BACH, OLIVIER ET LA TUNIQUE…

Odilon Redon. Tête de Christ au serpent.

 

Le seize Septembre 1953, sortait aux États Unis le premier film en Cinémascope de l’histoire du Cinéma…

«La Tunique» d’Henry Koster, le Péplum aux deux oscars, révélait au cinéphages le rouge velours de la Tunique du Christ crucifié sur les hauteurs du Golgotha. Deux cent ans plus tôt, Bach composait «La Passion selon Saint Jean» dont le chœur d’entrée rougeoie de toutes les douleurs échues, actuelles et à venir de l’Humanité en folie. Dans un abandon d’une profonde humilité, «Le Fils fait Homme» brûle tous les pêchés du Monde, expiant, comble de l’amour, les noirceurs humaines en se sacrifiant sur la Croix après avoir retiré ses actifs de cette p**** de banque Irlandaise, que Pierre qui finira Saint, lui avait conseillée. Vingt sept ans après «La Tunique», Lennon John mourrait, assassiné par un de ces ordinaires abrutis idolâtres qui traînent leurs navrantes impersonnalités au pied des podiums scintillants. Depuis lors, l’«Imagine» de l’utopiste myope s’est délité, les rêves de paix, de fraternité et autres foutaises, déclenchent de très saines crises de fou-rires, dans les corbeilles fleuries des bourses débordantes de vanité. Les nouveaux maîtres du monde sont d’habiles proctologues, aux longs doigts huilés.

La jeune femme, à l’entrée du cinéma, lui sourit, d’un de ces sourires dont la puberté fatale prive les hommes. Le meilleur de la femme se conjugue au temps de l’enfance. Le petit se faufile, musaraigne agile, frôlant pieds et jambes, le nez sur le nombril des spectateurs qui sagement font la queue, en rangs bien alignés. Dès qu’il aperçoit la dame, sa fée dominicale, rassuré, il plisse du nez – il sait qu’elle aime ça – découvrant une double rangée de dents folles, plantées en foule, trop grandes pour sa bouche d’enfant. Collé aux jambes gainées de nylon, il en caresse machinalement la surface fine, tendre et rêche à la fois, tandis que l’autre main agrippée aux hanches rondes de l’ouvreuse, il attend – traversé par une émotion douce qu’il ne comprend pas encore – d’être poussé, d’une tape tendre dans le dos, au cœur des ténèbres délicieuses de la salle. Sa place habituelle est souvent libre, au milieu du premier rang. Comme une petite souris agile, il grimpe sur la tranche du siège et ne bouge plus, les bras croisés comme à l’école. La salle, pleine comme œuf, de Pâques à Trinité, caquète, gazouille, en croches aigües, rassurantes et cacophoniques. Les rires perlés des femmes roulent en triolets cristallins sur le chœur de basse continue, que tiennent sans faillir les feutres gris anthracite, qui coiffent alors les hommes endimanchés. La tête levée, l’enfant peine à embrasser toute la largeur immaculée de l’écran qui palpite, opalescent, comme l’œil du merlan mort que maman fait trembler au coin de la cuisinière, dans l’eau écumante d’une casserole frémissante. Le soir, au fond du lit qu’il marque à peine de son poids d’oiseau fragile, il ferme les yeux, attendant que l’arc-en-ciel des couleurs mouvantes de ses souvenirs de l’après midi, surgisse de la pulpe lumineuse et fragile qui blanchit le revers de ses paupières closes. Les peurs immondes, les monstres gluants disparaissent alors, d’un coup, dans l’obscurité épaisse de la chambre tiède. Errol Flynn, l’éternel flibustier, ferraille avec Tyrone Power le Zorro de tous les Zorro. De belles femmes éplorées dont les peaux translucides palpitent sur la nacre de l’écran, se lamentent en les regardant. Toutes ont la main sur la bouche et les yeux remplis de larmes épaisses qui coulent en vagues chaudes.

Sans s’en douter, il découvre la jubilation qui est au bonheur ce que la fellation est à l’amour. Là-bas, dans le lointain inaccessible et proche, une femme qui n’est pas encore née, insouciante, passe à côté de sa vie.

Le dimanche à l’église, dans sa culotte courte de velours, il se pique aux épines du martyrisé d’ivoire qui saigne, hiératique, sur sa croix de faux bois. Marie, la Mère Céleste en robe bleue, Bernadette sous sa cape de bure châtaigne, et toutes les Saintes avec elles, s’animent, pour se mêler derrière l’Autel au combat des Pirates et des Indiens.

Plus tard, bien tard, il découvrira, expérience funeste, la passion dont il mourra.

De la même étrange façon, aux premières notes de Bach, l’Autel, le Grand Souffrant et sa cohorte d’Élues, l’écran, Errol, Tyrone et ses sbires, toutes ses peurs mystiques, comme tous ses ravissements de pellicule, courent en sarabande fantasque sur l’écran vif de sa mémoire dès qu’il ferme les yeux pendant la messe.

Étrangement cela revient quand dans la transparence de son verre, il retrouve la pourpre de la Tunique, cette couleur Bourgogne du cinémascope de son enfance.

Pour ce Mas Jullien 2002, la tunique inonde la robe de sa pourpre, chaude, veloutée, lumineuse. Les seuls et uniques Languedoc de ce millésime, je les avais dégustés – hors le Mas – en compagnie d’une doublette infernale, au pied du Pic Saint Loup. Abominable souvenir vert. Hic et nunc, en revanche, le nez, déjà, et c’est beaucoup, part dans les tours, dès qu’il se penche. Des effluves en profusion, fondues, qui donnent une impression d’apogée du vin. Il est là, accompli, et se donne. Une première note, goudronnée, ouvre le bal odorant. Ensuite, la cerise mûre, le thym, le ciste, la réglisse, apparaissent généreusement. En élégance. La garrigue est magnifiée par le fruit. Un nez de velours! Que le Languedoc peut, quand il est conduit par Olivier Jullien, être beau, subtil, racé. Deux jours de carafe ne l’épuisent pas. Stable, c’est le mot, avec beaucoup de classe. Une impression lactée à l’attaque qui laisse place au cassis puis à la myrtille et sa pointe d’acidité. À la messe des sens, le corps du vin transparaît au travers d’une matière conséquente, construite sur une foultitude de petits tanins réglissés et crayeux. Le vin s’étale, s’installe, et nul ne s’en plaindrait. La finale est à la hauteur. Longue, elle s’épuise lentement, en douceur et fraîcheur.

Je me dis alors, que sur un grand millésime du Mas, Jésus me serait apparu, en culotte de velours bien sûr, et Bach aurait déchaîné sa passion, loin, là-bas, dans mon cœur d’enfant…

«Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard, ni patience». René Char.

 

EITEMOMITISSAESTCONE.

Trackbacks Commentaires
  • Superbe évocation de l’enfance !
    Finalement le vin, c’est ta madeleine 😉
    François

  • Bruno dit :

    Christian,
    Hier, en hommage à John Lennon, je me suis fait un petite plaisir, un Calcados millésime 1986 de chez Busnel. Un retour aux sources vers ma Normandie natale pour fêter ce tragique événement (à l’époque où j’étais encore jeune)

    Bruno

  • Bruno,
    tu as un peu forcé sur le Calcados, non???

    François,
    je ne suis ni Marcel, ni Gustave, ni Louis-Ferdinand ni, ni, mais un très obscur anonyme, noyé dans les soies emmélées de la toile.
    Le vin n’est donc pas ma madeleine, mais peut-être ma Marie-Madeleine…

  • Michel dit :

    Tu n’as pas oublié la virée avec les (faux)jumeaux qui ont tout fait pour te noircir la journée.
    Ne suis pas sûr qu’ils te lisent tout les jours????
    Mais tu ne leur en veux pas!!!
    Amicalement.
    PS. Je vais appeler mon voisin, celui qui habite de l’autre coté du lac, il va bien réagir.

  • Le Châ dit :

    La tronche du ChrisB pendant la dégust des Languedoc 2002 chez Pélusse! J’en ris encore… Pour essayer de se l’imaginer, il faut se demander ce que pourrait être la tête d’un nouveau né à qui l’on ferait découvrir l’acre, l’amer et l’acide en deux heures chrono, alors qu’il n’a envie que de lait sucré et du sein rond et mou de sa mère.

    Ceci dit, on ne peut pas lui donner du Morgon VV 2003 Bouland à chaque fois, sinon, il s’attacherait vite. On sait comment c’est à c’t’âge là…

    (là je vais me faire engueuler… 🙂

  • Bouland VV, Corcelette, chiroubles, Brouilly…quel que soit le millésime, c’est toujours de la soie de vin qui caresse une matière charnue, vivante, comme un oiseau sous ses plumes.
    Un oiseau que tu n’auras pas, sale grippe-menu!
    Ceci dit, ravi d’avoir l’honnuer de quelques mots griffus mais, pour une fois, pas trop confus…
    La bise à Madame et à ta maitresse rousse!

  • Michel dit :

    “Le Châ est de retour”, très heureux!!!
    ça fait tout drôle de voir Nicolas avec son ancien pseudo.
    Les amis ça ne s’oublie pas.

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