Littinéraires viniques » Christian Bétourné

ACHILLE EST UN PETIT LAPIN …

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Landonne est en stage …

Pas de rendez-vous, cette semaine. Rien que le quotidien du pavillon. Olivier dans son bocal enfumé, comme un hareng gras qui jamais ne se dessèche, ravagé par la graisse et le tabac, qui rumine, psalmodie ses cantates étranges, occupé tout le jour à combattre les démons menaçants de ses rêves noirs, archange flamboyant face aux forces obscures de son imagination en délire, boudiné dans ses vêtements collant de crasse, de sueur et de suint accumulés, son gros cul souillé qui lâche ses eaux odorantes, et parfois même, quand un sourire béat illumine ses lèvres grasses, défèque de gros paquets de merde épaisse qu’il écrase en se tortillant voluptueusement sur le divan pourri, que les nettoyages quotidiens aux détergents puissants, que les filles de salle utilisent à grands coups de brosses à poils durs, n’arrivent jamais à désodoriser, Olivier s’étale, occupe la scène comme un pacha obscène. ACHILLE assis tout à côté de lui, sur un fauteuil à la toile élimée par les culs des foutringues qui se sont succédé au fil des ans à ruminer leurs misères, l’écoute, fasciné par la beauté lumineuse de cet être au visage diabolique. Ses longs ongles pointus virevoltent au bouts de ses énormes serres maigres, comme des épines empoisonnées, ses mains puissantes jaunies par la nicotine dessinent dans l’air d’étranges arabesques ésotériques, il bave généreusement de grosses bulles de salive jaune, entre lesquelles ses mots se graissent, et coulent de sa bouche comme des mantras gluants. De temps à autre, Achille acquiesce, Olivier rit à se déboîter la mâchoire et repart de plus belle, à cracher ses consonnes gutturales et ses voyelles liquoreuses. Le temps se fige. Parfois, sous ses paupières closes, les monstres d’Olivier grimacent, mais leurs yeux immenses, jaunes et aveuglants, aux pupilles fendues, ne l’effraient pas. Olivier veille, il se lève, tonitrue, et les monstres se dissolvent dans la gelée du temps suspendu.

 Élisabeth volette comme un papillon mourant, trottine, s’assied, ouvre, referme trois fois son baise-en-ville rouge, quémande une clope, ramasse un mégot, l’enfourne dans son fourre-tout fatigué, se rassied, recommence son manège des heures entières, ne se lassant jamais. Son rituel la rassure. Quand elle aperçoit Achille au sortir de sa chambre, elle claudique vers lui, à tomber, le croche par un bras, l’entraîne vers le vieux banc près de l’entrée, et se colle contre lui, lui raconte son frère, son père, qui vont venir la chercher, le temps de deux respirations, le taxe d’un cigarillo, puis s’envole vers d’autres aventures, mille fois répétées, en couinant de plaisir. Elle a tracé son chemin, avec ses pauses, ses conversations, ses repères, une contre-allée, à l’écart des conventions humaines, qu’elle arpente immuablement, le royaume dont elle est la reine incontestée, que nul, jamais ne lui volera.

Le soir, avant le coucher, Achille s’astreint à jouer au tarot, impossible d’y couper, ses comparses l’attendent et s’exclament, joyeux, quand il arrive en traînant les pattes. Les cartes tournent, les tours se se succèdent, les points s’amassent, ça crie, ça s’énerve pour de faux, ça fait comme si ça vivait. Achille s’efforce, mais le cœur n’y est pas, et cet autre rituel, qui le rassurait il y a encore peu, ne suffit plus à calmer l’angoisse qui le tord à la pensée de la nuit prochaine, aux affres qui vont lui manger son sommeil, aux rêves qui vont se succéder, comme les giboulées glacées qui cinglent les fenêtres noires du pavillon, au travers desquelles les lueurs jaunes des lampadaires, clignotants sous les bourrasques, lui rappellent les yeux terrifiants des monstres d’Olivier, et les gouffres effrayants à venir.

Ils ont tous avalé leurs médocs, Achille en a planqué la moitié entre joues et gencives, les cerbères ont refoulé les camés dans leurs chambres, le pavillon « C » plonge dans le noir. Emmitouflé dans une robe de chambre, Achille cuit sous ses couvertures en attendant le voyage éprouvant qu’il redoute chaque soir. Et Landonne qui fait sa belle en stage, cette garce l’a abandonné !!!

L’enfant est assis sur la table de la cuisine, la cuisinière à charbon ronfle sous le vent fort d’hiver, à ses pieds, Mickey, étalé de toute sa fourrure épaisse, ronronne, et le bambin babille en le montrant du doigt. Assis sur une chaise, son père lui fait face, le visage tendre et souriant à la hauteur du sien. Ses paroles douces sont murmurées, et le son de sa voix grave et mélodieuse berce le mioche, qui l’écoute attentivement en fronçant son petit nez. Il n’a pas deux ans, commence à saouler son monde avec son baragouin, mais comprend tout ce qu’il entend, et ressent plus encore sans doute. C’est l’histoire d’un petit lapin perdu dans la forêt, la nuit, au milieu des grands arbres noirs ; il a froid le petit lapin, il a faim aussi, et se sent perdu sans sa maman et son papa qui le recherchent en criant son nom ; « lapinou, lapinouuuu … ». C’est qu’il les entend bien, alors il court droit devant lui, vers les voix de ses parents, mais il boule sans cesse, se griffe aux branches basses, se pique aux orties, sa fourrure de bébé lapin n’est pas assez épaisse pour le protéger vraiment … L’enfant aux yeux écarquillés, emporté par l’histoire, ne bouge plus, respire à peine, il a chaud, trop chaud dans sa grenouillère de coton épais, comme le lapin exténué par sa course. Son père mime l’histoire à grands gestes, sa voix monte en puissance, redescend, gronde, s’apaise, repart, se fait fluette quand il imite le lapin, grave quand il évoque l’obscurité effrayante du sous bois, le hululement du Grand Duc, le bruissement des feuilles sous le vent, le hurlement du loup qui se rapproche, les couinements du lapinou apeuré. L’enfant a plongé dans les yeux d’azur de son père, il mime lui aussi le déroulement de l’histoire, gauchement, il est ce pauvre lapin en détresse. Qui trébuche sur une racine, roule sur le dos et se retrouve entre les pattes d’un loup gigantesque, grondant, babines retroussées, qui le regarde de ses énormes yeux jaunes veinés de sang. Mais les parents, accompagnés d’une meute de grands chiens féroces, déboulent et chassent le loup. Les retrouvailles, enfin. La maman lapin serre très fort son petit entre ses pattes. Alors l’enfant, tombé au fond des yeux de son père, se met à hurler, bras tendus, en appelant sa mère. Désespérément. Qui ne vient pas. Son père tente de le calmer, le promène dans la pièce, l’incite à caresser le chat. Qui méfiant s’enfuit. En vain, le petit hurle de plus belle, le visage inondé, il étouffe à moitié, devient cramoisi, puis bleu de rage. Quand sa mère accourue le soulève de terre, il enfouit le nez dans son cou, crache, tousse, pour finir par geindre doucement et ses mains frappent le dos de maman. Il a cru qu’elle ne viendrait pas à son secours. Assis sur les genoux de sa mère, caressé par la grande main de son père, il se calme, ses yeux brûlants se ferment peu à peu. Grosse fatigue. « C’est l’heure du dodo » murmure sa mère. Alors il se raidit d’un coup, échappe aux mains de maman, papa le rattrape de justesse par un bras, l’enfant se met à brailler de plus belle. La terreur noire, celle qui le réveille au milieu de la nuit, le submerge. Nonnnn, mamman, mammannnnn …

Achille, épuisé par sa nuit, ouvre les yeux péniblement. Et se met à ricaner douloureusement. « Putain de lapin à la con, putain de môme de merde, putain de … » Sa pensée, il ne sait pourquoi, soudain butte et se bloque. « Ah oui Landonne sera là, on est lundi, elle est rentrée cette lâcheuse ». Sous la douche, assis, jambes croisées, il se gave de plaisir liquide brûlant, se sèche, s’habille un peu mieux qu’à l’habitude, et visage pâle et yeux cernés, s’en va petit déjeuner sobrement. Ce matin, il a oublié son envie de courir par les sentiers, le bonheur de rencontrer Oscar. Il a oublié, tant il a hâte, tant il a la trouille de retrouver Landonne, et d’avoir à ne pas se taire. C’est que la séance risque d’être rude, difficile de reprendre la parole figée depuis une semaine, de pardonner à Landonne son absence, lui qui a vécu ce temps, si long, comme un lâchage.

 Achille s’est assis sur le banc,

 Près de l’entrée du pavillon,

 Et poireaute,

 Blanc de peur …

 Le monde a changé, Achille le désossé a dû changer sa vieille lampe de bureau, sa fidèle s’est éteinte d’un coup, s’est électrocutée elle même, un soir qu’il écrivait ses obscurités, elle s’est mise à grésiller, sa coulée d’ambre chaud a tari quand elle a fumé jusque sous son socle. Des éclats de verre sont tombés dans le vin, son rituel n’a pas eu lieu, pour la première fois ! Il a jeté le vin, consumé par les remugles du passé. Dès le lendemain, Achille est parti à la recherche d’une lampe neuve, il aurait voulu trouver la fille de la précédente, mais il a vite compris que cette race, faute de mâles, était éteinte depuis des lustres (sic). Dépité, Achille a ramassé la première garce qui lui a sourit, au détour d’une interminable rangée d’illuminées, dans une surface qui n’avait de grande que le nom. Une blanche comme le prénom de sa grand-mère. Il a sourit lui aussi, ils sont partis, bras dessus, bras dessous, elle surtout, dans sa boite multicolore. Puis une idée lui est venue, se trouver une ampoule qui donnerait la même lumière que celle qui embrasait jadis les yeux de Sophie. Oui, une source cristalline aux reflets d’aigue-marine, sous laquelle il baignerait dans une lumière magique, tremblante, caressante, céruléenne. Ses rais phosphorescents l’envelopperaient dans un cône parfait, un paradis secret éternellement tempéré, une piscine d’amour liquide, et l’hologramme de Sophie, en suspension dans l’air, là, pour lui, pour toujours. Pour jamais … Il a eu beau tourner, virer, écumer les magasins chics et les souks périphériques, chercher sous les manteaux des dealers d’amour, se perdre sur la Toile de l’araignée virtuelle, jusqu’aux confins de la Mongolie Extérieure, jusqu’au bord du monde, des mondes, il n’a pas trouvé, la mer liquide des temps passés à ne pas pleurer, infranchissable, l’a arrêté. Cette rêverie au milieu des caddies, des fantômes affairés, aux yeux blêmes, aux haleines fétides, avides de pizza et de jambon gluant, en rangs serrés, comme une horde de mouches bleues sur un cadavre, ce contraste, il en prend conscience soudainement, il éclate de rire, un rire lourd, épais, grinçant qui trouble la morosité du lieu, et dessine dans les yeux des mouches quelques facettes de réprobation noire. Mais Achille s’en branle grave trop ! Comme des années auparavant, il s’est assis dans la galerie marchande d’un bistro sans âme et a bu une bière tiède au goût de carton …

 Sophie,

Sophie, Sophie,

Mais pourquoi,

Pourquoi,

N’es-tu jamais

 (Re)venue ?

EDÉMOPITITÉECONE.

TU ES L’ORAGE …

Tu es la fleur

De ma peau,

Je suis la peau

De ta fleur.

Malheur …

—–

Pourtant,

Tu es l’orage

Qui ravage

Ma vie,

Mais n’éclate

Jamais …

—–

Rien ne bouge,

Pas un doigt,

Seule la fleur

Dépérit

Et se noie …

—–

Sur la route

Qui s’en va

Là-bas, si loin,

Qu’elle n’a pas

De bout.

Pérou …

—–

A nager

Sous les eaux,

A croire

A tes nageoires,

Atrophiées …

—–

Tapis Persan,

Dolent,

S’y allonger

Soudés.

Où êtes-vous,

Ma Lou.

Emmiellerais,

Je vous …

—–

Brassage

Si doux,

Manger

Votre,

Aimerais,

Lait

Coagulé …

—–

Flancs

Caressés,

Griffés

Brûlés,

Langue

Mordue …

—–

Laine

Tressée,

Poires

Pressées,

Fesses

Ventouse,

Sur ta pelouse,

Comme une bouse,

Étalée …

—–

Cri

Éclaté,

Quartz

Fendu,

Quark

Ventru,

Iris,

Lapis

Tordu …

—–

Viens t-en

Aimer,

Jade

Maussade,

Aigue

Aigre

Du temps

Perdu …

—–

Osmose,

Ma lose,

Ose,

Repose,

Murène

Trop pleine,

Loss,

Mon os,

Entraperçu …

—–

Obsidienne

Ma chienne.

MOUTONS BLANCS …

Seul,

Cette nuit

Mon coeur

A la peine

Écoutera

Ta voix,

Qui ne sera

Pas là,

Occupée à dire,

D’autres mots

De soie …

Sous les draps,
Dans le vent
Qui souffle
En tempête,
Rien ne sert
De hurler,
Comme un loup
Dépecé.
Ses yeux crevés,
Ne voient plus rien,
Sous ses paupières,
Mortes,
Ses souffles
Épuisés,
Ne passent plus
Ta porte.

Lumineux,
L’extasié,
Qui roule
Sur ta peau,
Ignore,
Que dans la nuit,
D’autres yeux
Aveugles,
Aspirent,
Soupirent,
Mangent
Ta peau,
Et coulent
Leurs eaux,
Lourdes et
Gelées,
Figées.
Tout ce temps,
Ses mains
Acceptées,
A ton horloge,
Ont sonné.

Mais que vienne
Me délivrer
La dague,
Lame crantée,
Regard vague,
Œil énucléé,
Poitrine lardée,
Ventre crevé,
Tripes coulantes,
Fumantes,
Puantes,
Exposées.

Mon sang

S’en va,
Là-bas
Couvrir ta peau,
De gouttes rouges,
Comme des rubis
Éparpillés.

Entre tes cuisses,
Lisses,
Délices,
Réglisse,
Dardé,

Qui donne
Au cœur pâmé,
Le plaisir infâme,
Tant espéré.

Souffrir,
Mourir,
Exsangue,
Valse lente,
Troublante,
Carangue,
Aux flancs
Argentés,
Tu tangues,
Coeur éclaté,
Corps comblé.
Âme voilée.

Sur la pierre froide
De mes espoirs
Perdus,
Je putréfie,
Roide
Et perclus.
Les fleurs,
Beurre fondu,
Boutons d’or,
De ma mort
Programmée,
Fleurissent
En grappes
Tremblantes.
S’en est allé,
Le printemps,
Le ciel azuré,
Branches chargées
Des feuilles vertes
Qui caressent,
Et balancent,
Sous le vent,
Berce
Les moutons blancs.

Linceul sali,
Je pourris.

ACHILLE EN CHAMBARDEMENT …

caravage-david-et-goliath-1606-07Caravaggio. David et Goliath.

 

Achille s’est assis.

Un peu raide sur sa chaise face à Landonne. Ce jour elle s’est drapée de vert, d’un de ces vert bronze velours à rendre jaloux Véronèse qui l’enveloppe bizarrement. Il ne boude pas, mais la regarde simplement sans sourire. Landonne suit son manège des yeux, il la détaille curieusement. Elle ne dit mot, ne marque rien, ne s’en offusque pas, accepte tranquillement qu’il ait fini de l’observer. Mais il la voit plus qu’il ne la regarde. Pour la première fois il a l’oeil franc, un peu intimidé quand même, le front haut, les mains posées sur les genoux, pas vraiment détendu, pas serein non plus mais calme. C’est alors qu’elle lui sourit, un sourire rassurant, doux, naturel, le sourire mesuré d’une femme qui ne cherche rien, n’attend rien, mais ne refuse pas. Achille se fend d’un rictus tremblant et chevrote un «Bonjour madame Landonne» qui lui vaut en retour un «Bonjour monsieur Achille» à voix moyenne. Puis un petit blanc que rien ne casse s’installe, un petit blanc léger comme un aligoté de l’année, ni pression, ni angoisse, ni peur, le temps qui roule paisiblement. Rien ne semble dépasser chez cette femme pense Achille, lui qui donne volontiers dans les excès cela le surprend depuis le début, voilà quelques semaines déjà … De silence obstiné ou plutôt de silence épais, bouche cousue, dans l’impossibilité de former un mot, une syllabe, pas même de soupirer, à user des heures entières son énergie, à respirer de la pointe des dents.

L’araignée n’a pas reparu depuis le moment où le regard bleu de l’enfant a fulguré, alors qu’il venait de tomber et que dos collé au sol gras, l’éclair avait jailli du ciel de son inconscient, fracassé la porte du présent, lui jetant en pleine face ces yeux d’azur dont les pleurs anciens l’avaient instantanément inondé, le laissant hoqueter comme une poupée cassée, pitoyable. Vivre ces instants, aussi brefs qu’intenses, avait été pour Achille une épreuve redoutable, déchirante et il regrettait presque la comptine de l’aranéide avec laquelle il vivait depuis quelques temps déjà. C’est qu’elle avait fini par lui donner la rage cette putain de bestiole, tous ces combats de jours et ces nuits de cauchemar, l’avaient quasiment occupé à plein temps. Mais maintenant ce petit bonhomme fragile et si puissant à la fois, c’était nouveau, il ne savait pas par par quelle menotte le prendre et surtout il détestait au plus haut point ces émotions liquides qui le gagnaient sans qu’il puisse leur opposer la moindre digue, comme à la terre les vagues de la mer en furie. Landonne ne bronchait pas, six semaines qu’elle reposait sur son gros cul – la génétique fait bien les choses – pendant qu’il bouffait les heures à la sauce blanche pour ne pas les parler.

Achille inspira un grand coup, sa respiration resta bloquée quelques longues secondes, puis au moment où l’étouffement le gagnait et lui mouillait les paupières, il ferma les yeux – l’image d’un saut dans le vide lui traversa l’esprit – il hoqueta et le bouchon qui lui obstruait la gorge depuis des semaines céda d’un coup comme un barrage sous l’assaut des eaux trop longtemps retenues. Il se vida d’un jet qui dura longtemps sans doute, il ne savait plus, les mots affluèrent, en désordre d’abord, ce fut comme un long vomissement acide, douloureux et soulageant à la fois. En vrac, pêle-mêle, il balança, la chambre, le lit blanc à barreaux, les rêves de cet enfant puissant, la terreur qu’il lui communiquait, les tortures du nounours, les gémissements mal tus dans la chambre, la peur qu’ils déclenchaient chez le nourrisson et qui résonnaient en lui, qui le cinglaient plus durement qu’un fouet sur la croupe d’un cheval fou. Son esprit lui criait de se taire mais il ne l’écoutait pas, les torrents, les cris, les imprécations qu’il déversait étaient plus forts que le regard meurtrier de l’enfant qui de toutes ses forces tentait de le subjuguer, les hurlements de l’araignée hors d’elle, que la honte qui le submergeait, que le regard supposé de Landonne qu’il ne voyait pas. Son cœur de pierre, ses tripes nouées, son plexus brûlant, ses yeux prêts à éclater, tout ça se détendait doucement ; et ce bien être qui lentement s’installait n’avait pas de prix. Achille crachait, chiait, vomissait, expulsait à la face de Landonne muette, des flots d’énergie noire, accumulée depuis des lustres sans qu’il le sache. Étrangement il se sentait mourir et renaître à la fois. Il se tut aussi brutalement qu’il avait hurlé, car il avait inconsciemment braillé tout ça, et sa voix méconnaissable, la voix tonitruante de sa si vieille rage avait franchi les murs de la pièce et inondé couloirs et salles alentours. La porte de la pièce s’ouvrit, une infirmière très inquiète accompagnée de deux costauds, apparut. Landonne leur sourit et les renvoya d’un geste de la main. Achille a demi levé, le corps en arc de cercle, poings serrés, jambes dures et ventre de bois, tout entier à son long dégueulement, n’avait rien vu, rien entendu, il était sourd et aveugle au monde, à ce foutu présent qu’il tentait de retrouver … «Il est l’heure» dit Landonne de sa voix blanche. Achille avait fini de se redresser et se tenait presque sur la pointe des pieds. Il ouvrit les yeux et la lumière crue du soleil qui perçait la fenêtre l’éblouit douloureusement. Il lui semble percevoir la réalité au travers d’une soie blanche en fusion, le monde comme une photo surexposée, Landonne, blafarde, exsangue, fondue dans la pièce sans relief, comme une crème fondante, seules ses pupilles foncées tranchent sur la scène à deux dimensions.

Elle répète doucement, «C’est l’heure monsieur Achille» …

Achille a sourit timidement. D’une voix cassée, rauque, il lâche un « oui » pierreux, tousse, se racle la gorge mais rien n’y fait, il peine à parler, se sent vidé, épuisé, rincé. Dormir. A dormir il aspire. Partir, se noyer dans les plis doux d’un sommeil sans rêve, un sommeil lourd, un sommeil de mort. Les bruits du monde, oui il est au monde, il est le monde. La vie revient peu à peu. Il s’assied un instant, sourit dans le vague, marmonne quelques mots incompréhensibles, même pour lui, baragouine, le regard en dedans, comme un aveugle, soupire, soupire encore. La pièce retrouve ses formes et ses couleurs, Landonne, son corps massif, son sourire aussi. C’est bien que ce soit fini pour aujourd’hui, pense t-il, son corps est douloureux, l’image d’un écorché vif dégoulinant de sang tiède et dilué clignote un instant puis s’éteint. Achille est parti sans un mot, il se sent mou, comme un papillon fragile accroché aux bords secs de son cocon qui balance dangereusement sous l’à peine brise qui souffle sans que personne sauf lui la sente. Il traverse les salles, longe les couloirs en traînant les pieds, en dedans il entend son être brisé cliqueter comme un sac de verre pilé.

La nuit est tombée, Achille n’a pas bougé, il a froid, plus que nu sur son lit, ses yeux écarquillés regardent le mur blanc de sa chambre, s’y perdent à se crever. Ni la faim, ni la soif ne le troublent. Il parvient, en se tordant comme un tronc démembré, à se glisser sous les draps, à s’enfoncer jusqu’à ce qu’il soit entièrement recouvert. Dans son cercueil de coton rêche il se réchauffe lentement au rythme de sa respiration humide et le contact douloureux du tissu s’estompe peu à peu. Achille sombre, tombe, s’enfonce dans son lit, comme un fruit mûr s’écrase sur la pierre, pour se dissoudre enfin dans le silence poisseux d’un sommeil de mort.

La mère a posé l’enfant à même le carrelage glacé, au pied de la cuisinière à charbon qui ronronne plus que Mickey le chat noir à la gorge étoilée de neige, Mickey se méfie de ce petit être dont le regard d’azur a prit des reflets mercure quand il lui a collé sous le museau ce tison rougi, enfoncé pour l’heure dans l’œil sanglant, au centre des flammes bleues mouvantes qui brasillent derrière la grille menaçante de la cuisinière ronflante. Le froid bleuit les fesses et les jambes du bambin, le feu lui chauffe le dos à presque brûler. En face de lui, gigantesque monstre à demi affalé, son père somnolent, à demi nu, dont les pieds baignent dans un large bassine émaillée remplie d’eau fumante. A genou devant lui sa mère le lave, le rince et le relave. C’est qu’après trois jours et trois nuit de travail intensif dans le froid, le vent et la crasse des bassins de radoub l’homme est harassé, effondré même. Ce corps gigantesque l’effraie, qui le domine de toute sa masse et sur lequel sa mère s’affaire en lui tournant le dos. Entre le froid et le chaud qui l’assaillent en même temps il ne sait plus. L’enfant, bras tendus, pleure à chaudes larmes, son regard se voile, le chat s’enfuit en râlant, la scène tremble, les perspectives se défont, se croisent, comme si Goliath à chacune de ses respirations enflait, remplissait la pièce tandis que la femme penchée, en adoration, réduite à peau de chagrin, se dégonflait comme une baudruche crevée. L’enfant étouffe à demi, sa poitrine menue bat comme un petit soufflet de forge désespéré, ses doigts crispés brassent l’air humide, sa mère qui le serrait nuit et jours dans ses bras esseulés ne l’aime plus … Tout ou rien, amour ou haine, sans même le savoir ces sentiments extrêmes, excessifs et mortifères, l’imprègnent à jamais …

Achille le déboussolé ne bouge plus. Derrière ses yeux clos la scène a du mal à s’estomper, il respire à petits coups douloureux, ses mains crispées tapotent sporadiquement son clavier et sa page se couvre de signes incohérents. Dans le noir sans fond de cette nuit, hors du temps ronflant des hommes qui dorment, il peine à retrouver ses esprits. Alors il se concentre sur la lumière chaude de sa vieille lampe qui lui caresse le crâne de sa langue d’ambre fidèle. Le froid ambiant lui mord le dos, lui glace les jambes et son rire triste crève le présent silencieux. Il s’ébroue en frissonnant, ouvre les yeux et découvre dans le miroir de son écran aveugle, l’instant d’un soupir qui lui semble le dernier, le visage fantomatique de l’enfant disparu.

Dans la combe ronde du verre à longue tige de cristal, se mêlent au centre du rubis patiné qui repose alangui, les flammes opalescentes du lumignon et les moires orangées des années empilées qui patiemment gagnent la robe de charbon ardent qui résiste encore à l’empreinte implacable du temps. Sur le lac paisible de ce vieux Cahors « Expression » du Château Lamartine qui a dormi depuis 1996 dans sa cave, il se penche. Les parfums délicats des prunes mûres et des cerises juteuses le rassérènent puis viennent à ses narines pacifiées des notes de vieux cuir, d’épices douces, de cigare, de cèdre, de chocolat noir et de café. Les yeux embués il cherche dans le jus crémeux qui lui emplit la bouche un peu de paix, un soupçon de bonheur. La purée de cerise lui caresse un instant le palais avant d’enfler et de déverser longuement sur ses papilles reconnaissantes un flot de fruits mûrs, épicés et suaves. La matière charnue, dense, s’allonge et dépose son taffetas de tannins enrobés sur sa langue avant de s’en aller réchauffer son corps frigorifié. Achille ne bouge plus et savoure la réglisse, le chocolat et le café noir qui répugnent infiniment, comme l’enfant qu’il a été, à le quitter.

L’ampoule de la lampe,

D’un coup a grillé.

Sophie sans doute,

Du fond des âges,

L’a soufflée.

EHAPMOPÉETICONE.

DÉLIRES DE GLU …

C’est une histoire étrange,

Celle d’un ange,

Qui se mélange,

D’une mésange,

Entre deux eaux.

—-

 Eaux lustrales,

Mygale

Velue,

Désirs,

Déçus.

—–

  L’ange pleure,

Quand la mésange

Se tourne,

Vers d’autres peaux.

A devenir barjot.

—–

Il a crié

Dans le désert,

Où nul ne l’entend,

Sa rage et sa misère,

A se briser les flancs..

 —–

 Mais la mésange

Ne sait plus, si

Elle aimera l’ange,

Toute une nuit,

Dans un grand bruit.

 —–

 Volcan maudit.

—– 

 Rage grise,

Folie explose

Comme une rose

Qui s’est éprise

D’un radis.

—– 

 Le long des rails,

Putain de vie,

Va t’allonger,

De tout ton long,

Et crève sale con.

—– 

 Pauvre lion,

Aux dents limées,

Va te bouffer,

Comme un enfant

Berné.

—– 

 Va donc te pendre,

Plutôt que t’éprendre,

D’un beau poison,

Qui te bouffe

Le gazon.

 —–

 Exorciser encore,

A tâcher j’y travaille,

Douloureusement,

A couper la paille,

Qui me fend.

—–

 Garce, la vie dure,

Tranche, coupe épure,

Arrache ce gland,

Qui me tue,

Fouaille, puant.

—–

 Qui se tend,

Qui me nargue,

Innocent,

Ange déchu,

Dans ton cul.

—– 

 Fantastique,

Ciel lubrique,

Corps céleste,

Coup de trique,

Ange béant.

 —–

 Toi qui bêle,

Tourterelle,

Jouvencelle,

A ta nacelle,

Je me pends.

—– 

 Conspuée,

Concernée,

Ton compère,

Congénère,

Congruent.

—–

 Étrange sylphide,

Ronde et languide,

Condor écarquillé,

Compulsif,

Je te biffe,

 Mon kiff.

 —–

 Converse

Perverse,

Congelé

N’a pas de bulles,

Peau de tulle,

Conciliabule.

 —–

 Congrès

Éberlué,

Comme la fée,

Tu me suces,

Le nez.

 —–

 Étincelant,

Aux Étoiles,

Concupiscentes,

Je me casse,

Les dents.

—– 

 Conacry,

Noire Sacristie,

La folie gagne,

Encense,

Je danse.

—–

 A la folie.

 —–

 Confort,

La compote,

Contre le fort,

Mon concierge,

A la main.

—–

 Je me bats.

 —–

 Ma mi-temps,

Concomitant,

Au mitard

Exaspérant,

Je suis.

 —–

 Pourquoi,

Ma foi,

Ma moi,

Ma loi ?

Perclus,

Combattu.

—– 

 A la prune,

Chaude,

En maraude,

Condamné,

Pauvre gland dû.

 —–

 Accroche toi,

Aux branches,

De la pieuvre,

Verge folle, si blanche,

Sur ta hanche

Un oiseau s’est perdu.

 —–

 Convenu,

Combattu,

Comprimé,

Entre tous,

Révéré.

—– 

 Pierre de lune,

A ta hune,

Me suis pendu,

Mordu,

Foutu.

 —–

 Merlu

Confit,

Confus,

Déchiqueté,

Contrit.

L’ADIEU AUX LARMES …

1017499_10200110181262788_462892179_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

A force
De pleurer,
La source
A tari.
Lui,
Bel amour
Joli,
Il a vidé
Les yeux
Des orages
Maudits,
Broyé
L’espoir.

Les poires
Blettiront
Entre d’autres
Menottes,
Serrées,
Patientes,
Lentes.

Accrochées,
Au rose
Des joues,
Les larmes
Séchées
Des tendresses
Envolées.

Dans le silence,
La pente,
Des reins
Meurtris,
Connaîtra
Les délices
Des amours
Complices.
Et pleure
Le gland
Melliflluent,
Des élixirs
Blancs
Qui coulaient
En grumeaux
D’argent
Sur le ventre
Gluant.

Obsidienne,
Factice,
Si lisse,
La peine,
Trop pleine,
Pour que vienne,
Le temps,
Harassant,
Du souvenir
Glaçant,
Des atermoiements
Désolants.
Mutine,
Coquine,
Souris,
Regard
Banni …

Dans la nuit
Du sommeil,
Envolée,
L’abeille,
S’est
Évaporée.
Pierre
De lune,
Au sommet
De la dune
Reste,
Perchée.
A l’équilibre
Instable,
Les larmes,
As préféré.

Pleure
La douleur.

Coule
La douceur,
Aimer
Ne sais.
De caresses,
Drôlesse,
Privé
Il est.

Poivre

Concassé,

Désir

Castré,

Plaisir

Refusé.

L’adieu

Aux larmes

A sonné.

A,

Le rat,

B,

Musqué,

C,

A crié,

D,

Dépiauté,

Dévasté

Déglingué.

Radieux,

Le soleil,

S’est couché.

Humide,

La lune,

Timide,

S’est levée …

CASSE, TOI QUI CASSE …

Casse le cœur

Des couilles,

Casse les couilles

Du cœur,

Lâche,

Fugace,

Rapace.

Peureuse,

Dévoreuse

Radieuse,

Petit cœur,

Bonheur,

Balance

Ta pulpe

Grasse,

Mielleuse,

Sur la rose

Fanée.

Hardeuse

Heureuse

J’aime

Ta gemme

Inexplorée.

Rêve

D’orfèvre,

De perle

Enchâssée,

Brisée …

 

 

 

Lance,

Brillante,

Ta fiente,

Agace,

Perce

Ta fente,

Ta mousse,

Éteint

Les globes,

Laisse

Ta robe,

Tes orbes

Se pâmer.

Au vent léger,

Tu es allée,

Désagrégée.

Te pendre

Au cou brisé

D’un amour

Hésitant,

Que porte le vent

Léger

Sous ta jupe,

Parachute,

Envolée.

Ma grâce,

Tu m’as,

Grognasse,

Déglingué…

 

 

 

Vorace,

Tu m’as

Exaspéré.

Pablo Casals,

Laisse aller

Ton archet,

Sa gomme

Arabique

L’a révulsée.

Brisée,

Elle s’est donnée,

Écartelée,

Aux coups furieux,

Sulfureux,

Dorés,

Et répétés,

De ses ardeurs

Renouvelées,

Tu as crié,

Adoré,

Ce jour

Maudit.

Et tu renies

Hésites,

Marrie,

A me consoler.

Le souvenir,

Menhir

Sanglant,

Te plaît…

 

 

 

 Dans la nuit,

Chouette,

Il t’a faite

Hululer.

Entre les étoiles

Scintillantes,

Il t’a emportée.

Moribonde,

Tu as bramé.

Tu cries

Au ciel,

A la voûte

Étoilée,

Ta peine

Ultime,

Qui sourd

De la pine

Sacrée,

Des espoirs

Inexplorés.

Le seuil,

Cercueil

De ta vie

Rêvée,

Jamais,

Tu n’oseras

Passer …

 

 

 

Livide,

Déchu,

J’erre,

A demi nu.

Excalibur,

Si dure,

Pure,

Épée d’acier

Trempé,

Découpe,

La loupe,

Défonce

La houppe,

Remplis

La soute,

Vide

Tes flancs,

Plonge,

Crève

Les flots

Blancs,

Allège

Le cœur

De tes amants.

Rutile,

Nubile,

Fée

Dépecée.

Jamais.

Rubis,

Paradis

Souris …

 

 

 Casse,

Toi qui casse,

Enlace

Moi.

ACHILLE ET L’ENFANT …

Marianne Stokes. la vierge et l'enfantMarianne Stokes. La Vierge à l’Enfant.

 

C’est l’heure …

Achille s’ébroue. Du mal à décoller de sa couche qui le réchauffe. Landonne ne va pas tarder. Deux semaines qu’il esquive, louvoie, emmuré dans un silence buté, la tête prise dans un ciment épais, collant, qui lui englue les neurones dans une sauce épaisse, une béchamel grasse, une soupe de légumes broyés à la moulinette émotionnelle. Il sent bien que son plexus qui irradie nuit et jour une chaleur brûlante le bloque, l’empêche, comme si le passé délétère ne voulait pas remonter, de peur de se dissoudre, de disparaître à la lumière crue de sa conscience claire. Alors il s’assied à chaque fois face à la dame, le dos droit sur sa chaise, jambes croisées, serrées à se faire mal aux génitoires. Visage fermé comme celui d’un enfant capricieux, tête baissée il se perd dans la contemplation des chaussures noires de cette femme si patiente, se noie dans le cuir verni, se dissout dans les boucles argentées qui les ornent. Achille se dilue, s’échappe, se ferme de peur de mourir. Cela vient de loin, il le sent bien, quelque chose d’avant la parole, d’avant les premières idées, du temps très ancien, archaïque des premières croyances élaborées d’instinct au creux de son ventre de bébé en pleurs. Mais il repousse ces émotions, ces idées confuses, comme si les reconnaître le tuerait, le renverrait à l’avant vie, petite tête agitée au bout d’un spermatozoïde à flagelle, qui grimpe, qui grimpe …

Nan bredouille l’enfant en hurlant qui s’agrippe de toute la force de ses petites mains potelées aux barreaux du lit blanc. C’est qu’il est puissant l’enfantelet, il tient Achille par la nuque et lui écrase le cœur de toutes ses forces décuplées par la rage de survivre. Ce cœur en purée incarnate, chaude, dégoûtante, coule dans sa poitrine, l’étouffe, le paralyse, s’immisce en grumeaux paralysants jusque dans ses extrémités, lui transforme la verge en pousse de radis, lui broie les tripes et lui crame le ventre. Achille se recroqueville tant bien que mal, un goût métallique de vieux sang séché lui mange la bouche. Le soupir d’un enfant au cœur gros s’échappe de sa bouche, malgré lui. Landonne le regarde, son regard brille mais pas trop, ce qu’il faut pour qu’il ne sente pas sollicité mais discrètement encouragé cependant à dire ou non. Mais qu’il lui est difficile de se redresser, de lever la tête et de regarder le visage de cette femme ! Rien à voir avec Marie-Madeleine, avec cette rousse charnue, charnelle, bandante. Impossible de la regarder d’un œil spermatique, de jouer la séduction, de faire la voix sourde, de la fixer dans le blanc des seins jusqu’à la faire bafouiller, tant et tant qu’à la fin les obus pointent, prêts à craquer!!! Non, Landonne a quelque chose de sexuellement neutre pour Achille, quelque chose de doux, de réconfortant, son corps n’est pas fait de courbes audacieuses, de défis à l’équilibre, de sucs succulents, il est même un peu massif, mal dégrossi, d’un bloc, mais rassurant. Sa mise n’est pas triste, elle est vêtue élégamment pourtant mais elle ne sent pas le cul. Elle dégage des vibrations douces, à s’y blottir, elle l’apaise, l’autorise à se taire, à attendre, c’est bon .

Achille a regagné sa tanière, son antre, son refuge, il s’est allongé la nuit venue, nuit sans lune, silencieuse, effrayante, sidérante. Fœtal, poings serrés sous le menton, dos courbé, genoux sur la poitrine, il fait son œuf sous sa coquille de laine chaude, il bout, macère dans son jus, renifle, cherche des odeurs qu’il ne retrouve plus, si proches mais oubliées. Sous l’os épais de son crâne obtus, dans son hémisphère gauche Descartes pontifie, analyse, dissèque, relie, écarte, juge, soupèse. En vain. Les brumes du passé, enfouies sous les injonctions, les interdits, les refoulements, les reniflements du mental, sont floues, insaisissables, comme des fumerolles, comme les mirages au désert. Achille patauge dans l’indicible comme un chien lourdaud. Alors il respire, lentement, longtemps, avant de s’endormir …

L’ourson n’a plus qu’un œil, mais un œil au regard étonné plein du regret de qui lui arrive, lui qui n’est que pur amour, il ne dit rien et sa bouche qu’il n’a pas reste close. Sous les gencives édentées de l’enfant qui le mord, il subit. Sa peau pelée, au poil arraché, n’est plus que tissu élimé, prêt à craquer, mais l’ourson, compagnon des douleurs, aime à mourir ce petit bout de chair rose qui le martyrise pourtant. Tant et tant, tant et plus, qu’à la fin il cède. Un peu. Et la paille rêche qui pointe du petit trou au creux de son flanc griffe l’enfant. Et nounours verse les larmes absentes de sa souffrance sur la joue rebondie du bambin qui piaille. Le bébé trépigne de joie mauvaise quand craque le bras gauche de la peluche qu’il l’agite convulsivement. La paille éparpillée dans le petit lit blanc lui fait la couche de l’enfant de Noël. Dans le grand lit d’à côté, ça gémit, ça soupire, ça se retient pourtant. Alors soudain les cris aigus de l’enfant en terreur éclairent la chambre.

Dans son lit d’adulte Achille gémit dans son sommeil, ses mains s’agitent sur le vieil ours disparu. Ses propres cris le réveillent, corps tendu, douloureux. Il se lève comme un automate un peu rouillé et se dirige au radar vers les toilettes. En traversant le couloir il se traîne, maladroit comme un automate rouillé, ses genoux cognent contre la porcelaine et sa vessie pleine obstrue sa conscience en demi sommeil. Et le voilà penché vers l’œil en pleurs qu’il regarde, un peu hagard, du haut de ses trois ans. Maladroit il se met à pisser comme un enfant qui vise le fond de la cuvette. Il lui semble ne tenir en main qu’un appendice minuscule, fragile et tremblant. Il est là, debout sur ses jambes, d’adulte pourtant, il le sait bien, qui contemple du fond de son âge le jet de gouttelettes très pâles qui giclent sur les parois lisses de la céramique. Comme autant de petits soleils jaunes remontés d’un hiver lointain qui se suivent en guirlande lumineuse, la pisse des soleils couchants coule en flots drus qui éclatent en écailles de lumière crue et sonore sur les chiottes immaculés. Ce matin Achille rejette tous les soleils de tous les soirs de sa vie. Ce soir une intuition aveuglante le frappe, il pissera tous les soleils levants, morts et perdus depuis le jour de sa naissance. Achille pisse les temps à l’envers et cela le soulage. Autant que sa vessie qui soupire de plaisir. Dans l’eau croupie des gogues l’araignée à demi noyée se débat, ses pattes crochues glissent sur la céramique humide, elle couine et menace toujours, pourtant …

Ce matin Landonne a changé de tenue, elle s’est recouverte de feuilles d’automne, aux pieds ses chaussures marrons parfaitement cirées attendent qu’Achille veuille bien. C’est à chaque fois pour lui une douleur immense de lever la tête, de regarder dans les yeux cette femme paisible, cette femme si patiente qui ne demande rien. Le temps passe inexorablement. Entre ses mains serrées Achille compte les secondes de sable de ce temps si précieux qu’il s’obstine à gâcher. Ses lèvres s’entrouvrent parfois, balbutient un peu d’air en bulles, mais aucun mot articulé ne sort d’entre ses mâchoires crispées. Le temps s’étire comme une patte molle sous un rouleau enfariné. Les chaussures brillantes de Landonne sont immobiles. De temps à autre elle décroise les jambes pour les recroiser à l’inverse, on dirait les aiguilles d’une horloge invisible qui marque les minutes lentes, elles lui disent que le présent n’est qu’un leurre, qu’il est impossible le retrouver le temps passé, le temps imparfait de son passé pas simple. Il a beau serrer les doigts très fort, le passé dévore le présent, le présent n’existe pas.

Achille n’a pas pu, il s’est levé l’heure échue, s’en est allé sans avoir pu relever la tête. Il se sent lourd comme un sac d’éclats de pierres. Et noir de rage intérieure. D’un coup de tête rageur il veut ouvrir sa porte. Elle claque violemment contre le mur et rebondit, joueuse, pour lui ouvrir le front.

Achille a chaussé ses bottes de sept lieues, il fonce dans les allées, dérape sur les herbes mouillées, se griffe aux branches basses qui laissent sur ses jambes des limaces de sang et de lymphe. Le vent qui s’est levé le fouette et le freine. Sous ses côtes meurtries son cœur s’affole, quitte sa poitrine et s’envole comme un soleil blessé. Sous son crâne en surchauffe un tambour sauvage imprime le rythme sourd de la montée à l’échafaud. A courir au-dessus de ses forces son regard se voile, ses chairs crient, ses tendons sont à la rupture, ses jambes moulinent son désespoir. Le vent redouble, il croit entendre l’enfant hurler dans les branches. Oscar ne se montre pas, seul, immensément seul Achille trace sa route. Une dernière racine qu’il ne peut éviter le jette à terre, il s’écroule d’un bloc, son front heurte la terre grasse et trace un sillon dans les feuilles pourries, un goût de champignon lui envahit la bouche, il étouffe à moitié, se débat, crache et se retourne sur le dos, jambes flasques, haletant. Le ciel gris vire au rouge, les chants des oiseaux cessent, le vent tombe lui aussi, les sons du monde s’éteignent, il ferme les yeux, la peur le déchire.

Éberlué, n’en croyant pas ses yeux qui ne voient plus, pétrifié par les deux grands yeux bleus qui le regardent plein de rage et de fureur, Achille ne bouge plus. C’est un éclair blanc, aveuglant qui le dessille, lui déchire le cerveau.

L’araignée est un enfant !

Achille le désintégré rit en silence sous la pluie jaune qui inonde son bureau. Sa lampe se fout bien du temps qui passe, elle lui donnera le jour au creux de ses nuits blêmes jusqu’à son dernier rayon. Montlouis, à moi ! Ce qui le fait ricaner plus encore. A regarder la robe d’or fin de ce vin qui lui renvoie les feux vifs de la lampe, il se calme un peu. Son rire mouillé s’affaisse, comme lui, alors qu’il se souvient de sa chute douloureuse, de cette révélation sous le ciel rouge qui s’est éclairé jadis avant que la mort l’emporte. Quand l’araignée a mué, quand l’enfant s’est montré. Ce petit con puissant, assis ce soir, très sage, juste contre lui. Un pauvre môme devenu alcoolique depuis qu’il l’incite à sucer le goulot. Rires ! Tous deux se marrent. Le vieillard et l’enfant. Achille lui fourre sous le nez le lac d’un vin clair, ce chenin « Les Tuffeaux » 2009 de François Chidaine, un vin de tendresse pour célébrer les retrouvailles nocturnes et graves du vieillard et de l’enfant. Sous la fleur d’acacia l’enfant éternue, il salive quand le miel parfumé le caresse, quand le jus mûr lui offre son très fin botrytis, il sourit ; et s’affole un instant, avant qu’Achille ne le calme de la main, quand la cire de la ruche lui fait croire aux abeilles piqueuses, et salive quand la mangue et l’ananas, en fragrances sucrées, lui montent aux narines. L’enfant sourit à nouveau, Achille a larmoyé. Mais le jus frais coule dans sa bouche, les fruits jaunes que la pêche a rejoints, gonflent, soyeux et mûrs sur sa langue aux papilles fatiguées, puis la cire des abeilles, le miel léger, le poivre blanc dansent et rient comme l’enfant ébahi sous la caresse goûteuse de ce vin qu’il ne boit pas. Achille a fermé les yeux et ceux de l’enfant quand le jus, gagné par la fraîcheur, coule dans sa gorge. Sur leurs langues turgides, le tuffeau, le poivre et la réglisse s’éternisent …

Achille a posé,

Sur les épaules frêles

De l’enfant blond

A demi endormi,

Légèrement,

Son bras …

 

ERASSÉMORÉTINÉECONE.

JULES CASÉ …

Laqué,

Comme,

Un canard,

Sur le chinois,

Coule

Le jus,

Il brille

Et palpite,

Sous la braise

Qui l’ambre …

—–

A feu doux,

Il fond

Comme,

Une gomme

Fluide.

Une bougie

De cire

Chaude,

Elle Coule

Comme

Un cierge

Maudit …

—–

Sur le tabernacle

Profane

Qui luit,

Gras

De plaisir.

Dans l’ombre

Propice,

Et ne résiste pas

A l’oeil

Torve …

—–

A sa morve

Translucide,

Qui brille,

Sous la lune

Exorbitée.

L’astre

D’albâtre,

Cyclope

Énucléé,

Baille,

Pleure

Et quémande …

—–

La goutte

D’or blanc,

Dernière,

Issue

De l’amant

Dont la moelle

Epinière

Sourd

De son gland

Branlant,

Dodelinant,

Après

Que sa charge,

Il a jeté …

—–

Dans le rail

Profond

Qui va

De la fesse

Au con,

Il défaille,

Tressaille,

S’englue

Tout près

Du cul …

—–

Canyon,

Arizona,

Barbe

A papa,

Délices,

Réglisse,

Il glisse,

Velu,

Repu,

Glandu …

—–

Impavide

La lune

Se vide

De son plaisir

Hurlant.

Fusion,

Métal,

Faïence

Fessue

Fondue.

Défaillance

Or blanc …

—–

Jules

Hulule,

Brûle,

Et se vide,

De ses humeurs

Musquées,

A pleurer.

MA CATIN …

Sous la caresse

Du vent,

La chair rosée

De l’odalisque

Au repos

Frémit.

Sous les dentelles,

Resserrés,

Ses oblongs

Tressaillent,

Son ventre

Baille.

Désir,

Soupir

Rouge …

Sur son ventre,

Sa main

Repose.

Demain

Je tiendrai

Son sein,

M’y fondrai

Comme rosée

Au pré.

Caresserai

Le giron

Rond,

Ombilic,

Te pique,

A coup

De dents

Humides …

Tombé

Dans la vallée

Cachée,

Centre des

Rêves

Éveillés,

Des plongées

Profondes

Vers l’autre

Monde.

Perdre

Le souffle,

Boire

A la source

De ma vie.

Au fond

De ce puits

Clair

Ton regard

Hagard

Quand je.

Offrande.

Chaude …

Jambes

serrées

Autour

De la taille

Cambrée,

Le dard

Travaille

Si tard.

Creuse

Dans ta chair

De multiples

Éclairs

Violets.

Fouaille,

Tenaille,

Broussaille.

Éclairs

Gelés,

Corps

Liquéfiés.

Parfums

De rose

Éclatée …

Sur l’aine

Perlée,

Qui court

Sur ton flanc,

Je dépose,

Crémeux,

Des larmes

De ce lait

Brûlant,

Qui sourd

De mes reins.

Ma reine,

Ma peine,

Ma laine

Brossée.

L’aigrefin

Et sa catin.

Flamboyante

Tremblante

Énamourée …

Comme

Mon Amour

Irradiant

Entre

Tes fesses,

Hurlant,

Quand tu

Enfournes

Le gland

De ton amant

Deshérent ,

Te tords,

Me mords.

Serpent

Errant.

Diamant

Étincelant …

Allongé
Sur le flanc
Je regarde
Le ciel
De ta peau
D’opale.