Littinéraires viniques » 2013 » mai

MOURIR DANS …

Amour de velours,

Entre tes mains jointes,

Tu tiens la sonde,

Qui cherche au monde,

Qui rode et gronde,

A la ronde

Que tu t’apprêtes,

A danser.

Écervelée,

Déjantée,

Déhanchée,

Tu roules,

Boule de feu,

Ta houle,

Et tes creux,

Ma poule,

M’hypnotisent,

Et me brisent,

Heureux

Comme un chien…

La loutre

De ton cri,

Qui arrache,

A ta gorge,

Ton sucre d’orge,

Au goût de sang

Pulsé,

Résonne,

Sonne

La charge,

Largue les ris,

Au vent hurlé.

Coupé,

Comme l’orge,

Sous la faux,

Qui tranche,

Tes hanches,

En rondelles

De sang

Séché …

Tu murmures

A l’envi,

L’infini

De ton plaisir

Qui veut,

Que le temps,

Hoquette,

S’arrête,

Comme cette langue

Sous ta dent.

Ravi,

Le Navire,

Qui fend

L’estuaire

Charnu

Qui mène

A l’absolu,

Sous le suaire

Dévolu,

A recueillir le fruit.

Crucifix profane

Qui tombe

Au pied

De ta croix …

Hasta la vista,

Mucho te gusta

Chiquita,

Esmerada,

Fine fleur

De mon tabac,

Que je fume

Sous la pleine lune,

Quand le loup

Blanc

De neige,

Hurle

Comme un fou,

A se casser

Les dents,

Se briser les flancs.

Te guette,

Étiquette

Collée,

Sur mon cœur

Navré …

Mourir
Dans les yeux
De ta nuit.

LA PREMIÈRE SORTIE D’ACHILLE …

4675b8b9Agnès Boulloche. Licorne bibliothèque.

 

Deux semaines passèrent.

A chercher, à fureter, à interroger tous les gens des autres pavillons qu’il connaissait. Sans résultats. Sophie avait disparu. Achille s’était replié sur lui même comme un mammifère en hibernation. Il passa des heures à épier les entrées et sorties des pavillons, caché derrière un arbre ou assis sur les bancs, à sursauter aux chevelures blondes, ondulant sous le vent ou collées aux visages par la pluie. Mais aucune silhouette semblable à la sienne ne traversait jamais les allées, aucune démarche souple, ni jambe galbée, pas une Ophélie ne glissait, royale, port altier et regard perdu, ne se matérialisait derrière les vitres sales des pavillons bondés. Il dénombra force regards d’azur, bon nombre de grands yeux splendides, des foules de longs cils battants qui hélas n’arrivaient pas à lui faire oublier les aigues-marines cristallines des atolls immenses de Sophie. Bientôt il connut mieux que personne tous les pensionnaires de l’hôpital. A chaque repas dans les allées du réfectoire il errait de table en table, parlant à toutes, se forçant à sourire, à séduire, à se faire connaître pour glaner quelques renseignements.

Déçu, il s’enferma dans sa chambre des jours entiers, lisant tout et rien à la fois, relisant dix fois les mêmes phrases sans pouvoir les comprendre, la pute d’araignée le rongeait. Il délaissa les livres, se mit au bout de ses crayons, dessina des formes étranges aux couleurs vives, enchevêtrement de lignes torturées, labyrinthes complexes habités d’yeux aveugles et de signes ésotériques, lourds de sens indéchiffrables. Dessiner lui fit travailler sa concentration. Un peu. Pendant qu’il couvrait son papier d’entrelacs mystérieux, de formes rondes, brisées nettes par des angles durs et aigus qui crevaient la douceur, l’araignée perdait un peu de sa voix. Alors il s’accrochait à son dessin, vaille que vaille. Et trimait. Le travail est une souffrance dit l’étymologie, il le vérifia à longueur d’après midis douloureux, main crispée, poignet raidi, tête vibrante et reins brisés. Parfois il se perdait dans les soleils figés, les plages blondes et les eaux turquoise des cartes postales qu’il avait épinglées sur le mur face à sa table de torture. Sous son crâne la gelée tremblotante de son cerveau inerte coagulait. Comme un jelly anglais. Et l’inertie le soulageait vraiment. Un temps. Mais l’araignée veillait, elle suçait la gelée fragile pour le tarauder de plus belle. A tremper sa plume dans l’encre de son mal-être, il s’essaya. Pour se perdre très vite dans l’océan des mots à tordre une syntaxe qui lui résistait, à ciseler des phrases creuses, à tailler des pierres qu’il ne parvenait pas à polir. Comme lui ses phrases étaient vides de chair et de sens.

Il constata et admit qu’il n’avait aucun talent.

Et se le tint pour dit.

Paul Auster pouvait écrire en paix.

Henri Miller et Anaïs Nin aussi …

Un matin Marie Madeleine s’enquit de lui. Mais il ne lâcha pas un mot, ni même ne bava, se contentant de la regarder droit dans les yeux. Il avait recouvert les siens de de voiles bleu nuit et tiré les rideaux les plus opaques possibles. Comme un sphinx dérisoire il l’écouta. Elle était pourtant belle cette irlandaise crémeuse, resplendissante même, mais il ne la vit pas. Sa voix, fraîche comme les aigues vives de la Bride, glissait sur son visage hermétique. Il l’écoutait pourtant attentivement. De l’entretien qui se prolongea bien une heure, il retint qu’à partir de cette fin Janvier il avait le droit de sortir du parc entre quatorze et dix huit heures, à condition de faire une demande écrite, d’être accompagné et de présenter sa permission signée au poste de garde. Le lendemain, flanqué d’Olive, pour la première fois depuis quatre mois et demi, il retrouva ce que l’on a coutume d’appeler «Le Monde» !

Dès la frontière franchie, il remit en poche son autorisation de sortie dûment tamponnée et fit quelques pas derrière Olive qui trépignait d’impatience. C’était un jeune gars nerveux au visage émacié, constellé, comme une lune en plein jour, de cratères à grumeaux, séquelles d’une acné tenace et purulente qui lui rougissait encore le visage il y a peu. Moins de trente ans et un passé psychiatrique conséquent. Olive est un maniaco-dépressif profond qui passe régulièrement des Abysses à l’Everest, du désespoir suicidaire à la surexcitation frénétique. On le bourre de chimie dans l’espoir de le maintenir entre les deux états, dans cette espèce de normalité que la société réclame. Pour le moment les médocs dont on le gave le maintiennent à flot moyen. Mais il reste nerveux, fébrile même, il ne reste pas en place et ses yeux roulent de droite à gauche constamment.

Or donc cet après midi Olive était son guide, son protecteur dûment mandaté par l’institution qui faisait un double pari, responsabilisant l’un en sécurisant l’autre. L’enjeu était risqué. Olive à la surprise d’Achille se montra «paternant», délicat, calquant sa marche sur la sienne. Dès qu’il fut à l’air libre Achille se raidit, fut prit d’abondantes suées qui lui embrumaient le regard, terrorisé par la comptine de l’araignée qui enflait jusqu’à hurler dans sa tête. Olive le prit par le bras et l’entraîna doucement vers la ville. Ils longeaient une deux voies fréquentée et le souffle des voitures les décoiffait et les pans de leurs manteaux s’envolaient. De pauvres pèlerins égarés sur le chemin de Saint Jacques, cette image traversa fugitivement l’esprit d’Achille. Surprise, l’araignée baissa d’un ton. Il respirait lentement, profondément, le pas hésitant et le torse penché vers l’avant. Olive lui proposa d’aller faire un tour jusqu’au centre commercial en périphérie de la ville. Ils marchèrent longtemps, près d’une heure dans le bruit de la circulation. Achille, étourdi par le tintamarre et la pollution n’en pouvait plus. A l’entrée de la zone commerciale les voitures étaient si nombreuses qu’il fallait forcer le passage pour traverser la route. Olive redoubla d’attention, insulta les automobilistes et guida Achille jusqu’à l’entrée. Celui-ci plissait les yeux, affolé qu’il était par le tumulte, la foule, les couleurs criardes et les néons aveuglants. Dans les allées bondées, les caddies bourrés de victuailles fonçaient droit devant, l’un deux bouscula Achille au tournant d’une allée. Olive s’énerva, monta dans les tours et se mit à apostropher durement une ménagère rondelette qui lui répondit sur le même ton. Les insultes fusèrent. Cela eut un effet bénéfique sur l’état d’Achille qui s’interposa, arrondit les angles en quelques phrases habiles qui firent rire les protagonistes et calmèrent les esprits. Il comprit à voir les sourires autour de lui qu’il n’avait rien perdu de sa capacité à redresser les situations, ni cette heureuse disposition qui lui permettait instantanément de prendre la mesure des êtres et de leur servir les mots qu’ils attendaient. En calmant les autres il se pacifiait lui-même et cela lui fit si grand bien qu’il se redressa ! Surprit et dompté Olive se tut. L’araignée se recroquevilla dans l’ombre, muselée elle aussi. Il eut l’impression que son cervelet dégonflait, la pression baissait et la bête perdait de la masse. Ce fut une révélation, un moment de bonheur, si doux, la certitude de sortir la tête de l’eau après avoir failli se noyer. Il respira goulûment l’air vicié, comme s’il respirait le parfum sucré d’une pivoine au printemps. Il inhala encore et encore, jusqu’à ce que la fragrance subtile du jasmin blanc qui sourdait il y a peu des épaules veloutées de Sophie, lui parvint enfin. La disparue lui sourit en mémoire, de son sourire triste et aimant à la fois. Elle était là, en lui, éclatante, belle comme la bulle de savon fragile qui danse sous le vent. Il s’assit à la terrasse d’un café dans la galerie marchande du supermarché, ferma les yeux un instant pour mieux s’enrouler dans les plis délicats de sa ressouvenance. Olive et lui burent une bière quelconque dont le goût de carton âcre plut à l’araignée. Prendre l’initiative pour ne plus être l’esclave de la bête. Oui c’était la voie. Du moins, le crut-il ce jour là.

Achille se leva sans un mot, ils sortirent de cet enfer marchand.

Olive bien qu’un peu surprit le suivit docilement. Ils regagnèrent l’Institut. Achille maintenant marchait devant d’un bon pas, le front haut et l’air assuré malgré la sueur qui lui rafraîchissait le cou. Olive tentait bien de se hisser à sa hauteur mais il accélérait pour mener la danse. Brusquement Achille fit demi tour sans un mot et d’un regard qui ne soufrait aucune remarque il incita Olive à le suivre. Dans le supermarché il s’engouffra et s’acheta une belle montre, son premier achat depuis longtemps, depuis le jour ou pauvre oiseau blessé il entrait à l’hôpital. Pour la première fois depuis des mois il décidait à nouveau.

De prendre le temps à bras le corps.

Pour commencer …

Dans la nuit d’encre, la clarté de sa lanterne dessine sur le vert bronze du cuir de son bureau le cercle presque parfait d’un petit jour arraché aux ténèbres. Achille le décomposé caresse à rotations rapides, comme s’il voulait accélérer le temps du bout de sa main lasse, le verre usé de sa montre.

Les années ont passé si vite. Fatigué de son voyage au pays de la mémoire, Achille regarde droit dans le verre ce cœur de pur rubis qui palpite derrière la paroi lisse du verre. La courbe ronde du cristal, qui plonge vers la fine tige posée sur le vieux cuir, luit sous l’ambre de la lampe. L’image de la hanche émouvante de Sophie lui traverse l’esprit, plus nette que jamais. D’infimes particules, étincelles changeantes, animent la lumière qui vibre sur la peau douce du souvenir. Mais l’œil, comme à l’habitude, est dans le verre et son regard carmin le regarde fixement. L’agatite de la lampe a allumé au centre de l’œil une pupille jaune éblouissante qui irradie jusque dans la chair rose orangé de ce « Clos du Saut au Loup » 1996 du Domaine Dozon. Ce vieux jus de Chinon, sous le nez recueilli d’Achille, dégage de subtils parfums floraux, de vieille rose et de pivoine avant de s’ouvrir aux effluves douces des fruits rouges bien mûrs de ce grand millésime. 1996 a mené le cabernet franc à sa pleine maturité. Enfin des fragrances de poivron rouge, quelques notes tertiaires de champignon et d’humus, closent la ronde des délices olfactifs dont Achille se régale. Il tarde à porter à ses lèvres le verre, tant le bouquet du vin est complexe, harmonieux et fondu. Concentré et patient il parvient enfin à déceler quelques notes de cuir fin, de terre sèche et d’épices douces. Les bienfaits du temps, ce temps de jadis retrouvé au cercle de sa montre, ont poli ce vin au toucher délicat qui lui caresse le palais. La matière lui paraît demi corps mais il se trompe car elle déploie lentement son fruit. Une corbeille généreuse qu’exaltent les épices regorge de tannins, si fins qu’il peine à les percevoir. Comme un organsin fragile ils déposent sur sa langue leur trame délicate, fraîche et réglissée. Interminablement le vin, de ses notes épicées, lui caresse l’âme autant que les papilles.

Dans le verre vide,

La rose qui a vécu

Ce que vivent les roses,

Lui parle du temps disparu.

Quand à la sortie morose,

L’espoir a reparu …

 

ECHROMONOTIPHACOGENE.

COMME UN JUNKIE …

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La De a vu.

—–

Camé à ma douce,

Comme un pamplemousse

Sans sa pelure

Dure.

Un anchois

Sans sa saumure,

Un bateau

Sans sa voilure,

Une plaie

Sans sa croûte.

Rousse.

Camé à sa mousse,

Comme une aiguille

A sa piqûre,

Une fève

A sa gousse,

Un doigt

A sa bouche,

Une nonne

A ses dentelles,

Une borne

Sous étincelles.

Rebelle.

Camé à ses reins,

Comme un marteau

A son burin,

Un pompon

A son marin,

Un voleur

A ses trousses,

Volent les requins,

Planent les marlous,

Fadas

De ses appâts.

Sa bague

A mon doigt.

En chaire.

Camé à ses seins,

Comme un lichen

A son granit,

Une mèche

A sa dynamite,

Un chaton

A son pompon,

Un coeur

A sa sereine,

Le sang

De mes veines.

Psychopompe.

Camé à ses poires,

Comme Houellebecq

A ses territoires,

Comme ma bouche

A son haleine,

Son cul

A mes reins,

La France

A son histoire,

La Corse

A sa beauté.

Brisée.

Sur les eaux cristallines

Du bassin de ses hanches,

L’Albatros a plané.

Comme un junkie

Sans sa tueuse.

NAPALM …

T’es où, Lou ?

Lou te descend,

Pendue à la corde

A noeud,

Qu’elle pétrit,

Pleines mains,

Et ses seins

Qui roulent,

Sur ta bosse,

Dure,

Haleine chaude.

La maraude,

Tout du long

De mon tronc

Souple liane,

Toi ma came,

Je m’enflamme.

Sous la mangue,

Sarabangue,

Mon cœur tangue,

Écarlate.

Manganate

Dis moi Lou,

Sous ta jupe,

Légère,

Espère,

Qu’en lisière,

La mer,

Bat tes flancs,

Blancs.

Calcaire

Qui croque,

Sous la dent.

 Lou, y es-tu ?

accroché,

A ton cul,

Ça tangue,

Comme à Danang,

Et ça brûle,

La peau

De mon coeur,

Comme napalm,

Dingo.

 Ventricule,

Ta virgule

Glisse,

Sur ma peau,

Elle s’écrase.

Ventouse,

Engloutis,

Moi,

Qui suit beau,

Dans ton rêve,

Bercé.

Sur la grève,

Le vent

Se lève,

La soie

Grège

De ta robe

M’enrobe.

Je gémis,

Dans mon lit.

Pauvre gros

Cachalot.

Je m’enlise

Ta salive

Colle

Ma peau.

De chagrin,

Le chafouin,

Baisse la tête,

Et vomit

Sur ta peau

L’espoir.

Mon exquise …

Je tuerai,

Qui m’empêche,

De plonger,

Dans tes eaux …

Intense,

Constance,

Arrache mes yeux,

Bleus

De rouille.

Napalm,

Tu m’enflammes,

Tue moi …

COMME UN PUITS …

Mon bout de sucre,

Candi,

A fondu,

Sous ma langue.

 

 Il m’a graissé

Les reins,

Comme une offrande,

De miel.

 

 Et de seins,

Gonflés,

Tendus,

Pointés.

 

 A se rompre.

 

 Je m’y suis,

Noyé,

Sans jamais,

Fermer les yeux.

 

 Puis il m’a pris,

Happé,

Tué,

Désossé.

 

 Englouti,

Comme un puits,

Qui gémit …

ACHILLE SERRÉ PAR LA PATROUILLE …

Guillaume Seignac. L'éveil de psychéGuillaume Seignac. L’éveil de psyché.

 

Deux jours après le dernier charivari, Achille lança le signal. Sophie tendit le majeur bien haut vers le ciel, le regardant d’un air féroce. Dès que le mannequin grossier l’eût remplacé au fond du lit il s’élança dans les couloirs sombres comme s’il s’en allait promener, confiant et sûr de lui. L’odeur de jasmin chaud de Sophie l’enivrait déjà …

Insouciant, il courut presque.

A l’instant où il poussait la porte entrouverte de la chambre, le couloir s’illumina, un cerbère jaillit des douches, croisa les bras sur sa blouse bleue et le regarda en souriant. A genoux sur son lit, vêtue de sa peau tendre, Sophie croisa les bras elle aussi sur sa poitrine nue. Une suée froide inonda le dos d’Achille. Ce n’est pas qu’il avait peur mais il sut à cet instant qu’il ne reverrait pas Sophie de sitôt. Dans son cerveau le sang reflua, l’araignée libérée de ses chaînes exulta, ses crocs acérés le mordirent sauvagement, elle reprenait le contrôle, instillant dans les chairs sidérées d’Achille le jus aigre de la peur. Comme un enfant confiant, sûr qu’il était de son impunité, il avait oublié, ou plutôt négligé, de réveiller en passant Olivier et Élisabeth qui lui auraient peut être, en criant comme des veaux égorgés, évité de tomber dans le piège grossier tissé par ces maudites sorcières de nuit. A genoux dans le couloir Achille se tenait la tête à deux mains et la silhouette de Sophie qu’il entrapercevait, prostrée sur son lit sous la lumière diffuse qui venait du couloir, prenait les couleurs grises et verdâtres de la mort. Étrangement le temps s’accéléra, les chairs fermes de Sophie s’affaissèrent, puis elles coulèrent comme un ruisseau visqueux, dévoilant ses os qui s’effritèrent et tombèrent en cendre au moment précis où la veilleuse refermait la porte …

Elles le raccompagnèrent jusqu’à sa chambre sans un mot, jusqu’à son lit au fond duquel il se tapit comme une hérisson blessé. Il s’allongea les yeux clos, sans protester, tout pétrifié qu’il était par le venin glacé de l’araignée qui triomphait une fois encore. Un sommeil lourd et agité l’emporta. Il navigua longuement sur les flots épais des cauchemars, dans une lourde barcasse malmenée par des eaux tempétueuses. Dans une nuit épaisse comme marc de café, sous les déferlantes qui le noyaient, accroché aux rames impuissantes à diriger la patache, il erra comme une âme en souffrance sous la constante menace de l’araignée plus énorme que jamais, ruisselante d’eau grasse, qui le fixait de ses petits yeux de jais. Le monstre agitait ses crocs effilés, fonçait sur lui pour s’arrêter net à quelques centimètres de son visage, bavant de plaisir et crissant de joie comme une lame sur une plaque de verre dépoli. Dans un dernier élan, sentant ses forces le quitter, Achille la frappa à coups de rames entre les yeux, mais les rames éclatèrent sur la chitine épaisse. Il hurla de terreur et se réveilla.

Le jour était levé depuis longtemps et la lumière chaude du soleil inondait la chambre. Le ciel était pur, le ciel était bleu, Achille recroquevillé dans son lit, les mains encore crispées sur les rames fantômes, aveuglé par la lumière, pleurait en silence. Quand il gagna la pièce commune le petit déjeuner était fini depuis longtemps. Le petit monde du pavillon «C» vaquait à ses vagues occupations routinières. Dans le bocal Olivier grillait ses clopes, Élisabeth, assise sur le banc près de la porte, béate, souriait à ses rêves. Alors Achille s’en fut courir sous les futaies du parc. Très haut dans l’azur le soleil raccourcissait les arbres. C’était l’heure des ombres disparues. Achille courait en vain après la sienne. Le souffle court et les muscles douloureux, il dépassa sa souffrance. Les couleurs changèrent, le ciel devint vert et l’herbe rouge. Les arbres aux troncs bleus défilaient à branches rabattues, Achille insensible au vent vert qui lui cinglait le visage fonçait comme une locomotive ivre sur les rails tordus de sa vie. Dans son corps, sous sa peau, le sang battait à toute allure, grondait comme l’Amazone par temps de pluie, inondant et nourrissant ses organes en surchauffe, glissant comme un serpent liquide dans ses artères sous pression, irriguant à gros bouillons son cerveau désorienté. Dans un même élan, en pleine détresse, il remerciait son corps de le porter ainsi, de ne pas le lâcher, d’être aussi généreux. Achille priait comme un profane inspiré et remerciait le sort, le hasard (ce mot si commode), la génétique, de lui avoir donné un corps robuste. Le temps passait, les kilomètres s’accumulaient, le soleil baissait, il continuait à la même allure folle. Achille volait, s’envolait même quand il sautait au-dessus des tas de bûches, rien ne le fatiguait ni ne l’arrêtait, il se sentait immortel, parti pour tourner éternellement ainsi autour du petit monde du parc. Sous les os épais de son crâne, ballottée par la course, anesthésiée par les giclées d’hormones, l’araignée, mâchoire pendante était neutralisée et tant qu’il courrait elle ne ne bougerait pas, ni ne criaillerait sa comptine délétère.

Le soir s’écrasa sur le parc.

Les infirmiers chargés de la sécurité s’activèrent. On quadrilla le parc jusqu’à ce que la silhouette fuyante d’Achille fut repérée, suivie, puis entourée en douceur. Il leur fallut quand même l’arrêter presque de force pour le ramener au pavillon. Croché ce qu’il fallait par les deux bras, tandis que tous marchaient il continuait à pédaler sur place. La nuit tombait, il n’avait ni déjeuné, ni dîné, il avait passé la journée à se dévorer lui même pour éviter que l’araignée ne le dévore.

Le lendemain matin, Achille, le corps meurtri par sa cavalcade de la veille, petit déjeuna comme un mort de faim, pour se nettoyer la bouche autant que pour se nourrir. Fébrile, il attendait Sophie qui ne vint pas. Les effets de la chimie le protégeaient encore des émotions qui pulsaient tout au fond de son ventre, elle tournaient, bataillaient aux anesthésiants et cherchaient à l’envahir. En vain. Il mangea comme un automate, portant le pain à sa bouche mécaniquement, regard vide et gestes saccadés.

Il se retrouva sans s’en être vraiment aperçu assis sur sa chaise de torture face à Marie-Madeleine. La rousse pulpeuse était comme à son habitude magnifique, moulée au millimètre dans une robe de tissu léger, au ras de ses formes aussi fermes qu’épanouies. Ses yeux vert d’eau brillaient et se posaient aimablement sur lui, pauvre hère sous camisole. Avec d’infinies précautions elle lui susurra, dans une langue de bois joliment ouvragée adoucie par son accent charmant, que Sophie avait été transférée dans un autre pavillon. Pour son bien et le sien. Achille se réfugia dans sa bave qu’il laissa couler lentement à la commissure de ses lèvres pendantes. Sans résultat. L’irlandaise aux collines confortables ne se laissait plus prendre à son manège repoussant et continuait, imperturbable, à monologuer. Achille avait compris et ne l’écoutait plus. L’araignée trépignait de plaisir et le tenait tout entier saignant entre ses mandibules. Agité de spasmes qu’il ne contrôlait pas le pauvre amoureux se mit à pleurer en silence de gros sanglots humides. Aucun son ne sortait de sa bouche et le spectacle qu’il offrait était si pitoyable que la psy se tut. Pour la première fois depuis son arrivée il ne dirigeait plus en sous main l’entretien.

Achille, enfin, lâcha prise …

A la différence des «sains d’esprit» aux antennes atrophiées les présumés «fous» balaient tous azimuts, rien ne leur échappe. Sans savoir le pourquoi du comment, ils sont traversés par les flux invisibles des émotions comme des récepteurs sur pattes ultra sensibles. Élisabeth était à demi perchée sur le banc attenant au local des infirmières quand Achille sortit. Elle sauta gauchement de son perchoir, fit un pas maladroit, prit Achille par un bras et posa sa tête sur l’épaule du petit garçon triste qui pleurait dans ses yeux. Elle lui offrit un vieux mégot infumable, d’un geste doux qui le bouleversa. Puis, événement rare, Olivier comme un culbuto animé sortit de son bocal enfumé, s’approcha, plus odorant qu’un hareng mariné et se lança dans un long discours souriant qu’Achille ne comprit pas. Mais les sonorités gutturales de ce langage étrange lui parurent plus douces et réconfortantes que le phrasé émollient de la belle Irlandaise. Pendant une fraction de seconde il eut la vision d’un chœur angélique, d’une assemblée de vortex multicolores psalmodiant pour lui à voix basse une mélopée délicieuse, tendre et mélodieuse qui tarit instantanément sa peine.

Toute la semaine qui suivit,

En ce Janvier blanc,

Achille chercha Sophie.

Mais ne la trouva pas …

En cette nuit d’encre du mois de Mars le vent souffle en rafales, la pluie drue claque sur les volets clos. Achille le stratifié, sous le cône luminescent de sa vieille lampe complice de ses insomnies récurrentes, a rouvert les yeux. Dans le bleu de son iris, autour de sa pupille écarquillée, dansent les ombres mortes des amours disparues.

«Que sont mes amis devenus,

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés.

Ils ont été trop clairsemés,

Je crois le vent les a ôtés,

L’amour est morte.

Le mal ne sait pas seul venir,

Tout ce qui m’était à venir

M’est advenu.»

Ruteboeuf.

Alors il regarde fixement le vin immobile, tapi dans la combe de cristal qui brasille sous la lumière et se perd entre les fines jambes huileuses figées sur les parois. Au centre du verre l’œil du vin qui jamais ne cille, brille comme une escarboucle rubis finement gansée d’orange. Le parfum puissant d’une pivoine charnue monte du lac paisible pour lui charmer le nez, puis une cerise, qui griotte un peu du bout de son noyau, lui succède. Mais ce Barbaresco « Cotta » 2006 du Domaine Sottimano a plus d’un parfum sous sa robe. Le transalpin ouvre un peu plus son sac à fragrances qui offre à l’appendice conquis de l’insomniaque, en rafales séduisantes, son café noir, sa muscade, son cade, ses épices douces, son thym sec et son poivre noir enfin. Achille soupire longuement puis porte à ses lèvres le bord du verre. La matière dense du vin envahit sa bouche, fait sa boule de chair ferme, roule sous sa langue creusée et délivre son flot de fruits mûrs, avant d’éclater sous une poussée fraîche qui redresse la matière encore serrée. Au palais déserté par les fruits qui coulent dans sa gorge, le café, le cacao pur et les épices s’attardent longuement, enrobant les tannins encore jeunes de ce Piémontais racé. Achille, que le plaisir a réveillé, court dans les allées du parc, encore et toujours …

Quelque part

Dans les méandres du monde,

Alors que pointe le printemps,

Sophie peut-être

A souri …

 

ERÊMOVEUTISECONE.

SEULEMENT …

A l’abricot fondant,

Qui sur sa table,

Pantelant, écartelé,

Suinte,

et se morfond,

Je croque,

En pensée.

Seulement.

 

Sa liqueur d’amour,

Grasse mes lèvres,

Brûle ma langue,

Qui s’affaire,

En pensée.

Seulement.

 

Dans la vallée,

Humide,

Qui le fend,

Un autre

Se régale,

De ces jus

De piment.

J’y aspire.

Seulement.

 

Et je meurs,

Fol amant.

ACHILLE TENDRE CANNIBALE …

egon_schiele_seated_couple_magna_postcard_1Egon Schiele. Couple.

 

Ils se tinrent cois quelques jours …

Histoire de ne pas attirer l’attention. C’est que le lendemain de cette nuit mémorable les mines étaient tirées au petit-déj. Les infirmières soupçonneuses veillaient et les dévisageaient tour à tour. Achille avait pu regagner sa chambre sans avoir à ramper dans les couloirs comme à l’aller. Les veilleuse, au petit matin, somnolaient dans leur local et c’est tout juste si Achille ne sifflotait pas en rejoignant sa cellule de moine. Le jour livide perçait à peine mais dans le cœur d’Achille c’était plein soleil. Allongé sur son lit, les yeux écarquillés, il dévalait en mémoire les courbes pneumatiques de Sophie, se glissait entre les plis tendres de sa géographie, se régalait des moiteurs qu’il déclenchait et buvait goulûment à sa bouche aussi désaltérante qu’une source en plein désert. Sa nuit de tendresse et de sauvagerie le laissait pantelant, assouvi et insatisfait à la fois. Il aurait aimé se réveiller à ses côtés pour lui murmurer à l’oreille des mots soyeux et voir éclore sur ses lèvres ce sourire timide qu’il aimait tant.

Sophie apparut dans la salle commune flottant dans un jogging informe, mais sous les tissus trop larges Achille devinait ses courbes attendrissantes. Sa démarche souple collait par instant le vêtement disgracieux à son corps, Achille retrouvait du coin de l’œil les paysages odorants qu’il avait parcouru du bout tremblant de ses doigts fureteurs. Elle avait relevé ses cheveux sur sa nuque et les bouclettes indomptables qui tortillonnaient sur sa nuque lui mettaient discrètement les larmes au bord des cils. Elle s’assit près de lui, se glissant sur la chaise sans lui jeter un regard. Sa cuisse chaude se colla à la sienne. Ils soupirèrent d’un même souffle. Sophie, tête basse et sourcils froncés, se mit à l’ouvrage et beurra avec sa méticulosité habituelles cinq tartines. Elle en glissa une, du bout des doigts, vers Achille qui la croqua joyeusement. Ce qui creusa un instant autour de la bouche charnue de sa belle deux ravissantes fossettes.

Une semaine passa …

Achille en profita pour vérifier la validité de ses stratagèmes. Plusieurs nuits de suite il bourra ses draps de couvertures qui dessinaient un corps «acceptable». Quand il entendait les pas feutrés des veilleuses il se glissait sous sous son lit. La porte s’ouvrait en silence et deux pieds chaussés de plastique rose s’immobilisaient au seuil de la pièce. Le cerbère respirait doucement un instant, scrutait la chambre obscure, mais n’entrait pas et refermait lentement la porte. C’était tout bon ! Sous le lit, le nez dans la poussière, Achille gloussait. Sophie et lui avaient convenu d’un langage crypté qu’eux seuls comprenaient. Au lieu de se parler en cachette à l’abri des oreilles indiscrètes, ils préféraient, comme des enfants joueurs, s’exprimer en présence d’un public. Cela renforçait leur plaisir. Un soir, au tarot Achille prononça la phrase tant attendue. Comme à l’habitude Sophie avait gagné les parties, elle avait une mémoire qui les sidérait tous. Achille reconnut sa défaite et la gratifia d’un élégant «T’es trop bonne ! » . Sophie lui fit ses yeux de plomb fondu et dressa vigoureusement le majeur de sa main droite vers le ciel. Ce geste grossier amusa la galerie qui s’esclaffa bruyamment, le message était passé, Achille cette nuit la rejoindrait.

Ce soir de pleine lune la clarté inondait les couloirs, Achille n’y avait pas pensé mais ce danger supplémentaire ne l’arrêta pas. Comme un légionnaire partant au combat il s’habilla naïvement de clair, pour mieux se fondre. Sous ses pieds nus le carrelage était glacé, il rampa sans bruit, faisant des pauses, se collant aux murs comme une affiche de peau. Son cœur battait un peu vite quand même. Le local éclairé était calme, il entendait les voix étouffées des veilleuses qui papotaient entre deux rondes. Il sprinta le long du bocal, tourna sur sa gauche et se blottit un long moment dans une encoignure. Au passage il avait donné deux grands coups de pieds dans les portes d’Olivier et d’Élisabeth. Qui se mirent à brailler comme deux martyrs sous les fers de l’inquisition. Il fallait toujours qu’il en fasse trop ! La porte du local s’ouvrit à la volée et les veilleuses en jaillirent, se bousculant presque, ventre à terre, en couinant comme des truies promises à l’abattoir. Olivier sortit de sa chambre en hurlant de terreur, Élisabeth grinçait des dents qu’elle n’avait plus, en appelant à l’aide, serrant entre ses bras de sauterelle anémique son baise-en-ville dérisoire. Achille s’enfonça dans le couloir sans plus se cacher. Quand il se glissa dans la chambre de Sophie elle souriait, nue, assise sur son lit.

Elle dressa le majeur de sa main droite vers le ciel !

A deux mètres de Sophie, appuyé au mur, Achille ne bougea pas. Il pleurait en silence. Tout à la joie de la retrouver il retardait le moment de la rejoindre, maîtrisait la bête qui grondait en lui et la regardait comme une image sainte. Des vagues de tendresse contenue lui traversaient le corps, de délicieux frissons couraient à la surface de sa peau que la fraîcheur de l’air ambiant n’expliquait pas. Il avait bien choisi cette nuit de pleine lune, les volets mal descendus laissaient filtrer entre leurs lames disjointes des stries de mercure fondu. A contre lune le corps de Sophie prenait un relief saisissant et la lumière rasante glissait en caressant sa peau délicate. Elle avait gardé ses cheveux relevés sous une pince rouge qui lui faisait un cou d’ibis, ses seins lourds se riaient de la pesanteur et la lumière luisait sur ses courbes pleines que la lune arrondissait. Leurs aréoles au regard divergent leur donnaient un air frondeur, avec juste ce qu’il fallait d’insolence pour lui plaire.

Sophie tendit la main …

Cette nuit là, si courte et si longue à la fois, ils bêtifièrent beaucoup, se comblèrent de caresses lentes, de baisers sans fin, de mots d’une autre langue connue d’eux seuls. A genoux sur le lit, sous la lune éclatante, ils se frottaient l’un à l’autre, les mains dans le dos, leur peau se frôlaient, ils éprouvaient, privés du secours de leurs doigts, des sensations nouvelles. Et cette privation volontaire du toucher décuplait leurs perceptions. Il leur semblait percer leurs peaux et leurs cœurs s’unissaient mieux que jamais, comme si leurs sangs se mélangeaient et couraient d’un corps à l’autre. Les odeurs étaient plus finement perçues, elles prenaient une épaisseur, un relief, une texture particulière. Et leurs regards passaient de l’autre côté du miroir des corps. Ils se sentaient totalement ouverts l’un à l’autre. Pour la première fois ils entendaient la musique des sphères.

Les deux voyageurs emportés par leur course aux délices finirent par se mordre avant que la nuit ne s’achève, les amours sont souvent simulacres d’absorptions consenties. Ils se quittèrent en ayant le sentiment de conserver au secret de leur solitude un peu du sang de l’autre. Tandis qu’il longeait les couloirs désertés, une tourterelle aveuglée par la lumière coruscante du soleil levant s’écrasa sur la vitre d’une baie. Achille sursauta, sur ses lèvres encore humides le goût du sang de Sophie prit un goût amer. Dans les circonvolutions de son cervelet, tapie, l’araignée hoquetait sous les vagues de sang vermeil chargé d’humeurs joyeuses qui l’étouffaient lentement. Ses crocs cherchaient en vain à dévorer la matière blanche onctueuse de son cerveau en joie. Plus que les molécules dont on le gavait à longueur de journée, l’amour, si fragile pourtant, paralysait le monstre.

Le petit-déj s’éternisait. Autour de la table désertée par les pensionnaires épuisés par cette nuit d’épouvante, Achille et Sophie, affamés, dévoraient à pleines dents le pain tendre. Face à eux l’infirmière-Chef les regardait, songeuse. Son regard allait de la morsure qui rougissait la joue de Sophie aux traces bleues qui marquaient les bras d’Achille.

Achille souriait béatement, attendant l’orage,

Dans les yeux de la matonne

Les nuages noirs du soupçon s’amoncelaient …

Dans l’obscurité de son bureau Achille le désabusé sourit sous ses paupières au souvenir de l’ancienne cène profane. Du temps où il partageait le pain avec son bel amour. Au sortir de sa plongée en mémoire profonde il peine à retrouver ses esprits, alors, patient, il laisse le grain fin de la peau de Sophie se déliter lentement, trembler puis se fondre dans la mer informe de la ressouvenance. Là où le temps brasse inlassablement les oublis. Sous le faisceau flave de sa lampe, endormi dans le berceau d’un verre aux flancs épanouis, le vin attend qu’il veuille bien. C’est que le pain de jadis appelle le vin de cette nuit, profonde comme la robe brillante de cet élixir que la lumière ne parvient pas à percer. A peine illumine t-elle au bord du disque une ganse violette, qu’une espérance rose frôle. Achille entrouvre les yeux et reprend contact avec ce présent qui fuit à toute allure quand montent vers lui les fragrances sapides du vin. Une cerise noire juteuse et mûre sous son manteau de chocolat crémeux piqueté d’épices douces, en vagues successives, lui caresse le nez. Puis, entre ses lèvres consentantes, le jeune jus de la « Cuvée Majeure » du Château Turcaud 2010 glisse, onctueux et tendre. Les fruits rouges explosent sous la poussée séveuse des épices riches et du poivre puissant qu’accentue et relance la fraîcheur enrobée de petits tanins gourmands. Un grand petit Bordeaux supérieur qui rechigne, bien plus que certains grands à quitter le palais conquis d’Achille.

Longtemps encore

Après que Sophie a disparu,

Le vin, fraternel,

Le console tant et plus …

 

ERÉMOGÉTINÉCORÉENE.

JÉRÔME CASTAGNIER. CLOS DE VOUGEOT 2004.

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 «AMADEUS», il y a un temps, sur Arte.

Pour moi, la cinquième ou sixième fois. Pas pu m’empêcher de plonger à nouveau, dans les spirales lumineuses et graves tracées par ce météore fulgurant. Mort à trente cinq ans. Plus que le film de Milos Forman, c’est la musique et surtout l’interprétation qu’en fait Neville Marriner, qui m’a le plus transporté.

Se caler sur les pas de Mozart, à qui Joseph II d’Autriche aurait reproché d’avoir écrit «trop de notes», relève de la gageure. La splendeur, la richesse de son œuvre peut faire tomber le premier des chefs dans les emportements, les excès, qui le feront inexorablement passer de l’élégance, de la dentelle subtilement ornementée du plus bel habit de cour, à la vulgarité appuyée de la dernière des défroques grossièrement maquillées. Marriner atteint l’équilibre, évite le piège de la séduction de surface, se joue des possibles pacotilles clinquantes pour trouver la lecture et l’expression justes, la quintessence profonde et paisible du génie Mozartien.

Car la règle, ici comme ailleurs le plus souvent, est de traquer la plénitude, la justesse, la finesse, l’esprit de la Musique.

Jérôme Castagnier s’est quelque peu éloigné du culte d’Apollon et de Pan réunis, pour se consacrer à celui de Dionysos. Après avoir longtemps soufflé dans la trompette, il s’est mis à plonger la pipette dans les grands jus de Bourgogne…

Au centre de sa collection de grands crus, brille d’une lueur sombre et presque sauvage le rubis noir de son Clos de Vougeot 2004. Le millésime n’est pas glorieux mais le Clos, proche des Grands Échézeaux, déploie superbement ses reflets d’un beau rouge intense. La robe brasille d’une lumière contenue.

Pour qu’il daigne se donner un peu, il aura fallu aérer le renfrogné une bonne journée…Mais c’est le lendemain soir seulement, que l’atrabilaire donne sa pleine mesure du moment. Derrière le bois encore présent, le nez – le mien – est séduit par l’harmonieuse complexité douce du bouquet. Ça sent le grand vin, la belle matière, le beau jus, le pinot d’exception. Ça respire noble, noir, sauvage de prime abord. Puis la cerise, noire elle aussi, apparaît, mûre. Dont on se souvient qu’elle craque sous la dent, libérant un suc épais et odorant. Le vin sent la terre mouillée après l’orage, le cuir, le poivre noir concassé, la réglisse, noire…encore.

L’attaque en bouche est douce, la chair du vin roule comme le jus abondant de la Burlat qu’annonçait le nez – celui du vin – cette fois… La puissance est bien là, la sauvagerie aussi, que l’air n’a pas complètement apaisée. La chair et le bois n’ont pas fini leurs épousailles bien que l’affaire soit bien engagée…Je ne sais si je connaîtrai ce Clos pleinement épanoui, un jour. Accessible à ce moment de son évolution, il n’en reste pas moins tendu comme un notaire qui ferait des claquettes. La finale longue, sur la réglisse noire, est épicée. Elle laisse, en prenant son temps, un fin tapis de tannins à peine amers, comme une mémoire du vin, que la bouche conserve longtemps.

Ce vin est d’une beauté obscure, douloureuse et sans partage. Il m’évoque le Rex Tremendae du Requiem, lui même l’une des pièces les plus pénétrantes et les plus bouleversantes du Maître de Salzbourg…

L’OBSIDIENNE S’EST BRISÉE …

Sans titre 2

 Noires coquilles,

Que la marée écarte,

Au flux,

Comme au reflux.

Entre vos lèvres

De jais,

S’entrouvrent,

Satinées,

D’autres chairs,

Agglutinées.

—–

Au soleil couchant,

Rouge des chaleurs,

irradiées,

Le flot suinte,

Et ses eaux sucrées,

Que le poivre exhausse,

S’en vient baigner,

Les pétales tendres

Et roses,

Qui palpitent

Et bégaient,

Espérant

L’eau salée.

—–

La moule extasiée,

Les soirs de pleine lune,

N’est jamais rassasiée.

Le passant aveugle,

Accroché,

Aux mirages,

De l’ego boursouflé,

Ne la voit pas pleurer.

—–

L’obsidienne

S’est brisée.

—–

L’onyx

A balbutié

Le chant funèbre

Des espoirs

Désagrégés.

—–

Un cri

Dans la nuit,

Rauque,

Sauvage

Et doux,

Fulgore.

—–

La lune a roussi,

Quand il a retenti.

—–

Aux flots opulents

Qui larmoient

Au couchant,

Des pleurs

Se sont mêlés ….