Littinéraires viniques » Christian Bétourné

BRANQUE AUX CALANQUES.

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D’après Appolinaire. Les Saltimbanques. Alcools.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans la reine, ses deux seins,

Empoigne d’un bond ses reins

Bavant, glisse, verge frise

Comme un barge, les cerises.

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Et les charmants se font gluants,

Les apôtres disent en pleurant,

Foutraque, beurré, bout très digne

Dents de sagouin et luit la vigne.

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Au fond les doigts, blonds et gelés,

Le velours de l’anneau foncé,

Lourd le sphinge, beau pinaillage

Jette donc tout sur son visage.

PIERSAN TOURNE AU SAHDU …

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Sous le regard Persan de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Piersan, lassé des ors du golfe, s’est envolé,

Vieux tarmo convaincu, sa bécane il a laissée,

Pauvre haridelle, au garage rouillée,

Il l’a durement, sans pleurer, abandonnée,

Pour s’en aller rejoindre deux autres illuminés,

Anciens exacerbés, aux bénéfices voués,

Sur les terres vierges, ils s’en sont, trois, allés,

Sages rishis, saints prajâpahis ont atterri,

Sous le soleil écarquillé, en terre brûlée,

Une vie pauvre, d’ascète, ils ont choisi.

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Piersan, ailes de feu, bel esprit, l’ange,

A quitté la pompe des royaumes étranges,

Las des profits qui dépouillent pauvres êtres,

Veuves ruinées, et grands fastes du paraître,

Faut bien un jour de folie gagner son karma,

Partir, espoir au cœur, oublier falbalas,

Blondes évaporées, hôtels particuliers,

Comme un sādhu, un naja baba, aux marchés,

Sur sa planche à clous pointus, il est va-nu-pieds,

A mendier, psalmodiant de longs et beaux mantras.

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Et tous les beaux émirs, ne savent plus que dire,

Et les grands financiers aux grands yeux aveuglés,

Ne cessent plus, poches vides, de pleurer, de gémir,

Leur si bien bel ami aux idées, le génie

Des plans obscurs, le prélat fou de Luxemburg,

Qui montait de beaux plans lucratifs, lui le pur,

A disparu jour maudit qu’ils étaient partis

Pousser la balle, puter, sur les gazons maudits,

Au bords des rivages tièdes de la belle Miami,

Piersan de Florence leur a faussé compagnie.

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Les trois illuminés coulent des jours heureux,

Au bord du fleuve Gange coulent les eaux de peu …

LES REVIVISCENCES DE VLAD LIKHYI …

Dimitri Tsykalov. Meat.

La plaque de verre luisante et sombre masquant le visage de la silhouette argentée déambulante qui se glissait en souplesse entre les décombres gluants de boue – si noire qu’elle semblait de charbon – ajoutait un frisson de peur brûlante, au fur et à mesure qu’elle s’approchait, à l’inquiétude vague qu’elle déclenchait tout d’abord. Mais les rares survivants qui croupissaient dans l’immonde cloaque que les jours passants finissaient de pourrir, voyaient s’approcher cet être aveugle, comme un messie galactique, comme un dieu profane échappé d’un manga… Alors ils oubliaient les douleurs, la soif et la faim et fermaient les yeux de bonheur. Qu’ils n’ouvriraient jamais plus sans avoir même su qu’on les transvidait… Les crochets éburnéens de Vlad arrachaient les gorges offertes des mourants. Le suceur se gorgeait du sang pâle qui lui rosissait les yeux. Le flux tiède des globules anémiées l’apaisait à peine.

Depuis que la terre, comme un chien agacé qui s’ébroue, avait négligemment secoué les puces humaines aux pâles faces cireuses, six jours étaient passés. Vlad qui dormait profondément, à l’abri dans une crypte lointaine oubliée depuis des siècles, avait été sorti de sa torpeur hypnotique par l’odeur délicieuse du sang, le cinquième jour. La soif atroce avait creusé son visage verdasse. Il n’était plus que cuir sec tordu, ongles fendus, tendons distendus, regard vitreux et lèvres craquelées. Son visage sans âge, lisse comme une peau de tam-tam, n’exprimait que souffrance, rage, et désir de sentir couler dans sa gorge râpeuse le liquide incarnat, poisseux et chaud sans lequel il serait condamné à souffrir horriblement. La Charogne le regarderait éternellement. De son oeil jaune sans paupière. Ricanerait en silence, mais jamais ne le délivrerait. Seul le sang, le bon sang, le pur sang, le saint sang, le bel élixir de vie, lui redonnerait la force et dissiperait le brouillard glacé qui lui broyait lentement les os. Alors Vlad avait fermé les yeux. Il lui suffisait de vouloir pour voyager. Au travers des fibres de l’espace courbe, par delà les limites du temps aboli, le maudit se mouvait. Sa malédiction avait des avantages. Certes il ne copulait plus – seul plaisir approximatif dont il avait gardé mémoire – comme du temps de son humanité, mais il inoculait à tout va, s’épargnant les désagréments de l’élevage, de l’éducation, de la rebellion. Souvent, se rappellant les tortures anciennes de la compagnie des femmes, il se réjouissait et remerciait Satan de l’en avoir à jamais délivré. Il avait quitté le monde étroit des petits orgasmes compulsifs, ces spasmes vagues qui duraient le temps ridicule de l’avalée d’une gorgée de vin, pour entrer en pays d’extase perpétuelle. Mais à condition unique d’avoir de la chair fraîche à broyer, d’entendre croquer les cartilages, éclater les larynx, puis de sucer, plus goulu qu’une goule, les humeurs exquises de la vie en partance… Derrière son épaule droite, La Camarde le remerciait, d’un geste de la faux qui le traversait en chuintant, lui arrachant un rictus de plaisir.

Vlad s’interrogeait. Derrière le masque de verre noir, dans la combinaison grise étanche, il était à l’abri des morsures mortelles du jour. En arrivant sur les lieux de ce que les hommes appelaient la « catastrophe naturelle », ce tremblement de peau de la terre, puis de la montée de l’eau, vague noire hérissée de débris divers qui l’avait privé de vies fraîches, il s’était dit « in petto » que le voyage n’en valait pas la peine. Alors qu’il s’apprêtait à repartir dans les replis de l’espace vers son refuge, il avait senti les cliquètements des atomes en transe qui le chatouillaient. Vlad en avait pleuré de rire, de ce rire gras, hoqueteux, caractéristique des seigneurs de sa race. La mer avait balayé la côte et les dérisoires « centrales nucléaires » aux coeurs desquelles, les petits humains fragiles puisaient leur énergie, étaient en pièces. Ah, ah, ah ! Vlad glapissait de joie comme une tour sous séisme de force neuf ! « Merci mes proies de vous préparer ainsi à mon repas de chairs juteuses et de moelles irradiées » Avant que les rayonnements accomplissent leur oeuvre, Vlad savait bien que le festin serait aussi long que copieux. Le sang coulerait abondamment et son corps recouvrerait souplesse et beauté. Le manteau vert électrique de son aura rechargée, n’avait pas fini d’illuminer sa nuit d’éternel affamé.

Mais au pays du soleil levant les hommes avaient pris peur et se terraient, portes barricadées, dès le soleil le couchant. Le jour ils s’affairaient en nombre à la recherche d’éventuels rescapés, obligeant Vlad à se dissimuler sous les boues encore humides, les poutrelles tordues et les carcasses concassées des civilisations vaniteuses. La rage, l’impuissance le gagnaient. La soif le reprenait. Toutes ces chairs encore fraîches qui le frôlaient, le plongeaient dans une transe silencieuse. Seuls les ridules qui agitaient la surface mouillée de son linceul de fortune auraient pu le trahir. Mais les sauveteurs qui fouillaient les masses informes des villes abattues, exténués mais opiniâtres, ne se doutaient pas qu’une strige chasseresse, hurlait en silence sous leur pas.

Des rivages de Mare Nostrum, agités par les révoltes arabes, l’odeur violente du sang, qui pulsait en geysers glutineux dans les sables du désert Lybien, lui parvint. Déjà les forts parfums du cinabre en giclées visqueuses sur les sables isabelle surchauffés lui retroussaient la lippe. Vlad écoutait les cris des rebelles exterminés par les troupes mercenaires de l’ogre de Tripoli. Cela fleurait bon les épices. Alléché par ces odeurs exquises, il plongea dans les souvenirs de sa jeunesse Bourguignonne, au temps ancien des moines de Cîteaux, quand le jeune novice qu’il était alors, au soir d’un jour de dur labeur dans les vignes, buvait à la régalade les jus frais du pinot. Les vins de la Côte de Nuits et leur parure de rubis profond étaient ses préférés. Leurs arômes sauvages, leurs fragrances fortes de gibier mariné, leurs jus corsés, fruités et frais, ravissaient son odorat et comblaient sa bouche avide, lui annonçant sans qu’il s’en doute, les tribulations à venir. C’est ainsi qu’après avoir été initié par un suceur de sang de passage qui lui mordit l’aisselle une nuit qu’il pissait à la pleine lune le vin de Vougeot dont il avait abusé, il bascula dans le monde obscur des lycanthropes.

Le sang des hommes remplaça le vin de la vigne, à jamais. Il passa du plaisir des sens à la nécessité vitale et gagna l’immortalité.

Sa conscience, engourdie par la boue tiède qui l’ensevelissait, flottait dans ce passé dont il avait oublié l’épaisseur temporelle. Seule la nostalgie vague des ceps en foule et le regret diffus des vins de Nuits émergeaient. La profondeur de l’espace et la clepsydre qui pleurait lentement le temps n’étaient plus que souvenirs, translucides comme sang anémié. Vlad Likhyi avait traversé les siècles, et les agitations spasmodiques des humains l’avaient grassement nourri. Dans l’Ordre Secret des Succubes Infernaux, il était un Maître désormais, qui assurait comme un métronome cruel la perpétuation de la race. Les empyreumes des sangs, souillés par le feu et les bitumes qui fondaient sous la chaleur du désert, se faisaient entêtants. Omniscient, Vlad savait que Mouammar, l’abracadabrant bédouin d’opérette était prédestiné, et qu’il le rejoindrait bientôt au royaumes des Démons. Du tréfonds des abîmes pandémoniaques, la voix douce de l’Architecte des Abominations susurrait qu’il lui revenait de droit d’anathématiser au plus vite le sinistre impétrant. Son séjour Asiatique le laissait sur sa faim et les petits êtres jaunes, qu’il pressait d’un croc distrait, n’avaient pas la puissance épaisse, savoureuse et nourrissante des sangs orientaux dont il raffolait. La nostalgie des grands crus d’antan, qui n’avait pas faibli, rythmait encore son destin…

Sur les mâts brisés des navires japonais lacérés par les mâchoires démesurées du cataclysme marin, les corbeaux, crachats noirs sur le paysage désolé que la neige épaisse peine à adoucir, attendent patiemment le moment de déchiqueter les viandes putréfiées à venir…

Vlad s’est matérialisé au sommet d’une dune, ronde comme la hanche dodue d’une pucelle innocente. Sous le dôme de jais du ciel sans lune, les étoiles brillent comme des yeux maléfiques, et clignotent arythmiques, sur l’argent étanche de l’armure protectrice qu’il a définitivement adoptée. Derrière le plomb translucide de la visière fuligineuse, ses yeux de citrine sale rutilent.

Debout, jambes écartées sous le velarium qui prolonge sa tente, le Guide Suprême caresse sa légion d’honneur et sourit….

ETERMORIFTIFIEECONE.

LE MÂT ET LE BOISSEAU.

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D’après Prévert : Le chat et l’oiseau.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Un sauvage, knock-out, éploré

Vibrant au boisseau trempé

C’est le seul boisseau qui l’enrage

Et c’est le beau mât du naufrage

Qu’il a sans pitié dévasté

Et le boisseau cesse de pleurer

Le mât cesse de pilonner

Et de se briser le fagot

Et le sauvage donne au naufrage

De fougueuses épousailles

Et le mât qui est épuisé

Se lâche fier au joli seuil qui baille

Du doux boisseau tout déplissé

Défripé comme une guenille

Aux arêtes lasses de perler

Si giclée, ma glu, ma mélasse, ta vasque pleine

Vrai pis, le mât

La fera baver à moitié

Et pire elle aura débordé

Feu qui l’avait embrasée

Embrasée jusqu’au fond la ronde

Ses bas, tout est fichtrement plein

Dieu, gavée au bord du groin

Cul bourré, à point jusqu’aux reins

Hardiment même les fesses, voire la raie

C’est si beau quand on peut ne pas faire pitié.

MORALITÉS VARIÉES …

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Dessin de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Tu fumes, jolie, ta clope,

Pendant ce temps Armand,

Petite frappe interlope,

Te regarde en baillant.

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Moduraglandlité.

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Sur les pavés mouillés,

Silhouettes brumeuses

Des nuits attristées,

Maraudes, tarifées.

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Motriraquéelité.

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Les beaux chevaux galopent

Dans les nuées de coton,

La pluie tombe, le cyclope

Est seul, pauvre bouchon.

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Mytholoralité.

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Regarde moi Lilou,

Quand je bégaie,

Tu pleures doux,

Et je m’effraie.

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Mosoufralitée.

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Et tous ces vers abscons,

Alignés en fourrés,

D’épines à façons,

Qui meurent, étouffés.

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Moconralité.

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Rimes incertaines,

En valse à mille-tempes,

Toiles arachnéennes,

Fragiles estampes.

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Mobranralantelité.

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J’ai la tête qui tourne,

Dehors, les chiens aboient,

Les filles me bistournent,

Je suis pris par le froid.

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Moraburlinéeté.

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Mignonne, je déconne,

Ta rose en buée,

Me chatouille les pommes,

Le printemps est gelé.

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Mosuracréelité.

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Moralités variées, avariées,

Exténuées, déglinguées,

En nougats, fous à lier …

MÉMÉ HUGUETTE…

Lady Bird. Peter Fendrik.

 Blanche reposa ses aiguilles à tricoter usées, et frotta ses doigts rouges et gourds. L’arthrose invalidante finissait de faire de ses mains, jadis fines et graciles, de vraies branches de vieux buis souffreteux, tordues comme les sorcières noires et hystériques qui peuplaient ses cauchemars d’enfant.

Le temps était au beau, elle était au plus mal.

L’étalon fringant qui grattait à sa porte en son jeune temps s’en était allé, emporté par une «fillette» de trop. Une belle mort quand même pour Pépé Jean. Lui, qui sa vie durant  avait aimé les grands vins de Bourgogne, était passé comme il avait vécu, accroché à son verre. Elle l’avait retrouvé, effondré au plus profond de son fauteuil verdâtre, gluant de crasse, de pisse et de vin. Dieu qu’il avait rapetissé d’un coup!!! Comme s’il avait fondu, comme si les hectolitres d’alcool en tout genre, sirotés élégamment et sans faiblesse au long cours de ces interminables années, s’étaient évaporés sous le fil gelé de la mort. La faucheuse l’avait vidé de ses humeurs, et il avait fallu des bidons de javel pure, pour que l’odeur tenace de la viande confite, longuement marinée, consente à baisser – un peu – pavillon.

Elle pensa à Molière que Jean avait tant vénéré. Il l’aurait imité jusqu’au bout. Enfin…presque.

Blanche fut prise d’une quinte, mi-rire mi-toux. Le ciel devint vert, et le feuillage des arbres qu’elle apercevait par la fenêtre entrebâillée vira au rouge. Elle cru que ses yeux explosaient, que ses sphincters allaient lâcher comme la semaine dernière. Mais non, ce ne serait pas pour cette fois. L’air chaud de l’été étouffant finit par siffler comme une baudruche percée dans ses poumons douloureux, dilatant jusqu’aux dernières de ses bronchioles flétries, ainsi que coquelicots privés d’eau. Elle continua à rire silencieusement, tandis que le ciel retrouvait un bleu pâle ordinaire. Elle l’avait préféré vert … Elle rit de plus belle, et son regard bleu-acier-tranchant de chien de traîneau disparut dans ses rides fines mais profondes. Elle aimait que le voile froid de la Charogne lui raidisse les épaules. C’était un orgasme à rebours qu’elle était la seule à pratiquer.

Bon, c’est pas tout ça, mais voilà que j’ai soif maintenant se dit-elle…

C’est vrai qu’il était presque neuf heures, et qu’elle avait depuis longtemps sué le canon de vin pâle, qui inaugurait, comme une eau de métal en fusion, chacune de ses journées. Plus de soixante ans qu’elle tordait les bouteilles. Jean avait bien tenté de l’initier aux subtilités élémentaires de la dégustation. Certes, elle l’avait à chaque fois écouté en silence, hochant la tête d’un air entendu, mais à la vérité, elle s’en branlait la motte. Elle repartit dans un rire silencieux et sinistre, qui résonnait à l’intérieur d’elle comme une cloche fêlée. Dans ses veines dilatées, coulait le fiel acide d’une méchanceté exacerbée qu’elle était la seule à connaître, et qui faisait courir sous sa peau tavelée de délicieux frissons immondes. Toutes ces années, elle s’en était nourrie, dans le silence glacial d’une conscience qu’elle avait aiguë comme un kriss Malais. Blanche parlait bleu, et sa parole était plus coupante qu’un épigramme de Voltaire. Personne jamais, ne l’avait percée à jour, pas même ses plus intimes. De toute façon, elle ne s’était jamais livrée, gardant tout au fond de son cœur de basalte brut, le secret de sa haine.

Blanche aimait le vin, blanc surtout, avec une frénésie violente, qui laissait son visage, lisse et souriant, comme l’Ange de la Cathédrale de Reims.

Toutes les vignes, de France et d’ailleurs, avaient abondamment baigné ses cellules, et souvent même ses amygdales … en toute fin de soirée. Blanche était une soléra à elle seule. Personne jamais ne l’avait vue trembler, vaciller, et pas même bafouiller. On affectait généralement la raideur mécanique de son pas d’ivrognesse à son tempérament ferme, et la fixité de son regard dur à son caractère, affilé comme un cutter givré. Elle avait connu la Loire, ses Chenins et ses Cabernets, trop francs pour elle. Les Sauvignons du Centre, les Merlots Bordelais, les Syrahs Rhodaniennes, les Grenaches de grand Sud … et d’autres encore qui avaient épanché ses grandes soifs de toujours, aussi discrètes qu’inextinguibles. Mais jamais, non jamais ils n’avaient su arrêter les terribles incendies qui lui dévoraient l’âme et le corps. Sa chair était napalm, et la moindre goutte la ravageait désormais. Elle vida le verre d’un trait, mais garda longuement le vin tiède en bouche, reculant le moment où son estomac exploserait, plaisir factice et souffrance vrillante conjugués.

La nuit dernière, immensément blanche, comme depuis des lustres, et la chaleur du jour, l’affaiblirent lentement. Elle plongea doucement dans un demi sommeil orange.

Sa vraie vie l’attendait.

Louis XIV l’avait sauvée du naufrage annoncé. Au pied des marches du bel escalier de pierre, elle regardait, le menton levé, la façade immaculée de son Château. Oui le sien désormais, depuis qu’elle avait épousé son amour Claude de La Coste. Ah, toutes les rages qui l’avaient bouleversée, tous les espoirs insensés qu’elle avait soigneusement entretenus, les arrosant de ses larmes, plus d’une fois versées … Oui tout cela était fini, par la grâce du Roi Soleil. La Baronne de Brandon, la Dame Blanche de la légende était née. Cette femme était son secret. Elle était Huguette, chaque fois que les yeux clos par les vins empilés, elle se coulait dans sa peau. Quand elle perdait l’équilibre instable de son quotidien morose, elle retrouvait sa vraie nature. Ces minuscules instants de bonheur diffus, factices comme de petits nuages d’opéra, elle les avaient rencontrés sur les bouteilles, sur les milliers de flacons vidés au long des jours éteints de sa vie. Ah, les palettes de blancs, que Pépé Jean avait achetées pour elle !!! Il fallait que le nom soit toujours le même, sur le kil à Mémé !!! Tardy, Goichot, Dufouleur, Ponsot, Bertagna, elle s’en foutait de tous ces domaines, de tous ces Bourguignons. Seule l’étiquette comptait, et surtout et seulement, le nom du vin, ce nom qui l’avait emportée tant de fois, qui avait opéré la magie de la rencontre dans l’ailleurs des mondes intermédiaires, cette fusion Alchimique qui transmutait le jais de sa poitrine en un rubis d’amour chaud. «Dame Huguette» !!! Sur chacun des cols qu’elle avait brisés, il fallait que ce soit écrit. Faute de quoi, elle partait dans une des célèbres rages blanches qui en avaient terrorisé plus d’un. Une fois même, le chaton qui dormait dans son giron ne s’était pas réveillé. Chaque litre bu la dédoublait, la renvoyant chez elle. Alors elle ne faiblissait pas à la manœuvre qui, immanquablement, la propulsait dans la vie rêvée d’Huguette.

C’est ainsi que Blanche travaillait à sa mort, pour trouver sa vie.

Toute la famille ricanait quand à voix basse on parlait de Mémé Huguette,  elle qui ne savait même pas que dans son dos on l’appelait ainsi.

 

ELAMOVIETIESTBELLECONE.

TENDRES GERVAISES …

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Y’a Prévert et y’a Kosma,

Y’a Aragon et y’a moi !

Ah, ah, ah, ah, bah,

Les beaux, les grands éléphants,

Les tonitruants, et y’a le gland,

Le bafouilleux, le baveux, le charmant,

Qui prend ses mots pour des beautés,

Quand il écrit, vomit, avec ses pieds.

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Sur la toile, glauque, il se répand,

Ego brouillon, plume mal taillée,

Rimes merdiques, cœur électrique,

Les chairs à vifs, l’oeil sanglant,

A chialer, brailler, comme un enfant

Perdu, paumé, trognon gâté,

Ciels étoilés, à coups de trique,

A vous faire chier, gerber, des soirs durant.

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Vous les voyageurs, vous les errants,

Quand vos regards, vos yeux gluants,

Vos doigts crispés, vos cils battants,

A moitié nazes, vos cœurs suants,

Vos vies de merde, vos chancres puants,

Qui vous tracassent, qui vous agacent,

Quand au hasard, aux étoiles, entre-fesses,

De Tombouctou jusques à Fès.

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Abrutis sur vos fragiles balancelles,

Vous découvrez, vous comme icelles,

Au cœur de vos nuits, ces mots qui chancellent,

Sous l’archet fou de mon lourd violoncelle,

Alors vous comprenez, là-bas, au loin,

Qu’à vous gorger de mes fadaises,

Vous ne risquez pas, tendres Gervaises,

Que je vous prenne pour des Bastiaises.

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Qu’à vous toucher, baiser, je m’emploie,

Du bout du cœur, des ongles, des doigts …

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Ombres portées, espoirs gelés.

LA LUNE SANGLANTE.

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D’après Charles Baudelaire : A une passante.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les nues éclatantes flamboient, boivent le quartier,

Oblong sapiens, un grand œil, blancheur laiteuse,

Un revenant là, une silhouette osseuse,

Tremblante, hésitante, ni melon, ni gousset ;

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Nubile obole, comme un ïambe mal foutu.

Moi je bavais, figé comme un triste arrogant,

Du cercueil, miel liquide d’où surgit le serpent,

La douleur qui ravine, et de gésir tout nu.

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Frôleur, bien trop cuit ! Sans fard ! Muet, sans être

Caviar gore, mou prurit, tu m’as bien sidéré,

Ô roi qui m’as aveuglé, ta loi qui m’a tué !

PÉPÉ JEAN…

Earl Bird. Peter Fendrik.

 Pépé Jean était souvent humide à marée basse.

Il avait aussi du mal avec le haut, qui n’en faisait qu’à sa pauvre tête. Mais comme à toute chose malheur est bon, les oublis du haut le protégeaient des catastrophes du bas…Le matin, au réveil qu’il avait pénible, il gardait par malchance – l’humour peut être assassin – le souvenir douloureux de ses cauchemars. Le nez dans son oreiller qui puait la hyène, il ressassait les agressions multiples, endurées au coeur des vibrations basses, de ses sommeils successifs et agités. Dans les entrelacs de ses vieux os fragiles, s’épanouissaient les douleurs lancinantes, qu’il avait subies de tous côtés, dans le temps ramassé de son mauvais repos. Les visages flous des jeunes gens qui l’avaient tabassé, lui broyant les os, à longueur des temps nocturnes qui s’étiraient, longs comme des jours de plomb, le hantaient. Le masque crispé par l’effort, il sollicitait sa vieille mémoire, fondante comme une guimauve amère, lui demandant sans trop de succès, le réconfort fallacieux des souvenirs élégants de ces vieux pinots fondus, que la veille encore, il avait du déguster. Mais ses papilles, racornies par une respiration hésitante et sifflante, ne retrouvaient plus le charme fulgurant, des vieux vins de Bourgogne qu’il affectionnait tant…

Ses forces étaient comptées et ne le sortaient de la misère du réveil, qu’au prix d’une patience toujours à renouveler. L’attente n’en finissait pas et les ombres de la nuit, continuaient à le martyriser, longuement. Sous les persiennes closes de sa chambre sinistre, perçait un jour blafard. Mars était au summum. Le ciel, noir des giboulées à venir, emprisonnait la lumière du jour. Il lui faudrait, une fois encore, affronter le cours poisseux des heures interminables qui rythmaient ses espoirs déçus.

Il lui semblait que vingt ans avaient coulé, depuis qu’il avait réussi, au prix d’un effort inutile, à se réfugier dans le fauteuil crasseux, au creux gluant duquel, il redoutait le retour inexorable de ses terreurs nocturnes.

Une bouteille, belle comme un soleil levant, lui faisait de l’œil. Midi n’en finissait pas d’arriver. Les aiguilles arrêtées des montres de sa vie refusaient d’avancer.

 Il décida qu’il était temps.

Sous sa paume usée, le verre de la bouteille crissait. Le bouchon fit un bruit de fêtes anciennes, quand il quitta à regret le col trop étroit du flacon. L’étiquette toute neuve qui affichait : Morey Saint Denis «Les Millandes» 2005. François Legros avait accompagné ce vin, de la fin de l’été aux brumes montantes de l’automne. Longtemps, le jus précieux des grappes juteuses de ce pinot d’une belle année, s’était épanoui dans le silence feutré d’une futaille de chêne de noble origine. Quatre ans déjà qu’il était né. Pépé Jean se dit que le temps d’une transfusion de bonheur était peut-être venu. L’espoir d’une régénération temporaire lui fit entrevoir une heure de grâce, qui illuminerait un instant son quotidien souffreteux. Retrouvant quelques forces, il versa le rubis lumineux dans une carafe au cul large. Le jus soyeux, vigoureusement agité, lui rappela le clapot des mers tropicales contre la coque effilée des Bangkas Philippines, tandis qu’au zénith de son âge, il plongeait au cœur tiède des paradis marins.

Dans le verre aux formes féminines, qu’il avait sauvé du désastre quotidien de ses maladresses séniles, il plongea le nez. Il avait pris soin, juste avant, de soulager son appendice couleur d’ivoire, de la goutte grasse qui l’ornait ordinairement.

Mais le vin, replié comme un papillon dans son cocon, lui donna peu. Quelques notes d’un cassis, qu’il imagina plus qu’il ne sentit vraiment, lui caressèrent les narines. Il se persuada au prix d’un terrible effort de mémoire, qu’une fragrance éphémère de fruits rouges, rehaussée de quelques senteurs grasses de terre humide, arrivaient timidement jusqu’aux synapses fatiguées de son cerveau ramolli. Cette succession de petits orgasmes olfactifs lui mirent les larmes aux yeux.

En tremblant de crainte, il porta le verre aux lèvres. Quelques gouttes du sang de cette terre qu’il aimait tant, s’échappèrent et mirent de la couleur sur le tissu gris de sa chemise élimée. Autant de pierres de lumière incarnate, qui changèrent sa chasuble craquante, en un pourpoint royal. Une onde chaude, d’une joie pure qui le surprit, couru sous son torse décharné. Il tressaillit comme un oiseau qui se réveille. Les images délétères de la nuit disparurent un moment.

 Rien que pour cela, il fut heureux.

Le jus frais et tendu mouilla ses muqueuses desséchées. Sa bouche tressaillante, happa maladroitement le nectar. Il ferma les yeux. Ce fut une minute qui s’étira dans l’absolu d’un ravissement infini. Pourtant, il le sentait bien, le vin ne se donnait pas, tout enfermé qu’il était dans les limbes hermétiques de sa jeunesse, comme un contrepoint sarcastique à son âge canonique…

Il se résolut, totalement désespéré, à avaler le vin. Sa glotte qui n’était plus synchrone, se trompa. Il toussa comme une trompette percée et sa trachée brûla, lui fit un mal atroce, tandis qu’il lâchait le verre. Le vin roula sur ses cuisses de serin. Le nectar, moitié bu, moitié craché, lui laissa au palais le souvenir d’un tapis de tannins, fins comme la grève à marée basse.

La vie est comme la mer se dit-il, un flux et un reflux, toujours répété, jusqu’à ce que le sable l’épuise…Il se recroquevilla dans le velours élimé et collant de son fauteuil et attendit les terreurs de la nuit. Quelques larmes perlèrent aux coins rougis des ses yeux jaunis.

EMOROTIMANCONENOIR.

LA TENTATRICE.

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D’après Victor Hugo : La cicatrice.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La louve toute raide est goule tentatrice.

Calcédoine tu caches, et règnes,  là-bas ton calice ;

Se déplisse, charmant ma foi, et sur ta peau,

Baie, tourterelle, gratté ton dos et ton berceau,

Vasque ronde, belle fleur, et ton giron se pâme,

Bel impalas. Sous tes baisers, je suis en larmes,

Mon âme, bandonéon qui m’ouvre ses bras,

Dès lors la belle se rend, j’ai caressé ses pas,

Elle m’a prit, cimeterre d’argent, si blême,

Le supplice du pal au cœur de son arène,

Je te câlinerai, très pâle, bisque ma reine,

Tes doux genoux tremblants, à me rendre si bon,

Je pousse la romance, je vois tes seins si blonds.