Littinéraires viniques

ANTUNINA ET ANGHJULA-MARIA.

JJ.TRYSKELL

Crédit photo : J.J Tryskel.

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Les hommes avançaient en silence. Chacun connaissait sa trace, son poste. Depuis des années ils chassaient ensemble. Ghjilormu, debout sur un promontoire rocheux, attendait que passent les bêtes débusquées par les traqueurs. Ce montagnard robuste à la silhouette massive scrutait la lisière de la forêt, attentif aux craquements et autres bruits significatifs qui pourraient annoncer l’approche des sangliers en fuite.

Ghjilormu, patriarche bien connu, propriétaire terrien influent, ardent défenseur des traditions locales, n’était pas homme facile, sa voix comptait au village. Il vivait dans une grande vieille maison, propriété de la famille depuis que la Corse est Corse, autant dire depuis toujours.

Non loin de San Gavinu di Carbini, le minuscule village de Pacciunituli est le berceau de la famille Agostini d’après ce qu’en dit le vieux Petru U Cantonu, l’ancêtre, dont l’arrière grand père connut, selon son propre arrière grand père, mais il y a bien longtemps, avant que l’arrière grand père de l’arrière grand père soit, ne serait-ce que près d’être conçu, Gallochio Agostini qui fut de ceux qui posèrent les premières pierres de la première maison de lourd granit, de Pacciunituli.

Ghjilormu, lui, avait épousé, voici quelques décennies, Rosa-Linda la fille ainée de Dumè Agostini, descendant de Gallochio, et depuis lors, il s’était installé à Pacciunituli, jusqu’à en devenir le plus vieux propriétaire terrien en activité. Après bien des vicissitudes, à force de patience, Rosa- Linda et lui avaient enfin eu une fille, joliment prénommée Anghjula-Maria. Pour elle, il rêvait d’un beau mariage avec le fils d’un de ses amis. L’enfant détesta d’emblée la chasse. Quand son père, en tenue de battue, se dirigeait vers le râtelier pour décrocher son fusil, la petite se sauvait et refusait de l’embrasser.

L’enfant avait grandi sur les flancs des montagnes qui entourent le village. Autant ses parents étaient de teint mat et de cheveux noirs, autant Anghjula-Maria avait la peau blanche et la chevelure ensoleillée. Les enfants du coin disaient même, tant elle était blonde, que le soleil se cachait dans ses cheveux. C’était une cabrette vive et joyeuse, le bleu cinglant du ciel des cimes habitait ses prunelles, elle marchait peu, courait tout le temps, sautait de roche en roche, se glissait, souple et vive, entre les châtaigniers, les chênes verts et les pins laricci de la forêt d’Ospedale et galopait comme une fée des bois jusqu’au col d’Iddarata. Là, elle grimpait, poigne ferme et fesses légères, jusque dessus le plus gros des blocs de granit. Ce n’était pas n’importe quelle roche, c’était la sienne, du moins en avait-elle décidé ainsi. Elle lui avait donné un nom : Baluffu, et c’était dans le corps massif du granit qu’habitait le génie qui gouvernait la montagne, le col, les bois, toute la zone du village et les alentours, très loin, jusqu’à la mer. Elle ne se hissait jamais sur le rocher avant d’avoir, à voix basse, échangé des paroles mystérieuses, des sortes de roucoulements psalmodiés, doux et apaisants, avec le génie. Puis elle grimpait, s’asseyait sur le granit, chaud ou froid selon les saisons, et, le visage entre ses mains posées sur ses genoux couronnés, des heures durant, elle observait en silence la forêt qui coulait comme une eau verte jusqu’à la plaine tout en bas.

Entre eux, à voix basse, les villageois la disaient étrange, ce qui ne les empêchaient pas de l’aimer, car,  en toutes circonstances, elle était souriante, serviable et affectueuse. C’est ainsi, que spontanément, elle portait à bout de bras, tout en papotant gaiement, les sacs des grands mères essoufflées par la charge, le longs des ruelles pentues. Pas avec toutes, mais avec certaines qu’elle aimait plus que d’autres elle entrait dans les maisons, aidait à ranger les courses et partageait avec “i minani” limonade et gâteaux.

Antunina était sa préférée. Toute petite, sèche et noueuse, vêtue hiver comme été d’un tablier bleu à carreaux, son visage sévère, ridé comme une poire tapée, fendu de deux lèvres fines qui lui faisaient un bouche en forme de cicatrice grisâtre, n’avait rien d’avenant. Ses yeux, qui semblaient ne pas voir le monde, brillaient d’une lumière vive. Elle vivait seule, un peu à l’écart, dans une petite maison  de poupée, à la sortie du village. Antunina parlait peu mais aboyait souvent d’une voix rauque aux sonorités caverneuses, et personne ne répondait quand elle lâchait trois mots. Elle avait bien été mariée, son mari, “u banditu pastore” comme elle l’appelait, avait disparu un beau soir d’il y a fort longtemps et n’avait jamais reparu. Les anciens prétendaient qu’il se serait agit d’une sombre querelle à rebondissements multiples, dont “le bandit” aurait été la dernière victime. Son troupeau de chèvres s’était envolé lui aussi. Les jours de grand vent, le ciel bleu sombre roulait de gros nuages en meute. Quand le temps était à l’orage, l’azur prenait des teintes orangées, les nuages noircissaient en se rassemblant. Les quelques anciens, devisant sur la place du village, tenaient leurs chapeaux d’une main, et de l’autre pointaient le ciel menaçant. Les cumulo-nimbus gorgés d’eaux prêtes à tourner au déluge, éclairés par les premiers éclairs qui violaçaient les cimes avoisinantes, dessinaient sur l’écran du ciel noircissant de furtives silhouettes simiesques. A un moment ou à un autre, juste avant que s’ouvrent les ballasts célestes, l’un d’entre eux, le doigt tendu vers les cieux irascibles, se mettait à crier : ” Ghjuvan’Cameddu e iso capri” !!!! Alors tous, riant à pleurer, s’en allaient à l’abri du bistro tout proche, histoire de vider quelques canons de piquette, en attendant que les trombes cinglantes aient fini de laver le ciel. L’orage passé, le firmament devenait bleu, un bleu délavé, très clair et lumineux, mais cela ne durait pas, il revenait très vite au cobalt des ciels d’altitudes.

Ghjilormu fatiguait un peu. Rien ne bougeait sous les bois. De temps à autre, sous le poids des traqueurs, des branches mortes craquaient, les chiens, affolés par l’odeur des sangliers proches, geignaient par moment. Il commençait à s’ennuyer ferme. Une fraction de seconde, il crut apercevoir la silhouette de sa fille passer au galop entre les pins. Il tira par reflexe et cassa quelques branches. Sans doute avait-il somnolé un instant. Alors il se mit à faire les cents pas. pour chasser les fantômes. De l’une des poches de sa veste de chasse, il sortit une cigarette tordue, à demi vidée, qu’il regarda longuement avant de la porter à sa bouche. Elle pendit un moment, accrochée à sa lèvre inférieure, puis il la reprit pour la remettre en poche, mais le papier était collé. Il tira un bon coup et la peau fine craqua. Un filet de sang coula sur son menton soigneusement rasé. Ghjilormu s’essuya en soupirant. Sa lèvre continua à saigner. Faiblement mais continûment. Rien jamais n’y put faire. Le médecin eut beau prescrire ci, ça, et encore d’autres onguents, pilules et gélules. Sans résultat. Il s’y habitua. Cela dura, les gens le surnommèrent “U Fazzulettu”.

Bras grands ouverts, Anghjula-Maria s’efforçait de faire le tour d’un très gros vieux laricciu. En trois fois elle y parvint. Elle faisait ça quand elle montait à Iddarata. Elle en choisissait un, jamais le même, mais toujours un pin, à cause de l’odeur de la sève qui sourdait un peu partout des bourgeons et des blessures du tronc. Mais il fallait qu’il soit gros, solide, bourré d’énergie, des racines à la cime. Adossée au tronc, elle fermait les yeux, attendant qu’une chaleur subtile lui prenne les reins. Alors elle se confiait au conifère, lui racontait ses joies comme ses chagrins, puis chantonnait, une mélopée inventée, faite de sucre et de caresses. Une brise légère, fraîche, même par grande chaleur, lui caressait le visage, et le bruit complexe de la forêt lui répondait. Il n’y avait certes rien à comprendre, pourtant cela la soulageait, l’apaisait, il lui suffisait de s’ouvrir à l’incompréhensible pour que cela advienne. En grandissant, elle venait d’avoir quinze ans, ses perceptions subtiles s’affinaient. Assise, le dos appuyé contre l’arbre, elle posait ses mains nues sur le sol, sur l’herbe, les aiguilles, la mousse ou la terre nue – oui, surtout prendre la terre nue à pleine mains, voire, si possible, les y enfoncer – et cela décuplait ses sensations. Le contact avec l’énergie vitale dégagée par le tronc était si fort, si généreux, qu’elle croyait par instants ne plus toucher le sol ! A plusieurs reprises elle manquait défaillir quelques secondes. Quand elle se relevait, la terre vibrait, ses perceptions étaient modifiées. Pendant quelques minutes, elle voyait le monde en infra rouge, elle entendait, mais un peu seulement, les vibrations douces de l’inaudible. La faune ne se cachait plus. Parfois même, elle gardait de ces moments vertigineux, le souvenir éblouissant de véritables assemblées d’animaux qui l’entouraient en silence.

Antunina initiait Anghjula-Maria à de petites activités. Elles cuisinaient, cousaient ensemble, faisaient mille choses. Un après midi d’hiver, la neige tombait en flocons épais sur le village, la vieille dame, sanglée dans son tablier, prépara une étrange mixture. Elle broya et mélangea, force racines pilées et herbes fraîches diverses, dans un bol de pierre rempli à demi d’eau chaude, puis y ajouta une louche d’acqua vita, une tasse de farine brune et quelques baies de couleur. Quand la pâte verte, onctueuse et crémeuse, longuement malaxée, devint lisse et brillante, elle marmonna à voix basse, penchée au-dessus du récipient de granit, une longue litanie mélodieuse, dans une langue inconnue que la jeune femme ne comprit pas, mais qu’elle prit pour la langue des fées. Toutes les deux en avalèrent une bonne cuillérée. Quand Anghjula-Maria se réveilla, elle découvrit, qui la regardait de ses grands yeux de jade vert d’eau, une jeune femme brune au teint mat et à la chevelure aile de corbeau. Celle-ci avait le visage dur, mais dans son regard brillait une grande douceur compréhensive. La maison d’Antunina avait disparu. Toutes deux se trouvaient au profond de la forêt d’Ospedale, assises, face à face, sur un tapis d’aiguilles sèches. Tout était parfaitement silencieux et baignait dans une lumière vive, à l’opalescence chaude et rassurante qui pulsait lentement. La jeune femme brune parlait, ses lèvres formaient des mots silencieux, qu’Anghjula-Maria entendait pourtant, mais ne comprenait pas. C’était une musique informe, sans les respirations habituelles qui fragmentent les langues humaines. C’était comme le gazouillis cristallin des ruisselets de montagne, avant qu’ils ne tonitruent de leur voix de torrents fougueux. C’était si beau, si nourrissant, si plein d’amour calme et évident, que la jeune fille pleura des larmes de joie, des grappes de pleurs, sucrées comme les raisins mûrs de la mi-septembre. La création la possédait et lui enseignait ses secrets.

Antunina mourut subitement quelques jours après. Un matin d’hiver, sous un ciel de glace aveuglant, Anghjula-Maria la trouva, appuyée à un vieux chêne vert. Resplendissante, les joues rouges et les lèvres roses, elle souriait à l’invisible. Autour d’elle, mortes, rassemblées en cercles concentriques sur l’herbe gelée, autour d’Antunina, des centaines de chauve souris venues dont on sait d’où, d’autres, vivantes elles, accrochées en grappes, les ailes repliées, aux arbres alentour,  semblaient attendre qu’on la découvrit. Personne ne s’étonna. Ce n’était pas la première fois que l’étrange visitait la montagne, mais on n’en parlait pas. Quand Anghjula-Maria, belle comme l’amour, s’installa dans la maison de la vieille, les garçons du coin comprirent et soupirèrent. A son tour elle revêtit le tablier bleu, et s’employa patiemment à vieillir en silence. Il paraît que la nuit, parfois, les chasseurs à l’affût l’entraperçoivent furtivement dans la forêt d’Ospedale.

A l’instant où Anghjula-Maria prit possession de la maison d’Antunina, la lèvre de Ghjilormu cessa de saigner. Il n’alla plus à la chasse. Ni lui, ni sa femme, ne se remirent jamais du départ de leur fille. Une nuit, abandonnant leur maison, ils quittèrent le village sans rien emporter. On ne les revit nulle part, ni sur l’Île, ni ailleurs.

UN HÉRON.

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 Héron de cendres par La de.

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Hiératique tronc gris sur le bord de l’étang,

Une patte repliée, immobile, endormi,

Le long bec de côté comme une branche morte,

Son œil clair est d’or pâle, et sa pupille fixe

 Semble ne rien voir du monde qui l’entoure.

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Le héron est patient, il ne sent pas le temps.

Les heures et les secondes s’écoulent lentement,

Glissent sur son manteau en ardoises de plumes,

Hiver comme été, raide comme une enclume,

En plein vent, sous la pluie, il sait que viendra l’heure.

Silhouette glacée insensible au bonheur.

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Jamais il ne regarde le soleil face à face.

Sous les eaux de mercure, les poissons ondulants

Ne voient qu’une ombre noire, un arbre chancelant

Calciné par la foudre d’un orage vorace.

Pourtant la mort est là penchée au dessus d’eux,

Les grenouilles croassent, elles ne savent pas qu’il pleut.

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Le héron est la faux à la lame de corne,

La camarde assassine qui hante les roseaux.

D’un mouvement rapide de son cou d’allumette,

Il pique les eaux claires, éviscère la rainette,

Eventre le gardon, du bout de son ciseau.

Ardea Herodias, le faucheur fusiforme !

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Mais une pluie de plumes est tombée alentours,

Un chasseur malheureux a répandu le sang,

Les tripes, la cervelle, de l’oiseau des étangs.

D’un seul coup de fusil, tiré avec amour.

HYPPOLITE ET CASSANDRE.

Redon 1899

Odilon Redon. Femme au châle jaune. 1899.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Il aimait à écrire de petits livres minces, modernes, à l’écriture simple, accessibles à tous et surtout à toutes. C’est dire que son lectorat était essentiellement féminin. Dans le monde entier les femmes étaient en dévotion et se pâmaient le soir devant sa prose. C’était un écrivain sérieux, révéré, une sommité dans le monde de l’édition, ses romans lui assuraient une vie luxueuse. Un des rares auteurs à vivre du jus de sa plume. La sienne était alerte, elle taillait les phrases courtes, celles qui racontent, avancent à marche forcée, elle avait en horreur les emberlificotées qui décrivent à n’en plus finir, qui s’égarent dans les méandres tortueux, les subtilités inutiles – trop complexes pour son lectorat disait-il en privé – des turpitudes humaines ou qui se répandent, se confient, narcissiques, impudiques, confites de virgules, de points virgules, de tirets et autres inutilités stylistiques. Hyppolite cultivait l’efficacité littéraire qui donne aux lecteurs modernes ce qu’ils attendent, plutôt que de les noyer dans un flot de considérations périphériques.

Hyppolite Strauss descendit de son vol en provenance de New York où il résidait depuis plusieurs années. Lassé de payer impôts et taxes diverses – le fisc français excelle dans ces domaines – il avait, à peine le succès escompté atteint, déserté sa terre natale. Il aimait New York la cosmopolite, il pouvait baguenauder, flâner sur Manhattan sans que personne jamais ne l’importune. Pourtant il réalisait ses plus gros tirages en Amérique. Lors des séances de dédicaces chez Strand Book Store sur Broadway, des femmes de tous âges, de toutes conditions, se pressaient et grossissaient patiemment une queue interminable de plusieurs centaines de mètres. Nancy Bass Wyden, propriétaire de la plus célèbre librairie de la ville, se déplaçait en personne quand il signait. Cette grande femme, belle blonde charnue, épanouie comme un gâteau crémeux, presque toujours emmaillotée d’écarlate, à la large bouche vorace éternellement souriante, avait un faible secret pour ce Frenchy dégingandé à l’élégance discrète – pull cachemire, chemise blanche à col ouvert – , pour ses tirages astronomiques aussi.

Cela faisait bien deux ans qu’il n’avait pas mis le pied en France. Quand il descendit sur le tarmac aucune émotion particulière ne le gagna, l’air puait le kérosène comme sur toutes les pistes d’atterrissage du monde. Il s’engouffra dans le taxi qui l’attendait au bas du jet privé, pour se retrouver quelque demi heure après dans une des suites d’un très luxueux palace Qatari louée par son éditeur parisien. Son nouvel opus était sur le feu, il lui fallait en écrire un par an, c’était le quota qu’il s’imposait. Une année même – il devait être en verve majeure, il ne savait plus trop pourquoi – il en avait pondu deux. Cette fois ci l’intrigue se déroulerait en France. C’est pourquoi il marinait à l’instant dans un bain de mousse, confortablement installé dans une vaste baignoire à jets.

Cassandre était rêveuse. Cette grande jeune femme encore un peu fraîche avait la grâce altière, le port naturellement droit, ses cheveux bruns et courts frisaient naturellement, ses yeux,étonnamment transparents, d’une couleur indéfinissable, un mélange d’or clair, de vert jade pâle,et de lait ennuagé d’une touche chocolatée, donnaient à son visage étroit une expression profonde et mystérieuse, presque sévère. Elle officiait au bois de Boulogne dont elle battait les allées à pas lents vêtue d’une longue robe à fleurs pastelles, le cou, quelle que soit la saison, entouré d’un long foulard de mousse de soie jaune. Elle ne regardait rien ni personne, déambulant tout le jour l’air perdu, ne souriant jamais. Elle était si légère, si fragile qu’elle semblait ne pas toucher le sol. Les autres putes la détestaient mais lui fichaient la paix. Elles en avaient, sans trop savoir pourquoi, un peu peur. Cassandre avait ses habitués. Peu nombreux mais fidèles. Des artistes un peu marginaux, plutôt jeunes, désinhibés mais délicats. Quelques avocats à la bourre et deux ou trois égarés de passage dans la capitale pour faire le compte. Cassandre n’était pas du genre à se laisser culbuter dans les bosquets, elle avait ses exigences, elle acceptait les coïts, tarifés certes, mais seulement dans une jolie chambre de qualité et toujours dans le même hôtel assez éloigné du bois, l’hôtel des Espérances Mortes. Le prix de la course en taxi était bien sûr pour le client. Subjugués par ses airs de princesse lointaine ils acceptaient. C’étaient ses conditions, qu’elle annonçait à voix douce, sans un sourire de trop. Elle ne transigeait jamais. De mémoire de chaland personne jamais n’avait contesté, pas même marchandé. Les amoureux des femmes vénales savaient bien qu’ils tenaient là, à portée de main, une perle des hauts fonds d’une eau rare, une pute à l’âme pure, une incorruptible dans son genre.

Hyppolite se fit amener une limousine. Sans un regard pour le chauffeur encasquété, il lui ordonna d’une voix dure de le conduire à Boulogne. Commencer, oui, commencer par le bois au ras de Billancourt, ce bois qui lui faisait si peur quand il était enfant puis lycéen. Revoir ce lieu, terrible pour lui à l’époque, qu’il avait longé tête basse et fesses serrées. Revoir ces terribles putes à demi nues hiver comme été, seins débordants et culs boudinés caparaçonnés, ces raies devant-derrière, comprimées, qu’il n’osait regarder. Cette faune colorée, incertaine, les yeux mouillés des biches à talons hauts, les africaines aux déhanchés effrayants, aux culs monumentaux, les travelos épilés engoncés dans leurs cuirs étroits et toutes ces voitures qui avalaient ces sacs de viandes pour les recracher, à moitié rhabillés, bouches suintantes et vêtements fripés. Et ces voix surtout, les voix aguicheuses des ogresses qui appâtaient le micheton mais qui se mettaient au babil pour lui, bienveillantes, maternelles, tendres et si douces.

Le taxi avançait doucement entre les voitures qui se pressaient lentement, mal garées ou portières ouvertes. Les filles étaient là, côte à côte elles gesticulaient, appelaient en se tortillant, couraient parfois derrière les bagnoles qui redémarraient à vide. Hyppolite regardait et ses anciennes peurs remontaient pour lui déchirer la gorge. Assez loin derrière le premier rang des asphalteuses la haute silhouette d’une fille attira son regard. Ce foulard jaune qui flottait au rythme de la marche, ce long cou fragile, cette robe claire qui frôlait le sol en dansant à chacun de ses pas. Mais que faisait-elle là, si différente, cette étrange fille au regard absent qui dénotait dans l’agitation ambiante ? L’angoisse qui lui paralysait le larynx depuis qu’il longeait le bois se dilua, il eut envie de s’arrêter, de l’enlever à la saleté du lieu. Cette fille, inexplicablement, l’attirait. Mais il n’osait pas. Pourtant elle s’était arrêtée droite comme un roseau, les sourcils froncés, le front un peu plissé elle l’avait regardé droit dans les yeux. Et cet œil clair perçant avait décontenancé l’écrivain. La bouche grande ouverte il avait bredouillé, mais non il n’avait pas trouvé la force de courir vers elle, il était resté paralysé sur le cuir fauve de son siège. Comme un lapin sidéré sous les phares.

Le ciel était bleu métallique cet après midi là, il faisait sec et froid, Février était au rendez-vous. Hyppolite flâna dans les rues. Peu de monde, l’air était vif, le vent coulis, la lumière aiguë, il passa devant l’ancienne maison de ses parents, suivit la rue qui menait au fleuve, se perdit un peu, tout avait changé. Mais il ne ressentit rien. Ni envie, ni intuition. Au point qu’il se demanda s’il allait pouvoir écrire quelque histoire qui aurait à voir avec Billancourt ! Le fil, il lui fallait trouver le bout du fil qu’il lui suffirait ensuite de tirer pour dérouler son histoire, démêler la pelote, en défaire les nœuds pour lui redonner cohérence, la ré-embobiner, en faire une histoire d’amour, de sens et de sang, une histoire forte pleine d’odeurs à l’issue incertaine, le nouveau roman qu’attendaient cœur battant ses lectrices impatientes. Billancourt l’ingrate avait décidé de ne rien lui donner. Pourtant il sentait bien qu’il était près du but, que sa pelote à l’état brut,se trouvait par là, non loin, à portée d’intuition, quelque part cachée dans une impasse, une ruelle, un boulevard, un buisson ? Alors il congédia le taxi et décida de rentrer à pied. Au hasard.

Hyppolite remonta vers Suresnes par les quais, traversa la Seine, puis le dos en sueur, le souffle court, il se retrouva dans l’allée Marguerite au presque centre du bois. Elles étaient là, femmes, hommes, et entre deux sexes, attendant les paumés en manque. Elles arpentaient, allaient et venaient, aux aguets les panthères citadines, prêtes et prêts à bondir sur leurs proies au moindre regard. Quelque chose le poussait. C’était comme un ancien aimant puissant qui l’aspirait au cœur du bois. Malgré son dégout, sa peur d’être reconnu et ses terreurs revenues du profond de l’adolescence, il marchait col relevé, la tête rentrée entre les épaules. Quand il osa lever le regard elle était en face de lui barrant presque le chemin. Il lui aurait fallu faire un écart pour l’éviter mais il s’arrêta. Hyppolite tomba dans ses yeux de jade clair, la respiration bloquée comme un noyé aspiré par les eaux, hypnotisé par son sourire sérieux et la soie flave de son foulard; on eût pu croire son visage posé sur la corolle d’un bouton d’or. Cassandre ne dit pas un mot, elle ne fit qu’un petit signe de la main qui l’invitait à marcher à son côté. Ils s’en furent tous deux d’un même pas, d’un même sourire. Hyppolite lui prit le bout des doigts. Tous deux savaient, sans avoir à se le dire qu’ils ne se quitteraient plus. Elle refusa la suite et le jet privé. Personne jamais ne les revit, ni morts ni vivants.

Le soleil se couchait, empourprant la ville, ses rayons sanglants allumaient les façades, rebondissaient sur les fenêtres aveugles, la nuit s’apprêtait à envahir Paris, et avec elle les oiseaux de nuit apparaîtraient. Au-dessus de l’horizon hétéroclite des toits l’étoile polaire s’enflamma comme un réverbère.

DENIS MORTET, GEVREY « EN MOTROT » 1996.

NOËL. Temps doux, ciel bas, le silence règne sur la ville, voitures remisées, rues quasi désertes, de rares passants à la recherche de pain frais. On se croirait en guerre, le black-out du 25 Décembre. A bien tendre l’oreille, au détour des rues, on perçoit, étouffés par l’épaisseur des murs, les cliquètements affamés des fourchettes impatientes.

Un nid de chanterelles posé au creux de l’assiette, quelques pommes de terre grelot rôties sur leur peau l’entourent. Sur l’autre moitié du cercle, trois petits « pavés » de filet de pigeon, que la poêle à feu vif a dorés, juste à point, le sang perle encore entre chair et peau.

Sur la table d’un jour ordinaire, un jour à faire de la « Motrot » sur une vieille bécane millésime 96, la bouteille du délit d’initié encore emmaillotée dans son film protecteur, dans le verre remplit au tiers, le Gevrey patiente en prenant le temps de bien prendre l’air. Sa robe rouge cardinalis n’a point perdu de sa couleur, sa densité semble intacte, si ce n’était le voile orangé qui signe son âge. Quelques touches de couleur aussi, la jolie rose de printemps n’a pas dit son dernier mot, au centre du verre le violet de la baie de cassis, lui non plus, n’a pas baissé pavillon.

Voilà qui se présente joliment. Le pigeon, cuit de qu’il faut et pas plus, est d’un fondant confondant, d’une tendresse à vous mouiller les yeux, avec ce qu’il faut de giboyeux pour appeler le Gevrey au mariage, lequel s’empresse d’obtempérer. La rose qui marque subtilement sa robe n’a point perdu de son bouquet, le cassis, la groseille, eux aussi, très fins et encore perceptibles, agacent ce qu’il faut les muqueuses – 96 fut frais. Du fruit, des fruits donc, encore actifs et odorants. Puis l’âge du vin se dévoile, les notes dites tertiaires apparaissent, le champignon, l’humus du sous bois, la réglisse, le cuir, relevés d’une pointe fumée, se joignent harmonieusement au concert olfactif. Et bien d’autres subtilités, du catalogue duquel je vous fais grâce.

Pigeon, chanterelles et pommes de terre onctueuses parfument le gosier, le préparent au mariage. La noce a lieu et le palais ulule de plaisir. Une pointe sucrée matinée de la fraîcheur des fruits exhausse le pigeon qui se remet à voler en bouche. La matière du vin, d’une délicatesse bienvenue, emplit la bouche sans faiblir, ni creux, ni mollesse, les fruits se déploient bellement, le pigeon frétille, la chanterelle fragile relève sa collerette, l’onctueux de la patate exulte. L’avalée faite, il faut bien un jour finir par avaler, le jus révèle sa puissance maîtrisée, les tannins, à peine perceptibles, sont polis, tellement que l’on pourrait se croire en compagnie éduquée, la groseille tient longuement la note. Un vin de Diva, une balade « En Motrot » que je ne suis pas prêt d’oublier …

DIS-MOI DONC BLANCHE.

La Blanche de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Toi qui as traîné dans la douleur tes hauts et tes bas dans les champs liquéfiés des

misères boueuses,

Toi qui t’es courbée à bras cassés sur le dos de la terre,

Toi qui a crocheté du bout de tes doigts d’enfant sale les pépites accrochées sous les mottes gluantes, entre les racines tordues des hivers bas de ciel,

Toi qui as connu dans ta prime jeunesse les champs noirs gorgés d’eaux glacées,

et la terre, cette suceuse immonde qui t’aspirait à chaque pas en te murmurant

des mots d’amour chuintants.

Dis moi donc Blanche, toi qui sais.

Ce que t’ont dit les hommes fous des bataillons sanglants.

Quand ivres de leur sang impur ils ont repeint les champs éventrés par leurs obus,

abominables baisers de chairs broyées, d’os brisés et de cervelles bouillantes.

Que t’ont-ils dit leurs enfants aveugles, ignorants et brutaux, assassins de l’histoire, goules des enfers,

briseurs de rêves, ennemis des tendresses, des sourires arcs-en-ciel, des couleurs épicées, des enfants étoilés.

Quand leurs hordes barbares ont coulé comme jus acides sur les peuples en déshérence.

Toi, petite fille des hommes simples, tu as fermé tes yeux de banquise lointaine aux reflets changeants, tes yeux de ciel irisé, tes yeux purs et durs

comme des billes bleu d’Anvers.

 Ton regard ciel de Delft

n’a pas cillé sous les lames tranchantes de leur haine bleu de Prusse.

Toi petite fille qui a connu le Siècle sauvage.

Dis-moi Blanche, si là-haut les anges duveteux sont aussi magiciens

que tes rêves d’enfant perdue.

Dis-moi donc Blanche si l’espoir t’a retrouvée.

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Dis-moi.

LES JUMEAUX.

Elise Eid le secret des jumeaux 2

Elise Eid. Le secret des jumeaux.

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Le premier poussa le bout de sa tête à sept heures précises le sept juillet mille neuf cent quatre vingt sept. Un chevelu à poils noirs. Il en avait même sur les joues. Surprise la sage-femme se contint, ne pipa mot, accompagna le bébé gluant d’humeurs sanglantes, le récupéra en souplesse quand il émergea complètement du ventre de la femme qui haletait en poussant des petits cris de douleur et de joie. Elle coupa le cordon, enveloppa le nouveau né dans un linge blanc et le déposa dans les bras dodus de l’assistante. Et d’un se dit-elle en s’épongeant le front. Elle encouragea la mère en sueur, lui parla doucement en attendant qu’elle reprenne son souffle. Quelques minutes plus tard les contractions reprirent, de plus en plus proches, intenses, insupportables. Margarita épuisée se remit à souffler, sa bouche en cul de poule sifflait à chacune de ses expirations. L’image d’un coureur cycliste escaladant le Ventoux traversa comme un éclair inopportun l’esprit de la sage-femme, dont le visage luisant aux sourcils froncés penché sur le tunnel béant, s’éclaira d’un sourire proche du rictus quand le second sortit presque d’un coup de l’antre de sa mère. Un bébé plus petit, maigrelet, aux attaches fragiles, un nourrisson chauve à la peau plus plissée qu’une poire tapée. Et voilà, il était quatre heures précises, l’affaire était bouclée. Soulagée elle aussi l’accoucheuse reprit sa respiration et s’essuya le visage. Elle dut s’y prendre à plusieurs reprises pour déterminer le sexe des nourrissons. Sans véritable certitude elle décida que le second était un mâle et le premier, une première. Un mâle chétif et une femelle costaude. Les deux furent essuyés, lavés délicatement, doucement déposés dans les bras de leur mère dont les yeux cernés injectés de sang regardaient en pleurant sa double progéniture toute neuve. Maria et Marco étaient nés.

La petite se jeta sur le sein droit de sa génitrice en pompant goulûment, tandis que le garçon suçotait le sein gauche sans enthousiasme ni beaucoup d’efficacité. Pleine à ras bord, les lèvres dégoulinantes, la petite poussah s’endormit. Le garçon lui pleura comme un chat de gouttière. Les aides soignantes se trompèrent, elles habillèrent de bleu la costaude et de rose le gringalet. Ce qui fit rire tout le monde. Sauf Margarita qui grogna un peu.

Maria ne supportait pas les bébés garçons, elle leur arrachait les cheveux et les griffait. Seul Marco était épargné, elle le serrait à l’étouffer en gazouillant des bulles. Lui devenait rouge, hoquetait, mais se laissait à moitié étrangler en lui lançant des regards énamourés. Il la suivait comme un chiot peureux et cherchait sans cesse sa protection. Quand il la caressait en bredouillant Maria se laissait faire en souriant. Il l’avait en totale vénération. Ils grandirent. Marco évitait les filles, elles le brutalisaient, leurs gestes incontrôlés l’effrayaient, il pleurait, appelait Maria, elle remettait de l’ordre en baffant la mouscaille à tour de bras.

Ils venaient d’avoir trois ans. Maria poussait comme un Saguaro au désert, Marco le malingre lui arrivait à peine au menton. Leur relation était étrange, d’une puissance bien supérieure à celle des jumeaux ordinaires. La parole n’était pas leur fort, mais ils pouvaient passer des heures à se regarder en souriant comme des ravis, dans ces moments ils ne supportaient pas d’être dérangés, Margarita le savait et s’employait à écarter tous ceux qui voulaient s’y risquer. Un après midi, dans le square du jardin public proche de la maison, Marco et Maria s’étaient arrêtés de jouer dans le bac à sable. Assis l’un en face de l’autre, ils ne bougeaient plus, hypnotisés, béats et silencieux ils se dévoraient des yeux. Autour d’eux les enfants couraient, le sable volait, ça criait, ça pleurait, ça courait se réfugier dans les jupes maternelles, quand un petit bonhomme à bille de lutin vint s’asseoir entre les jumeaux. Il ne fit que cela, couper le regard qu’ils partageaient. Fort heureusement Margarita veillait, elle eut juste le temps d’arracher l’enfant aux griffes et aux dents de sa doublette ! Elle s’excusa platement auprès de la maman du bambin qui s’en tira avec le début d’une morsure au bras gauche et une poignée de cheveux arrachés.

A dix ans Maria en faisait bien quinze, elle était grande, forte, taillée comme une haltérophile, elle avait un visage ingrat aux sourcils épais, un nez busqué, des lèvres rouges épaisses, des yeux de charbon, son regard impressionnait les garçons qui l’évitaient, les filles, elles, lui souriaient volontiers, mais elle les rudoyait tant que les pauvres petites, écartelées entre l’attraction que Maria exerçait et la peur qu’elle leur inspirait, finissaient par l’éviter. C’est que Maria avait la main leste et frappait lourdement pour un rien. A l’école personne ne s’en était aperçu, la drôlesse cognait à l’ombre du préau, hors de la vue des autres enfants, et les petites victimes n’osaient pas se plaindre. Seul Marco échappait à ses foudres, il pouvait tout se permettre, elle acceptait sans broncher sa voix aigüe qui hurlait à tout bout de champ, ses chicaneries comme ses reproches incessants. Marco était jaloux de tout, des regards de Maria sur d’autres que lui, et surtout de toutes les filles du monde. Seule Margarita était épargnée et les deux enfants portaient à leur mère, pourtant avare en caresses, un étrange amour, à la limite de la dévotion.

Le père, dont les enfants ne connaissaient pas même le prénom, avait disparu. Sitôt l’insémination terminée, sans avoir pu pénétrer complètement la pucelle qu’il avait chopée entre deux bières et trois pastis, ni même prendre du plaisir, sans le moindre mot l’affaire avait été bâclée. Titubant, il avait alors remonté son bas de jogging et s’était dissout dans la nuit profonde. Un soir de quatorze juillet, un peu saoulée par un demi verre de bière, Margarita s’était faite honorée derrière l’église, comme ça, en deux temps trois mouvements. A vrai dire, elle n’avait qu’entraperçu le visage de son dépuceleur à la casquette vissée sur la tête. L’étreinte fugace du garçon ne lui avait laissé aucun souvenir, sa mémoire avait bafouillé comme si rien n’était jamais advenu. Mais les jumeaux, eux, étaient bien réels ! Cette aventure furtive n’avait en rien aigri le caractère de la jeune fille d’alors qui s’était contentée de bannir les hommes de sa vie. Elle aimait sa doublette et n’aimerait jamais qu’elle.

Marco à genoux dans la poussière de juillet crachait du sang. Devant lui les trois garçons ricanaient, le traitaient de pédé rose, de tafiole de merde, de petite fiote, d’enculé de sa race. Lui ne pleurait pas, la tête basse il attendait. Un coups de pied lui écrasa le ventre, il cria et vomit un jus acide, les autres riaient de plus belle, s’encourageaient, faisaient de grands gestes et l’insultaient plus encore. Allongé maintenant sur le ventre, le visage maculé de terre et de bile, Marco ne bougeait plus pour échapper aux coups. L’un des trois garçons lui arracha ceinture et pantalon, puis les trois le violèrent tour à tour. Il avait seize ans, certes il ondulait en marchant, avait la voix un peu haute mais jamais un garçon ne le troublait. Les filles aussi l’indifféraient. Il ne comprenait pas pourquoi ces trois là s’acharnaient ainsi sur lui qui ne les connaissait même pas avant de les croiser par hasard ce soir sous ce pont. Ses agresseurs finirent par se lasser. Deux crachats plus tard ils n’étaient plus là. Heureusement ils n’avaient pas trouvé son portable qui avait glissé dans l’ombre, loin de lui.

Maria avait déboulé dès qu’elle avait reçu le texto de son frère. Assise dans la poussière elle avait grossièrement nettoyé les plaies de son visage en miaulant et le léchant comme une chatte. Puis elle l’avait porté sur son dos jusque chez eux. Maintenant elle le rassurait. Assise en tailleur sur son lit, elle le tenait, assis de face et contre elle, le serrait, chantonnait à son oreille une mélopée étrange qui ne ressemblait à rien. De ses mains elle lui caressait le dos de haut en bas, il se calmait, elle sentait ses muscles se détendre sous ses doigts, son souffle s’apaisait, son cœur ralentissait. Maria s’appuya contre le mur, Marco s’écrasa contre elle, ils s’endormirent enlacés.

A partir de ce jour, dès la mère assoupie, Marco se glissait discrètement dans la chambre de Maria, se coulait contre son flanc, l’entourait de ses jambes, nichait sa tête dans le creux de son épaule, posait ses mains sur sa poitrine plate et s’endormait en la respirant. Le temps passa, ils ne changèrent rien à leurs habitudes.

Un matin qui ne fut ni beau ni laid ils eurent dix huit ans.

Pour eux le temps semblait arrêté, leur apparence changeait mais c’était comme si, venant de loin et allant nulle part, ils n’étaient pas pressés. C’était comme s’ils savaient confusément qu’ils n’étaient plus loin d’atteindre la plénitude, cet étrange et rare état qui les réunissait et les unissait à la fois.

La grande fille costaude travaillait dans une blanchisserie industrielle où sa force physique et sa résistance faisaient merveille. Elle boulonnait autant qu’elle le pouvait, acceptait toutes les taches, même les plus éreintantes, multipliant les heures. A elle seule elle nourrissait la famille. Marco, de santé fragile, teint pâle, joues creuses et poitrine de poulet, brulait le peu d’énergie dont il disposait à simplement vivre. Maria, née la première, s’était gavée dans le ventre de la mère et n’avait laissé à son jumeau que peu de nourriture et de place, c’est ce que Marco disait à l’oreille de sa sœur, la nuit quand ils ne dormaient pas. Quand il se réveillait le matin ou à minuit, au même moment Maria ouvrait les yeux, et tous deux riaient silencieusement aux larmes. Marco disait aussi qu’ils n’avaient qu’un seul cœur, coupé en deux, et que par chance Maria avait reçu le plus gros bout. Ils en riaient à mourir. Maria se jetait sur son frère et le couvrait de baisers. Le maigriot roucoulait comme une tourterelle heureuse et lui en rendait mille. Il aimait surtout lui mordiller les oreilles tandis que Maria préférait lui sucer les joues au sang. L’autre geignait mais se laissait faire. Alors elle lui léchait le visage, le cou, les bras, le torse, la poitrine et le ventre. Marco lui rendait le plaisir qu’il prenait, mais il préférait mordiller la pointe des seins qu’elle avait plus concaves que convexes, deux seins qui se résumaient à deux gros bouts, deux tétines dont il se régalait sans jamais se lasser. Quand elles étaient au bord du sang, Maria le repoussait doucement.

Le garçon sortait très peu. Etrangement il attirait les ennuis. Certes il avait quelque chose de “féminin”, mais il n’était pas le seul à se vêtir de rose fluo, de fuchsia et autres arcs-en-ciel fulgurants, à onduler comme un lézard. D’autres que lui parlaient haut, jacassaient à tue-tête, s’habillaient comme des filles, pourtant c’était vers lui que les regards se tournaient, vers lui que les insultes fusaient et trop souvent sur lui que les coups s’abattaient, comme si le sort aux yeux de glace s’acharnait sur lui

Une nuit qu’à l’extérieur l’air était glacial, le vent sifflait dans les volets frissonnants, Marco endormi gémissait en claquant des dents. Malgré le sommeil profond dans lequel elle était engluée, Maria, au travers des brouillards de sa conscience amoindrie, l’entendit. Elle ne se réveilla point pour autant mais se mit à chanter. Un chant, une scansion plutôt d’une seule voyelle, le “o”. Sa voix partait d’en bas, du fond de son être, de son ventre, c’était un chant grave qui allait tremblant et qui montait au médium puis redescendait, toujours vibrant, pour repartir au profond et remonter un peu plus haut que précédemment. Une modulation sur un temps court qui culminait sur une note puissante et brève qui retombait brutalement dans les basses. Puis ça recommençait. Ce “o” grave qui balançait et gravissait lentement les tons pour arriver à l’aigu faisait trembler la voix de Maria, et cette vague sonore pénétra Marco jusqu’à l’âme. L’écume du chant le caressa. Et l’âme du garçon reconnu l’âme de celle qui était aujourd’hui sa sœur et qui était sienne aussi. Alors il s’apaisa, son souffle reprit son cours normal, ses membres se détendirent. Maria dormait toujours.

Le Vingt deux Décembre deux mille sept en milieu de nuit, Margarita en plein sommeil s’envola vers les espaces inconnus, les jumeaux depuis peu avaient vingt ans. Ce départ brutal les affecta si fort qu’ils ne pleurèrent pas. Mais il les rapprocha plus encore.

Marco assurait la marche de la maison dans tous les domaines, Maria s’échinait un peu moins au travail. A deux ils se contentaient du minimum, restaient le plus souvent confinés chez eux. Toujours proches l’un de l’autre, toujours en contact physique, une main, un doigt, une épaule, une jambe, un pied, quand ils ne le pouvaient pas pour l’une ou l’autre raison, il fallait bien, au bout de cinq minutes au plus, qu’ils partagent un long regard silencieux. Ils se suffisaient à eux deux, Maria n’avait pas d’amis, à peine échangeait-elle deux mots avec ses collègues de travail, guère plus. L’âge adulte ne l’avait pas embellie, aussi les hommes ne la sollicitaient pas, plus que ça ils l’évitaient, quelque chose en elle les repoussait. Marco le claquemuré se faisait livrer tout ce dont ils avaient besoin à domicile, et du fait des nouvelles commodités numériques, il n’avait plus besoin de mettre le nez dehors. Sa santé en pâtissait, il était blanc comme une hostie, avait un physique de premier communiant souffreteux, limite anorexique, bien qu’il mangeât normalement. Avec ses cheveux de paille sèche, ses yeux aux iris décolorés, sa peau de lait fripé, ses os saillants, il aurait pu faire pitié s’il n’avait eu ce regard intense, d’une puissance telle qu’à trop le regarder on finissait à demi ébloui. Seule Maria pouvait soutenir cette lumière si vive, ses escarbilles noires s’en nourrissaient.

La petite maison avait été vidée de l’inutile, ils avaient tout donné à Emmaüs, les pièces étaient vides, au sol des tapis blancs, quelques coussins gris, aucun souvenir de Margarita, ni meubles, ni bibelots, un lit pour eux deux dans la seule chambre occupée, quelques ustensiles de cuisine, quatre assiettes, quatre verres, quatre couteaux, quatre fourchettes, quelques affaires de toilettes, une seule brosse à dents, une seule serviette de bain … le strict nécessaire. Sparte sur Seine. Outre ce dénuement, ils ne parlaient quasiment plus la langue des hommes, ils avaient la leur, faite de bruits de bouche, de claquements de langue, de rires pouffés, de sons simples, rauques, doux, gutturaux, mais toujours articulés à voix très basse. Une langue soufflée, murmurée, chaque son émis pouvait correspondre à plusieurs minutes de langage humain, une langue, la langue la moins parlée au monde, mais la lumière particulière qui éclairait la pièce quand ils échangeaient semblait appartenir à un ailleurs, bien loin de l’ordinaire bruyant et extraverti des hommes.

Bientôt ils n’allumèrent plus la lumière électrique, pas même le soir, mais des bougies, partout des bougies blanches, au milieu desquelles, perdues, quelques rares cires de couleurs vives rompaient la pureté de l’ensemble.

On pourrait penser qu’ainsi ils survivaient, mais non, ils vivaient pleinement, intensément, comme les deux faces d’une même entité. Au fur et à mesure que les années passaient ils devenaient insécables.

Ce fut la nuit de leurs trente ans, au cœur de l’hiver, un vingt neuf février, que la chose arriva. C’était nuit de pleine lune, l’astre, gibbeux ce soir là, éclaboussait la terre de sa lueur blafarde, les rues des villes étaient ombres totales et lacis de lumière blême, quelques chats éplorés se glissaient dans les jardins, le silence, par instant, était brisé par la violence de leurs combats.

Comme toutes les nuits, les jumeaux dormaient dans les bras l’un de l’autre, Marco dans le cou de sa sœur, les deux jambes à demi repliées enserrant la taille de sa bessonne, bredouillait des bulles de peur, son corps se crispait, tressautait par moment, la peur l’habitait. Maria se mit à psalmodier longuement son mantra habituel, le garçon se calma puis ne bougea plus.

Il ouvrit les yeux pour ne plus les refermer.

Au réveil Maria pleura tout le jour, la nuit suivante elle étendit Marco au milieu des bougies, le dénuda et ne fut aucunement surprise, pendant qu’elle lavait et oignait le corps d’huile parfumée, de constater qu’entre les jambes de son jumeau il n’y avait aucune trace de sexe et d’attributs masculins. Le pubis était lisse, imberbe, la peau était blanche, presque translucide, elle nettoya l’entrejambe du nombril à l’anus qu’elle huila tout autant. Elle sourit, ils étaient identiquement conformés en tous points, tous deux étaient libres.

Maria se déshabilla, se baigna, s’oignit de la même huile odorante, elle ouvrit le cercle des bougies, en rajouta autant qu’elle le put. De part et d’autre de leurs têtes elle disposa deux chandeliers à sept branches. Dans la grande pièce vide, côte à côte, au milieu du cœur éblouissant, au centre de cette clairière de lumière, ils reposaient. Maria prit la main de son jumeau dans la sienne et mourut en souriant à l’instant où elle ferma les yeux.

Le lendemain, dans les décombres calcinés, les pompiers ne découvrirent rien, aucun reste humain, pas la moindre poudre d’os. Les autorités, perplexes, n’ouvrirent pas d’enquête. Plusieurs années durant, le vieux solitaire excentrique de la maison d’en face raconta à qui voulait l’entendre, que tous les vingt neuf février il entendait la nuit un chant étrange, une mélopée grave et douce à pleurer qui l’empêchait de dormir.

C’est un vieux fou, pas bien méchant, qui agace les braves gens du voisinage avec ses histoires idiotes de jumeaux fantômes.

LE POULPE.

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La De et sa salade de poulpe.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Poulpinet, dit maman, reviens vite petit gnome !

La mer est dangereuse, tu vas te faire croquer,

La murène perverse, le mérou grasses lèvres

Te guettent ces voraces et que dire des hommes !

En salade, aux échalotes, c’est parfait

Et en fin de repas, un bon fromage tout frais !

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Poulpinet s’en fout bien il ne pense qu’à nager

A rejoindre Poulpinette cachée dans les rochers

Ils s’amusent comme des fous, ils font les aviateurs

Foncent à tire d’eau avec leurs réacteurs

Les poissons clowns ont peur, les anémones frissonnent

Quand ils voient débouler Poulpot et sa championne !

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La mer est à l’étal, septembre est arrivé

Les derniers vacanciers ne pensent qu’à bronzer

Le sac et le ressac chantent l’été indien

Dans les bars les restos on entend Jo Dassin

Zizounet sur le sable n’en peut plus de dorer

Il ne rêve que d’une chose, de chasser le requin.

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Zizounet le blaireau sous sa combinaison

Souffle comme une forge sous le soleil de plomb

Il agite ses palmes ses mains au bout des bras

Sous son masque embué il tête le tuba

Et regarde tout en bas les reflets animés

Des poulpes virevoltant tentacules enlacés.

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L’enfant n’en revient pas du spectacle qu’il voit

Une salade de poulpe des pommes et des noix

A table ce midi et ce serait bombance

La flèche de son fusil est partie sans un bruit

Les deux poulpots percés par le trait assassin

D’un seul coup sont tombés dans le fond du bassin.

ALLONS PAR QUATRE CHEMINS.

Quand la De fait son Aztèque.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Étrangement ils me sourient, et leurs médailles

Épinglées aux poitrails de leurs destriers –

 Le sang coule sur leurs flancs – battent et se chamaillent.

Tous les fiers chevaliers aux yeux exorbités.

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Allons par quatre chemins qui ne mènent à rien,

Voir si mal ce qui palpite au fond des âmes,

Cueillir les fleurs béantes des jardins disparus,

Boire à la source impure des géants et des nains,

Recommencer – que cela ne cesse – encore,

Toujours, de l’aube au creux des nuits de seiche,

Quand Zemon, apuré, se bat contre les ombres,

Les siennes, les miennes et celles des terres

Foulées, meurtries,par les guêtres et les êtres,

Les quatre chemins des destins, moins que rien.

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Du bien haut des cieux que rien ne retient,

Tombent en grappes molles les âmes en essaim,

Abeilles aux corps légers, vibrations de cristal,

Nul ne voit jamais ; ils ne pensent qu’à dévorer

Les petits hommes outrés, poudrés, enflés, comme

Les blés couchés sous les orages, si violents

Que les femmes accouchent, douleurs des morts-enfants.

Mais au-dessus des colères en épaisses coulées,

Au cœur rouge de la terre, au fond des enfers,

Tout là-haut, près des dieux, des anges et des heureux,

Se rejoignent bien au-delà, seins ennuagés,

Courbes délicieuses, la douceur des peaux,

Les ombres cachées, creux de l’aine, boules de vie,

Lumières voilées des amours tendres dévadorées.

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Amandes douces, le jus coule sur la mousse,

Quartiers tranchés, cols coupés, zeste de rousse,

Tissus au vent, zéphyrs marins, dansent les reins,

Caps venteux, détroits ombreux, foutre de roi,

Là, sur les draps brodés, des corps comme du lait,

Enlacés, emmêlés, serpents, écailles dorées,

Le soleil a passé, de l’aube aux yeux fermés.

–—

Tout est faux qui tranche tout ce qui sonne vrai,

Viens t-en là, toi, et traverse en riant les rais

Des soleils éteints sur nos vies dépassées …

UN SOIR D’ORGIE NOIRE

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Quand La De avance masquée.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Il a couru sur les pierres de couleurs vives,

Il a senti le vent, les feuilles envolées,

Le ciel a déployé ses charmes et ses nuées,

Sur les volcans calmés quelques âmes de givre,

Tournent et voltent, solitaires, dures, ignorées.

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Dans la plaine déserte les blés mûrs sont coupés,

Sur les os décharnés, naguère, rondes les filles,

De leurs regards fuyants aguichaient les garçons,

Elles dansaient légères, et leurs rires en trilles,

Affolaient les pinsons et les merles aux yeux blonds.

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Mais ses pieds sont en sang, à force de traîner,

De Rome à Zanzibar, il a usé ses guêtres,

Accumulé l’avoir, à oublier son être,

Il a connu des reines, des filles et des reîtres,

Il a chanté, violé, s’est repu, a tué.

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Il a connu Antioche, la vraie Jérusalem,

Les cimeterres tranchants, et même Mathusalem,

Les fastes de l’orient, les misères du Népal,

Sardanapale le fou et Gengis aux yeux pâles,

Mais lui manque Daphné et son regard d’eau verte.

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Il est mort mille fois sans même regretter

De l’avoir oubliée. il l’avait éventrée

Un soir d’orgie noire, au bout du désespoir,

D’un coup de dague folle, puis il avait pleuré,

Les ailes repliées, comme un oiseau blessé.

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Il a chassé les buffles, encorné des bisons,

A dévoré les biches, a tué des derviches,

Qui tournaient, ivres, tout blanc, comme des lys coupés,

A prié tous les saints, a fumé du haschisch,

Sur les hauteurs du monde, il a occis Créon.

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Zoroastre, Buddha et Ahura Mazda,

Et tous se sont ligués, ont voulu son trépas.

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Dans les enfers des mondes, pour toujours exilé

Zemon, Gilles et Adolf lui tiennent compagnie

Ils ont les yeux crevés, les entrailles vidées.

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Mais ne souriez pas, un jour il reviendra …

KEBAB GRASTROMONIQUE ET CONSIDÉRATIONS GÉOPOLITIQUES.

Chez mon pote Hamid, kebab de ouf !

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Un must, un incontournable le Kébab de Hamid le Numide. Tellement qu’il vaut mieux lui filer un coup de I-Phone-Samsung-Xpéria-etc si tu veux pas te retrouver dans un trois étoiles à ronger ton frein et pleurer sur tes regrets en dégustant à petit bec de chat une subtilité de 20 grammes de raretés qui fait trois bonnes lignes sur la carte du palace.

Alors allo quoi, Hamid ?

Allo khouya, deux couverts mon frère, tu peux ?

Pas de problème mon frère, pour toi y’a toujours un formica et deux tabourets.

Putain ! Merci khouya, à ce soir inch’Allah.

Hamid khouya nous accueille comme des princes, coca light frais et chips à gogo !!! La salle est juste comme on aime, Hamid c’est le genre tradition-vintage, table en formica bleu, sièges en skaï rouge, sur les murs papier peint années 50, genre formes simples et à aplats géométriques, jaunes , rouges, oranges, blancs et gris. P ! c’est sobre, beau et ça en jette, tu peux éteindre la lumière tu vois quand même. Et des œuvres d’art accrochées un peu partout, une caravane de chameaux dans le désert, un bœuf découpé avec le nom de tous les morceaux, un Don Quichotte fabriqué aves des fourchettes et des cuillères, je connaissais pas ce Don Qui là, Hamid m’a expliqué, y’a aussi des cadres avec des poèmes, enfin c’est varié, il a du goût Hamid. A chaque fois je lis et je relis celui qui au dessus du bar «  Je t’aime plus qu’hier et bien moins que demain », y’a pas à dire, la poésie quand c’est beau, c’est beau ! Ça plaît beaucoup, c’est toujours plein chez lui. Pis y’a sa viande, c’est pas du kebab industriel, c’est de l’agneau, du vrai. En direct du bled, nourri aux noix d’argan, à la main par les vieilles, des agneaux massés au lait de chèvre, ça rigole pas chez Hamid, c’est le meilleur de tous les kebabs. Ah y’a ses frites aussi, il a un filon Hamid, de la patate déclassée de l’île de Ré qu’il a en douce au cul du camion, on ne sait pas par qui ni comment, c’est un discret Hamid. Moi j’dis toujours aux gens, « Chez Hamid », c’est un « must ».

Pour les boissons c’est pareil, t’as le choix Coca, Pepsi, Fanta orange, citron, Ice-Tea, Cacolac pour les enfants, que des boissons mariées kebab sans problème. Mon pote est un grand amateur de boissons longues en bouche, à la finale acide, et là il a été servi. Pis c’était un soir spécial, le lendemain, tout juste engagé, il partait à l’armée. Fallait qu’on fête ça !

Fumante l’assiette. A ras bord, Hamid me soigne. De la bonne viande de kébab, grillée, juteuse, des frites dorées craquantes, grasses comme j’aime. Alors on danse ! Autour de l’assiette, de la bordure au centre, avec les doigts on pique les patates chaudes et la barbaque croquante. Pétés d’huile jusqu’aux jointures, on s’essuie à la nappe de crépon, on rote le coca à chaque bouchée, on est comme des nababs.

On n’en pouvait plus mais Hamid a voulu nous offrir un dessert, c’est un généreux Hamid, quand il aime, il compte pas, mais faut pas refuser, il se vexe vite. Alors on a dit oui. Moi j’aurais bien pris un fruit, genre orange givrée, la glace deux boules maison ou la crème brûlée croquante, mais pas possible, Hamid tenait à nous faire goûter les pâtisseries en direct du bled. Et là, il nous amené sur une assiette garnie d’un fond en papier dentelle, un assortiment de ouf, zlabia dégoulinante de miel, corne de gazelle fourrée pistache, noisette et makroud fourré à la figue. Une tuerie les gâteaux de sa grand-mère !

Et si les pâtisseries, ça graisse la bouche, le coca ça la dégraisse, c’est juste au poil, mais ça énerve aussi, ça décoince les neurones et même que ça rend intelligent. La salle s’est vidée, avec Hamid et mon pote on est restés peinards, on a causé de tout, on a remis le monde en ordre au moins trois fois, c’était au top, on se sentait unis comme trois limaces sur un chou-fleur

On a passé un super moment entre potes la classe, on s’est régalé, on s’est bourré bien la panse jusqu’à ras les molaires, on a repris une canette de coke en causant, on s’est énervé un peu, on a des convictions, refaire l’univers c’est notre truc. Vraiment une bonne bande de potes intelligents qui savent de quoi ils causent et qui aiment se faire une bonne bouffe ensemble. Attention, ça va loin quand on cause !

Il a fallu se quitter, Hamid avait encore du taf, mais on s’est juré de remettre ça très vite, on était tous d’accord, un miracle d’être en phase comme ça, une bande d’amis qui aime bien se taper un bon kebab et bavasser jusqu’au bout de la salive.

Putain de bonne soirée !!!