Littinéraires viniques » Beaujolais

LE VERTIGE ET L’IVRESSE…

Chinikov. Promenade dans le bleu de nos rêves.

Jean-Do, l’œil mi-clos, le cortex au repos, n’est plus qu’à moitié lui.

Il s’est réfugié tout au fond de son humanité, en relation étroite avec ses pères tutélaires. Dans son champ de vision, les jambes soyées de l’hôtesse crissent à chaque pas. Aux temps anciens de la survie, il aurait bondi, griffes acérées et pénis conquérant, mu par ce vieux cerveau reptilien qui lui ordonne, encore souvent, de saillir coûte que coûte. Oui, prendre la femelle et la remplir, séance tenante, de bon sperme chaud, gluant et riche en protéines fraîches. Cet élixir de vie qui lui déchire les reins de plaisir et le laisse sur le flanc, qu’il a large, épuisé mais en paix. Un moment. Que l’espèce survive demeure impératif. Tout se mélange dans sa tête. Ça arrive comme ça d’un coup, alors qu’il est plongé dans de profondes analyses politico-économiques. Pourtant il ne bouge pas, se contentant de cette demi érection douce qui lui mouille à peine le bout de la bite. C’est ainsi qu’il se murmure in petto, dans un langage très cru, car les mots ont un puissant pouvoir évocateur. Il lit souvent les textes sacrés, les grands livres. Cela lui suffit pour le moment. La brune grassouillette qu’il a vitement honoré dans les toilettes de la classe affaire, il y a moins d’une heure, l’a apaisé. Un peu. Une poignée de dollars arrachés à la liasse l’ont calmée. Derrière lui, affalés comme des huitres grasses dans leurs larges et luxueux fauteuils de cuir, les membres de son staff, ont déconnecté. C’est ainsi qu’il aime que l’ordre du monde soit.

Lui devant.

Toujours à demi vivant, il se penche vers le hublot. Là-bas, tout en bas, les Alpes sont blanc d’œuf écrasé. La vie semble avoir disparu, la terre, déserte n’est plus qu’à-plats colorés, comme une œuvre abstraite qui s’étendrait, vide de sens, au mur d’un musée cosmique. Cette relativité mouvante lui plait. Plus haut encore, la planète retrouverait sa forme presque ronde, dodue, appétissante. Il se dit qu’à bord d’un vaisseau spatial, il tendrait la main vers elle, qui reposerait, lumineuse, dans le creux de sa paume, comme un sein consentant qu’il écraserait lentement, lui tirant un jus sombre de sang, d’eau, de pierre broyée, de feu et de chlorophylle mêlés. Un sourire enfantin étire ses lèvres fines. Béatitude satisfaite qui le comble et le plonge dans un demi sommeil.

God is on his side…

La mère qui l’a porté papillonne. Belle et plantureuse, de larges seins oblongs tendent sa blouse légère qu’ils percent à moité. Autour d’elle, l’assemblée de ses admirateurs est sous le charme de ses yeux zinzolins. Dans son couffin étroit, emmailloté dans ses langes serrés, jambes bouillantes et cœur énamouré, l’enfantelet attend sa tétée de lait et d’amour. Mais emportée par un irrépressible besoin de séduire, elle l’oublie souvent. Il pleure d’une voix douce, triste et implorante. Le regard baveux et les moustaches frisées de l’homme au feutre élégant qui couve sa mère d’un regard gourmand, sont plus forts que sa souffrance d’agneau affamé. Là, dans l’obscurité de son jeune âge, Jean Do décide confusément qu’il n’attendra plus jamais, qu’il ne supportera plus que femme lui résiste, le prive, quand le temps faisant, il pourra décider. Tout lui sourit pourtant et continuera de lui sourire. Confort à tous les étages, les grâces sont sur lui…

Dans le pullman de cuir brun qui jouxte le sien, Chani sa femme que l’âge arrondit et détend, les paupières closes sur des yeux lumineux de faïence azurine, sourit comme elle le fait en toutes circonstances. Seule l’intensité variable du ciel de ses pupilles cérulescentes signale à qui sait la lire, son humeur de l’instant. Paradoxalement, le bonheur les noircit. Au comble de la rage contenue, ses yeux sont lacs d’altitude. Elle sait Jean-Do, du plus tenu de ses synapses au plus obscur de ses barathres. Le moindre de ses tressaillements secrets résonne au profond de son être. Au-delà des affections mièvres que recherchent et célèbrent les mollesses humaines ordinaires, la même ambition les habite, les hante, guide leurs pas et tord leur sommeil de cauchemars sidérants. Ils sont un, jusque dans la sueur qui glace leurs reins. De loin en loin, Jean-Do la maltraite. Sous le ventre flasque et pendant du vieux bison, ses fesses, débordantes, trop ductiles maintenant, roulent en vagues mollissantes, sous les coups de boutoir trop rapides. Elle n’a plus de plaisir, si ce n’est celui de faire philippine quelques minutes. Pour le reste, tout est parfaitement double, clair, consenti. La conquête des cimes leur mange le ventre, les garde contre vents mauvais et pulsions charnelles, dans un continuel vertige. Ils oscillent constamment, comme des culbutos extatiques, entre les brûlures du pouvoir presque total entraperçu, et les pièges mortels qui peuvent encore les engloutir, comme une dernière succion, à quelques mètres de l’extase absolue de l’ultime sommet. C’est un pacte infernal qu’ils n’ont pas eu à signer.

Jean-Do ne sent plus son épaule gauche. Hypnotisé par la mer vide de vie visible qui déroule sous lui sa pellicule de lapis sans rides, il ne bouge toujours pas. A ces hauteurs les hommes et leurs temples de toutes natures ont disparu, la planète est déserte. Seul l’espace des ténèbres supérieures le domine encore. Mais il sait qu’en bas, sous le manteau bleu des eaux figées, règnent les abysses dans la noirceur desquels couvent les feux de Vulcain, ces bouches de lave carmines que les eaux ne peuvent éteindre. La crainte d’y plonger, de réduire à néant son rêve, leur chimère de domination glorieuse, lui glace les tripes et calme un moment l’amativité qui le consume.

Chez lui la peur est ivresse qui nourrit le vertige.

La climatisation chuinte, s’apaise puis repart, les hôtesses glissent dans l’allée centrale, au bruit sec de leur cuisses gainées de fines résilles qui se frôlent. Ces chants polyphoniques, qu’il est seul à ouïr et jouir, ne troublent qu’à peine le silence luxueux de la classe affaire. Son corps a soif, tout le temps. Alors, pour le tromper, il se décide à boire. Sur la carte des vins, brillent en lettres repoussées les noms des très grands. Tout au bas, il repère un Château, petit Gamay de peu, qui plait au gamin en lui. « Thulon » 2009, ce nom l’attire qui conjugue la mort donnée sur le mode indéfini. L’avion amorce sa descente vers New York, il a du temps devant lui. Puis sa suite luxueuse, ses habitudes l’attendent, comme une respiration torride entre deux réunions de haute importance. Chani poursuivra vers les plages cossues de la côte ouest. L’alien qu’est devenu l’enfant frustré, dans l’enfer secret de sa conscience sourde, entrouvre ses yeux tristes. Entre son regard et la lumière crue du hublot, le vin tourbillonne dans le verre. Sa robe de velours grenat, moirée d’encre violette, rutile, brillante et pure comme un soleil couchant sur les monts du Beaujolais.

C’est pile le milieu de la nuit.

L’heure des équilibres, des funambules qui vacillent sur la lame. Yeux grands ouverts j’ai du dormailler par instants. Au tiers, mes bras sont marqués d’un trait rouge par le rebord du bureau. Le cou me tire. C’est moins bien ! Pas de monts du Beaujolais à me mettre sous les pupilles mais un de leurs meilleurs jus à me lisser les papilles. Tout est fleur, grâce et fruits dans le haut verre. Un vin du Jean Marc Burgaud qui va me ramener dans les clous du réel. Sous mes pieds le parquet. Sous le parquet le monde. Calme et paisible. Bruissant du silence nocturne. Dieu qu’il est bon de n’être rien ni personne. Qu’un vermisseau tout au fond de l’insondable.

Qu’un soupir dans la voix de Dieu…

Dans la solitude de la nuit les parfums sont plus intenses. Il prennent comme un relief supplémentaire. Les sens aussi sont plus aiguisés, des crocs de goule en maraude. Les possibles itou. Le verre revient à moi et aguiche mes sens de ses parfums espiègles et friands. Je la vois sur l’écran de mon front, cette grasse pivoine aux pétales serrés qui exhale ses parfums sucrés sous mon nez épaté. Elle enroule dans ses plis humides de rosée, les framboises et les fraises fraîches du matin. C’est bon, revigorant, de cette simplicité apparente du complexe. Ça sent la vie de la pierre et de la terre. La corolle de cristal fragile verse dans ma bouche une belle goulée de gamay qui attaque au son de velours d’un tambour d’apparat, le tapis turgescent des papilles frissonnantes de ma langue incurvée. Qui accueille le nectar goûteux, comme la nonne extasiée, le sang du Christ Doloroso. Une boule, une balle de fruits mûrs qui roule et rebondit du sol au palais. Qui tapisse, qui s’insinue, libère son bonheur pour mieux me ravir, lentement. La matière est conséquente, millésime oblige, et talent du vigneron pour sûr. La sphère fait sa bombe puis s’ouvre en une vague de fraises, de framboises et poignée de myrtilles à l’acidité tendue. Puis la vague finit sa déferlante dans les obscurs abysses qu’il vaut mieux taire. Je claque du bec de plaisir. Le vin rechigne à se faire souvenir. Ses tannins imperceptibles laissent longtemps leur craie fine à l’envers de mes joues.

Mes yeux, à mon insu, se sont fermés de plaisir.

Dans son fauteuil, Jean-Do savoure ce vin d’en-bas qui apaise un instant l’enfant fou des douleurs enterrées. La gomme des pneus cogne comme un poing mou le béton rugueux de la piste…

Brutal, le désir lui fouaille à nouveau les reins…

EMOABTIJECTECONE.

BOJOLPIFS ET MUSCADOCHES…

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Vermeer. L’entremetteuse.

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 L’hiver est généreux cette année, il étale sa ouate bien avant la date officielle. En ces jours qui mettent l’Hortefeux en sueur, les bonhommes de neiges font la joie des enfants encore insouciants, et des carottes venues d’outre-océans qui creusent nos tombes(?). Dans les rues des villes, la tension monte, le consumérisme règne, il faut acheter, et acheter encore et toujours, sous peine de plomber l’économie, de freiner la croissance sans laquelle nos sociétés modernes seraient vouées à disparaître. Il faut voir comme ça tressaille dans les hypers, comment ça tremble dans les boutiques. Ah les cadeaux, il nous faut des cadeaux, des beaux, des laids, mais des gros, il faut que ça rutile, que ça en jette, que ça épate (mot de vieux!) les cadeaux, tous venus d’ailleurs, d’ailleurs, de ces contrées, encore obscures il y a peu, qui émergent, et qui, elles aussi, veulent participer à la grande fête planétaire des pays encore riches, et du gavage généralisé ! Boustifailles à la pelle et gadgets 0.0 ou 2.0 sont les mamelles incontournables de la reprise?

Mais pas question de gâcher les Fêtes avec ces remarques, d’aussi mauvais goût(s) que les mégalitres de pinards, arrachés à bas prix par la GD fraternelle à tous les vignerons en péril. Parce ce que, pour vendre des bouteilles à un euro ou moins, comment faire bon? Sinon à cramer la vigne, à la faire pisser à grands jets pour espérer se rattraper sur les volumes; de l’aqueux, du court, du gelé aux sulfites pour pas que ça bouge, mais du beaucoup, des rouleaux de picrates pour surfeurs assoiffés, qui s’en alleront décaper les gosiers de tous les grassement intoxiqués de la si jolie fin d’année.

Pourtant, pourtant, pourtant! Pourtant, oui pourtant…

Allez, je laisse de côté la syntaxe “distroy” appropriée aux reginglards sus-dénoncés pour retrouver une langue, sinon moins râpeuse, du moins plus en vibration avec les «petits» vins, qui ne voient pas briller leurs ors ou leurs rubis sur les belles tables festives qui clignotent dans les magazines et les reportages clinquants de nos lucarnes dorées…

Il est bien temps de bien dire combien les petits peuvent être grands et bons!

Pour les fêtes, amis, Beaujolpifez à souhait, Muscadochez à satiété. Que les embarrassés qui n’ont pas l’embarras du choix, que les fauchés, les banquiers honnêtes, les jeunes en CDD, les vieux qui végètent sous leurs retraites étriquées, et tous ceux qui aiment boire bon aussi, oublient les grands flacons, les Châteaux dans les prairies desquels paissent de beaux et grands chevaux blancs, les Domaines amis du papa d’Émile ou du Prince à qui il ne fallait pas vouloir en conter. N’en franchissez pas les grilles dorées, ils n’ont pas besoin de vous et se portent bien, voire mieux que très bien. Oubliez un instant l’esprit de lucre et soyez, par vos choix, solidaires de ceux qui tirent la grappe par la queue.

Allez, en foule, et comme ça vient…

Dans la série Muscadet, au pays du Bourgogne qui n’a pas le Melon, buvez Gorgeois, Clisson, Monnières, Saint Fiacre, Goulaine, Vallet, Sanguèze… qui croissent et embellissent sur Gabbro, Schistes, Granite… Vous trouverez de belles pépites qui ne craignent pas la garde, chez Brégeon, Landron, Charbonneau, Gadais, Luneau-Papin, Cormerais, Ollivier, Guérin, et d’autres, nombreux encore. Déçus vous ne serez, et ruinés sûrement pas!

Autre pays de Cocagne, le pays de Beaujolais, tout en courbes chargées de vignes de Gamay, qui résillent au printemps leurs rondeurs aussi fermes qu’avenantes. En cette région si souvent décriée, ruez vous comme rats sur fromages affinés. Achetez, encavez, buvez ces jus glissants, riches de fruits frais, aux matières conséquentes et goûteuses, que l’oubli – difficile certes – bonifie. Pour une fois, vous, que les tarifs, ailleurs, le plus souvent, sidèrent, serez surpris, ravis, enchantés de pouvoir acheter enfin, des vins qui ne sentent pas le cuir luxueux, la loupe de noyer, et le caoutchouc frais! Allez, courez, musardez, flânez, débouchez les Beaujobeaux qui feront de vous de vrais Bonobos shootés au pur Gamay noir à jus blanc! Sonnez aux domaines et entrez chez l’Isa-Belle des Côtes de la Molière dont les Poquelins (!) et les Moulins ne brassent pas du Vent (!), chez Jean Marc Burgaud et ses Morgons longs et pas bougons, tout comme chez Louis Claude Desvignes, autre Morgonneux de talent, dont les Javernières vous parleront la langue de la finesse et de l’élégance. Une joyeuse équipe, à laquelle il ne faut pas hésiter à joindre Daniel Bouland dont les Vieilles Vignes sont orgasmatomiques !!! Entrez un peu plus tard, si vous le pouvez encore, vous faire sonner les cloches au Château des Bachelards (oui y’s’la pète un peu…), par le Village et le Fleurie, par la Banane (primeure mais encore lourde de bonheur, en ce jour qui me voit l’éplucher) du sieur Bauchet et sa faconde du même métal. Chez Chignard, humble et peu bavard (ça repose…), désaltérez vous à la source des Moriers et des Vieilles Vignes. Et puis encore Franck Georges, Thivin, Viornery et d’autres que je ne connais pas…

 

Tous, en ces régions – la Beaujolète comme la Muscadaise – regorgent de bouteilles, à point nommé, faites pour aviver vos fêtes obligées, comme vos soirées improvisées.

Et que l’on n’aille pas dire que ce «publireportage» a été financé par un consortium quelconque ou rétribué par palettes.

Non, j’écris ce que goûte et aime !!!

ERASMOSATISIEECONE…