QUAND SAIGNE LE COEUR DU VIGNERON…

Botticelli. La Madone aux cinq anges.

 

Attack Massive, voix d’ange et coeur battant…

Cognac, loin des vignes à vin que j’affectionne.

Certes le Bordelais est juste là, passé ma cour. Pourtant je ne baguenaude plus sur les bords de la Gironde depuis vingt ans au moins. Mais je garde l’âme du guetteur, silencieux comme ces Sioux capables de scruter les vastes plaines des jours entiers, sans bouger, à chercher le bison blanc… A l’affût jours et nuits. Silencieux, enfin pas toujours… Je lis, j’écoute, j’observe, je suppute sans l’être pour autant, j’entends, je questionne, puis je laisse faire l’alchimie subtile dans l’obscurité de ma conscience sourde. Les informations glanées se télescopent, se corroborent, s’empilent, s’entassent, s’opposent, se neutralisent, bref, font leur chemin, librement. Dilettante je me veux et je n’interviens pas dans leurs échanges ou leurs conflits. Ça mijote, ça macère, ça glougloute, mes levures endogènes travaillent en silence.

L’ inconscience est ici une culture de la confiance.

Un beau matin, tout est en place, mes neurones ont classé le fatras, mon coeur a crémé le tout de sa lucidité paisible et je décroche. Le téléphone. Oui, un simple téléphone sans aucune de ces indispensables «applications» genre, micro-ondes-vibro-masseur ou mon frère (jeu de mot pitoyable qui se veut illustrer la vanité insane de ces petites machines à branler l’ego). Ça court dans les câbles, ça se connecte, ça bidouille dans les airs, dans le sol et miracle, me parvient, de là-bas, de quelque part en France, voire de Navarre ou de Bourgogne, ou d’autres contrées encore, récemment rattachées, la voix d’un homme que j’arrache un instant à sa vigne. Et de deviser. D’écouter, de palabrer parfois à l’Africaine, d’échanger, de rire, de déconner grave souvent et très vite. Et ça fait mouche toujours… Quelque chose du royaume de l’indicible, ce lien étrange qui se moque des fils, des cables, de l’absence, nous unit, les atomes crochent, nos âmes, par devers nos egos, se plaisent et ça n’en finit plus.

Quelques jours après les cartons pleins de bouteilles sont à ma porte. Souvent, très souvent, je n’ai rien encore payé, tandis qu’au loin, il rogne, il effeuille, il ébourgeonne, il s’affaire, paisible et confiant, dans les rangs des lianes qu’il accompagne, les pieds dans la terre qu’il aime, le coeur à parler aux vignes muettes qui ne lui répondent qu’au chai.

Et puis un jour que vous n’attendiez pas, tandis que vous sirotez paisiblement, en prenant le temps, un verre de vin sombre et odorant, après qu’il s’est détendu dans la carafe à large cul dans laquelle vous l’avez mis à son aise. Après qu’il a déployé, prenant le temps qu’il doit et mérite, ses ailes odorantes et fragiles, trop longtemps à l’étroit dans la bouteille sobrement étiquettée «Amidyves» 2007, vous apprenez, au détour d’un petit message de pixels bleus, que le mec qui s’est échiné à vous préparer ce jus qui vous extasie grave, a posé son chapeau entre les rangs de ses vignes ! Définitivement. Olivier B, qui en a marre de grimper les Côtes du Ventoux, à lâché son sécateur à caresser la syrah… Instantanément vous comprenez ce que le mot sidération veut dire. Pourtant le vin dans le verre, qui brille doucement à la lumière arficielle, au coeur de cet hiver sinistre, embaume et vous empalme la langue, comme le meilleur des baisers d’amour que vous avez jamais reçus. Vous frissonnez jusqu’au bout de la moelle, de plaisir et de tristesse confondus.

Quelques bouteilles des vins de ce vigneron au chapeau me restent. Je ne suis pas prêt de les boire. Mais je dis à ceux qui ne le connaissent pas, de l’assaillir de demandes, de le recouvrir de bons de commande, de l’asphyxier sous des monceaux de mails, de débarquer chez lui, «tout nu avec une plume rose dans le cul». Que les plus belles femmes du web vinique, nues commes des riedels graciles, frottent leurs seins lourds, leurs sexes phéromonés, leurs hanches agiles et charnues sur lui. Qu’elles s’empalent en ondulant et hurlant, qu’elles le chevauchent comme des cavales sauvages, qu’elles le vident, qu’elles l’épuisent. Qu’elles l’emmènent jusqu’au plus haut  des barreaux de l’échelle des plaisirs, qu’elles le roulent dans les farines levurées des orgasmes volcaniques et biodynamisants, qu’elles soient Chiennes et Madones, Mamans et Putains, qu’elles le libèrent de ses colères, et qu’elles impriment au creux de ses reins, le souvenir ému de leurs désirs dévorants. Qu’il repose exsangue et bégayant, le cep apaisé, sur leurs flancs tropicaux qui palpitent encore. Sorcières célestes, qu’elles le charment ! On ne sait jamais…

Pendant tout le temps qu’Olivier B s’est échiné,

Madoff faisait du lard dans son loft,

Sûr qu’il tirait le diable par la queue pourtange,

Le Diable, magnanime, rêvait la vie des Anges…

EFAISMOPASTIL’CONCONE…

Trackbacks Commentaires
  • Patrick de MARI dit :

    Merci pour lui!!!

  • le rustre dit :

    Alors non seulement tear drop, j’aime beaucoup, mais ton billet est très beau. Tu flanques des frissons quand tu t’indignes, poète inconscient.

  • Eva dit :

    Avec Teardrop tu m’as achevée. Comme le rustre, tu m’as flanqué des frissons. C’est un beau soutien que tu lui apportes là, un cri du cœur, un vrai.
    Une fois qu’on saura ce qu’il veut faire, t’inquiètes qu’on va le soutenir haut et fort !!!

  • Anne-Laurence dit :

    “je ne baguenaude plus sur les bords de la Gironde depuis vingt ans au moins.” Et Fonroque alors? 😉
    Très joli billet Christian, touchant, très touchant!

  • @ Anne Laurence au nom trop long. Fonroque n’a rien à voir avec les Bordelais Chartronnés qui pètent dans leurs bas de soie, tu sais bien…

  • Michel dit :

    Christian, poète au grand cœur!!!
    Bravo!!!
    Mais tu n’es pas au courant du système économique moderne. La production de biens, n’est plus la référence du système économique actuel. L’économie de notre nouveau monde, c’est la finance et son cortège virtuel. L’argent se brasse sur le clavier. Depuis 1980, progressivement, l’outil de production a été sacrifié au bénéfice des placements et des intérêts financiers. Les organisations sociales créées en agriculture par nos grands parents, ne sont plus au service des agriculteurs. Elles ont été détournées de leur but initial pour servir la croissance de ces mêmes organisations, avec la bénédiction de certains agriculteurs. Je ne citerais pas: la banque “verte”, l’assurance “navigatrice”, la MSA, les coops d’appro pour jardiniers du dimanche ou les coops de producteurs qui battent les privés pour les braderies des produits de leurs adhérents. Le mutualisme n’est plus que des mots, la réalité est toute autre.
    Nos grands parents se retournent dans leur tombe. Alors pour survivre, les aides? C’est complètement vicié, une indécence caractérisée. Trois-quart de ces aides vont à quelques agriculteurs qui n’en n’ont pas besoin et qui leur sert à acheter de l’immobilier à Paris ou Courchevel… C’est du vol des deniers publiques. Les Beauceront ont commencés, il y a 50 ans et maintenant toute l’agriculture vient téter la goutte.
    Revenons à notre sujet. Les vignerons qui se mouillent pour faire avancer leur métier (j’en connais) se trouve confrontés à des personnages en costume-cravate qui déambulent avec plusieurs parapluies sur leur haute personnalité. Ils sévissent dans les organismes cités plus haut, mais pas seulement. Ils ont leur bureau dans les organisations professionnelles et syndicales. Ils sont couverts par des agriculteurs “responsables” “élus”, intéressés par le système.
    Christian, rassures toi il n’y a pas que l’agriculture qui est concernée.
    Triste expérience de ce début d’année: comme les autres, je paye à ma banque “verte” de l’argent à prix d’or, pour perfuser ma trésorerie, j’ai eu le plaisir de voir des chèques rejetés, parce que mon compte était au rouge, le 31 décembre, et faisait perdre quelques euros de primes au gestionnaire de mon compte. Les pauvres, ils n’ont pas le choix. Ils sont payés à la carotte… alors bien sur!!!
    On est dans un drôle de monde!
    Mais Christian, tu résume très bien toute cette situation:” Pendant tout le temps qu’Olivier B s’est échiné, Madoff faisait du lard dans son loft” mais Madoff a été rattrapé, et courent toujours ceux qui ont su organiser ce vol légalement autorisé.

  • Michel dit :

    Dans le même style de scandale, mais personne n’en parle, c’est la spéculation sur les aliments. Exemple: le feu a détruit les céréales en Russie, les inondations anéantissent les cultures en Australie: le blé va être payé une fortune par les consommateurs et les éleveurs et les financiers accentuent la crise pour se remplir le poches. Ainsi va le monde….

  • Je sais tout ça Michel mais ce n’est pas trop mon but de faire l’économiste de cuisine. Madoff est un symbole et ça me parle mieux que “hedge funds” ou “finance”. Depuis que les visages ont disparu, le cynisme s’accroît. Et pour être tout à fait grossier, ce sont les violeurs sans visages qui te défoncent le mieux…

  • Pierre dit :

    Dans ce système qui nous dépasse et parfois nous broie on se sent petit et impuissant…mais la force de l’indignation est toujours positive. Il faut garder intacte et vivace notre colère contre l’injustice.

    “Créer, c’est résister, résister c’est créer” (S. Hessel)

    Merci Christian pour ces textes.

  • Michel dit :

    Surtout, ne deviens pas économiste de cuisine. Tes billets sont supers, ne change rien, continues pour notre plaisir. Ce très beau texte pour Olivier B., m’a suscité une réaction violente avec ce sentiment d’injustice que doit aussi ressentir Olivier B., car ces viols sont légalement organisés.
    Olivier, le fardeau est lourd, mais résistes encore, comme le dit Pierre. Tout ces petits ronds de cuir qui te mettent des bâtons dans les roues, saches que c’est la jalousie de ta richesse qui les fait agir.

  • OLIVIER B dit :

    Impressionnant, délirant, je frissonne à l’idée de voir débarquer toutes ces femmes………
    Un grand, bravo, c’est beau, c’est fort….

    Et surtout un grand merci pour le relai, ça fait chaud au coeur…

    A bientôt j’espère autour d’un verre de vin…

  • Pierre dit :

    Un 15° qui se boit comme du petit lait, irrésistible ! Si je trouve les mots je posterai un CR sur DC.

    En tous cas, goûté et approuvé…merci pour le tuyau.

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