Littinéraires viniques » Christian Bétourné

TERRA INCOGNITA.

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La reine-mer de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Hisse et haut ! Le soleil à leur cramer la peau,

Dans les gosiers tannés ne coulent plus les mots.

Le bois du pont brûlant jusqu’à ronger les os,

Les pustules saignantes pleurent toutes leurs eaux,

Et les chairs grésillent sur les jambes et les dos.

Les voiles affalées pendent sur les bardeaux.

Et le vent est tombé, et la mer est mourante.

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L’horizon disparu au ciel blanc des ardents

Les rides creusent les corps prostrés sur les bancs,

La sueur a séché, sales et secs sont les flancs

Des matelots râlants, écroulés, haletants.

Le désespoir bruyant a tué les élans,

Sous les crânes en tempête ne pulse que le sang

Des grosses veines bleues, fragiles à éclater.

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Quand iront-ils courir sur les terres nouvelles ?

Sous les vents alizés les palmes se balancent,

Le sucre des fruits mûrs, l’odeur des maquerelles,

Les ruisselets chanteurs et les extravagances

Des singes aux culs rouges. Les toisons en ficelles.

Oui, regarder là-haut l’azur des recouvrances.

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Et nul n’est arrivé, pas un n’est revenu,

Dans les îles aux fontaines le silence des sirènes.

BLEU-BLANC et ROSE-BONBON.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

“Va-t’en, fous l’camp bon à rien d’nègw” !!!

Le cheval du contremaitre se cabra, le fouet du blanc à chapeau noir claqua sur le dos en sueur de l’homme courbé sur un tas de cannes à sucre fraîchement coupées. Son corps se cabra lui aussi, mais pas un son ne sortit de sa bouche grimaçante. Les dents serrées à se briser il tenta de fuir, mais le serpent de cuir enragé le rattrapa, s’enroula autour de son torse et sa queue effilée lui scarifia le torse. Puis encore et encore. Le cuir sifflait, le serpent rougissait, gras de sang, ivre de sueur, de chaleur, mordant et remordant la peau noire frissonnante. Bleu-Blanc s’écroula sur les cannes abattues, la poussière et les fragments de feuilles séchées collés à sa peau accentuèrent la douleur. Le cataplasme assoiffé avalait comme un buvard les humeurs écarlates qui sourdaient de la peau marquetée d’ébène et d’acajou précieux. Bleu-Blanc soufflait bruyamment, crachait et s’étouffait à moitié, son visage noir rouge de terre devint gris, ses yeux révulsés ne voyaient plus. On aurait pu croire que deux gros vers blancs sertis dans ses orbites lui dévoraient goulument la vie. Puis il lâcha prise, sa bouche couverte d’écume se ferma, à bout de force il s’affala et s’enfonça dans la nuit de l’inconscience. Autour de lui les hommes s’écartèrent, bras ballants, épaules voûtées, têtes basses. Vaincus d’avance. Stuart, debout sur ses étriers leva le bras, la serpentine menaçante, le travail reprit, les cannes se remirent à chanter sous les lames étincelantes des machettes. Le ciel était pur, éclatant, comme le ciel du paradis le dimanche à la messe.

Au dessus des vagues de cannes mûres couleur d’ambre foncé, agitées par une brise têtue, on pouvait apercevoir le bleu cobalt de la mer qui s’étendait jusqu’à l’horizon. Le smalt profond des eaux était strié de vaguelettes vertes crêtées d’écume immaculée, que le vent chaud emportait jusqu’à la côte. Ce lait de mer brouillait un peu la pureté du ciel sans nuages, et déposait sur la peau basanée des moricauds au travail de fines marbrures salées. Deux hommes, veillant à ne pas être vus, déposèrent doucement le blessé sur un lit de bois brut à l’intérieur d’une cahute puis se sauvèrent pour rejoindre les champs. La douleur était telle qu’il râlait doucement et prononçait des mots incompréhensibles. Les quelques femmes occupées à rincer à grande eau la lessive des maitres baissaient les yeux, feignaient de ne pas entendre et n’osaient pas, ne serait-ce que s’approcher de la porte grande ouverte de la masure.

Dans la vaste demeure du becquet, maitre incontesté des immenses champs de cannes et des esclaves noirs qui y travaillaient durement, un piano chantait gaîment. Entre chaque volée de croches endiablées un rire insouciant roulait en perles cristallines, un rire joyeux de jeune fille. Louis-Charles Lavolière n’était pas un mauvais bougre, mais il dirigeait sa propriété d’une main de fer. Petit, chauve, bedonnant, il n’avait rien de l’image traditionnelle du grand propriétaire terrien élégant et racé, mais ses yeux gris acier et sa voix de basse profonde faisaient très vite oublier à ceux qui avaient affaire à lui, son physique atypique et ingrat. Louis-Charles était le troisième de la lignée, depuis que Louis-Jacques avait débarqué à la Pointe Allègre en juin 1635 avec la troupe menée par Jean du Plessis d’Ossonville et Charles Liènard de l’Olive, dans l’île de Guadalupe. Les esclaves arrachés aux terres Africaines, eux aussi, étaient de troisième génération. Ils avaient prospéré jusqu’à dépasser le nombre de cinq mille et Blanc-Bleu était l’un de ceux-là.

Clara faisait sa joyeuse, comme souvent lorsqu’elle tapait n’importe comment sur les ivoires du piano, en riant comme la moitié folle qu’elle était. Grande comme l’avait été sa mère morte d’une embolie foudroyante quand elle n’avait pas deux ans, sa longue chevelure noire descendait jusqu’à la taille, contrastant avec sa peau crème de lait et ses yeux vieux rhum. Clara souriait. Clara souriait toujours. Un sourire de façade. Mais pour savoir dans quelle humeur elle se trouvait vraiment, il fallait mieux se fier à son regard. Elle avait vingt ans, mais elle était pire encore que la plus expérimentée des garces. Et cruelle avec ça, le sourire aux lèvres quand elle éconduisait vertement les prétendants qui se jetaient à ses pieds, les babines frémissantes quand elle assistait, gourmande, aux supplices terribles, quand à la moindre peccadille un contremaître hilare lacérait les chairs fragiles des esclaves épuisés. Clara était la digne fille perverse de son père.

Ce jour là l’envie lui vint d’aller parader sous son ombrelle de dentelle blanche dans le quartier des ouvriers. Elle marchait, taille cambrée et sourire figé, affrontant les regards des pauvres hères surpris de la voir apparaître. Effrayés, ils faisaient aussitôt le dos rond et marmonnaient quelques mots inaudibles. Attirée par une petite troupe amassée devant la porte ouverte d’une cahute, elle s’avança. Tous se découvrirent et s’écartèrent pour lui laisser le passage. Clara entra d’un pas décidé, un pas de maîtresse, un pas ample et souple, provocant qui faisait rouler ses hanches. Devant elle, elle distingua dans la pénombre un corps affalé sur le ventre, le corps d’un noir athlétique dont le dos à vif, rouge comme la chair d’une grenade éclatée, luisait sous les rais de lumière crue qui perçaient entre les planches disjointes de la cabane misérable. L’air sentait la sueur chaude, le sucre de canne, la colère et la crasse accumulées. Elle aima cette odeur. La tête lui tournait un peu, un frisson courut sur sa peau, elle sentit le long de ses reins couler un ru de sueur. Délicieux. Jamais elle n’avait ressenti un tel plaisir. La surprise fut totale quand l’eau de ses larmes coula sur ses joues. Elle rougit, se sentit heureuse et coupable à la fois de perdre ainsi le contrôle de ses émotions. L’homme la regardait sans baisser les yeux, il avait un regard doux. Sous ses longs cils noirs ses iris couleur d’orage brillaient. “Mamzelle Rose-Bonbon!” murmura t-il d’une voix grave éraillée. Pour la première fois de sa jeune vie Clara demeura interloquée. Ne sachant que dire, dépassée par ce qui lui arrivait. Alors elle décida d’agir, se tourna vers la porte et ordonna d’une voix ferme qu’on lui apportât des linges propres, des onguents et une bassine d’eau chaude. Les dizaines de paires d’yeux, interrogatifs et curieux qui se massaient devant l’entrée, s’égayèrent en caquetant comme des volailles effrayées.

Une jeune négresse marron revint avec l’eau, le linge propre et les onguents qu’elle déposa à même le sol de terre, entre Clara, qui ne broncha pas, et le blessé. Puis s’éclipsa, effarouchée par le silence lourd qui épaississait l’air dans la cabane. La jeune femme lutta pour retrouver l’usage de la parole, elle s’humecta les lèvres avec un bout de drap mouillé, prit une gorgée d’eau claire tant sa bouche était sèche. L’homme la regardait toujours, ses bras ballants pendaient de chaque côté de la couche. Son visage tressaillait par instant, les douleurs étaient fortes. Clara s’approcha sans un mot, s’agenouilla et entreprit de nettoyer avec douceur les plaies qui commençaient à suinter. Elle chassa les grosses mouches bleues qui zézayaient en rondes impatientes au-dessus des chairs en bouillie. Tous deux se taisaient. Clara pleurait en silence tout en s’affairant, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, ne parvenait pas à mettre un nom sur ce sentiment nouveau qui lui avait serré la gorge dès qu’elle était entrée; la tête lui tournait, elle se sentait emportée par un étrange tourbillon, violent, puissant, renversant qui bouleversait brutalement ses certitudes comme son insouciance habituelle. Et cela l’indisposait au plus haut point, déchirée qu’elle était entre la douceur qui la gagnait et la grande colère qu’elle ressentait à se retrouver, malgré elle, dans cet état.

Les linges mouillés étaient maintenant rouges de sang noirs de croûtes sales, un mélange de terre, de fragments de feuilles de canne, de cristaux de sel. La douleur avait faiblit, le visage de Blanc-Bleu semblait apaisé. Clara regarda d’un air incrédule sa robe maculée d’écarlate, piquetée de débris divers; elle qui aimait la propreté et les vêtements impeccablement repassés ne cilla pas. Elle se pencha sur l’homme et demanda d’une voix douce : “Pourquoi m’as-tu appelée Rose-Bonbon?”. Blanc-Bleu déglutit plusieurs fois, une onde de joie passa sur son visage. Elle aima la vision furtive de ses dents blanches, saines et régulières, de ses lèvres noires, charnues, humides, au dessin parfait. “C’est l’nom que j’vous donne Mamzelle, c’est qu’elle est rose vot figure quand vous riez”. La réponse amusa la jeune femme qui continuait à pleurer en silence, elle n’y pouvait rien faire, les larmes coulaient lentement et s’en allaient mouiller le haut de sa robe de coton fin. On pouvait voir la pointe de ses seins se dresser au travers du tissu humide. Des images virevoltaient dans sa tête comme une nuée de papillons noirs, les images d’une ville dévastée, de lourdes pierres tombaient autour d’elle, le ciel tremblait, le visage d’un jeune homme au visage terrifié apparaissait aussi par instants pour se dissoudre aussitôt. Pleurait-elle pour ça ? Elle ne savait pas, c’était comme des souvenirs qu’elle n’avait jamais vécus. Clara secoua la tête pour chasser ces images. “Quel est ton nom?” demanda t-elle à l’esclave. “Blanc-Bleu” répondit-il. “Et pourquoi t’a-t-on donné ce nom ridicule?” poursuivit-elle. “A cause du drapeau bleu blanc rouge, à cause de la Liberté. c’est mon nom Liberté, Blanc-Bleu Liberté” s’entendit-elle répondre. Elle se mit à rire franchement sans pouvoir s’en empêcher. Elle se pencha spontanément et embrassa furtivement la joue de l’homme. Il rit aussi. Il leur sembla qu’ils étaient seuls au monde.

Après avoir châtié les deux cochons de nègw qui avaient secouru Blanc-Bleu Stuart galopa vers la cabane. A sa vue, les esclaves, tels des souris effrayées par l’arrivée du chat, s’enfuirent de tous côtés. Il regarda au travers des planches. Clara embrassait la joue de ce salopard de nègw et ils riaient tous les deux !!! Alors Stuart enfourcha d’un bond son pur-sang bai et galopa à toute allure informer le maître.

Clara se leva. Elle ne pleurait plus, elle se sentait joyeuse, mais sa joie était nouvelle, différente, son cœur battait plus vite, l’idée lui vint d’exiger qu’on l’appelât Blanc-Rouge. Elle rit de plus belle en battant des mains. “Je reviens te voir bientôt” murmura t-elle au moment ou le corps de l’homme se cambrait et retombait inerte sur sa couche. Un jet de sang écarlate giclait de son flanc en inondant le bas de sa robe. Elle n’eut pas le temps de comprendre, le second coup de feu traversa son dos, puis le mur de bois de la cahute éclata. elle tomba d’un bloc sur le corps de Blanc-Bleu, son sang se mêla au sien, sa main gauche recouvrit la joue gauche de l’homme. Comme une caresse. Ses doigts tremblèrent un court instant …

Louis-Charles baissa le canon de son fusil à deux coups, il était gris comme un matin d’hiver, son regard était figé. Puis il lâcha son arme et tomba à genoux en gémissant. Derrière lui les yeux énamourés de Stuart brûlaient d’un feu mauvais.

HAÏKUS 29

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LE PETIT RAGONDIN.

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Le ragondinet de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Un petit ragondin tout seul dans la broussaille

Il a perdu maman, ils ont mangé papa

Les Amériques sont loin, très loin derrière la baille

Ah s’il avait des plumes, il volerait là-bas

Au dessus des nuages, au travers des nuées

Avec les anges blonds que Dieu a emportés

Mais sa fourrure collante ne veut pas le lâcher

Autour de son terrier, de grosses bêtes fauves

Le guettent tout le jour et quand la nuit est mauve

De sa voix désolée il chante un air pas gai.

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Un petit ragondin caché sous la ferraille

Sous les bombes, éperdu, il sent trembler la terre

Le monde est désolé, le soleil en enfer

Il s’accroche aux roseaux et ça pue la ventraille

Et la viande rôtie, l’acier et le napalm

Et le sol tremble encore, il pleut des bouts de chair

Le petit se blottit. Des tas de pattes en l’air

Volent dans le ciel rouge comme des oiseaux morts

Il pleure dans sa moustache des perles, des larmes d’or

Et la rivière charrie ses rêves d’enfant blessé.

ENTRE TES DENTS …

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La De fait la sarabande.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Touffu,

Moussu,

Rasé,

Tondu,

Mordu.

Opale tendre,

Et rire

Fondu.

Changeant,

Sur l’arbre

De mes rêves.

Orfèvre,

Ma fève …

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Fends la bise,

Fends l’exquise,

Fends l’abricot

Mûr

Du désir,

Qui frise,

Et me brise,

Les reins,

Pire,

Que la brise,

Qui caresse

Tes seins …

—–

Avide,

Il verse,

Sa liqueur

Acide,

Qui coule,

Sur tes fesses.

Tigresse,

Drôlesse,

Diablesse,

Tu navigues,

Éperdue,

Et te touches,

Le cul …

—–

Dans la raie,

Distendue

De ton désir,

Exsangue,

Je tangue,

Et j’afflue,

Dru.

Tout au fond,

De ton antre,

De son regard fendu,

Le cyclope

Interlope,

Bute,

Et rage,

Aigu …

—–

Puis il brame,

Le pleur enivrant,

Du déversement

Charmant.

Ton ventre rond

Chante,

Ondule,

Trémule,

Se lamente,

A l’unisson.

Au matin blême,

Le con a chanté…

—–

L’aria sublime

Du sang,

Que le vent

Décuple.

Tes oblongs,

Obus fragiles,

Balancent,

Lourds,

Et charnus,

Et pointent,

Vers le ciel,

Leur regard

Goulu …

—–

Danse

Ma fée

brûlée,

La lance

Aiguisée

De ton regard

Velu,

Se balance.

Dans tes yeux

Bleus.

Zinzolin,

L’arc-en-ciel

A ondoyé …

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J’ai défait

Mon armure,

Si dure,

Au fond

De ton siphon.

Ton coeur

Qui m’accueille,

Écureuil

Flambant,

Tu croques,

Mes noisettes,

A coups de dents

Pointues …

—–

Et je lâche,

Aux cieux,

Rougis,

Le cri,

Puissant,

De mon vit

bleuit,

Par les eaux

Poivrées

Qui perlent,

Damoiselle,

De tes flancs

Charmants …

—–

Je jouis

Entre tes plis,

De velours.

Pur boulgour,

Miel

Lourd.

Mon amour …

STILL ALIVE AFTER LA SAINT VIVANT…

Maxwell Armfield. Faustine.

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 Romanée Saint Vivant 1998.

Le nom du vin, déjà est un monde.

Dans le verre, un pur rubis pâle et lumineux.

C’est un voyage dans l’imaginaire auquel ce vin convie. Un voyage dans l’Androgynie des origines, au pays de la Romanée, le Roman «Roman» de Romane, au pays de Saint Vivant de Vergy, l’abbaye Médiévale en laquelle œuvraient sans doute de solides tonsurés – amateurs de chairs et de vins, ripailleurs et mystiques – traversés par les énergies puissantes de la terre et les intuitions subtiles de l’âme. Un vin, élevé par Drouhin, qui porte en son nom l’union contrastée de la matière et de l’esprit. L’espoir d’un équilibre, d’une quadrature, d’un chemin sur le fil de la lame…

Il est bon de se laisser aller à rêver avant de boire.

Le nez au dessus du verre m’emporte dans les brouillards translucides du petit matin. Le nez humide d’une biche gracile se pose sur ma joue… Des fruits en foules rouges. Le premier jus qui sourd du pressoir. Parfums de vergers et de vignes. Pinot mûr qui s’écrase dans les doigts. Fragrances fines. Parfums mouillés. Les détailler car il le faut bien… Airelle, groseille et framboise délicates déposent au nez une brume odorante et fragile, qui s’enroule comme une liane parfumée aux confins exaltés de mes rêves intimes. Cerise aussi, Bourgogne oblige… Le temps semble impuissant, l’automne n’atteindra pas ces arômes d’au delà de mes vicissitudes.

Le faune en moi chantonne, subjugué par les charmes de Romane.

Le jus glisse en bouche, lisse et rond comme la hanche innocente de l’enfant. Lentement il enfle et se déploie, libérant la caresse progressive d’une matière tendre et puissante. Comment imaginer tant de force et d’élégance combinées??? L’esprit est dans la matière, il la sublime, mais sans elle il ne saurait s’exprimer… La pâte de cassis perlée de sucre croquant, comme un éclair dans un ciel d’été, exalte la chair du vin. Le jus enfle et conquiert le palais. Les papilles titillées défaillent. Chopin s’unit à George dans un final tumultueux, longuement, tendrement.

C’est le temps du Tao, de l’équilibre à jamais signifié.

UNE HYÈNE.

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Irène la hyène de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Irène est une hyène, une fille de la mort,

Quand elle ouvre la gueule, son haleine putride

Affole la savane, les buffles, les butors.

Les marais eux aussi ! Sous la chaleur torride,

Leurs eaux sont corrompues par les fièvres ardentes,

Quand l’innommable hyène danse la sarabande

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C’est une boule de pus, laide comme un prurit,

Un furoncle écarlate, une glande infectée,

La bête, avec sa bande, traque les nouveaux nés,

Les vieillards, les malades, les affolés qui fuient,

Alors c’est la curée quand le sang a jailli.

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Elle est basse du cul, on dirait qu’elle a peur,

Ce n’est qu’un stratagème pour rassurer ses proies,

Elle sait cacher ses crocs derrière son sourire faux

“Je suis une bonne amie, la cousine d’un roi

Un lion magnifique au regard de vainqueur !”

Dit-elle d’une voix de miel aux petits animaux.

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L’antilope est si vive que souvent elle échappe

A la meute tueuse des hyènes déchainées

Mais reste la charogne au ventre noir gonflé,

Les chasseuses bernées ont quand même leurs agapes

Et les mâchoires puissantes se mettent à l’unisson,

Dans la nuit étouffante ricassent les noirs démons.

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Dans son sommeil Irène gémit en frissonnant,

La savane est en feu, et le vent obsédant,

 Attise le foyer qui lui lèche les flancs.

Toutes les bêtes sont mortes dans la nuit embrasée,

Elle court comme une folle sous les dents du brasier,

Un buffle au mufle noir, aux cornes acérées

A croisé son chemin. D’un coup l’a éventrée.

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Irène atroce reine, plus que toutes mal aimée,

La lune s’est cachée, et la mort ta marraine,

D’un seul coup de sa corne, tes espoirs a fauchés.