoiler le Château, on retrace un parcours. Palmer veut se donner au yeux de ses visiteurs. Annelette m’explique. Nous cheminons. Derrière la bâtisse, arrêt et échanges à baguettes rompues avec le paysagiste qui restructure jardins et chemins. Tête burinée, poils blancs et visage de vieux faune au regard droit. Les mains terreuses, épaisses, faites pour tailler, planter. Au service de convictions, de projets, d’amour de la nature, qui nous parle de liberté, de terre propre, de plantes et fleurs vivantes, à marier en bouquets comme des taches de couleurs en désordre apparent, sur l’herbe verte du parc, entre les vieilles essences centenaires. Chêne liège, tout en superbe, à la peau grumeleuse, platane altier, châtaignier imperturbable, arbre mystère (pour moi) comme un croisement hasardeux entre un érable et un vieux plant de cannabis, aux feuilles pointues et dentelées à la fois… Mais je délire.

Nous tournons autour du château. Le mur qui longeait la route est tombé, puis reconstruit très bas, plus en retrait, après qu’une porte d’angle, fermée d’une grille bleue, finement et étrangement sculptée, pierres et fines briques rouges en strates, a été magnifiquement restaurée par des tailleurs de pierre respectueux des traditions et de leurs beautés. Le château, en majesté, régale désormais le regard du chaland. Nous remontons un instant la départementale et entrons au chai à barriques en construction. Ici encore, tradition et histoire sont au service de l’architecture. Le bâtiment immense abritera et protégera des aléas climatiques les vins entonnés qui patiemment attendront la fin de leur élevage. La vaste salle reproduit à l’identique les allures et frontons du passé.

Retour au « village » existant. Une porte discrète s’ouvre sur une salle de dégustation immaculée. Sur les murs, aux deux tiers de la hauteur, une frise à la gloire du raisin brise de ses couleurs vives, l’austérité quasi monacale du lieu. Au centre une table haute, carrelée. Sur la table une batterie de grands verres attendent. Alter Ego et Château Palmer 2010 à leur côté. Elevage en cours bien entendu.

Quelques lustres avant que l’âge m’ait assagi, je fréquentais ces vins. Les étiquettes noires et ors m’étaient familières. C’était au temps où les grands vins de Bordeaux étaient encore abordables aux bourses plates des amateurs énamourés. Alter Ego est château noir sur fond or. Palmer est son inverse comme l’est une photo à son négatif. Château d’or sur fond noir. Comme deux eaux fortes gravées dans un intangible passé. Seul pour moi le millésime est nouveau. Les jus sont d’encre, violette comme purée de myrtilles fraîches. Alter n’est pas austère, qui s’étale en largeur à mon palais consentant, après qu’il m’a lâché au nez ses parfums floraux puis rouges et noirs de fruits mûrs et crémeux. Le millésime fait son office, ajoutant à ce vin « horizontal » fait pour être avenant dès sa jeunesse, une droiture, une rectitude, une « verticalité », qui augurent d’une belle évolution à terme. Puis vient le temps de Palmer. Qui se goûte parfaitement. Une belle boule de vin, parfaite sphère de purs fruits purs d’une précision et d’une définition nanométriques, sussure à mon palais, avec race et élégance. Certes le yearling est fougueux, pas complètement assagi et « débourré », mais la matière, pas brute pour autant, est splendide. C’est une soie sensuelle de tanins, poudre de craie finement épicée, qui laisse au palais ses fines touches réglissées. Le vin semble se plaire en bouche, et luette franchie, il semble toujours présent, et… longuement. Déguster c’est recracher, mais là, je ne sais pourquoi, atteint d’une amnésie aussi subite que partielle, j’ai oublié.

Bacchus, dans sa mansuétude, m’a pardonné !

Annabelle, du château elle aussi, qui veille sur le 2,0, se joint à nous. Nous débarquons en « Gare gourmande » restaurant de poupée, minuscule, avenant qui ne peut accueillir qu’une poignée de voyageurs gastrolâtres. Les deux brunettes s’entendent comme larronnes en goguette. Regards complices et sourires jumeaux. Anne s’est éclipsée, Laurence est apparue… Sur la table apparaissent deux bouteilles du château, dans les millésimes 2007 et 1991, auxquelles courte vie est promise. La première est ouverte, rieuse, qui se donne sans détour comme un enfant confiant. La seconde issue d’une année difficile – la vigne a connu un gel printanier qui a détruit la récolte (20 à 80% selon les endroits) – et pluvieuse pendant les vendanges. Carafé le vin est un rubis brut, peu brillant mais sans aucune turbidité. Les notes mentholées dominent un nez automnal fait de fines touches d’humus humide, de champignon frais (certainement des ceps « Têtes de Nègres », bordelais oblige !!), au travers desquelles quelques notes myrtillées subsistent. C’est une dentelle de Bruges qui honore mon palais. Le vin, à son sommet, est d’une exquise délicatesse de toucher et de texture. Il roule en bouche, caressant comme l’aile d’un papillon poudré une paupière. Me vient à l’esprit l’image de la Fée Clochette ! Mystère des analogies fulgurantes. A l’avalée, les épices douces accompagnent les tannins, si fins, qu’ils semblent, poètes, avoir disparu…

Retour au village. Conversation à blogs rompus. Tendances, chapelles, guéguerres picrocholines, embrouillaminis de la Toile, papotages diserts, le temps doux s’étire…

La dame à la voix plate, patiente, me parle. Je roule en mode automatique. Les sourires légers des filles de Palmer m’accompagnent au creux de ma mémoire immédiate. Je franchis à nouveau le pont laid recouvert de fourmis affairées. Regards las, sourcils froncés, sourire béats, doigts qui fouillent, qui tapotent, qui grattent, spasmodiques, les volants brûlants sous le soleil blanc. Carcasses multicolores impavides, odeurs de gomme et de bitume chaud.

Retour vers les vignes, trop souvent rouquemoutes des maltraitances chimiques réitérées de la Champagne, qui se dit Grande… Cognac pointe le bout de mon logis…

Je souris à mon palais qui garde le souvenir secret des vins et du bonheur des filles du Château.

 

EMELANMOALCOOTILISEECONE…