Littinéraires viniques » 2011 » août

AVEC DEPEYRE, PAS DE BILE À SE FAIRE…

Nikki. L’Agly, pool.

Un domaine de treize hectares conduit en tandem par Serge Depeyre et Brigitte Bile, donc… Créé en 2002 et sis dans une maison parmi d’autres, au milieu des rochers (Cases de Pène) dans la vallée de l’Agly, en Roussillon. Sur les terres avoisinantes de marnes, de schistes noirs et argilo-calcaires aussi, des lambrusques, devenues vignes à force de soins, qui peuvent être vieilles, voire canoniques (plus de 80 ans pour certaines), croissent dans la douleur et les forts vents méditerranéens. C’est ainsi que le duo veille amoureusement sur une armée de ceps qui sont grenache gris, blanc, noir, syrah, carignan, ainsi que mourvèdre. Quelques cousins Ibériques de lladoner pelut, par-ci, par-là.

Les gens d’expérience sont souvent raisonnables, c’est pourquoi le couple travaille en lutte raisonnée. Pas de traitements systématiques, pas d’engrais chimiques, analyses régulières des sols, feuilles et grappes. Labourage à la mule, sans chenilles donc ! Vendanges manuelles en caissettes et égrappage intégral, pressoir vertical traditionnel en bois et vinification traditionnelle elle aussi, sans intrants. Vins non filtrés et non collés. Des rendements drastiques… De 14,5 à 30 hectos à l’hectare : 14,5 pour «Symphonie» 2009 et «Rubia Tinctoria» 2009, 25 pour «Sainte Colombe» 2008 et 30 pour la cuvée «Domaine Depeyre» 2009. De là à dire, que par là-bas les vignes ont la prostate fragile…

Le Domaine n’est pas grand consommateur de bois neuf que seule connaît «Symphonie», de grenache blanc et gris issue. Il est vrai que les vignes de 80 ans, «ça ne craint pas»… Un VDP des Côtes Catalanes qui fait ses dents en barriques et demi-muids neufs. Dans le millésime 2009 qui demande un carafage conséquent, ce jus d’or pâle au nez de fleurs, de fruits jaunes, d’amande amère, d’écorce d’orange et de réglisse anisée, vous emplit la bouche d’une matière conséquente, grasse, onctueuse, riche d’abricots mûrs, de confits, que rehausse la réglisse épicée. Un vin «cabot» qui ne veut pas quitter la bouche et qui éteint, plus que très lentement, ses lumières de réglisse fumée. Puissance et finesse habilement conjuguées.

Après que le blanc, impressionnant, a baissé son pavillon de pierres épicées, c’est le début du voyage au pays des robes impénétrables… Place au rouge de la cuvée «Domaine Depeyre», assemblage de syrah, grenache noir et carignan à proportion de 50, 25 et 25%. Un vin qui bien que de pure cuve, demande un bon carafage. Mais avec tous les vins – certes jeunes – du domaine, patience est souvent mère de plaisir décuplés par l’attente. Vent et soleil marquent le vin de leur puissance sauvage fruitée et maîtrisée.

«Sainte Colombe», c’est un degré de plus dans l’expression du terroir. Syrah, grenache, carignan à proportions égales et 10% de mourvèdre. Fruits noirs, cerise mûre, pierre sèche, réglisse fine et poivre dominent. Le toucher de bouche est caresse fluide, d’une onctueuse élégance, la matière est conséquente mais sans affectation. Cerise noire juteuse à nouveau. La finale, aux tannins fondus, empourpre la bouche d’épices longues, réglissées, poivrées, légèrement fumées. Au bout du bout subsiste au palais, une violette. Une fleur d’avenir…

«Rubia Tinctoria», 80% syrah, mourvèdre et grenache à 10%, garance teinturière entre les rangs des vignes, mais pas gros qui tâche en bouche pour autant. Vin de pure cuve, jus de jais à peine ourlé de violet. Joli fumet de fourrure de lièvre à l’ouverture qui laisse rapidement place à des arômes de prune, de bigarreau et de cassis très frais. Une matière fluide et onctueuse en bouche, qui allie légèreté et puissance contenue. Une eau de vin soyeuse, précise, gourmande qui caresse le palais de sa volée de fruits et laisse à la finale de petits tannins délicats et goûteux. Une syrah du sud mutine, fraîche comme une crinoline sous le vent.

Les vins de Serge et de Brigitte sont aux Roussillon de naguère ce que la plume est au burin…

EMO!SCHISTITESCONE.

DE RETOUR DES ENFERS…

Paul Gauguin. L’esprit des morts veille.

Saison 2.

Au coeur des nécessités j’ai navigué, toutes ces semaines rouges.

Les laves brûlantes ont rougi mes veines, craquelé ma peau, rongé mon cortex en deshérence. Mais il me fallait bien regarder jusqu’aux entrailles fumantes de la bête qui me narguait, crocs luisants, haleine fétide, oeil plus glauque que chassieux, rieuse et dévoreuse comme la pire des hyènes jaunes qui serait née des amours putrides du Diable et de la goule noire. Sous les croûtes râpeuses des volcans faussement éteints, les magmas soufrés ravivent les souffrances frelatées des espoirs incertains. Oser cracher à la face de Méphisto, arracher les racines gluantes de ses baisers acides qui laissent aux dents le goût métallique des vanités déçues.

Sache Amigo qu’il fait mauvais se frotter aux comptables avides,

Aux papillons fragiles des lampadaires factices,

Aux serments de cendres que volent les vents

Mauvais, qu’ils disent, les poètes extasiés,

Des livres racornis, que délaissent,

Les démons souriants,

De mes nuits glaçantes

Et Ramadanesques…

Le séjour au royaume des niais niés m’a brûlé jusqu’au coeur de l’os. Le feu, fût-il d’ardentes nuées malignes, est le grand dévastateur des douleurs blanches, celui qui ne donne pas dans la dentelle, qui éradique, qui crame tout, qui voue les nuances et les atermoiements aux gémonies et aux géhennes funestes, qui lave, par la puissance de son degré,  jusqu’aux tréfonds enténébrés des plus secrets coffres des inconsciences accumulées.

Le mythe du phénix n’est pas un mythe,

Mais il laisse la peau fragile,

Le coeur exsangue et l’oeil baptisé.

Les souvenirs des fumets odorants crépitent et gémissent comme Cathares en autodafé, dans le silence bruissant des grillons symphoniques. Nul ne sait jamais comment vont tourner les vents noirs des bûchers finissants. Les cyprès dolents jouent avec le vent. La main, dans la pénombre des nuits sous lune, gratte le drap à s’en polir les ongles, dans la ruelle déserte les chiens coursent les chats, la vie continue de rouler ses plaies et ses bosses…

Dans le matin pur, un enfant hurle à la vie naissante.

MOITECONE…

LA DAME DU HAUT ADIGE…

Nicolas de Staël. Nu couché bleu.

Là haut dans la montagne, là haut, tout là haut, dans la vallée froide de Rotaliano et depuis plus de vingt ans, Elisabetta Foradori, du domaine éponyme, remet au goût du jour, un cépage, plus qu’obscur hors les terroirs du Mezzolombardo, le Teroldego, qui fut célèbre au… Moyen-Âge. Trente cinq hectares de cette curiosité ampélographique subsistent, du fait de la pugnacité de cette montagnarde dont le caractère et le charisme ne sont pas sans rappeler les roches escarpées des Dolomites. Son visage, sans apprêts, est pur oval et son regard franc a la fraîcheur de la torrentueuse Adige, qualités que l’on retrouve dans ses vins…

Trentin, Haut Adige, Dolomites, altitude, vallée froide, on s’attend – les associations d’idées sont souvent trompeuses – à des vins plutôt raides, sans doute rugueux, issus d’un cépage rustique, capable de résister et croître sous un climat contrasté !

Que nenni ! Car à caractère fort, main douce. Conviction, patte légère et savoir faire font des miracles. Et dans la plaine aux galets roulés, seuls les flancs des Dolomites sont rugueux comme pierres coupantes. Adepte de la biodynamie – qui ne veut que respecter la terre et soigner, le plus naturellement possible la vigne en respectant les grands équilibres naturels – Elisabetta a hissé le Teroldego, élevé et vinifié par ses soins, au rang des plus grands.

Le Teroldego Rotaliano 2004 est sombre et intense comme un soleil prisonnier d’un coeur de pigeon. Dans le cristal fragile largement ouvert, la cerise toujours, s’étale et s’aleste de belles fragrances de fruit mur, de noyau, de bois humide, de graphite et de goudron. Odeur de pierre fumée aussi, comme celle que les carriers ont laissé dans les entrailles du vin, souvenirs des étincelles qui jaillirent de la roche sous leurs burins… Le vin ravit aussi la bouche, lisse, frais et fluide, comme les eaux des torrents marquées par la roche. Croquant comme la peau sucrée des cerises, qu’épice la réglisse, et que tend le caillou, dont la poudre austère, tout au bout de l’avalée, laisse sa trace pimentée… Quelques roses parfument encore, longtemps après que le vin a disparu, le verre vide.

La robe obscure du Granato «Vignete del Dolomiti» 2004 semble engloutir le verre. Seul un liseré rose violacé éclaire la périphérie du disque vineux. Il faudra prendre temps et patience avant que la lumière puisse l’éclairer. Du fond de sa pulpe de jais, montent le printemps du fruit, rouge comme le cassis et la framboise. Vagues successives qui vous chatouillent doucettement l’hypothalamus. Des notes fumées et réglissées s’y adjoignent, l’odeur de la terre humide aussi. Un beau nez pur, de race, à la Rostand.

Le baiser du vin de la dame est fraîcheur tendre, comme celui supposé, de Roxane. La matière enfle le jus et le plaisir de boire. La chair, pulpe lissée de tanins murs, étire la densité souple du vin.

Comme l’union aérienne du velours et de la grâce dans un bas de soie…

EῬωMOξάTIνηCONE…