Littinéraires viniques » Christian Bétourné

FÈVE BÉATIQUE.

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D’après S. Mallarmé. Rêve Antique.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Elle sait ce qu’il lui donne, l’oblongue au bain marie

Doux sanglot déversé durement éprouvée

Comme la folle au nid criant toute inondée

Le baveux sur ses reins pleure bon, elle rit.

–—

Dans son berceau, vit barbu, feule, l’emplâtre,

La boire, glisser au fond de la vasque éplorée ?

Elle mord le gland vain et se gorge du bellâtre,

Comme la prune, bouillante, du salaud miel craché.

–—

Son bois qui tel un phasme se posait sur la chose

Comme une turne brûlante, un cilice en l’air :

Te rends, ô lune pâmée ! Berce de ton sein, ose

Ta main qui sait qu’un leurre accule, à tout leurre pervers.

–—

Elle sait ce qu’il lui donne, l’oblongue au bain marie

Doux sanglot déversé durement éprouvée :

Comme la parque au sang, liane à jamais rêvée,

Se méprend son soudard sous ses beaux flancs rosis.

J’IRAI TE FAIRE CRIER …

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La De fait sa musique.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

J’irai te faire

Tourner, virer,

Sur ma queue,

Comme une toupie folle

Sur une barcarolle,

Je t’appellerai Carole

Pour la rime,

Et Céline

Pour ma pine,

Tu seras double,

Et tes eaux troubles

Couleront à jamais …

—–

Accroché à ton cul,

Je te dirai, ma grue,

Arrache moi les larmes

Du fond de mes reins,

Allez ma fée,

Rend donc les armes,

Et avale mon frein

Tu me dirais salace,

Défonce ma connasse,

Tout au fond de mon cul

Tu seras bien reçu,

Fouette cocher …!

—–

Quand je ne peux

Rêver, baver

Sur la peau

De mon destin,

Moi pauvre gueux

Te caresser,

T’aimer, dressé,

La peau lavée,

Regard crevé,

Âme qui bée,

Mon lapereau

Tout chaud …

—–

Alors soupire

Et ta lyre,

En délire,

Qui pleure

Sous tes draps,

Ta peau,

De taffetas,

Ton œil

Qui vole

Et se recueille,

Et ton rire

Sur mon bras …

—–

Dans le cocon

Où tu reposes

Comme une alose,

Pâle et ronchonne,

Ta conque sonne.

Ma lionne,

Je n’irai pas,

Bougre de con,

Sur tes melons,

Entre tes bras,

Oui toi mon rat,

Mourir de joie …

—–

Escarbille morte,

Comme une offrande

Aux cieux pervers,

Moi qui demande

L’absolution,

Oui sans façon,

Je force la porte

De bois bandé,

Par moi gravée,

Qui mène à

L’offertoire

De mes déboires …

—–

La tête basse,

L’âme si lasse,

Le ventre mou,

Caoutchouc doux,

La queue blessée

A marée haute

Je tombe et roule,

Et je roucoule

A tes genoux,

Écureuil roux,

Coeur fracassé,

Jambes brisées …

—–

Affreuse bile

Qui griffe mes joues,

Je vomis le temps,

Hais le ciel bleu,

Crache le sable,

Et tout le feu

Qui brûle si loin,

Funestes Dieux.

Souffle le vent

Dans tes cheveux

Parfums froissés,

Sous tes baisers …

—–

Sonne le glas,

Plissent les draps,

Chantent les anges,

Tout se mélange.

Pleurent les démons

Aux yeux vairons,

Qui sont cachés,

Sous tes draps,

Triste mésange,

Coup de fouet,

Gifles cinglées

Sur ton con …

—–

Un pèse dix,

Dix pèse cent,

Cent pèse mille,

Secondes,

La ronde,

Des minutes

La flûte,

Heures

Si lourdes

Palourdes,

Le temps

Me tue …

—–

Ainsi va l’attelage,

Que tirent et ménagent

Deux chevaux fous

De toi, pauvre Lilou.

SOUS LA QUILLE, NEPTUNE…

Saintes. La Chamade. Août 2010.

Jawad se sent à vif comme une épine d’acacia.

Le vent le fouette, le soleil le cogne et lui croque la couenne, les embruns le giflent et lui boucanent la viande. Ça ronronne sous la coque du bateau qui fend l’eau comme un scalpel la peau. Vertige qui noue la tripe, et vide l’advertance des remontées rouges du cœur à La chamade. Comme Sagan la Françoise, la fleur de peau souffrante, légère mais profonde, au volant de ses chariots de feu funestes. Rien de mieux qu’ Un peu de soleil dans l’eau froide pour soigner Les bleus à l’âme. Je me suis regardé dans Le miroir égaré. Je n’y ai vu qu’ Un profil perdu, Un chien couchant près d’ Un lit défait, Un chagrin de passage, La femme fardée par la surface de sa vie, crémée de Faux fuyants. Mais je la laisse, Bonjour tristesse. Sous Les merveilleux nuages, Un orage immobile explose comme Un sang d’aquarelle qu’ Un certain sourire déclenche… Dans un mois, dans un an, Le garde du cœur n’aimera plus Brahms. Le chagrin de passage ne sera plus qu’ Un cheval évanoui. Dans Les fougères bleues, Le rendez vous manqué des Yeux de soie ne sera que Le régal des chacals. Sera venu le temps d’aller Au marbre avec Mon meilleur souvenir, Toxique

Purée de titres qui font sens…

L’ancre plonge droit au fond sur les sables blonds, et s’accroche à la chevelure alguée d’une sirène effarée. Le ciel est l’âme d’outre-azur de son père. Les reflets diffractés de la chaîne d’acier se diluent dans les eaux qui tremblotent comme verre de Chardonnay dans la main d’un parkinsonien hébété. Ils piquent la mer mouvante de leurs aiguilles vives et incandescentes. Quelques rus sinueux de sang purpurin comme pinot en Bourgogne, glissent le long de la joue de l’homme tout le temps de sa nage. Comme un prurigo dérisoire que lyse l’onde matrice saphir de toute vie, tandis qu’il perd lentement la sienne. Il se dit que puisque naître c’est quitter la douce fusion maternelle, il lui serait bon de mourir doucement ainsi, en toute déliquescence. La dissolution n’est-elle pas ultime fusion? Il nage les yeux ouverts, et calque son rythme sur le souffle tiède des ondines. Sous ses yeux béants à l’agonie, défilent la palette du peintre et les ombres de l’enfer dans la main de Dieu. Neptune boude dans sa grotte et astique deux-trois sirènes pour se détendre. Cette vision incongrue lui traverse l’esprit et le met au rire, il étouffe à moitié. L’épreuve est difficile mais il la surmonte. Ce qui le fait pouffer à nouveau. Seul, loin en mer sous l’emprise d’un fou rire! Folie… L’eurythmie harmonieuse des mondes le sauve. Cœur, bronchioles, forces liquides, telluriques et solaires sont à l’amble. Seul Neptune fait la gueule. Alors, riant à nouveau, il coupe son effort et se laisse flotter comme un bouchon de champagne dans la cuvette méditerranéenne des chiottes du monde. S’il était peinard et bien à l’abri dans le col gracieux d’une bouteille, il serait un peu plus haut, hors de l’eau, et pourrait à sa guise contempler le monde aqueux qui l’entoure. Mais il ne verrait pas Poséidon qui pourrait lui mordre le c… Wouaffff! Mourir de rire, ce ne serait pas mal non plus. Mieux que la morsure aussi soudaine que glacée, d’un requin pâle… Suer de trouille brutalement, en un demi souffle, sous totale rigolbochade en pleine mer, fragile comme une merguez qui perd son jus carminé, c’est possible aussi.

Le bateau n’est plus qu’un point blanc sur les eaux, comme un comédon frais sur le nez grumeleux de Neptune. Revenir, rebrousser chemin, retrouver le rythme, se fondre à nouveau aux éléments, se dissoudre, ne faire qu’un, dépasser la douleur, accéder à la conscience élargie… Choc soudain, sang glacé, terreur sidérante. Le corps s’affole, bafouille, gargouille, agitations ridicules et sporadiques, comme un nouveau né dans sa baignoire. La grosse bouteille, perdue comme un chancre dans une eau pure, lui a éclaté l’arcade gauche. Un peu. Suffisamment pour rosir le lapis environnant. Elle est fermée d’un long bouchon et son col gracieux dodeline sur les flots. Il a pu s’accrocher à l’échelle, clown écarlate, et se hisser à bord. Sur le fond aveuglant du bateau, taches rouges, macules grenats, bavures noirâtres et tavelures incarnates dessinent un Pollock suicidé. Recroquevillé au fond de la nef souillée, enroulé dans une serviette bleu cobalt épaisse et chaude, il regarde le lourd flacon. Il se reprend à rire nerveusement, par saccades courtes et rauques qui lui liment la gorge. La grosse bouteille sur le flanc a laissé de sa grâce, elle gît et sèche, perdant sa fragile brillance humide. Ses flancs abrasés par l’âge se voilent. C’est vrai qu’elle a l’air rompu de celles que le temps a usées. Son verre corrodé par le sable et le sel, est d’un blanc opaque qui masque son secret. Le souvenir de la Veuve Clicquot 1780 remontée magnifiée des mers froides, lui traverse l’esprit. Sa jumelle, sa cousine ??? Un jéroboam flottant, massif, aveugle, dérivant au fil des courants espiègles… Et lui qui le regarde de ses yeux muets. Comme une poule, devant un dronte dodelinant du chef. Le verre poli cède sous la hachette de sa rage. C’est un magnum au regard d’opale hermétiquement clôt, mystérieusement érodé par le sel lui aussi, qui apparaît. Ces étranges rouilles gigognes usées par le temps et les incessantes talmouses salées, lui parlent de sa propre lassitude, de son désarroi profond, de son sang qui fuit et fuse par moments en bouquets de roses fanées. Du bout d’un de ses doigts flétris comme cornichons russes, il caresse le flacon. Perplexité. Rire à nouveau, désorienté et mouillé de tristesse. Baaam, la troisième quille apparaît, plus petite, limée, adoucie, vieillie, châtiée plus encore. Le kil, l’ordinaire du jaja des familles, le rouquin d’avant que les guerres… Quelques éclats verts, intacts mais sombres à bloquer les regards curieux, dessinent un chemin hasardeux et inexplicable sur les parois de la fiole flétrie.

Médusé (en pleine mer, c’est bien le moins!), inquiet, déboussolé (en pleine mer c’est embêtant!). Sous ses iris de jade, et ses pupilles rétrécies façon minou timide, les fragments du jéro et du magnum se délitent, ramollissent et fondent inexplicablement comme neige au Néguev. La petite dernière apparue flotte presque dans une eau étrange, luminescente, irréelle. La lumière dorée qui sourd de cette pisse de fonte, exacerbe les hanches stéatopyges de la luronne. La rescapée évoque plus les convexités d’une nonne dépenaillée, que les épaules étroites d’un Pasteur cénobitique. Large de croupe, bâtie pour traverser les épreuves de la vie et les défonces de l’amour, l’équilibre serein de ses lignes impressionne. Mais tout se bouscule, se mélange soudain dans la tête et le corps de Jawad. Tout tremble, vacille, se transforme, se hausse. Des os aux boyaux en passant par la viande et les neurones, son corps fait des bruits poisseux de succion molle et de graisse flasque remuée. La vie en lui danse comme Jacob, dès qu’il a conquis le dernier barreau de l’échelle. Il est aveugle, sourd muet, puis voyant, extra lucide, prophète, économiste! Dans ses veines distendues, le sang bout au creuset sans fond des sorcières hystériques, puis gicle de ses oreilles et sourd de sa peau. C’est comme une expérience métempirique, un combat contre les forces primordiales, une mort promesse de vie. Au bout de lui même, il sabre le flacon sur le bord du bateau et porte le verre coupant à ses lèvres. Un parfum venu des extrêmes confins d’une galaxie inconnue, l’enivre et le ravit, comme si les corps de tous les Saints s’étaient unis pour exsuder cet ineffable élixir. Il se croit mort puis ressuscité, transporté via le grand trou noir – délivré enfin de l’espace temps – sur les rives tremblantes d’un astre tout juste gazeux. De son trident, Poséidon lui pique les globules, qui éclatent comme de petits crachats vermillons.

Bruit de pétards, fin de kermesse…

Un peu de liquide pâteux, verdâtre, épais, aux reflets roux, coule du col brisé et se fige sur son index sanguinolent. Sa peau, en un clin d’œil de Dieu, retrouve son herméticité. Il porte alors le goulot cassé à ses lèvres, qui se fendent comme grenades en septembre. La coupure est profonde mais se referme aussitôt. La soupe est salée, iodée, forte comme un nuoc-mâm oublié. A peine en bouche, elle infiltre ses muqueuses sans même attendre la gorge. Comme un onguent qui se marie instantanément aux chairs à vif, les graisse et les régénère. Une onde chaude le traverse et l’enveloppe dans une aura d’un céladon éblouissant. Son esprit, comme une eau d’émeraude, se fluidifie et quitte les contrées pesantes des souffrances ordinaires. Tel un papillon translucide, il flotte entre les mondes. Le temps suspendu ne connaît plus les espaces étriqués qui le limitaient et l’écrasaient – limace tragique – a la glu lourde de la matière pesante. Rien ne le surprend plus car il se sent somme et partie à la fois. Vertigineux voyage sur les terres subtiles de l’avant, de l’ailleurs et de l’après. Il – qui ne l’est plus – se fond dans l’indicible et communie avec la Vie.

Alors commence l’expérience qui n’a pas de nom.

De l’au-delà des cieux embrasés, à l’en-deça des funèbres barathres, des étoiles au magma, de l’est à l’ouest, du sud au nord, de l’en-dehors à l’en-dedans, du noir au blanc, dans le kaléidoscope tournoyant du fin fond des éternités étoilées, dans les abysses ondoyantes des prémisses de tout qui a été, est et sera, il est galaxie ignescente, quark tripolaire, grande turbulence solaire magnéto-hydrodynamique, Sirius au cœur d’Alfa Canis Majoris, Galilée inquisitorié, Star du X mellifluente, ectoplasme limbique, lombric extasié, apostat délirant, orgasme de loutre, éjaculation païenne, hérésie fulgurante. Ses cellules lui parlent, il chante avec les chœurs célestes, tutoie la mort et rit avec la hyène, égorge le nouveau né et pleure avec sa mère… Il bruisse avec les feuilles de cannabis dans les montagnes Afghanes. Dans le tourbillon de la conscience universelle, les naïades l’enlacent, Ægir l’adoube, Ruahatu lui sourit, Océane l’entraîne dans l’en-deça du Verbe…

Bouillie de chairs bouleversées, hurlements glacés du sang coagulé, crépitements acides de la lymphe en fusion, implosion douloureuse des os dans la roue du diable, éternels balancements entre les contraires, il ahane, éructe, pleure et rit à la fois, assoiffé de vie et de mort, anéanti, sublimé, transporté et meurtri….

Puis le silence pleure sous le marteau de Vulcain.

Dans le blanc translucide de sa sclère, les vaisseaux éclatés dessinent comme une fractale des crues du Gange à son delta. Le soleil lui rogne l’iris jusqu’à la cornée. Ses paupières clignent convulsivement. Ses mains étreignent la bouteille vide comme des serres moribondes. Lentement il retombe sur mer, exsangue, las et confus. Adossé au bastingage, la mer le berce. Au fond de sa tête, l’aigle lancéolé glatit toujours. Une goutte de sang séché pointe d’une de ses narines.

Sous les eaux de pierre turquoise, Amphitrite, silencieuse, sourit.

Jawad sait qu’il va mourir à la vie et qu’il sera le maître à nouveau….

Sa respiration sifflante s’apaise et ses humeurs corporelles marquent l’étiage. Imperceptiblement il retombe en pesanteur. Le puzzle de son corps douloureux se réajuste pour retrouver son unité. A nouveau Jawad est ego, affalé au fond de la barcasse comme une morue flasque dans un casier. Tout cela lui paraît cauchemars et rêves mêlés, au sortir d’une nuit glauque, enfiévrée, à yeux ouverts. A plein gaz il file vers la côte, sous le vent cinglant et le sel mouillé qui le cravachent et lui corroient la peau. Sur le clapot court, le bateau secoue et le remet au réel. C’est comme un soulagement, qui vide ses bronches brûlantes des eaux ingurgitées. Une toux rêche lui secoue la tête et l’ancre à nouveau dans l’espace. La mer grossit, l’embarcation s’envole à la crête des vagues et plonge rudement dans les creux d’où le rivage disparaît.

Désespérément lucide, Jawad pense au sang frais que le vent emporte.

Le soleil fou de cette étrange journée rase l’horizon de son disque de verre fondu. La mer est noire sous la lumière brasillante qui tranche le jais liquide de sa lame chaude de tourmenteur marmoréen. A contre-jour, la bouteille embuée est sombre comme un sang carbonisé. Il verse lentement le vin grenat dans le verre, éteignant le soleil qui s’y croyait chez lui. A bout de bras, sur le cobalt de ce ciel finissant, le vin tournoie au rythme de son poignet. Entre les rondes, l’hélianthe royal l’aveugle, l’ensanglantant au passage. Le rubis intense de ce ciel finissant se marie aux roseurs encore discrètes qui transparaissent déjà au bord du disque. Le maelström miniature tournoie encore, alors qu’il ferme les yeux et hume le vin frais. Les arômes de pinot, sur ces rivages Africains, l’apaisent. Pulpe de cerise, touches fugaces de cassis, fragrances de cuir gras et de musc, fraîcheur des fruits rouges. L’automne aussi marque le vin de ses touches de feuilles mortes, de champignons, et de mousse. Le fumet, sauvage comme la trace du cerf que le temps du brame appelle, «pommardise» le jus et lui donne un peu plus de prégnance olfactive. L’élégance Bourguignonne de ce Pommard «Les Arvelets» 2006 du Domaine Cyrot-Buthiau répond subtilement aux velours de chênes-liège qui cascadent vers la mer, comme autant de vagues vertes figées sous le soleil rasant.

Le vin se donne en bouche pleinement, roule un fruit mûr qui se déploie puissamment, et gorge ses calicules consentantes, de sucs subtils qu’une pointe sucrée adoucit. Un beau sang de vin, riche et racé, lui remet le cœur en place et pulse jusqu’à l’infime de ses globules martyrisées. La paix le gagne. Le chant rauque du Muezzin envahit les cieux tandis que la mer dévore à belles eaux le Phoebus vaincu. Le liquide charnu glisse soyeusement dans sa gorge, et libère longuement réglisse pure, et tanins lisses comme palais en ramadan….

Le temps s’arrête, l’espace du dernier soupir…

EFINIMOSSANTITECONE.

JE SUIS UN NABAB AUX AMERIQUES

L'ogre

 

Adieu fiers Empereurs Moghols

Esprits des steppes, Génies du Temps,

Aigles des neiges, flèches de vent,

Je suis désormais le Seigneur des Fols.

 

Oubliés palais de dentelle écorchant les falaises

Mausolées d’ivoire, temples fous, dieux de glaise.

Je trône au sommet des tours me moquant des Cieux,

Je suis de ceux promis aux avenirs radieux.

 

J’investis, je thésaurise, Capitalise,

A pleines poignées je dispense et dépense,

Confiant, prodigue, je fanfaronne,

Ivre, sourd, aveugle, je m’abandonne …

 

Holding, Dumping, Lobying,

Je suis le Roi, c’est moi le King !

 

Les avides vampires de Pennsylvanie,

Les rusés vautours de Californie,

De l’arrogant Rutilant se sont moqués,

L’amadouant pour mieux le spolier…

 

Enjôlé, cerné

Mordu

Leurré, plumé

Tondu

Berné, joué

Perdu.

 

Miroitante Opulence Fantomatique

Magnificente Outrecuidance Famélique

Mirobolante Omniscience Frénétique.

 

J’étais comme un Nabab aux Amériques …

LES BELETTES.

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D’après Verlaine. Le squelette.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Deux piètres moules, roulant aux courants, sire vit

Les mangea d’un trait tout bon, dans une barcasse

Lointaine dans le bain de morve d’un coup salace,

Feignait de dévorer la mature bien salie.

–—

Les bêtes, patraques, tenaient un virus pourri

Qui nous irrite, nous crève, un vrai rapace.

Corps peu ludiques, nos hautaines carapaces

Coulèrent (un mataf en goguette en eût vomi).

–—

Ô qu’elles puent, que tout foin pue, flétrissent dans leur soute,

Et qu’en foutre tout au bord avec son frêle gland

Alors aurait tâché ciboire joli, de gouttes.

–—

Mais comme on ne peut dégobiller, peu seyant

Les belettes tant marinées, c’est malséant

Pire, insigne, s’en allèrent vite en déroute.

DANSE AVEC LES MAINS …

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Le train de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Quand la belle danse avec les mains,

Lui loin, danse avec la Louve,

C’est fou comme ces deux s’éprouvent,

La nuit, le jour, soir et matin.

–—

La balance belle sur son giron,

Pomme poire abricot ou nichon,

De confitures en marmitons

Elle a léché bien des chaudrons,

Coupe le vent, fends le poivron.

–—

Allons donc voir comme il fait bien,

Danser avec les seins,

Qui tremblent comme des ballotins,

La nuit, le jour, soir et matin.

–—

Dieu qu’il fait triste le soir venu,

La Lou s’en va, le loup velu,

Ne sait que faire, il est perdu,

Voudrait tant la croquer toute crue

Mais suffit pas de traverser la rue.

–—

Vieilles images presque sépia,

C’est que lui loin tout là-bas,

Sûr qu’il va finir gaga,

Foutu, crevé, tout flagada.

–—

Quand la belle danse avec les mains,

C’est son cœur qui prend le train.

LE VERTIGE ET L’IVRESSE…

Chinikov. Promenade dans le bleu de nos rêves.

Jean-Do, l’œil mi-clos, le cortex au repos, n’est plus qu’à moitié lui.

Il s’est réfugié tout au fond de son humanité, en relation étroite avec ses pères tutélaires. Dans son champ de vision, les jambes soyées de l’hôtesse crissent à chaque pas. Aux temps anciens de la survie, il aurait bondi, griffes acérées et pénis conquérant, mu par ce vieux cerveau reptilien qui lui ordonne, encore souvent, de saillir coûte que coûte. Oui, prendre la femelle et la remplir, séance tenante, de bon sperme chaud, gluant et riche en protéines fraîches. Cet élixir de vie qui lui déchire les reins de plaisir et le laisse sur le flanc, qu’il a large, épuisé mais en paix. Un moment. Que l’espèce survive demeure impératif. Tout se mélange dans sa tête. Ça arrive comme ça d’un coup, alors qu’il est plongé dans de profondes analyses politico-économiques. Pourtant il ne bouge pas, se contentant de cette demi érection douce qui lui mouille à peine le bout de la bite. C’est ainsi qu’il se murmure in petto, dans un langage très cru, car les mots ont un puissant pouvoir évocateur. Il lit souvent les textes sacrés, les grands livres. Cela lui suffit pour le moment. La brune grassouillette qu’il a vitement honoré dans les toilettes de la classe affaire, il y a moins d’une heure, l’a apaisé. Un peu. Une poignée de dollars arrachés à la liasse l’ont calmée. Derrière lui, affalés comme des huitres grasses dans leurs larges et luxueux fauteuils de cuir, les membres de son staff, ont déconnecté. C’est ainsi qu’il aime que l’ordre du monde soit.

Lui devant.

Toujours à demi vivant, il se penche vers le hublot. Là-bas, tout en bas, les Alpes sont blanc d’œuf écrasé. La vie semble avoir disparu, la terre, déserte n’est plus qu’à-plats colorés, comme une œuvre abstraite qui s’étendrait, vide de sens, au mur d’un musée cosmique. Cette relativité mouvante lui plait. Plus haut encore, la planète retrouverait sa forme presque ronde, dodue, appétissante. Il se dit qu’à bord d’un vaisseau spatial, il tendrait la main vers elle, qui reposerait, lumineuse, dans le creux de sa paume, comme un sein consentant qu’il écraserait lentement, lui tirant un jus sombre de sang, d’eau, de pierre broyée, de feu et de chlorophylle mêlés. Un sourire enfantin étire ses lèvres fines. Béatitude satisfaite qui le comble et le plonge dans un demi sommeil.

God is on his side…

La mère qui l’a porté papillonne. Belle et plantureuse, de larges seins oblongs tendent sa blouse légère qu’ils percent à moité. Autour d’elle, l’assemblée de ses admirateurs est sous le charme de ses yeux zinzolins. Dans son couffin étroit, emmailloté dans ses langes serrés, jambes bouillantes et cœur énamouré, l’enfantelet attend sa tétée de lait et d’amour. Mais emportée par un irrépressible besoin de séduire, elle l’oublie souvent. Il pleure d’une voix douce, triste et implorante. Le regard baveux et les moustaches frisées de l’homme au feutre élégant qui couve sa mère d’un regard gourmand, sont plus forts que sa souffrance d’agneau affamé. Là, dans l’obscurité de son jeune âge, Jean Do décide confusément qu’il n’attendra plus jamais, qu’il ne supportera plus que femme lui résiste, le prive, quand le temps faisant, il pourra décider. Tout lui sourit pourtant et continuera de lui sourire. Confort à tous les étages, les grâces sont sur lui…

Dans le pullman de cuir brun qui jouxte le sien, Chani sa femme que l’âge arrondit et détend, les paupières closes sur des yeux lumineux de faïence azurine, sourit comme elle le fait en toutes circonstances. Seule l’intensité variable du ciel de ses pupilles cérulescentes signale à qui sait la lire, son humeur de l’instant. Paradoxalement, le bonheur les noircit. Au comble de la rage contenue, ses yeux sont lacs d’altitude. Elle sait Jean-Do, du plus tenu de ses synapses au plus obscur de ses barathres. Le moindre de ses tressaillements secrets résonne au profond de son être. Au-delà des affections mièvres que recherchent et célèbrent les mollesses humaines ordinaires, la même ambition les habite, les hante, guide leurs pas et tord leur sommeil de cauchemars sidérants. Ils sont un, jusque dans la sueur qui glace leurs reins. De loin en loin, Jean-Do la maltraite. Sous le ventre flasque et pendant du vieux bison, ses fesses, débordantes, trop ductiles maintenant, roulent en vagues mollissantes, sous les coups de boutoir trop rapides. Elle n’a plus de plaisir, si ce n’est celui de faire philippine quelques minutes. Pour le reste, tout est parfaitement double, clair, consenti. La conquête des cimes leur mange le ventre, les garde contre vents mauvais et pulsions charnelles, dans un continuel vertige. Ils oscillent constamment, comme des culbutos extatiques, entre les brûlures du pouvoir presque total entraperçu, et les pièges mortels qui peuvent encore les engloutir, comme une dernière succion, à quelques mètres de l’extase absolue de l’ultime sommet. C’est un pacte infernal qu’ils n’ont pas eu à signer.

Jean-Do ne sent plus son épaule gauche. Hypnotisé par la mer vide de vie visible qui déroule sous lui sa pellicule de lapis sans rides, il ne bouge toujours pas. A ces hauteurs les hommes et leurs temples de toutes natures ont disparu, la planète est déserte. Seul l’espace des ténèbres supérieures le domine encore. Mais il sait qu’en bas, sous le manteau bleu des eaux figées, règnent les abysses dans la noirceur desquels couvent les feux de Vulcain, ces bouches de lave carmines que les eaux ne peuvent éteindre. La crainte d’y plonger, de réduire à néant son rêve, leur chimère de domination glorieuse, lui glace les tripes et calme un moment l’amativité qui le consume.

Chez lui la peur est ivresse qui nourrit le vertige.

La climatisation chuinte, s’apaise puis repart, les hôtesses glissent dans l’allée centrale, au bruit sec de leur cuisses gainées de fines résilles qui se frôlent. Ces chants polyphoniques, qu’il est seul à ouïr et jouir, ne troublent qu’à peine le silence luxueux de la classe affaire. Son corps a soif, tout le temps. Alors, pour le tromper, il se décide à boire. Sur la carte des vins, brillent en lettres repoussées les noms des très grands. Tout au bas, il repère un Château, petit Gamay de peu, qui plait au gamin en lui. « Thulon » 2009, ce nom l’attire qui conjugue la mort donnée sur le mode indéfini. L’avion amorce sa descente vers New York, il a du temps devant lui. Puis sa suite luxueuse, ses habitudes l’attendent, comme une respiration torride entre deux réunions de haute importance. Chani poursuivra vers les plages cossues de la côte ouest. L’alien qu’est devenu l’enfant frustré, dans l’enfer secret de sa conscience sourde, entrouvre ses yeux tristes. Entre son regard et la lumière crue du hublot, le vin tourbillonne dans le verre. Sa robe de velours grenat, moirée d’encre violette, rutile, brillante et pure comme un soleil couchant sur les monts du Beaujolais.

C’est pile le milieu de la nuit.

L’heure des équilibres, des funambules qui vacillent sur la lame. Yeux grands ouverts j’ai du dormailler par instants. Au tiers, mes bras sont marqués d’un trait rouge par le rebord du bureau. Le cou me tire. C’est moins bien ! Pas de monts du Beaujolais à me mettre sous les pupilles mais un de leurs meilleurs jus à me lisser les papilles. Tout est fleur, grâce et fruits dans le haut verre. Un vin du Jean Marc Burgaud qui va me ramener dans les clous du réel. Sous mes pieds le parquet. Sous le parquet le monde. Calme et paisible. Bruissant du silence nocturne. Dieu qu’il est bon de n’être rien ni personne. Qu’un vermisseau tout au fond de l’insondable.

Qu’un soupir dans la voix de Dieu…

Dans la solitude de la nuit les parfums sont plus intenses. Il prennent comme un relief supplémentaire. Les sens aussi sont plus aiguisés, des crocs de goule en maraude. Les possibles itou. Le verre revient à moi et aguiche mes sens de ses parfums espiègles et friands. Je la vois sur l’écran de mon front, cette grasse pivoine aux pétales serrés qui exhale ses parfums sucrés sous mon nez épaté. Elle enroule dans ses plis humides de rosée, les framboises et les fraises fraîches du matin. C’est bon, revigorant, de cette simplicité apparente du complexe. Ça sent la vie de la pierre et de la terre. La corolle de cristal fragile verse dans ma bouche une belle goulée de gamay qui attaque au son de velours d’un tambour d’apparat, le tapis turgescent des papilles frissonnantes de ma langue incurvée. Qui accueille le nectar goûteux, comme la nonne extasiée, le sang du Christ Doloroso. Une boule, une balle de fruits mûrs qui roule et rebondit du sol au palais. Qui tapisse, qui s’insinue, libère son bonheur pour mieux me ravir, lentement. La matière est conséquente, millésime oblige, et talent du vigneron pour sûr. La sphère fait sa bombe puis s’ouvre en une vague de fraises, de framboises et poignée de myrtilles à l’acidité tendue. Puis la vague finit sa déferlante dans les obscurs abysses qu’il vaut mieux taire. Je claque du bec de plaisir. Le vin rechigne à se faire souvenir. Ses tannins imperceptibles laissent longtemps leur craie fine à l’envers de mes joues.

Mes yeux, à mon insu, se sont fermés de plaisir.

Dans son fauteuil, Jean-Do savoure ce vin d’en-bas qui apaise un instant l’enfant fou des douleurs enterrées. La gomme des pneus cogne comme un poing mou le béton rugueux de la piste…

Brutal, le désir lui fouaille à nouveau les reins…

EMOABTIJECTECONE.

A GÉMIR.

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D’après Charles Cros. Avenir.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les très chauds ciboires et les jeunets fluets

Dans le coin crapuleux qui éblouit l’affable,

A se mettre au lit où mon glaïeul inénarrable

Et ma bégueule qui rit du sarment tourmenté,

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La cigarière où mon furoncle a tant giclé,

La foutraque déjantée sur le vit instable

M’éblouissent. Aussi sur ces flancs bien baisables

Mes paires vous éblouiront, vous qui n’êtes lassée.

–—

Mort je suis sur les dents. Souvent l’ancien s’en va

C’est à l’heure qu’il butine et beurre jusqu’au bas,

S’enfuit tout enivré, et la louve il chasse.

–—

Ô artilleurs à frémir, qui tirez les oies

Dans les champs, impalas et autres doux gibiers,

Vos bourres font pâlir, atroces canardiers.

LE SOLEIL S’EST LEVÉ A L’OUEST …

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La De fait l’ange.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Il est porté par quelque chose qui le dépasse,

Elle est la chose de la chose magnifique,

Cette chose est belle qui les pousse au-dessus d’eux.

Elle les porte aux nues plus haut que leurs étoiles,

Et rien n’y peut, ni eux, ni la pluie, ni le vent

Pas plus que les anges, les diables ou les gueux.

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La belle au bois, aux pierres, aux chênes si verts,

Mais où sont les dieux qui nous font tant souffrir ?

Allah, Ganesh, Buddah, Zoroastre et vous autres,

Vous qui ne rimez pas nos vies mais qui les détruisez,

Vos noms qu’ils brandissent pour mieux assassiner,

Les fleurs des champs coupées au ras des belles idées.

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Faudra t-il que le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest ?

Au cœur des mausolées, sur les temples d’Angkor,

Par-delà les trous noirs, au fin fond des enfers,

Quand le ciel verdira, quand Memphis renaîtra,

Ta main sera toujours là, posée sur mon bras.

LA FAILLE DU TRENTE DEUX DÉCEMBRE …

Odilon Redon. Le coquillage.

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Elle vit le jour, de nuit, un trente deux Décembre…

Entre deux mois et deux années, donc. Dans le creux des mondes, de l’espace et du temps. Sans âge elle était, tous les âges elle avait. Consensuelle et inadaptée. Frigide et torride, froide mais volcanique. Toute chose et son presque contraire. On l’appela Maryam, comme la mère d’Îsâ. Elle naquit brune comme olive du Néguev, vive comme un cristal taillé, dure comme la pointe d’un kriss, tendre comme un secret murmuré, piquetée de petites graines de chocolat au lait, comme un cœur griffé. D’une beauté à la frontière des codes, selon que la lumière voulait elle paraissait ange ou sorcière. Intense ou fuyante, vibrante ou glaciale, entière et dissociée. Condamnée par son entièreté et ses balancements à la solitude altière des hautes cimes battues par les vents sidérants. Elle s’accrocha à l’enfance comme l’arapède à son rocher ne voulant pas quitter l’abri paisible des rives maternelles. Mais la vie plus forte que ses désirs d’innocence, à jamais en fit la liane épanouie que les hommes regardent. Sabra furieuse, elle les déchiqueta, les piétina, les mordit au cœur sans jamais pouvoir s’en débarrasser, obstinés qu’ils étaient à vouloir l’aimer. Plus d’un y laissèrent leurs armures, leurs rutilances, leurs opiniâtretés…. Dans ses veines coulait le sang de l’exception et des rivages d’outre méditerranée, mêlés, qui faisait d’elle une amante brûlante sous ses griffes aciculaires…

Elle portait à la hanche, dans l’ombre de sa taille, le signe maudit de sa naissance étrange, une étoile minuscule, pentagramme délicat, bleu, battant comme un sang de veine à la gorge d’une mésange mourante. Une étoile filante à la queue historiée qui courait sur la courbe joufflue de sa fesse ronde à la façon d’une traînée ardente. Solitaire elle serait, hautaine, riche du désespoir des âmes intransigeantes et des élans étranges de celles que l’on ne peut comprendre. Elle s’en repaissait à la nausée, ruminant à jamais les bromes acides de son étrangeté et survolait sa vie, voletant rarement, préférant planer au hasard des rencontres dans les contre-allées, au pied du mur de ses impasses cultivées.

Le sang de la vigne, l’eau divine qui ruine les êtres boursouflés de peu, la prit un soir étrange, une nuit de langueur, de mélancolie profonde, accablée qu’elle était par les douleurs de sa vie, par les bouillonnements indicibles de ses contradictions urticantes. Les jus subtils des vignes nobles l’apaisèrent, lui entrouvrant les portes d’une rédemption possible. Ils lui apprirent sa différence, lui enseignant les leurs, lui murmurant au palais les délices probables, les finesses infinies des terres de bon, les forces telluriques et les énergies invisibles des astres. Comme elle ces vins de belle compagnie étaient doublement nés, agis, nourris, et ne devenaient « un » qu’aux palais bénis des êtres modestes de haut lignage cachés sous les guenilles ordinaires des humains de ces temps … Intuitivement elle comprit qu’elle tenait là boisson à sa mesure. Les élixirs d’entre deux, liens liquides entre ciel et terre, comme elle pures émanations de l’union des mondes, ennoblirent sa vie.

Un soir de maraude, en des lieux qui ne sont qu’évanescences, toiles improbables et sans reliefs, elle croisa une vieille âme rompue de vies anciennes, au cœur et au cuir couturés, boucanés par les sels des tempêtes violentes et des amours déçues. La nuit était profonde, seuls les écrans aux yeux livides et morts trouaient le silence térébrant de leurs lueurs glauques et clignotantes. Absalon perçut à l’immédiat le frôlement de leurs âmes, communiant dans la reconnaissance de leurs souvenirs communs. Au même instant il sut que rien n’était possible tant ils se ressemblaient, comme issus d’un même aimant dont les deux pôles se repoussent. Maryam se déchaîna très vite, s’acharnant, allumelles brandies, à le déchirer, le crucifier tant et plus, jouant de tout, arguant de rien, esquivant, repoussant, revenant … Il lui fallait tuer ce double qui savait tout d’elle sans jamais l’avoir vue. Elle distilla ses plus subtils poisons, darda ses flèches les plus acérées, à chaque volée décochée elle en recevait qui lui revenaient en miroir. Elle trouva refuge, au bout de ses attaques, dans un silence hautain qu’elle rompait de loin en loin, ne sachant finir car elle était elle même sans fin. Elle voulait à tout prix rester la seule et supprimer l’unique atma capable de la percer ainsi. Son besson. Mais chaque coup qu’elle lui portait l’affaiblissait elle même ! C’était un jeu étrange et dérisoire que ces deux êtres semblables, si subtils que leurs joutes grossières les rendaient pitoyables.

Du bout du troisième œil Absalon la visitait. Elle sentait sa chaleur sous sa peau et les picotement tendres de ses baisers inévitables. Elle avait beau se secouer comme chienne sous morsures de puces, elle n’en pouvait mais. Ses secrets il perçait, comme un goujat goulu que la faim dévore, à l’intime il s’abreuvait, sous sa douche il était l’eau qui la régénérait après qu’elle ait abusé de plaisirs vains qui la laissaient plus morose que pantelante. Elle payait le prix de son orgueil. Sa rage ne le décourageait point, sa lame aiguë n’entamait pas l’inclination qui le portait vers elle. Que pouvait-il perdre, lui qui n’avait rien à gagner, que la reconnaissance de l’avoir débusquée cette entêtée, à l’autre bout des fibres … qui le niait ?

Une nuit qu’il voguait au soleil aveuglant d’entre les mondes hors du corps qui l’abritait de jour, insensible aux aléas, en vacance des contingences de l’incarnation, les anges lui firent don d’un tapis plus léger encore que duvet de colibri, de cachemire et de soie sauvage tissé par leurs doigts de lumière. De la couleur des vins qu’il aimait tant. Le vent des douceurs l’emporta vers Maryam qui le crossa de ses poings mauvais pour en faire une loque à essuyer les boues qui tachaient ses chausses. Elle ne manquait pas d’y cracher chaque jour son mépris, et les plus infâmes glaires de ses humeurs méphitiques…

Un soir, une nuit qu’il n’en pouvait plus d’entendre son autre l’humilier, Absalon au bout de sa constance plia genoux. Il comprit enfin que les cieux ne voulaient pas. Qu’il lui fallait accepter, se convaincre qu’elle ne l’aimât point …

Il suait à grosses gouttes à son réveil …

De son cauchemar il émergeait,

Livide, exténué.

Oeil hagard

Et bouche buvard …

Ne lui restait en mémoire que l’image tremblante d’un coquillage fragile, de nacre douce et de chairs roses enfouies qui battait comme fièvre quarte à ses tempes douloureuses. Il lui fallait bannir ce moment, il fallait que se dissolvent dans les lumières électriques du réel nocturne ces moments de stupeur qui le laissaient exsangue, meurtri, tremblotant et muet.

Sur le cuir, vieilli par les nuits de veille, de son vieux bureau, son lit d’infortune, compagnon de ses égarements crépusculaires, luisait l’incarnat sombre d’un l’élixir odorant qu’il ne se souvenait plus d’avoir versé dans ce hanap de cristal éblouissant à portée de sa main. Le liquide, crème de délices, palpitait et portait à l’entour les fragrances odorantes des pivoines épanouies. Le vin était profond comme lac de montagne rougi par un soleil expirant. Au centre du vortex que son poignet creusait en agitant le verre, il vit le trou noir funeste qui l’avait aspiré au cœur des impossibles. Au bord du disque mouvant le cercle violet d’un espoir l’apaisa. Le temps ferait son œuvre comme il le fait aux jus sombres des vieilles vignes. Absalon ferma les paupières sur le bleu veiné de rouge de ses yeux fatigués.

Et se mit à voler parmi les champs de mûres, les bosquets de framboises, le cœur des fraises, les buissons de cassis, et les fragrances grasses des meilleurs cuirs. Les épices aussi. Le sang fruité du raisin mûr déplissa le carton pâteux de sa bouche à la première onde qu’il accueillit entre ses lèvres sèches, inondant ses papilles de sa douceur fraîche. L’équilibre parfait du breuvage le remit d’aplomb, il se laissa emporter par la vie qui revenait. Les lambrusques bruissaient au zéphyr de Bourgogne en cet automne 1998, alors que l’intuition l’envahissait et qu’il riait à l’humour du sort qui n’en manque jamais. Il avala le baiser des « Amoureuses » comme il avait poussé son premier cri naguère ! Sur les vignes de Chambolle, il planait comme le Grand Duc, son autre, au cœur des ténèbres. Par ciel interposé il remercia Robert Groffier qu’il ne connaissait pas pour ce vin de paradis, plus soyeux qu’ailes d’Anges qui bruissait dans sa chair, exaltant jusqu’à la dernière de ses cellules, chantant en chœur avec son âme retrouvée, avec l’humilité des hommes qui enfantent ces vins de résurrection …

A l’autre bout du lien, Maryam frissonna…

Avec le temps, va, rien ne s’en va…

EMOTIMORTECONE.