Littinéraires viniques » Duclaux

SOUS LE REGARD TREMBLANT DES FEMMES AUX LÈVRES ROUGES…

Agnès Boulloche. Rouges aux lèvres.

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Au centre du ventre rond de l’odalisque, l’Orient s’étale…

Cœur des sens, nombril des plaisirs gourmands. En son centre, entre les plis fragiles de l’ancien cordon disparu, la vasque parfaite, le réceptacle des orgasmes réitérés, déroule sa parfaite rotondité. Les maîtres verriers Vénitiens, les poètes ivres de tous les bateaux illuminés, les Alchimistes à la lueur de leurs Athanors inspirés, les souffleurs de verre de Murano, les lisseurs de cristal de Bohème et d’outre-finesse, les cueilleurs de pétales labiles qui diffractent les lumières incarnates des fillettes de joie, se sont inspirés, comme autant d’amoureux transis, de cette combe de chair tendre. Coupe parfaite, elle est la mère sensuelle de tous les verres, la matrice mille fois reproduite, qui accueille, recueille, cajole et caresse, le vermeil chaud, tout comme l’or translucide des grappes juteuses des vins de sang sucré…

Elle est au recueil du vin, ce que le Graal est au Calice…

Quand il se penche sur le cercle ondoyant de son verre, l’œil irisé du vin le regarde et toutes les femmes lui sourient. La Martine des Bret’s de Mâcon, la Chère Bouche des Bouchères des Buissons de Meursault, l’Arbois de l’Arsouille d’Arsures, les Amoureuses de Layla, Germine la gamine des Côtes bien Rôties, l’Ellipse de Zélige au fil du Caravent… Oui toutes, et plus encore celle que ses rêves espèrent, ondulent comme mirages accumulés, lianes évanescentes des libations de tous ses temps. Leurs ventres ondulent sous les soies légères brodées d’or fin. Leurs hanches rondes se meuvent, promesses fuyantes, s’arrondissent puis se creusent, enflent et tressaillent, à le damner. De leurs rondeurs tremblantes qu’agitent les spasmes syncopés des fragrances du vin, montent en vagues parfumées, des torrents de fruits cloutés d’épices, l’espoir prochain d’une félicité fondante. Il est la pierre, celle qui laisse en leurs bouches fragiles, le goût acide métamorphique. Plonger dans la coupe de tous les verres, nager dans les eaux odorantes des grappes mêlées, croquer la rose, née des rouges et ors imbriqués dans les profondeurs moites des spélonques réconfortantes, dans les creux moelleux des méandres ombrés, pour replonger aux origines, porteuses des avenirs espérés et déçus…

Prose abstruse que la raison ne pénètre pas, seuls les yeux clos peuvent s’y ouvrir.

Dans le creux raidi de son bras replié, ACHILLE l’Ancien, paupières encore ligaturées, peine à remonter du fin fond obscur de son rêve affligeant. Angoisse sidérante et peur primale le déboussolent et l’écrasent. Il s’extraie lentement des tentacules gluants de la pieuvre visqueuse, du cauchemar obscur qui l’a exténué. Dans le brouillard épais d’une conscience à son nadir, il tente de s’extirper de la glu qui le colle au fin fond enténébré des terreurs immémoriales. De ce voyage aux enfers sans visages, il revient effrayé, étonné, un peu perdu. Seul le souvenir du fin duvet brillant de l’odalisque le rassérène. Au milieu de cette étrange nuit, l’ampoule nue qui brille au plafond de la pièce lui vrille la nuque d’une lumière crue, sans fard. Il s’y accroche de toute sa volonté comme s’il remontait, aspirant à la clarté, des entrailles torrides du ventre en magma de la terre. La pièce est vide autour de lui. Affalé sur la table de cuir et de vieux bois patiné, il aperçoit, au travers de ses cils collants, du coin de l’œil, le large cul vert d’une lourde bouteille floue. Étrange flacon qui ondule comme une montre molle de Dali. Accoudé maintenant, il la fixe. Non seulement elle semble danser comme un mirage au désert des Mojaves, mais en son centre, le vin brille puis s’éteint comme un phare liquide. Plus encore, après que le rubis fluide a étincelé de mille lueurs ardentes, il devient citrine flamboyante qui prend et renvoie la lumière, comme un regard de femme.

La bouteille ductile tremble et peine à tenir sur son cul, fondement qui devrait logiquement s’affaisser comme une vieille chaussette fatiguée. Pourtant elle ne fait que faiblir, ondoyer, elle paraît s’écrouler pour mieux se redresser, étrangement requinquée. Achille ne comprend toujours pas, comme ceux qui me lisent… L’inconsistance de la matière, cette lumière fluctuante, ces couleurs changeantes, dilatent l’iris de son œil bleu, comme s’il sortait d’une cave à coke en stock, passablement sniffée. La journée d’hier, mouillée, suintante, lui avait glacé les os, refroidit la peau et serré le cœur qu’il avait, hors météo, déjà triste. La vue de son propre visage, blême, émacié, coupant de toutes ses arêtes ossues, lui avait mangé ses dernières énergies clignotantes. Il s’était dit qu’il aurait au moins dû, dans la vie dite réelle, se goinfrer de formol, pour sombrer dans cet état, celui d’un cadavre caoutchouteux qui aurait pris deux semaines de vacances en apnée au fond d’un étang saumâtre.

Voyager au pays des chimères n’est pas de tout repos !

A sa gauche, elle – l’étrange fiasque souple – aspire la lumière du plafond, l’intensifie puis la lui renvoie pleine poire. Dans le miroir, comme un lac de mercure au fond de la pièce obscure, l’image de son visage pulse au gré des clartés et couleurs crues qui en sculptent et déforment les reliefs. Dans tous les films noirs, même ceux en couleur, un plan, toujours, sur des néons – bleu électrique, vert glauque, rouge sang de taureau égorgé ou jaune ricard vomi – traverse et signe l’écran. Ça le fait sourire. Une boule de fiel acide lui brûle le cœur. Des billes de métal lui fracassent les tempes et lui mettent la bile à la gorge. Puis l’étrange apparition pâlit, ses contours se délitent, l’âme des vins, compagne de ses vies passées et de celles à venir, retourne à l’intemporel. Il sait que ses destins seront à jamais adoucis.

Philip Marlowe et Lloyd Hopkins, dans sa mémoire mâchée, ricanent…

« Quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir » Sénèque.

 

 

HERMETICONE…

UNE GERMINE TOUTE GAMINE…

 Yves Magnani.
 
«La terre comme Terre est d’abord la sombre “poussée” (“Empujo” ) qui germine depuis la noirceur des fonds, qui enfle lentement et soudain “pointe”.»

 

Le printemps, le temps de l’empujo, de la montée des énergies de vie, de la renaissance toujours la même et toujours unique, fragile, d’amour et de joie univoques, couleurs tendres, pastels humides, pureté extrême des enfances, formes tremblantes des innocences exacerbées… Tandis que le sang des hommes coule inutilement, les lianes des vignes exultent lentement. Sur les ceps taillés au plus court, perlent les bijoux émouvants des vins à venir.

Mais que se passe t-il au fond des bouteilles tandis que l’espoir d’un vin nouveau perce à peine??? Se pourrait-il que les jus mûrs des récoltes anciennes, l’espace d’un printemps, s’ouvrent à nous, pauvres humains stupides, avides et inconscients, pour nous donner, avant de replonger dans les profondeurs mystérieuses de la maturation, à goûter un peu des plaisirs à venir???

Comme l’image fugace d’un bonheur tout proche qui se dérobe.

Car le vin gracieux, bien mieux que nous, se donne sans espoir d’un hypothétique retour. Il n’attend rien, si ce n’est peut-être l’onde de plaisir imperceptible qui irradie l’âme du buveur transi.

Le retour sur investissement n’est pas de ce monde là…

Dans nos crânes cadenassés, encastrés dans nos vies réduites, nos petites pensées écrasées sous le poids des nécessités étouffent. La grande force de vie s’échine, pousse et fulmine mais nous ne sommes pas des vignes… Rien ne nous traverse plus. La beauté a disparu de nos vies engoncées et nos terroirs, dévastés par les fausses valeurs futiles des avoirs délirants, ratiocinent, et bégaient les croyances naïves de nos idéologies mortifères coulées dans le bronze, lourd comme ma prose, de nos libertés aliénantes.

Complétement barjo ce mec là!!! Carrément métamorphique…

Le bouchon flambant neuf, propre comme un jeune sou, «plope» du col de la bouteille. J’émerge du torrent furieux de mes pensées délétères. Calme toi pépère c’est un tango!!! Arrête ton moulin à poivre!!! Laisse venir à toi cette trop jeune bouteille, cette Syrah sur Leucogneiss de ce millésime 2006 que l’on dit réussi en Rhône Nord. Les vignes en échalas y ont donné paraît-il, de forts beaux raisins. C’est de «La Germine», sise au cœur de «Tupin», une Côte rôtie du Domaine Duclaux dont au sujet de laquelle il s’agit de gloser doctement.

La robe brillante de la belle est belle.

Elle est faite pour faire danser le soleil qu’elle a aimé à mûrir. D’un grenat-violet si profond, qu’il finit dans un cœur noir comme nos illusions perdues.

Aimable et élégant ce nez! Des senteurs de pivoine discrètement sucrée nappent le haut du verre immobile. Bel accueil ma foi. Les arômes sont déjà fondus qui donnent à humer l’olive, la framboise puis les épices douces et le jambon cru à peine fumé. Une sensation crémeuse aussi.

C’est un sentiment de plénitude équilibrée – Bliss trop tôt disparue! – qui domine en bouche. La matière est ronde, concentrée en douceur. Encore une fois la Syrah trouve sa plus belle expression en Rhône Nord. Cette foutue Syrah qui peut-être si fine ou si lourde selon qui la caresse, et en quels lieux on la met à vivre. Les tannins d’une extrême finesse allongent interminablement une finale réglissée, finement. Ma connaissance des Côte Rôtie est pauvre car le prix des belles n’est pas donné. Mais ce vin de plénitude tranquille que je ne peux guère comparer à d’autres célèbres cuvées, me semble néanmoins superbe. Très expressif pour son jeune âge, il devrait vieillir avec grâce.

En attendant, c’est déjà un jus de félicité.

 

EMAMOJOUESURTITESCILSCONE.