Littinéraires viniques

ADHUGHMAS et DJÉDJIGA.

Extrait d' une sŽrie de portraits, Timia, Niger, 2001.

Photographie de J. L. Gonterre.

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Le soleil à son plein zénith était si chaud, que le sable pleurait, que le porphyre suintait, que le basalte craquait.

Les pans de la vaste tente de peaux cousues bruissaient sous le vent, qui soufflait tout là-haut sur l’Atakor du Hoggar. Le soir, à l’instant ou le soleil, plus rouge que les grenades des oasis lointaines, disparaissait, lentement dévoré par les mâchoires des chacals affamés, le froid tombait comme une guillotine sur le cou d’un oiseau. Et le gel terrible de la nuit de pure obsidienne constellée d’étoiles, si nombreuses qu’elles contestaient les puissances nocturnes, succédait à l’éclatante lumière brûlante de la journée.

Alors Djédjiga rabattait les peaux et les fixait au sol. La tente était doublée de toiles épaisses, protectrices, de grandes lattes de bois, assemblées et serrées, tenaient lieu de mur bas, dans lequel une ouverture ménagée faisait office d’entrée, close la nuit par l’auvent de cuir replié qui assurait une parfaite étanchéité. Elle s’était assise en tailleur près du foyer, s’affairait à cuire des galettes de taguella – le pain targui. La chorba, la soupe épaisse de légumes et de viande de chèvre, mijotait depuis le matin. La lumière du feu central et des bougies de suif grossier disposées au pied des cloisons de bois, se reflétait sur la toile du toit comme sur les tapis laineux qui recouvraient le sol, ces lueurs rouges repoussaient l’ombre aux limites de l’espace de vie. Au-delà de la poutre d’acacia qui partageait la tente en deux, la partie consacrée au repos de la famille et des invités, protégée par une paroi de tissus épais, était plongée dans l’obscurité totale. La jeune targuia aimait cette lumière tremblante, chaude et rassurante.

Elle avait épousé Afalku, le fils de son oncle voici peu. Elle l’avait choisi parmi les autres prétendants déclarés de la tribu, personne n’avait discuté. Monté sur son méhari blanc, Afalku, au visage de rapace, était parti à la tête d’une caravane lourdement chargée jusqu’au Tassili, loin au Nord Est. Cela faisait des semaines. Tous deux étaient des Imajaghans de haute extraction, des âmes nobles et libres, leur tribu d’origine se trouvait au sommet de la hiérarchie Touarègue.

La jeune femme psalmodiait un chant ancien en pétrissant la pâte, alternant notes graves et longues, ornementées d’aiguës brèves, un chant qui célébrait les vertus de Hin Hanan, “celle qui se déplace”, la Mère des origines, la Fondatrice de la Légende. Ses mains aux longs doigts agiles s’enfonçaient dans la chair molle qui fleurait bon la farine, elle l’écrasait entre ses paumes, la pâte, entre ses doigts fuselés, coulait en longs filaments qui se tordaient. Puis elle frottait ses mains l’une contre l’autre, dégageait ses doigts des reliefs de pommade collante qu’elle aspergeait de farine sèche, observait méticuleusement ses paumées noires de henné, avant de les replonger dans la soie de blé immaculée, pour reprendre son pétrissage. Et cela jusqu’à ce que la consistance de la taguella la satisfasse pleinement. Toute à sa tache voluptueuse, elle bourdonnait son cantabile, s’arrêtant parfois pour soupirer de plaisir. Elle écrasait ensuite sur une pierre plate les boules de pâte, pour en faire des galettes rondes, puis les posait au bord du feu pour qu’elles blondissent lentement. Une odeur de pain cuit, de grillé, d’épices chaudes, de légumes et de viande fondante, flottait dans l’air, des bulles, qui crevaient à la surface de la soupe en faisant de petits bruit gras, s’échappaient des parfums chauds de coriandre et de cumin qui relevaient tous les autres.

Djédjiga se rinça les mains dans une bassine. Trois gouttes d’eau lui suffirent. Elle se leva, et, les mains sur les hanches qu’elle avait évasées, se cambra pour se désengourdir. Ce jour-là elle était vêtue d’un melhfa rouge d’Andrinople, un grand voile qui s’enroulait autour de son corps élancé en masquant ses formes. Ses longs cheveux très noirs étaient drapés dans un foulard couleur ocre ambré, un tissu léger, presque arachnéen, qui semblait danser au moindre mouvement. Ses yeux noirs, légèrement allongés, soulignés par un trait de khôl fin, brillaient sous leurs cils épais et recourbés, contrastant avec sa peau claire. Elle avait le nez aquilin, des narines étroites, des lèvres charnues couleur de sang séché. L’ivoire blanc de ses dents régulières, qui filtrait entre ses lèvres entrouvertes, éclairait sa physionomie. Djédjiga, mince et grande, se tenait droite, les épaules dégagées, la poitrine fière, la tête qu’elle portait haute lui donnait un air racé, presque intimidant, d’autant que son regard droit ne cillait pas.

La tempête ne faiblissait pas, le vent de sable violent giflait hommes et animaux. Les targuis baissaient la tête, ils avançaient courbés, le chèche remonté, serré au ras de leurs yeux qui clignotaient, pour échapper aux morsures des grains de silice, gifles acides, qui les maquillaient de blanc comme les prostituées de Tamanrasset. De grosses larmes sableuses coulaient sous leurs turbans, s’en allaient mourir de soif sous les larges plis des gandouras qui claquaient séchement comme des bannières. Afalku surveillait comme il le pouvait les dromadaires en file indienne. Les hommes avaient mit pied à terre, mais les bêtes au port hiératique affichaient leur morgue habituelle, continuant de suivre la piste comme si de rien n’était. Tout à l’arrière de la caravane, au cul du dernier dromadaire, Adhughmas peinait à suivre. Autant Afalku dégageait une impression de puissance, d’élégance, de force maîtrisée, sa haute taille, sa silhouette harmonieusement proportionnée, sa démarche souple et son pas élastique avaient séduit bien des targuias, effrayé bien des guerriers parmi les plus valeureux, autant Adhughmas, son allure sans grâce, son corps souffreteux, son air fuyant, ses épaules étroites et ses joues creuses, donnaient une impression de servilité fausse, tant il exagérait son attitude. Mais face au chergui, il est vrai qu’il n’avait pas à se forcer, à simuler, il était bien trop léger pour faire face.

Le désert but le soleil. Ils s’arrêtèrent à l’abri d’un éboulis de rochers couleur cacao grillé, de grosses pierres rondes, érodées par les âges, les vents, fracturées par les combats incessants entre le soleil de feu et la lune de glace. Les dromadaires formaient un cercle. Les hommes, adossés aux flancs chauds des bêtes, préparèrent les trois thés traditionnels et se restaurèrent. Le ciel lacté d’étoiles brillantes, la lune à demi pleine, éclairaient le campement autant qu’un petit matin. Ils burent le thé chaud accompagné de taguellas et de dattes onctueuses. Au deuxième thé, le thé fort, celui de l’amour, l’un des targuis se mit à gringotter une complainte lancinante. L’homme, d’une voix grave, le regard vague, s’accompagnait à l’Imzad, un instrument monocorde dont les notes répétitives scandaient la mélopée. Cela faisait deux mois qu’ils avaient quitté leurs campements, alors ce chant, mélancolique et obsédant, accentuait encore leur tristesse. Mais demain, ils retrouveraient enfin leurs familles.

Afalku, les yeux mi-clos, semblait perdu dans ses pensées. Certes, il avait hâte de retrouver Djédjiga, sa peau douce, ses lèvres tendres et les secrets de ses vallées ombreuses. Le visage de sa jeune épouse, comme les braises rouges du feu mourant, palpitait sous ses paupières, pourtant une inquiétude qu’il ne s’expliquait pas le submergeait par instant. Quand l’un de ses chameliers, prit d’une fièvre aussi foudroyante qu’inexplicable, était mort en l’espace d’une nuit, alors que la caravane venait d’arriver à Djanet, ville principale du Tassili des Adjers, terme de leur voyage aller, il avait bien fallu que Afalku le remplace. Ce n’est qu’au bout de trois jours de palabres serrés, tandis que les chameliers préparaient le chargement du retour, qu’un targui, un Kel Ajjer d’une tribu d’Imrad, accepta son marché. Adhughmas et ses manières de vassal obséquieux, d’emblée, ne lui plurent pas, mais il avait besoin de lui pour le retour. Depuis lors Afalku, inquiet, le surveillait. Il tourna légèrement la tête, ses yeux rencontrèrent le regard de l’homme installé, un peu en retrait, du cercle des chameliers. Il n’eut pas le temps d’y lire quoi que ce soit, Adhughmas avait aussitôt baissé la tête sur son thé. Puis tous les hommes, dont les corps se balançaient en mesure, accompagnèrent à voix basse le musicien. Dans le silence sidéral du désert, leur chant traversait les espaces. Blotti au creux de l’amas de pierre, un fennec aux yeux de pierres précieuses, invisible, les observait. Envoûté par le chant mélodieux des hommes, il posa son museau pointu entre ses pattes et ferma les yeux. Une étoile, plus étincelante que les autres clignota le temps d’un battement de cils.

Le lendemain, à la mi-journée, ils touchèrent au but, hommes et dromadaires s’égayèrent vers leurs tentes proches. Les lois de l’hospitalité sont incontournables chez les Touaregs, Afalku invita Adhughmas sous sa khayma et le logea dans une cellule du fond, séparée de la sienne par deux autres chambres de toile. Djédjiga eut un imperceptible mouvement de recul quand l’homme lui fut présenté, mais elle ne montra rien, son visage afficha un demi sourire, elle se comporta comme l’Imajaghan qu’elle était, le traitant avec la distance courtoise qu’il convenait d’adopter, en face d’un targui de noblesse inférieure. Le soir les dromadaires, soulagés de leurs charges de semoule, de sel, de tissus, de sucre et de thé, avait regagné le troupeau. Afalku et Djédjiga partagèrent le repas avec leur invité en échangeant des politesses de circonstance.

Adhughmas ne dormait pas, les soupirs assourdis de ses hôtes, le chuintement de leurs étreintes, le bruit des tissus froissés, lui mettaient les nerfs à vif et les chairs au martyr. La beauté hautaine de cette femme splendide l’avait subjugué au premier regard, l’indifférence qu’elle manifestait à son égard exacerbait le désir qui lui mangeait les reins, dès le soir venu, dès qu’il se glissait dans sa chambre de toile. Cela dura des nuits, le jour brûlant il ne disait mot, vaquait toute la journée, traînait à ne rien faire dans la montagne, attendant, avec une impatience qui allait grandissante, la mort inexorable du soleil. Alors le froid tombait d’un coup. Le repas expédié, sous sa couverture de laine odorante, il était aux aguets, se repaissant de ses imaginations voluptueuses.

Un mois avait passé. Dans quelques jours la caravane repartirait pour un nouveau voyage, Adhughmas regagnerait définitivement sa solitude du Tassili. Cette nuit là, la lune ne s’était pas montrée, l’obscurité était totale sous la tente. On pouvait distinguer, mais à peine, la très faible lueur d’une bougie grasse dans la chambre des époux. Du moins Adhughmas percevait-il au travers des toiles une vague lueur grisâtre. A la pensée du départ proche, il fut pris d’une tristesse profonde, qui se transforma, les heures passant, en une colère sourde qui finit par le submerger. Alors il rampa dans l’obscurité, traversa les chambres inoccupées, se figea derrière la dernière toile qui le séparait du couple. Les moindres frôlements étaient perceptibles, il imaginait leurs mains caressantes, il entendait leurs chuchotements, leurs gloussements complices, il sentait leur parfum, le bruit mouillé de leurs baisers, les râles sourds venus du fond des ventres, qu’ils retenaient comme ils pouvaient. Adhughmas déplaça légèrement un coin du tissu, et ce qu’il vit le rendit fou.

Djédjiga, assise sur le ventre de Afalku, ondulait lentement, ses seins lourds, opulents et tremblants, brillaient comme deux lunes pleines sous la lumière vacillante de la bougie. Les deux amants se tenaient par les mains en se souriant. Le torse en sueur de Aflaku était tendu, ses reins cambrés faisaient ressortir les muscles saillants de son ventre plat, il soulevait sans effort la cavalière dont les reins accélérèrent d’un coup la cadence. Ils se mirent ensemble au galop en fermant les yeux.

Le poignard jaillit au moment où l’homme jouissait, le sang de la gorge tranchée éclaboussa le ventre de la jeune femme. Afalku avait ouvert les yeux, il mourut sans revoir le visage de sa femme. Djédjiga ne bougeait plus, le poignard de Adhughmas lui piquait la gorge, de sa main libre il se mit à lui malaxer durement les seins en bavant à moitié. Son regard de dément la décida. De rage, elle saisit le poignet de l’homme, le maudit en hurlant sa douleur, puis, tirant de toutes ses forces, elle se trancha la carotide sur la lame. Le sang gicla sur le visage épouvanté du targui.

Des siècles ont passé. Parfois dans la nuit du désert, on peut entendre gémir les fennecs, quand un hurlement atroce, venu de nulle part, porté par un vent maudit, laisse sa trace sombre sur le sable clair.

BRET BROTHERS MÂCON-CRUZILLE 2015.

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Le troisième larron de la trilogie Villages, le Cruzille de chez Macôn.
A noter au passage qu’à une consonne près, ce vin aurait pu faire le bonheur des banquets électoraux du banquier repenti. Voire même régaler ses pires adversaires qui ne crachent jamais sur ce, qu’au passage, ils peuvent prendre.
Or donc comme j’aime à dire, une robe de cuirasse de centurion, or laquée de bronze, d’une parfaite brillance, au coeur de laquelle palpite un coin de ce ciel gris second tour des présidentielles que je vois de ma fenêtre.
Pour les hardeurs ordinaires du vin, des chais et des éprouvettes, tout ce qui précède n’est que baratin inutile, élucubrations d’allumé du hanap, ce que je confesse volontiers.
Ceci humblement confessé, les yeux fermés, je hume le jus de l’enfant de la grume, un jus de vieille (entre 50 et 80 balais), pas tout à fait un demi hectare de vieilles lambrusques sur argilo-calcaires. Un jus qui lâche du fruit, puis du fruit, puis encore du fruit. J’en salive immédiatement un peu comme quand …
Dire aussi que la pêche mûre se pare d’épices qui lui font cortège odorant et l’exalte, et d’ailleurs rien ne vaut, en d’autres circonstances aussi, une belle pêche exaltée à souhait ….
Ceci dit bis, la pêche est jeunette et ne se donne qu’avec une retenue de bon aloi, comme il se doit pour une presque pucelle de bonne famille. Je gage qu’apès un an ou deux, ayant acquis quelque expérience, elle sera d’olfaction plus intense.
Mais quid du gosier ? Ce vin de jeunesse m’attaque franchement la papille et son acidité mûre me la met derechef (si j’ose dire) en érection. Une matière conséquente me remplit le gosier qui ne demande que ça. A rouler sur la langue, elle enfle et déverse à terme une pêche légèrement agrumée au zeste de citron, puis la pelure du pamplemousse se joint à l’orgueil de Menton, et juste ce qu’il faut d’amertume, gage d’un veillissement nécessaire, me reste au palais après que le vin gourmand a passé la glotte. Lui succèdent enfin, et bien après car la jeunette est longue à faiblir, un peu du sel de la terre et l’idée que le calcaire serait monté jusqu’à ma bouche.
Ceci dit ter, c’est déjà foutrement très bon !

CLOS DE SARCONE 2015.

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Un vin que l’on dit “confidentiel” !!

Oui encore une de ces expression à la mode de chez marketing approximatif à la con, employé à tort et à travers. Est confidentiel “ce qui a le caractère intime et personnel de la relation affective” ou ce qui est “privé, secret” etc …”
Tout simplement un petit domaine en fait, autour de 5 ha. S’il s’était agit de la région Bordelaise, alors là le marketing” j’te vends du vent” aurait parlé de “vin de garage” (ou comment inventer une expression prestigieuse avec un mot qui sent la tôle rouillée et l’huile de vidange !), autre baraguoin à la mode de chez snob, histoire de pouvoir vendre très cher des vins qui sont assez rarement à la hauteur des prix pratiqués. Mais comme dit l’autre, ça se vend … donc ferme ta gueule et bois de l’eau 😀
Or donc, quelques vignes autour de Poggiale, non loin de l’aéroport de Figari, sur le caillou fleuri égaré sur les flots bleus de la Méditerranée. En AOC Vin de Corse, because n’est pas dans l’aire couverte par l’appelation Figari.
Mais ils s’en foutent et on s’en fout !!


Une robe cardinalice, brillante comme un écu neuf, de grenat et de rubis mêlés; les jambes qui roulent sur la paroi du verre dessinent un aqueduc approximatif qui augure d’un vin suffisament gras pour bien glisser en bouche.
La cerise mûre à peau croquante domine au nez, mariée aux épices du sud, du genre “il fait chaud, promenons nous dans le maquiiiis !” d’où ressort le poivre noir, un bouquet complexe en fait que les décortiqueurs, les oenologues tourmentés et les sommeliers pétaradants, dépiauteront bien mieux que moi.
Les grappes arrachés aux sangliers amateurs de raisin sont mûres, en bouche puissance et élégance s’équilibrent et la fraîcheur des vents marins qui fouettent les vignes de Sciaccarellu, Niellucciu et Vermentinu se retrouvent au palais. C’est dire que la matière est là, qu’elle prend la place qui lui convient et qu’elle ne la cède qu’à regret. Après que fraicheur a tempéré la puissance du jus, les tannins, petits, perceptibles mais enrobés, jeunesse oblige, laissent longuement en bouche le voile que parfois le vent salé met à l’azur de l’Île …

UN COLIBRI.

 

Le vol du Diable par La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Plus rapide qu’un trait, il file dans l’azur,

Le soleil abricot, sur ses plumes électriques,

Moire ses ailes bleues de lueurs maléfiques,

Cet oiseau minuscule au regard noir et dur,

Son habit d’arlequin cache un esprit malin,

Un démon infernal habillé de satin.

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Il pique dans les fleurs son très long bec pointu,

Et vide les berceaux de leur pollen charnu,

Leurs corolles s’étiolent et s’affaissent flapies,

Vidées de leurs âmes par l’affreux colibri.

Comme un diable énervé il apparaît soudain,

Et les roses frissonnent aux massifs des jardins.

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Les coccinelles jaunes en rougissent de peur,

Même les hannetons aux corps de bakélite,

Comme les sauterelles, sortent de leur torpeur,

Les insectes se cachent quand survient le tueur

Les papillons se terrent, leurs ailes se replient.

L’insigne volatile inspire la terreur.

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Le petit roi des airs se rengorge, fait le fier,

L’arrogant cynanthus est le dieu des enfers,

Rien ne l’arrête plus, de sa gorge rubis

Sort un chant ridicule, un pauvre gazouillis,

Il fonce aux quatre coins pour finir prisonnier,

Du grand piège parfait tendu par l’araignée.

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Dans le coin de sa toile, affutant ses longs crocs,

L’épeire au ventre blanc va sucer le moineau.

AVIVA, MICKAEL, LA LUNE ET LE DRAGON …

Brueghel. Griet la folle.

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Texte Christian Bétourné – ©Tous droits réservés.

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Éclaircie dans le ciel obscur d’une nuit épaisse …

Le ciel de pulpe, humide des pluies du jour, s’entrouvre un instant sur la lune d’hiver, pâlotte à achever un mourant. La lumière blême de l’astre redonne relief, épaisseur, semblant de vie à cette nuit étale, linéaire et humide. Un œil au ciel s’est ouvert … Le Dragon veille. Silencieux. Le coton gris des nuées de passage voile par instant son regard cru. Le feu méphitique de la terre, prisonnier des ténèbres, s’est envolé et plane dans la nuit brune, invisible au grand jour de nos yeux aveugles. Fidèle à son étymologie, δέρκομαι surveille et observe de son regard perçant les aveugles immodestes qui courent et s’agitent, bavardent et butinent, sur le sol ravagé des continents incontinents, insouciants et bravaches …

Sur les pavés luisants Aviva claudique …

Elle chemine péniblement, sa jambe meurtrie est douloureuse et l’orbite lunaire du Dragon l’effraie. La route est longue, elle n’en voit pas le bout. Les nuages déchirés par le vent n’en finissent pas de jouer avec la lune. L’œil se voile, elle s’apaise; dès qu’il réapparaît, elle le sent, aigu, qui la perce, comme l’aiguille la chair. Alors elle prie l’Archange invisible, encore et encore. Spasmodiquement ses lèvres balbutient ses craintes, supplient le ciel muet de la protéger de ce globe maléfique qui l’obsède. Ces changements de rythme l’essoufflent, la font haleter. Ses poumons que le tabac ronge chuintent comme soufflet de forge. Seule sa cheville brûlante lui rappelle qu’il lui faut malgré tout se hâter. Elle ignore ce qu’elle cherche, elle ne sait où elle va, mais tête basse et cœur battant elle fonce dans cette nuit de charbon.

Le silence est de ouate moite autour d’elle. Il ne pleut pas, mais l’air saturé détord ses boucles brunes, lâche ses eaux froides au contact de son cou qui peine à les réchauffer. Là haut, tout là-haut, la Tarasque continue de feuler sa lave incandescente que seule Aviva perçoit …

Elle ne sait pas que la Bête se contrefout d’elle, comme des larves absurdes calfeutrées dans leurs cocons ridicules, ces homoncules égotiques qui regardent le ciel du haut de leur pathétique vanité, qui s’entre-déchirent pour de médiocres avantages, qui laissent crever leur frères et banquètent comme des gorets. Au contraire, le Dragon aime ça et insidieusement, l’encourage même ! C’est ainsi, en faveur des dissensions ordinaires et constantes, qu’il s’est coulé hors des entrailles de la terre pour gagner les cieux du pouvoir, attendant patiemment, pour étendre ses ailes sur le monde, contraindre ces êtres méprisables à s’agenouiller devant lui sans même qu’ils le sachent. Les consumer du feu de l’avidité, leur tordre les tripes des aigreurs de la rapacité, pour mieux les dépouiller. Le temps de l’hallali est proche. Bien au secret des nuages, il apparaît la nuit, dans l’ombre des nébuleuses, au fil des vents déchirants.

Assis, le cul serré sur son tas d’or grossissant, en perpétuel orgasme.

Au même endroit, mais dans une indicible vibration, l’Archange ne dit mot, ne bronche pas, immobile. Certes, Mickaël se jouerait, d’un seul regard flamboyant de la bestiole sur-gonflée de fatuité, mais il préfère laisser les hommes se dépêtrer et brader leur liberté pour quelques chimères. Le temps pour lui n’existe pas. Les prières d’Aviva, les plaintes des affamés, des suppliciés, tous les bruits des désordres du monde, l’habitent. Du vacarme assourdissant il ne retient pour l’heure que les prières de la femmelette. Il connaît le grand poids du Karma qui l’écrase et mesure parfaitement son courage, sa hargne et ses limites. Comme tant d’autres il l’a suivie, épaulée, depuis les origines quand elle n’était encore qu’une parcelle fragile tirée du grand TOUT et lancée, au sein d’un essaim de ses sœurs, dans l’aventure des vies successives. Elle a, depuis, fait du chemin sur le chemin, tombant et se relevant mille fois. Sombrant dans la lie, chevauchant la grâce, traversant les plaines grises des vies sans goût, elle est proche du but, de la délivrance ultime, de la sortie du Samsāra. Comme toutes les âmes de haute spiritualité atteinte, elle a surchargé ses dernières vies pour épuiser son Karma. Le dragon la guette, attend qu’elle s’épuise, fléchisse, pour mieux l’achever, la dévorer et débarrasser la terre d’un grain de sa lumière.

Alors l’Archange des Équilibres, Mickaël, s’est à peine penché. Du bout de son aile vive, multicolore et invisible aux regards voilés par la dictature de l’avoir, il l’a frôlée. Au très bas des mondes vibratoires, dans la matière si lourde à porter, Aviva a senti ses forces revenir, son esprit s’ébrouer, son corps se raffermir, sa cheville se redresser. Elle a prié, et plus, portée par sa foi simple. Du fond de sa conscience émoussée, à l’insu de son ego, son âme s’est illuminée. Elle s’est mise à briller, à briller plus encore, à irradier jusqu’au confins des terres alentours, la lumière invisible qui gouverne les mondes, soulageant au passage des millions de douleurs … pour un temps. L’œil du démon s’est agrandit, la lune s’est faite gibbeuse, les brumes se sont délitées comme sucre dans l’eau, les étoiles pures ont jailli pour habiller les cieux de diamants palpitants, la terre a vibré comme peau sous caresse aimante. De derrière l’horizon, comme une balle, de l’eau noire de la nuit, le soleil a giclé. Ses rayons, oiseaux de bonheur, ont fondu sur la terre. Les pinceaux d’un impressionniste prodigieux ont rallumé les couleurs. Vert, bleu, jaune, rouge, pastels et nuances ont écaillé les paysages de leurs touches de vie. Mangé par le jour, ainsi que paille par le feu, le Démon s’est fondu dans les limbes. Pour un temps. Continuant son œuvre lente, au secret.

L’égrégore puissant poursuit lentement son expansion sur le monde.

Aviva a refermé sa porte, s’est dépouillée de ses vêtements trempés. L’aube laisse place au soleil opalescent de cet hiver étrangement tiède, qui voit pourtant les glaces de l’effroi sidérer les Nations agenouillées devant les puissances envahissantes de la Phynance implacable. Aviva frissonne, ses dents de porcelaine claquent, à peine plus blanches que son visage ivoirin, exsangue autour de ses narines pincées. Enroulée dans une boule de laine, après un verre de lait chaud, elle s’endort. L’Archange la contemple et sourit. Jamais, même aux temps les plus reculés, on a vu Archange triste … Chaque sourire sur un visage humain est ainsi irruption furtive de la félicité aux royaumes des hommes. Les heures filent au cadran de l’horloge tandis qu’au fond du cocon rose de son alanguissement Aviva repose. La faim et la soif la réveillent quand la nuit de sépia est installée et que pointe le jais brillant des ténèbres. Par la fenêtre close, derrière les rideaux de lin translucide, la pleine lune écarquille son œil cyclopéen ourlé de nuages amers filants comme cavales sauvages sous noroît mauvais. Devant elle, un grand verre, hanap fragile, brille sous les attaques lumineuses et concentriques d’une lampe de bureau. Ça diffracte sévère au travers des rondeurs épanouies du cristal pour finir en un point éclatant, albescence plus aveuglante que galaxie naissante.

Jesper a posé sur les épaules d’Aviva une chaude couverture de laine brute. Le vieil homme tendre au visage marqué par les douceurs besaigres de la vie la couve de ses vibrations douces et rassurantes. Elle n’a pas eu besoin de lui dire sa peur, sa course erratique sous l’œil menaçant, ni même l’effleurement rassurant de l’Ange. Il a su d’emblée. Sans même qu’elle lui dise, il a perçu les affres traversées. D’une voix de basse sourde il l’enveloppe et l’apaise. Lui susurre que le vin versé dans le verre est un don des Dieux depuis l’aube des temps, que le liquide clair qui déroule ses ondes glissantes le long des parois de ce cristal fragile est élixir de vie, porteur de la lumière éthérée de la terre et des cieux réunis. A demi éclairée, la bouteille repose maintenant sur son large cul de verre épais, comme une image de la stabilité qui traverse parfois, brièvement l’histoire des civilisations, des peuples et des créatures fragiles. Aviva se réchauffe corps et âme; elle pose sa main fine sur le flanc épais, sarcophage sombre de ce Meursault « Goutte d’Or » 2007 du Domaine Buisson-Battault qu’elle découvre de la pulpe des doigts, lentement. La surface transparente, lisse comme peau d’enfant la rassérène. Son regard se penche sur le disque d’or pâle comme soleil d’hiver sur lac gelé, que moirent à peine de subtils reflets verts tendres. Elle ferme les yeux pour mieux s’ouvrir aux parfums printaniers qui montent vers elle. Sous ses paupières closes, chèvrefeuilles en fleurs et jasmins en boutons s’échappent du jardin, en volutes odorantes qu’elle reçoit à bout de nez. Plus avant dans l’inspiration lui parviennent les fragrances fraîches et mêlées des citrons jaunes mariées aux parfums des pamplemousses juteux et mûrs. Dans les branches de son jardin imaginaire mésanges et chardonnerets pépient à tout va … en paix. Lèvres à peine entrouvertes elle recueille une gorgée de vin pur. L’attaque en bouche est franche, immédiatement marquée par la fraîcheur, millésime oblige; puis le vin fait sa boule, enfle et se déploie au palais, lâchant sa pulpe d’agrumes et la chair onctueuse d’une belle pêche blanche. Les fruits, en purée fine, tapissent langue et palais de leur matière de demi corps qu’enroule un gras léger. Aviva, jusqu’au cœur de ses os qu’envahit la chaleur du vin, se retrouve, légère, ravie et requinquée. A regret elle avale les fruits et goûte le nectar, jusqu’au bout de son poivre blanc qu’agrémente la perception de notes crayeuses, subtiles, salines et finement réglissées.

Les terres calcaires du coteau Murisaltien,

Se rappellent à ses souvenirs anciens …

Dans l’œil de Jesper, l’Archange disparaît …

LA FAILLE DU TRENTE DEUX DÉCEMBRE …

Odilon Redon. Le coquillage.

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Elle vit le jour, de nuit, un trente deux Décembre…

Entre deux mois et deux années, donc. Dans le creux des mondes, de l’espace et du temps. Sans âge elle était, tous les âges elle avait. Consensuelle et inadaptée. Frigide et torride, froide mais volcanique. Toute chose et son presque contraire. On l’appela Maryam, comme la mère d’Îsâ. Elle naquit brune comme olive du Néguev, vive comme un cristal taillé, dure comme la pointe d’un kriss, tendre comme un secret murmuré, piquetée de petites graines de chocolat au lait comme un cœur griffé. D’une beauté à la frontière des codes, selon que la lumière voulait elle paraissait ange ou sorcière. Intense ou fuyante, vibrante ou glaciale, entière et dissociée. Condamnée par son entièreté et ses balancements à la solitude altière des hautes cimes battues par les vents sidérants. Elle s’accrocha à l’enfance comme l’arapède à son rocher ne voulant pas quitter l’abri paisible des rives maternelles. Mais la vie plus forte que ses désirs d’innocence, à jamais en fit la liane épanouie que les hommes regardent. Sabra furieuse, elle les déchiqueta, les piétina, les mordit au cœur sans jamais pouvoir s’en débarrasser, obstinés qu’ils étaient à vouloir l’aimer. Plus d’un y laissèrent leurs armures, leurs rutilances, leurs opiniâtretés…. Dans ses veines coulait le sang de l’exception et des rivages d’outre méditerranée, mêlés, qui faisait d’elle une amante brûlante sous ses griffes aciculaires…

Elle portait à la hanche, dans l’ombre de sa taille, le signe maudit de sa naissance étrange, une étoile minuscule, pentagramme délicat, bleu, battant comme un sang de veine à la gorge d’une mésange mourante. Une étoile filante à la queue historiée qui courait sur la courbe joufflue de sa fesse ronde à la façon d’une traînée ardente. Solitaire elle serait, hautaine, riche du désespoir des âmes intransigeantes et des élans étranges de celles que l’on ne peut comprendre. Elle s’en repaissait à la nausée, ruminant à jamais les bromes acides de son étrangeté et survolait sa vie, voletant rarement, préférant planer au hasard des rencontres dans les contre-allées, au pied du mur de ses impasses cultivées.

Le sang de la vigne, l’eau divine qui ruine les êtres boursouflés de peu, la prit un soir étrange, une nuit de langueur, de mélancolie profonde, accablée qu’elle était par les douleurs de sa vie, par les bouillonnements indicibles de ses contradictions urticantes. Les jus subtils des vignes nobles l’apaisèrent, lui entrouvrant les portes d’une rédemption possible. Ils lui apprirent sa différence, lui enseignant les leurs, lui murmurant au palais les délices probables, les finesses infinies des terres de bon, les forces telluriques et les énergies invisibles des astres. Comme elle, ces vins de belle compagnie étaient doublement nés, agis, nourris, et ne devenaient « un » qu’aux palais bénis des êtres modestes de haut lignage cachés sous les guenilles ordinaires des humains de ces temps … Intuitivement elle comprit qu’elle tenait là boisson à sa mesure. Les élixirs d’entre deux, liens liquides entre ciel et terre, comme elle pures émanations de l’union des mondes, ennoblirent sa vie.

Un soir de maraude, en des lieux qui ne sont qu’évanescences, toiles improbables et sans reliefs, elle croisa une vieille âme rompue de vies anciennes, au cœur et au cuir couturés, boucanés par les sels des tempêtes violentes et des amours déçues. La nuit était profonde, seuls les écrans aux yeux livides et morts trouaient le silence térébrant de leurs lueurs glauques et clignotantes. Absalon perçut à l’immédiat le frôlement de leurs âmes, communiant dans la reconnaissance de leurs souvenirs communs. Au même instant il sut que rien n’était possible tant ils se ressemblaient, comme issus d’un même aimant dont les deux pôles se repoussent. Maryam se déchaîna très vite, s’acharnant, allumelle brandie, à le déchirer, le crucifier tant et plus, jouant de tout, arguant de rien, esquivant, repoussant, revenant … Il lui fallait tuer ce double qui savait tout d’elle sans jamais l’avoir vue. Elle distilla ses plus subtils poisons, darda ses flèches les plus acérées, à chaque volée décochée elle en recevait qui lui revenaient en miroir. Elle trouva refuge, au bout de ses attaques, dans un silence hautain qu’elle rompait de loin en loin, ne sachant finir car elle était elle même sans fin. Elle voulait à tout prix rester la seule et supprimer l’unique Atma capable de la percer ainsi. Son besson. Mais chaque coup qu’elle lui portait l’affaiblissait elle même ! C’était un jeu étrange et dérisoire que ces deux êtres semblables, si subtils que leurs joutes grossières les rendaient pitoyables.

Du bout du troisième œil Absalon la visitait. Elle sentait sa chaleur sous sa peau et les picotement tendres de ses baisers inévitables. Elle avait beau se secouer comme chienne sous morsures de puces, elle n’en pouvait mais. Ses secrets il perçait, comme un goujat goulu que la faim dévore, à l’intime il s’abreuvait, sous sa douche il était l’eau qui la régénérait après qu’elle ait abusé de plaisirs vains qui la laissaient plus morose que pantelante. Elle payait le prix de son orgueil. Sa rage ne le décourageait point, sa lame aiguë n’entamait pas l’inclination qui le portait vers elle. Que pouvait-il perdre, lui qui n’avait rien à gagner, que la reconnaissance de l’avoir débusquée cette entêtée, à l’autre bout des fibres … qui le niait ?

Une nuit qu’il voguait au soleil aveuglant d’entre les mondes hors du corps qui l’abritait de jour, insensible aux aléas, en vacance des contingences de l’incarnation, les anges lui firent don d’un tapis plus léger encore que duvet de colibri, de cachemire et de soie sauvage tissé par leurs doigts de lumière. De la couleur des vins qu’il aimait tant. Le vent des douceurs l’emporta vers Maryam qui le crossa de ses poings mauvais pour en faire une loque à essuyer les boues qui tachaient ses chausses. Elle ne manquait pas d’y cracher chaque jour son mépris, et les plus infâmes glaires de ses humeurs méphitiques…

Un soir, une nuit qu’il n’en pouvait plus d’entendre son autre l’humilier, Absalon au bout de sa constance plia genoux. Il comprit enfin que les cieux ne voulaient pas. Qu’il lui fallait accepter, se convaincre qu’elle ne l’aimât point …

Il suait à grosses gouttes à son réveil …

De son cauchemar il émergeait,

Livide, exténué.

Œil hagard

Et bouche buvard …

Ne lui restait en mémoire que l’image tremblante d’un coquillage fragile, de nacre douce et de chairs roses enfouies qui battait comme fièvre quarte à ses tempes douloureuses. Il lui fallait bannir ce moment, il fallait que se dissolvent dans les lumières électriques du réel nocturne ces moments de stupeur qui le laissaient exsangue, meurtri, tremblotant et muet.

Sur le cuir, vieilli par les nuits de veille, de son vieux bureau, son lit d’infortune, compagnon de ses égarements crépusculaires, luisait l’incarnat sombre d’un l’élixir odorant qu’il ne se souvenait plus d’avoir versé dans ce hanap de cristal éblouissant à portée de sa main. Le liquide, crème de délices, palpitait et portait à l’entour les fragrances odorantes des pivoines épanouies. Le vin était profond comme lac de montagne rougi par un soleil expirant. Au centre du vortex que son poignet creusait en agitant le verre, il vit le trou noir funeste qui l’avait aspiré au cœur des impossibles. Au bord du disque mouvant le cercle violet d’un espoir l’apaisa. Le temps ferait son œuvre comme il le fait aux jus sombres des vieilles vignes. Absalon ferma les paupières sur le bleu veiné de rouge de ses yeux fatigués.

Et se mit à voler parmi les champs de mûres, les bosquets de framboises, le cœur des fraises, les buissons de cassis, et les fragrances grasses des meilleurs cuirs. Les épices aussi. Le sang fruité du raisin mûr déplissa le carton pâteux de sa bouche à la première onde qu’il accueillit entre ses lèvres sèches, inondant ses papilles de sa douceur fraîche. L’équilibre parfait du breuvage le remit d’aplomb, il se laissa emporter par la vie qui revenait. Les lambrusques bruissaient au zéphyr de Bourgogne en cet automne 1998, alors que l’intuition l’envahissait et qu’il riait à l’humour du sort qui n’en manque jamais. Il avala le baiser des « Amoureuses » comme il avait poussé son premier cri naguère ! Sur les vignes de Chambolle, il planait comme le Grand Duc, son autre, au cœur des ténèbres. Par ciel interposé il remercia Robert Groffier qu’il ne connaissait pas pour ce vin de paradis, plus soyeux qu’ailes d’Anges qui bruissait dans sa chair, exaltant jusqu’à la dernière de ses cellules, chantant en chœur avec son âme retrouvée, avec l’humilité des hommes qui enfantent ces vins de résurrection …

A l’autre bout du lien, Maryam frissonna…

Avec le temps, va, rien ne s’en va…

EMOTIMORTECONE.

APRÈS.

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Pietas. Roberto Ferri.

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@christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Le ventilateur barométrique s’arrêta, sa fenêtre s’illumina dans le noir total de la chambre. Le silence se fit. Définitif.

Il faisait très froid dans cette chambre, il aimait à dormir fenêtre entrouverte, même au cœur glacé de l’hiver. A trois heures et quarante deux minutes de cette nuit de février deux mille ce qu’on voudra, à l’heure exacte du véritable milieu de la nuit, à l’heure où les tardifs enfin se glissent comme des morts sous leur linceul nocturne, à l’heure où les matinaux ne sont pas loin de s’agiter comme des pantins dérisoires, à l’heure des équilibres furtifs, quand les regards aveugles des maisons effraient les chats errants, quand les vitres ternes ne reflètent plus les ombres floues des vies fragiles en mouvement, quand la ville, l’espace d’un court moment, semble gélifier le temps, l’homme passa de l’ici à l’ailleurs. Comme ça. Abruptement. Pour lui le coucou de la pendule s’étrangla, bec ouvert, son tic tac se figea, l’homme venait de quitter le présent. Dégagé de l’implacable tyrannie du temps, il ne vieillirait plus, comme s’il avait préféré la liquéfaction de ses chairs à l’érosion lente de son être.

Des années durant l’air sous pression lui avait fouetté le visage toutes les nuits. Sous le masque de silicone qui lui irritait l’arête du nez, qui l’emprisonnait jusqu’au ras du menton, au plus fort de ses apnées, la machine lui balançait quinze bars en pleine face. C’était à ce prix là qu’il respirait correctement, c’était grâce à cette terrible machine que ses arrêts respiratoires avaient quasiment disparu. L’air violent qui lui déformait la bouche, lui desséchait les muqueuses, il s’y était habitué, il n’entendait même plus le bruit irritant du long tuyau qui reliait le masque à la machine et qui frottait contre le bois du lit au moindre de ses sursauts. Les bouchons d’oreille qu’il s’enfonçait tous les soirs au plus profond des conduits auditifs l’isolaient du monde, il n’entendait plus rien, ne voyait plus rien, sa chambre baignait dans le noir absolu. L’homme aimait ça. Il se centrait sur lui même, rien ne le distrayait. Il n’était pas du genre à s’endormir comme un plomb dès la tête posée sur l’oreiller, bien au contraire le sommeil mettait bien une heure pleine, voire plus, à lui voiler la conscience pour l’amener dans un ailleurs toujours différent. Pendant ce long moment avant qu’il ne s’endorme, dans cet entre deux états, il se laissait aller aux extravagances de son imagination, ça fusait dans tous les sens dans la matière molle de son cerveau. L’homme était un pur visuel, sous sa boite crânienne les images défilaient à vive allure, si vite qu’il avait des difficultés à se suivre ! Mais ça commençait toujours de la même façon, il se voyait se regardant. Le dos collé au plafond de sa chambre il observait la scène, sa scène : un grand lit recouvert  d’une couette fleurie, sous la couette, un corps immobile couché sur le côté droit, un visage blanc sous des cheveux sel et poivre, équipé comme un pilote de chasse. Lui. Et sous l’os de son crâne, cette scène étrange, chaque soir rejouée, immuable, rituélique, bercée par le ronronnement modulé de la machine, et l’état de plaisir, de bien être qu’il ressentait. Dans ces moments là les phrases affluaient, se bousculaient, impatientes de naitre, les poèmes naissaient comme des corolles qui s’ouvrent ces instants là, juste avant le basculement, la chute ou l’ascension dans les volutes incolores de l’ensommeillement, il écrivait sur le voile mouvant de la nuit noire des pages entières, belles, émouvantes à faire sangloter les plus endurcis des cœurs, les mots jaillissaient en geysers incandescents, en gerbes multicolores, en bouquets magnifiques. La beauté devenait son amante, sa muse, sa complice et son amie, il lui était totalement asservi comme un esclave, pour rien au monde il n’aurait aimé être affranchi du joug délicieux que sa superbe maitresse lui infligeait.

L’homme aurait bien voulu garder mémoire intacte de ces merveilles, étonnamment à la moindre inattention la source tarissait. Il avait bien près de sa main un dictaphone numérique de la dernière génération, mais avec ce domino de plastique qui lui couvrait la bouche et le nez, impossible de murmurer à l’oreille de l’enregistreur les somptuosités que son esprit engendrait. Au moindre mouvement du petit bout du bout de son petit doigt le miracle s’évanouissait. Le lendemain, il se brisait la tête à retrouver un peu de ces perfections, alors il besognait, butait, assemblait, souffrait de ne pas se souvenir. De jour, le lien avec la source était coupé, il avait beau fermer les yeux, faire silence, mettre cent fois l’ouvrage sur le métier, foutre de Boileau ! Rien n’y faisait !

Une fois encore il se retrouva d’un coup dos collé au plafond, il revit la même scène, exactement crut-il un instant, puis la lumière qui baignait la chambre ordinairement sombre, une lumière à la fois douce, puissante, dont il ne distinguait pas la source, une lumière qui ne faisait pas d’ombre, comme si les objets, le corps inerte allongé sous la couette, étaient illuminés de l’intérieur, lui parut étrange, différente, presque vivante, palpable. Et la chambre semblait animée, les contours du lit, de l’armoire, tremblaient légèrement, se déformaient, les objets entourés par un halo de lumière rosâtre, passaient du bleu électrique au vert smaragdin, au jaune safran puis à d’autres étranges couleurs inconnues. L’homme, mort au sens où l’entendent les humains, voulut instinctivement regagner son sac de chair inerte, mais il ne le put pas. Il se sentait déchiré entre cette impossibilité nouvelle et l’étrange langueur qui le prenait, entre la tristesse et la plus totale indifférence pour ce qui apparaissait n’être plus qu’un théâtre. Puis le spectacle se figea un court instant avant que les images du lieu ne se mettent à défiler à toute vitesse et à rebours. Jours et nuits, lit fait, défait, les couettes se succédèrent comme les pages d’un livre giflé par le vent, puis les murs de béton brut apparurent, le plancher s’évanouit. Très vite il ne vit plus qu’un sol de terre parsemé de détritus et de gravats.

Et la nuit totale tomba. Fondu au noir.

Alors le mouvement s’inversa. Vertigineusement. Quand il s’arrêta, la maison avait à nouveau disparu, désagrégée, dissoute par le temps, enfouie dans le sol. A la place s’élevait très haut un gigantesque amas de tôles épaisses, de canons tordus, de chenilles d’acier brisées, de ferrailles diverses. Tout cela sans qu’il ressente la moindre émotion.

Puis tout cela s’effaça comme un papier que l’on froisse rageusement.

AUTRE sut qu’il n’existait plus, n’appartenait plus au vivant, il n’était plus qu’une vague clarté palpitante. Plus d’empathie, de détestation, d’émotion, de sentiment, insensiblement il devenait autre, il se sentait étranger, libéré des chaînes propres à l’humanité, il était en voie de transformation. Coupé de ce qu’il avait été, il flottait, complètement insensible, mais il voyait, non plus avec des yeux, mais avec tout son nouvel être. Comme s’il était en pleine néo parthénogénèse, il se développait, découvrait. Il percevait à 360°, entendait les bruits du vivant dont il ne faisait plus partie. Il fut étonné par tant de stridences, de souffrances, d’abominations suggérées par les souffles à la raucité douloureuse, par les cris suraigus qui n’en finissaient pas de résonner. Plus étrange encore, l’atmosphère donnait l’impression d’être épaisse, alors qu’elle ne l’était pas, ce n’était pas de l’air, mais une sorte de chair aux atomes distendus, une luminescence plutôt qu’une lumière.

Parallèlement, alors qu’il se sentait immobile dans la lueur ambiante, il eut la sensation de s’élever dans cette ouate diffuse qui n’était ni air, ni chair, ni lumière. Aucun repère ne lui permettait d’être sûr de ce qu’il ressentait, non pas dans son être, son corps, mais dans sa nouvelle inqualifiable existence. Dans cet hic et nunc dont il ressentait l’intensité et la vie par tous les pores de son nouvel état il lui semblait insensiblement monter, du moins il en avait l’intuition. Ses modes de perception changeaient, pourtant il continuait à savoir, à ressentir, comme s’il y était encore, absolument tout de l’ancien monde qu’il venait de quitter. Il s’aperçut aussi qu’il ne pensait plus, au sens humain du terme, c’était autre chose, il avait la connaissance immédiate,  sans commencement ni fin. Oui c’était ça, le temps, l’espace, les limites en général avaient disparu, toutes sans exceptions !

L’ailleurs était autre, comme lui même qui devenait cet ailleurs et cet autre à la fois. Qu’était-il en train de vivre? Le temps aussi s’était dissous, l’avait quitté comme il avait abandonné le monde. De quoi noircir, verdir, blêmir de terreur. Mais rien de son ancien ordinaire ne l’habitait plus. Il ne baignait pas non plus dans le bonheur, le ravissement, la félicité, l’extase ou tout autre émerveillement dont lui avait, toute sa vie humaine durant, parlé les livres. Non les espérances humaines avaient fondu comme Jeanne au bûcher. Un sentiment de plénitude paisible, lentement le pénétrait, enfin façon de parler car en ce lieu plus rien ne pénétrait l’impénétrable qu’il était devenu.

Et le jour total fut. Fondu au blanc.

Tout autour de lui flottaient une infinité de formes géométriques d’un blanc translucide, parfaites et parfaitement invisibles dans cet univers lactescent aux pulsations régulières. En termes humains, on aurait pu penser qu’il naviguait dans un organisme sans limites. Ce n’était que lorsque sa nouvelle conscience frôlait ces objets étranges qu’il percevait leur contours délicats. Les innombrables étaient partout, il les traversait sans que jamais, bien que cet adverbe soit à proprement parler inapproprié en la circonstance, l’ordonnancement de leurs mouvements en fût affecté.

Alors il sut et vécut ce qu’est l’ineffable quand il berça dans une musique cristalline, une musique parfaite d’une douceur violente, inaudible et tonitruante, qui lui parvenait de partout à la fois et de lui même tel qu’il était devenu.

Au fur et à mesure qu’il se transformait en l’autre le blanc pâlissait encore, quelques éclairs d’albe aigus et lents jaillissaient de nulle part. Puis ils disparurent tandis que toutes couleurs s’évanouissaient, laissant place à ce que l’absence de mots ne permet pas de décrire.

Alors le silence bruyant se fit, l’autre sut qu’il était mort à la vie et qu’il était la vie.

Dans son ancien monde mille ans venaient de s’écouler.

CDP. DOMAINE Lucien BARROT et Fils 2005.

Carafé un quart d’heure avant de servir assez frais.

Ben c’est bon ça !!! Et pas cher du tout, ce qui renforce le plaisir. Grenache et syrah si j’en crois mon nez.

Une robe grenat touchée par l’orange d’Éluard. Oui je sais ça fait intello mais je vous emm … On peut aimer le vin et en parler avec poésie, ça n’altère pas le goût, enfin bien moins que le bouchon ou les écuries des gourous à la mode de chez mon …

Sous le nez monte la rose, bien éclose, une Ronsard (oui je sais ça fait intello, voir plus haut …) aux pétales gras, un peu sucrés. Sous les fleurs une belle cerise (oui je sais, un peu tôt pour la saison mais je vous …) noire bien mûre, celle qui tâche les doigts. Tout autour, en-dessus, en -dessous, des notes de garrigue sèche, de cuir, de réglisse, et pointent à peine des notes tertiaires (tant pis pour les primaires, je les emm…), sous bois, champignon, humus. Quelques notes terreuses aussi (oui je sais ça fait paysan qui cause, mais je vous emm …).

In the mouth (ça c’est pour les Anglophiles du vin, y’a plus qu’ça, des wine truc, des battle machin), la fraîcheur est immédiate (au nez déjà je m’en doutais). La matière est là, mais rien d’outrecuidant, ce qu’il faut, où il faut (oui je sais ça fait discours macho mais je vous emm …), encore jeune, traversée de tannins petits et enrobés, après que les fruits (la cerise, P! qu’elle est bonne!) ont envahi langue, muqueuse et palais. la fraîcheur reprend la main, les épices et la réglisse aussi qui relancent la machine …

Une bonne longueur, sans perception alcooleuse, comme trop souvent par là-bas. Bref, du beau travail sans esbroufe, un vin qui régale et qui rappelle au verre.

PS : non pas de PS, il n’y en a plus …

SOTTIMANO, TI AMO IMO PECTORE…

 Lorenzo Costa. Portrait d’un cardinal.

 Il pleure tant, que la terre fait des bulles…

Des bulles rouges sur les continents gris aux misères toujours meurtries. Des bulles en crachats incarnats qui éclatent, comme se disloquent les crânes fragiles sous l’impact des balles aveugles. Des bulles bleues dans les palaces alanguis que les grains tropicaux désaltèrent. Les soies blanches des belles enrubannées collent aux chairs bronzées des oies pas si blanches, que les bulles dorées émoustillent. Les bulles noires et figées des volcans éteints dessinent de vagues sculptures acérées au creux des îles désertées par l’espoir. Les bulles argentées des océans immenses battent les flancs lustrés des grands blancs dolents.

Au large du Cap, ils glissent comme des soies sur la peau.

Des larmes en bulles encore au souvenir des barbaries perpétrées par mes frères, aujourd’hui comme hier. Bulles en rafales saignantes, en sanglots étouffés au sortir de «La Rafle», film de Devoir, film de Mémoire… Bulles en cordons, bulles en haillons, bulles en avulsions, bulles en abjurations, en abdications, en abjections, en abominations, en aliénations! Bulles de boue, de salive, de haine et d’eau.

Bulles létales, fatales, sépulcrales, bulles puantes des peurs agglutinées!

Pâques mais pas que…

Au sortir de la salle plus ténébreuse qu’obscure, les chairs sont à vifs, le cœur est serré, les mâchoires sont soudées. L’air est frais sous le Noroit. Le ciel lourd du matin s’est repeint de vif. Un bleu cinglant auquel les quelques nuages arrachés à la charge pluvieuse de l’aube, donnent le relief ad hoc. Comme un peintre Italien qui aurait inventé relief et perspective. Besoin de vie. De tendresse en ce jour solitaire, orphelin des matins tièdes.

Que Sottimano me vienne en aide. Et sa Barbera d’Alba 2007.

La parure du «Pairolero» est un bouquet de plumes violettes, alabandines et roses mélées, comme les reflets changeants d’un soleil agité par le vent, sur la huppe d’un «Cardinalis cardinalis» du Bélize…

Le premier fond de verre, prélevé de la bouteille à peine ouverte, donne l’idée d’un bonheur possible. Mais la félicité, c’est pour demain dit-on. Alors la belle patiente dans la pénombre de la cave fraîche. Comme un amant gourd aux doigts furtifs, l’air prends son temps pour déplier tendrement les égides du vin.

Après un jour complet, le vin est à l’aise dans sa carafe comme un dandy dans son loft.

Sous le nez attentif comme un oeil aux aguets, c’est une odorante purée de fruits rouges qui donne son meilleur. Fraise, framboise, cassis non filtrés – hachés menu, touillés, écrasés, comme un coulis crémeux de pulpes au jus – enchantent et mettent les salivaires en émoi. Un nez d’une pureté, d’une élégance et d’un équilibre tels que l’on croirait derrière les yeux clos de ma concentration, voir virevolter une ballerine de Degas. Élevé sous bois dont 25% de fûts neufs indécelables. Seul un liard de cette orchidée épiphyte dont la gousse enchante les confiseurs, ajoute, à cette dariole de fruits, une pincée de sa cosse parfumée.

Parler «d’attaque» à propos de ce vin serait exagéré, tant il se coule lascivement en bouche. La matière ronde, fluide mais conséquente et séveuse, vous séduit soudainement sans que vous n’y puissiez mie. Elle s’installe, glisse, se répand, imbibe et diffuse son fruit qu’un soupçon de zan exalte. C’est exquis, pur, élégant! Nez et bouche sont à l’image de cette ambroisie : en parfait équilibre. Étrange idée que celle d’un raisin qui aurait tout donné sans qu’on l’y force… L’envie d’avaler est plus forte que tous les conseils sévères de mon hémisphère gauche. C’est le plaisir qui mène le bal. Dire aussi la caresse aimante des tannins, tandis qu’ils vous frôlent la luette de leurs hanches polies. Passé la bouche l’enchantement gagne le corps. Sur le palais le sorbet de fruits s’apaise en prenant ses aises. Mais le vin ne fuit pas, il se dévêt…L’acidité des fruits persiste, qu’un battement de badiane, une virgule de cannelle épicent et parfument longtemps.

Sur les parois du verre vide, comme un souvenir, le Cardinalis a laissé ses couleurs moirées. Sous mes paupières closes, une violette fragile danse au vent joueur du printemps.

EACMOTAESTFATIBULACONE.

Le Cauchemar Moche, Car de La De.

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©Brigitte de Lanfranchi – Christian Bétourné. Tous droits réservés.

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Pluie battante dans la nuit blanche de la nuit noire, crachin glacé glaçant

à faire fondre les épaules refermées de l’ombre en marche

forcée.

Forcée d’être là sous les épaisseurs chaudes, rassurantes,

dans le douillet apparent

 et là, dans le froid du cauchemar moche

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Les gros yeux jaunes des phares éclatants recouvrent le bitume

mouillé d’une laque d’or, opalescence violente à crever les cristallins,

les pupilles têtes d’épingle resserrées, minuscules puits d’ombre, à saigner,

ruisselets rouges sur jais.

Laque d’ambre sombre, laque noire de Chine quand les lumières s’estompent.

A chercher comme un chien perdu

l’introuvable inconnu qui toujours se dérobe.

Escaliers interminables, couloirs sinueux, delta des improbables.

Les grands sapins aux aiguilles empiquetées

s’allongent à n’en plus pouvoir, ombres géantes, menaçantes, mouvantes,

à trancher la route en lacets, perdue sous les rafales d’eaux

cinglantes.

Sous le couvert de la forêt épaisse, les silhouettes stroboscopées

d’animaux courants dans les futaies enténébrées

encadrent les mystères déroulés.

Élégance furtive des regards fuyants, roux

comme des spasmes angoissants,

traces éphémères du sens

absent.

Forge haletante, veines en feu, souffle coupé.

Tout disparait.

Retour, rupture, effroi, très froid.

A grands pas les pieds nus écorchés par les pavés disjoints.

Immense espace vide, parking désert, lumière soufrée des réverbères plantés

dans le goudron.

Sodium liquide effrayant.

La pluie toujours dissout la quête, efface les empreintes

baveuses des limaces blanches, le sillage écarlate du souvenir

des pas perdus.

Marche moche vers l’ailleurs impénétrable, sueurs aigres, souffles aigus,

bronches crevées

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Dure-mère sous tension, arachnoïde à se rompre, pie-mère en pleurs, en équilibre

instable sur le corps calleux, sur le pont d’entre deux mondes.

Marche moche, car.