Littinéraires viniques » 2005

CROISIÈRE PÂTISSIÈRE EN BELLIVIÈRE…

Vinci. La Belle Ferronnière.

Amis des poires, des pommes, des coings, des mirabelles et de la rhubarbe en tarte, bonjour…

Une croisière sur rivière vineuse qui eut pu tourner à la sardinière, à la sucrière, à la tripière, à l’anti-matière, à la mise en bière, à la bonbonnière, à la cafetière, à la tatinnière, à la charcutière, à la crémière, à la chevrière, et peut-être même à la civière puis au cimetière ? Mais non, la croisière fut au contraire bellement dentellière, éclusière et fruitière…

Et Bellivière for évère !

Aujourd’hui, ne craignez, ni phrases obscures à vos entendements engourdis, ni prose absconse qui polluerait le monde aseptisé des Blogs du vin, lesquels comme chacun sait, ne sont de qualité et de belle écriture qu’entre les claviers experts des meilleurs Experts Professionnels de l’Expertise, dûment Cooptés par la Guilde des Experts Certifiés, Diplômés et Reconnus par leurs Experts de Pairs. Non, non. Allez y sans crainte, vous ne croiserez que des mots simples, reposants, mille fois lus, dignes de figurer dans les 100 mots du vocabulaire moyen qu’affectionnent les internautes pressés éberlués, les oiseaux bleus limités (en nombre de mots) et les I-Phoniens compulsifs. Mais peut-être pas dans les 12 mots du Smeusseur exténué.

Et je vous fiche mon billet que pour la première fois – peut-être ! – depuis le début de sa courte vie, Littinéraires Viniques, dépassera les dix lecteurs !

Il me faut d’abord vous dire qu’AOC (Association des Oenophiles Cognaçais) est à la démocratie ce que le piment de Cayenne est à la crème fraîche. Vous dire aussi que ses membres sont indisciplinés et peu studieux, qu’ils biberonnent des vins du grand Sud-Ouest – lourdement entonnés pour la plupart – depuis leur plus jeune âge, qu’ils sont convaincus que Bordeaux est banlieue de Cognac à moins que ça ne soit l’inverse. Tous ont au moins un père, un cousin, un oncle tonnelier. Hors Merlot et Cabernet, point de salut. Alors ces vins du Septentrion quasi Groenlandais, dans ces drôles de bouteilles… ça risque de vous les bousculer, de vous les déstabiliser, de vous les mettre hors de mire !!!!

Or donc, au programme ce soir, Bellivière. Domaine sis en Pays de Loir, paradis des Chenin et Pineau d’Aunis. Les vins qui suivront – Coteaux de Loir et Jasnières – ont vu le jour sur des argiles à silex et/ou argilo-siliceux sur tuffeaux et sables plus ou moins filtrants… grosso modo. Hors les géologues patentés tous les autres – biquets de petit lignage – s’en contenteront..

Allez Zou, en piste…

LES BLANCS : Toutes les robes sont d’ors brodées. Cela va de l’opalin comme la carnation hâve d’un top-model anorexique, au louis d’or, franc comme le regard d’un enfant de moins de cinq ans.

Effraie 2004 : Robe soleil de Janvier. Un nez vifissime. Des notes d’asperge, de miel, de granny smith, de rhubarbe. L’attaque en bouche est pour le moins désaltérante!! L’envie d’avaler est immédiate, mais vu ce qui va suivre, mieux vaut pratiquer “l’avalus interruptus”… La troupe apprécie unanimement. Amha, il y aura mieux.

Effraie 2005 : Robe soleil de Mai. Tarte tatin, pâte de coing et rhubarbe montent au nez comme une seule femme. La bouche est gourmande, la matière, moelleuse, est toute de prune, poire et Botrytis fin mêlés. Un bel exemple de l’influence des millésimes sur ces deux vins d’un même terroir.

V.V Éparses 2004 : Robe soleil de Mars. Des poooommes, des poiiiireeeus et des … à foison. Des mirabelles, de la cannelle, et de la crème de brocoli – c’est le végétarien de la bande, celui des asperges (voir plus haut) – qui insiste, aux bord des larmes, pour que ce soit dit… on l’aime bien. La bouche est à l’unisson.

V.V Éparses 2005 : Robe soleil d’Avril. Le nez a la timidité d’une pucelle de Puligny le soir de sa première sortie de bouteille. Dragée, agrumes, coing, zan discret, chatouillent à peine les narines. En revanche la bouche est plus diserte. La matière, encore serrée, est néanmoins dense. Poire juteuse et poivre blanc entament, à peine, une farandole goûteuse. Dans un an ou deux le bonheur des vignes…

Haut-Rasné 2002 : Robe soleil de Juin. Le nez cause peu!! Encaustique et Botrytis en duo. La bouche est plus bavarde. Fruits blancs, citron et tarte à l’abricot font la fête. La finale est longue, sur l’amer doux d’une pointe de Botrytis

Les Rosiers 2005 : Robe soleil de Février. Que ce nez se retient ! Pusillanime, il ne livre que quelques arômes de bonbon et de rhubarbe. La bouche plus loquace, est de fruits jaunes et de citron confit vêtue. La finale est fraîche.

Calligrammes 2005 : Robe Soleil de Décembre. Pas très causant non plus ce nez. Citron, cire et reine claude, parcimonieusement… La bouche est un poil plus expressive. Fruits blancs, prunes cuites donnent du moelleux. La finale longue est élégante, et laisse la trace pimentée du silex chaud au palais.

LES ROUGES : Et le voilà, le rarissime Pineau d’Aunis ! Petits rendements pour donner de la matière à ce cépage réputé léger.

Rouge-Gorge 2003 : Soleil grenat évolué. Du poivre à plein nez, de la cerise aussi. La bouche est chargée de tanins serrés, puissants mais mûrs. On hurle à l’astringence à l’entour, ça renâcle, ça trépigne, à vrai dire, c’est surpris, ça n’aime pas !!! Pourtant…

Rouge-Gorge 2004 : Soleil grenat sombre. Hou là là !!!! On frise l’émeute, la révolte, le putsch… On réclame à corps et à cris la démission des responsables et la mise en place d’un gouvernement de crise. Je propose une cellule de soutien psychologique… Il faut dire que ce nez qui vous lâche une une bordée de poivrons boostés au poivre vert, a de quoi surprendre plus d’un vieux baroudeur des vignes Médocaines !!! Mais bon, patience et aération arrangent un peu l’affaire et la motion de censure est levée. On est sur la champignonnière vocifère t-on, l’élagage (ça c’est le végétarien qui soliloque dans son coin… on l’aime quand même), la réglisse en bâton. En bouche, rebelote en plus “hard”, des tanins poivrés, des fruits rouges fumés et la réglisse. Un raz de marée contestataire continue de pester. Je pense à Bach, ça me remonte un peu le moral… Ça insiste, alors je me balance in petto «Que ma joie demeure»…

Hommage à Louis Derré 2005 : Soleil de Zanzibar. Après une interruption de séance, le bon peuple s’est calmé. Le nez tout oriental du “Louis” est charmeur, il embaume la coriandre, la badiane, la fraise mûre, le tabac et le cumin. La tête appuyée au giron d’une odalisque alanguie, je fais tourner le joint… le groupe se resserre et ronronne. La matière est superbe en bouche, l’attaque est nette sur les fruits rouges. C’est pur, ample et long. Un vin magnifique à moyen terme.

Aurore d’Automne : Soleil ambré. Des rendements minuscules pour ce rosé moelleux. Une gourmandise gracile qui embaume la gelée de coing, les raisins secs, le figolu, la confiture de fraises en morceaux. Un vin qui réconcilie et ravigote la troupe. Tout le monde se recoiffe. Le calme revient. La bouche est tendre, douce, une dentelle de fruits rouges confiturés, finement citronnés et épicés.

La soirée s’achève dans le calme et la fraternité retrouvés. Une soirée “pédagogique” qui en aura surpris plus d’un.

Vive la diversité !!!

 

EDEMOVOUTIEECONE.

L’ARSOUILLE D’ARSURES FAIT SON CHARDONNAY…

Jean Fouquet. Agnès Sorel.

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Dire que j’aime le Chardonnay quand il s’épanouit sous les climats septentrionaux, oui je le dis souvent. Beaucoup de plaisir à me promener régulièrement au long des flacons frais et fruités de Jean Rijckaert, le Flamand qui fait vin au lieu de bière. Pourtant, longtemps ce cépage fut pour moi Bourguignon, sans que jamais je ne m’interroge sur ses expressions d’Outre-Burgondie. Puis le temps passa et me déniaisa, il était temps… A vrai dire le temps qui passe vous déniaise tout au long de la vie, si vous n’êtes ni sourd, ni aveugle et savez lire les signes en écoutant le vent.

A ce jour, j’avoue deux plaisirs proches et différents à la fois, selon que le raisin mûrisse aux alentours des Abbayes que tenaient les belles Abbesses à poigne ferme, qu’elles soient de Bourgogne ou du Jura. Les conjugaisons et déclinaisons méditerranéennes, pesantes souvent, ne me satisfont pas jusqu’à lors. Quant aux Chardonnay du «Monde dit Nouveau», je ne les fréquente pas assez pour oser émettre une opinion… Les ceusses que j’ai croisés m’ont repeint la bouche mais ne m’ont pas pris le cœur.

Or donc me voici face à cette bouteille d’Arbois 2005 de Jacques Puffeney, bon faiseur s’il en est, bâtie comme un flacon, intimidante comme le regard d’une femme dans une maison de librairie. Car c’est là qu’elles se regardent au fond de leur sexe, se retrouvent, se sourient, s’acceptent, s’aiment ou se détestent. Oui là, entre les piles, entre les livres, entre les pages qu’elles frôlent d’un doigt humide, le front plissé, le regard perdu aux confins de mondes étranges et familiers, à la lisière des sensibilités complices. Ah, le regard d’une femme qui se retrouve, alors qu’elle se croyait secrète, entre les lignes d’une converse, dans la chaleur douce d’une bibliothèque obscure… Comme une lumière noire qui perce un soleil.

Bon et le Puffeney dans tout ça???

Un vin à la robe blonde qui devrait plaire à cette femme qui sourit aux illusions du monde, susurre en moi le macho qui ne dort que d’une hormone. Pourquoi, je ne sais pas, mais le pressens. Claire et lumineuse donc la robe. Oui, lumière d’or tendre, mouvante comme une peau mâte et souple…

Les pommes cuites et piquées de noisettes justes grillées… d’emblée, chaudes au sortir du four. Voilà qui plairait aussi à nos mies qui jamais n’ont su résister à la chair croquante et sucrée de ce fruit de paradis charnu. Des notes exotiques de curry, mêlées de pâtisseries chaudes, ajoutent à la séduction de ce charmant – jusqu’à la dernière fragrance – Chardonnay. Au bout de l’inspiration, comme une touche de cannelle fumée qui parachève.

Certe,s il ne faudrait pas tomber dans le dithyrambe en osant une comparaison avec un grand blanc de Bourgogne ou d’Afrique du Sud (Sic). Non, non, je m’accroche aux parois hottentotes du verre pour ne pas choir comme un amateur qui aurait abusé des plaisirs de la chair du vin… Gras et fraîcheur, alliés à une toute petite sucrosité quelque peu épicée marquent l’entrée en bouche d’une, ma foi, bien belle matière… De gourmands fruits jaunes, piqués d’épices, cannelle, poivre et muscade, s’épanouissent, aguichent langue et palais de leurs séductions douces. Un peu de menthe peut être aussi. La finale n’est que moyenne, et laisse en bouche comme une idée de tanins…

Je persiste et signe, Chardonnay en Jura, en de bonnes mains, fait de beaux vins.

Mais où sont les noix? Dans l’arbre du verger, bien sûr…

EMAMODAETIMERÊCOVENE.

LES LOUPS BLEUS EN GAMAY INCARNAT…

Michel Petrucciani.

 Quelque part, non loin du Pic – au pied duquel les loups se font velours, en cet Avril bleu – dans le jardin du chef de meute, les fraises sont en fleurs.

Deux cents cinquante kilomètres plus à l’Est, un vieil homme se meurt lentement, comme une bougie à bout de cire.

Tout est déjà dit…

Presque tous sont là. Amis de proche lointain. Pour certains, potentiels encore hier, les voici qui sortent des fils de lumière de la gaze virtuelle et s’incarnent. Enfin! Plus intimes, d’emblée, que nombre de familiaux infligés. La joie des retrouvailles se mêle aux plaisirs de la découverte. La transition est tellement brutale, entre la camarde qui rode à l’est et ces plénitudes qui hurlent leurs jeunes vies, que je me sens ivre, comme un condamné surpris par une grâce inespérée. La tête me tourne autant que mon cœur se gonfle. Éternelle ritournelle de la reviviscence. Flux et reflux. Entropie et néguentropie se croisent et s’accommodent. Langueur et allégresse. Le destin? La vie.

Joie et tristesse se fondent toujours en tresses douces…

Kade. Loups bleus.
 

 La louvetine ouvre ses mirettes aux éclats de noisettes, sur les humains qui s’ébrouent autour d’elle. Son père, c’est le loup roux nerveux, de la meute de la Grange Mythique. La petite louve Vénitienne, sa mère, aux crocs délicats, n’est pas loin. Elle est fine, douce, souriante, attentive et discrète. Dans la maison à flanc de colline, l’atmosphère est au partage et à l’amitié vraie.

Oui, je sais…

Un peu niaiseux tout ça? Pas très tendance FB-TWIT? Damned! Plutôt ringard comme un Bojo sans «thermo», un volcan éteint, un «people» au Pôle Emploi, un Grand Cru pas cher (oui, oui, j’ai connu ça) à Bordeaux et ailleurs…

La Grosse-Soirée-Mythique approche, les condamnés piétinent. Les frères Feuillade du Domaine Mirabel arrivent sur la pointe des sarments. Le caviste-V se fait attendre. Un tendre-dur celui-là. Impressionnant d’exigence le verre à la main. Analytique à-donf. Accompagné de sa dure-tendre, que le temps et les vins finiront par relaxer à fleur du fond. Le cycliste Ardéchois, monté sur caillettes et sa femme très aimante, ronde comme une lune à son meilleur, les bras chargés de victuailles roboratives, sont tout en franche exultation. Peu après le Paulo, tendre comme une rosette mûre, pointe son poil ouvragé et le bout de ses rondeurs naissantes. Sandra la longue, gracieuse comme une gazelle aux yeux pers, l’accompagne. Silencieuse, efficace et belle, comme Naples au printemps.

A chacun sa vache! En Égypte, c’est plutôt le chat que l’on vénérait. Ce soir il n’a plus d’Égyptien que ma fantaisie. La Suisse l’a fait «Milka». Et c’est de fait un chat, plutôt Libanais, qui ferme la ronde. Comme à son habitude, il regarde, observe, scrute le plus souvent et reste à peu près silencieux. L’important chez le «Châ», ce sont les yeux. Clairs, vifs, limpides, ils vont et viennent sans cesse, couvent et caressent à l’envi.

Le temps vient enfin où le loup roux, fébrile comme vierge en Mai, fait son relou. Il n’en peut plus d’attendre. En quelques traits à peine adoucis, il met vigoureusement son monde en place et inflige les consignes. L’heure de la ronde Beaujolaise est venue…

C’est le millésime 2005 que l’on va mirer, humer et bruyamment dérouiller.

Elles sont onze les belles championnes et une traitresse, parmi elles cachée. Le silence que poisse un peu d’anxiété, s’installe et bruisse des petites angoisses de chacun. À la baguette, le sourcier du Pic, sourcilleux et tendu, toise l’auditoire. L’atmosphère est plus concentrée qu’un Gourt de Mautens 2003! Tous s’humectent les papilles à l’eau de source, comme des nageurs avant une finale olympique. Ça ne moufte pas, ça crachouille un peu, ça se racle les papilles, ça déglutit, de stress plus que d’impatience.

Le Maestro pointe son auriculaire droit, comme un Paganini sous coke… Il fait taire les cuivres et réveille les violons.

Et la farandole des Gamay commence.

Les jus grenats, vieux rose, violets, légers, moyens, profonds, insondables, roulent deux par deux dans les verres. Dans l’air saturé, les phéromones de tous âges se frôlent, s’enlacent et se mêlent en vrac, aux fragrances épicées, florales et fruitées des vins. Des orgasmes silencieux s’organisent en secret dans les cerveaux reptiliens surchauffés. Ça renifle à qui mieux-mieux, ça se pâme, ça glaviote, ça postillonne tous azimuts. Bientôt, les feuilles de notes, rigoureusement éditées par le Gravetteux du Pic, évoquent la plus pointilliste des périodes de Pollock. Les tranches de pain Ardéchois épongent régulièrement les gencives momifiées par les tannins. Ça clapote du bec, ça se rince à l’eau fraîche, ça opine du chef, ça fait la tronche en biais, ça grimace, ça fait des «hou là là!», ça sourit à Bacchus, ça se gratte la couenne, ça se rassure dans l’entrejambe, ça tremble sous les plexus… Le temps passe et plus les vins descendent, plus je monte. Je m’abstrais de temps à autre (me faut vous dire que les dégusts marathon à l’aveugle, c’est pas trop mon trip…) Je regarde, l’œil torve de droite et de gauche. Dans l’auditorium intime de ma tête légère, j’écoute Michel Petrucciani dérouler ses notes de Lalique sur les ivoires d’un piano imaginaire… Les yeux des femmes sont au vague et les embruns mousseux colorent leurs lèvres, rouges de Gamay…

La fée capillarité a fait son oeuvre et les vapeurs conjuguées des Chénas, Juliénas, Morgon, Moulin à Vent, Fleurie et autres Côte de Brouilly m’arrachent à la réalité. Michel me fait une place au piano, là-bas, très loin dans les nuages roses que survolent quelques Jumbos aux grands yeux humides. Son menton frôle les touches. Il est tout en noeuds, comme un cep chenu. Vissé de traviole, comme une cheville trop tôt vieillie. Enfermé dans ce corps de coquâtre en douleur, il ne semble pas l’habiter, pas vraiment. La grâce est ailleurs, dans ses yeux. Ses douze mains démesurées, caressent le clavier comme d’élégantes et douces aranéoïdes glabres. Je lévite, je flotte sur les croches et les noires qui roulent en vagues, plus longues que l’interminable finale du vin divin, que je ne boirai jamais…

Mais le Capo, inquiet de mes absences silencieuses, m’a ramené du fond de mon verre. Le temps est au verdict, aux résultats, au classement, à Descartes au pays des nuances… Le bougron n’en finit pas d’additionner, de diviser, de psalmodier, dans une langue borborygmique qu’il est le seul à comprendre…

La sentence tombe : 12, 5, 9, 8, 1 !

 En clair : Le Moulin à vent «Vignes Centenaires» de Diochon l’emporte. Suivent dans l’ordre, le Morgon «Côte du Py» de Foillard, le Juliénas «Grande Réserve» de Granger la cuvée «James» de J.M  Burgaud et le Fleurie «Les Moriers» de Chignard. Le pirate à l’oeil noir – Cornas «Les Côteaux» de Robert Michel – vin encore sévère, serré comme une cerise dans son bocal, aux arômes de graphite et de goudron, à la matière conséquente, dans son bois prégnant, au café cacaoté – les talonne. Le Moulin à Vent de Janin est mort de bouchonnite aigue, les autres, que le vinaigre attire avant l’heure ou affublés de bois exotiques pommadés, ont succombé sans gloire. Les «Roches Noires» de Jadot, le Chénas de J. Georges, sont restés dans le ventre mou du classement.

Paix à leurs jus…

Les tensions se sont enfin relachées. Finie la compét! Place à la table, à ses folies câlines.

La noce aux mandibules commence.

Les vins (chacun avait apporté son meilleur), j’avoue les avoir oubliés. Mais la terrine de Saint Jacques, la sauce et les petits radis rapés de la louvette – tout comme le rizotto aux truffes du Paulo Transalpin – m’ont laissé en mémoire le souvenir croquant et goûteux d’une parenthèse de plaisir intense… Les très beaux fromages Hélvètes aussi. L’un d’entre eux surtout, mûr à point, qui souffla, à ma voisine de gauche, quelques commentaires de droite, aussi puissamment scabreux que fort à propos du bout du rectum!

Dans mon verre, sur la terrasse, au bout de la nuit, Le Porto Quinta do Vésuvio 1995 , floral, élégant, soyeux et long comme une extase orientale, répond aux étoiles, qui piquent le ciel pur jais de cette nuit d’Avril, de leurs scintillements complices.

Dans les tréfonds obscurs de ma conscience, la paix, comme un chat Italien, quand il a sa souris et son lait, «Corconne»…

 

 

EMAMORITILOUCONE.

TIRE LE PET, LA CÔTE EST RUDE…

Paolo Ucello. La bataille de San Romano.

 

The Big Nine…

Enfin le très plusse grand, le renversant, l’excellentissime, le galactagogue est à la une!

Des mois que la campagne était lancée. On allait voir en Médoc et alentours, ce que l’on allait voir. Big Five enfoncé et tous les Bigs antérieurs aussi. Moi qui allait me ruiner sur un (seul) Big Quatre Vingt deux, du coup, j’hésitais.

Ce Very Big Nine qui renvoie aux gémonies – ce lieu de supplice et de mort qui dévore l’aujourd’hui dès qu’il devient demain – toutes les précieuses liqueurs que les ceps – depuis toujours pourtant, prestigieux – avaient jusqu’ici exsudées sur les très glorieuses terres Bordelaises.

Tout ce qui compte (et qui sait compter) dans le petit grand monde du vin frétille en ces temps éblouissants. Des tonneaux de primeurs sont lampés dans tous les culs de basse fosse des Châteaux des deux rives (la plus richement garnie en Domaines d’exceptions est la gauche, bien sûr!!!) de cette belle Garonne qu’aimait tant le très sévère Seigneur de la Brède. Les prescripteurs et autres, libres comme des poissons dans la nasse, sont à l’œuvre. Du plus illustre au plus besogneux, ils sont plongés dans les jus. Mac (c’est plus chic) en bandoulière, ou carnet de papier griffonné à la main, ils écument les dégustations tous azimuts. Des salons incontournables aux chais de second rang, les rives du fleuve sont bercées par les glouglous inspirés, qui annoncent déjà de prochains prix fastueux. Gorges chaudes et décolletés de classe pullulent. Kwarx et/ou cristal en tous lieux. Soirées feutrées, raouts, rallyes, entre-soi, courus, recherchés, gagnés de haute lutte par tous les petits Marquis du vin. Quelques Ovnis aussi que personne ne remarque…

Ce Big Nine sera gagnant et gavant.

Et pendant ce temps-là, le même temps pourtant…

Dans la non moins et toujours prodigieuse région Bordelaise, loin des fastes médiatiques et mondains, à cent lieues des grosses demeures bourgeoises qui n’ont pour la plupart d’entre-elles de Château que le nom, perdues le plus souvent aux confins de l’appellation et parfois proches de cultissimes vignobles, existent dans la difficulté ou subsistent du fait de vignerons enthousiastes et opiniâtres, bon nombre de propriétés de qualité, qui font plus que bien, voire plus encore et à prix très abordables.

Tire-Pé 2005 en est un bel exemple.

Daniel Barrault œuvre en Tire-Pé depuis 1997. Comme les bœufs, qui jadis tiraient le pet tant la côte était raide à gravir, il travaille dur sa terre et ne roule pas sur l’or. Ses vins sont en constant progrès depuis le millésime 2000.

Il a l’air heureux et ses enfants sont beaux…? Bizarre.

Le travail et la passion?

La robe de ce millésime 2005, ex-Super-Big, est carrément Vaticane sans être Papale, fort heureusement. Les bigots et/ou les cultivés (bios of course) comprendront.

Sous le nez recueilli du bedeau servile et bedonnant que je ne suis pas, les fruits rouges mûrs dansent, très en phase avec le printemps nouveau. Le vin a connu un beau bois qui s’est partiellement fondu. Santal et léger grillé l’attestent. De la fraîcheur aussi. La matière concentrée et fruitée s’empare de la bouche. Le bedeau se pâme. Mais sans excès d’extraction… Les petits tanins soyeux roulent sur la langue. La finale de bonne longueur, est cacaotée, réglissée et finit sur le café, le «crayeux» et une pointe agréable d’amertume. Les bœufs en ont sous le pied et peuvent voir venir la Côte!!! Le plus beau vin de Daniel Barrault depuis 2000. Il en remontrerait sans conteste – toutes hiérarchies intégrées et reconnues – à de plus huppés.

 

 

EQUIMOSLATIPÈTECONE.

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

 

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe, qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

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TOUS EN CÈNE…

 Simon Ushakov. La Cène. 

  

Vingt et une heures.

Diné sur le pouce. Douche. Pyjama en calicot mercerisé. Il fait frais. Petite laine. Comme chez soi. Téléphone!!!!!

Non, non, rassurez vous, Marguerite Duras est bien morte.

«P….n, qu’est-ce tu fous??? Onnnn t’aaaattennnnd depuis un moment!!! Écoute…»

A l’autre bout de la ville, le sans-fil – je parle du téléphone magique, ordinairement appelé portable – tente de capter sans succès les hurlements de la troupe. Le geste qui aurait du tuer, me fait sourire. Dans ma tête, une question incongrue est passée à toute vitesse, comme un écureuil le long d’un tronc. Va-t-il chier avec son zigouigoui coincé dans le calbar, comme Clavier dans les «Bronzés»!!!???

Silence stupéfait de mon côté. Alzy * a encore frappé… Je tourne et me retourne dans mon calicot. Bennnn… Un petit contre-temps les gars, mais je mets les gaz et j’arrive illico. Gros menteur me dis-je en parallèle!!! T’as oublié c’est tout. Même pas cap de le dire. Houuuuu, la grosse honte!!!

La grosse tablée des voyous ordinaires m’accueille.

Des sourires et des vannes.

Le Grand est là, les bras ouverts, accueillant. «Tata Anne», autrement affublée par mézigue d’un charmant «La Dédée», me fait des yeux qui rient et un sourire qui fait la gueule. Laurent, Charentais de cœur et réincarnation de Sardanapale le fier Assyrien, pelote ses foies gras avant de nous les servir. le Caviste fou, croisement malheureux entre une étoile du Bolchoï et un Bouledogue qui se serait fait refaire la gueule, efflanqué mais moins qu’avant…, ricane. Loulou, la Mongole décalée de l’Extérieur, est aphone ce soir, et sa voix flutée peine à percer. Édouard, le hussard au long sabre, rêve d’enfourcher la cavale. La Jeanne épanouie, et dont aucune ligne droite ne vient affadir la silhouette, est heureuse d’être là. Le Patrice est splendide comme à son habitude. Les quinquets allumés, la moustache en crocs soigneusement apprêtée, et les magrets avantageux. Voilà, le tour de table est fait, je retombe sur le Grand. Il a l’air heureux, frétillant, l’âme élégante et le cœur généreux. Rien que de très usuel chez lui. Je le regarde à la dérobée. Il vibrionne. Il savoure à l’avance, les bonheurs que sa générosité coutumière va dérouler, tout au long de ce moment d’amitié.

Nous régaler, il veut.

   

Magnanimes, nous sommes prêts. Le bonheur de donner, souvent, surpasse celui de recevoir.

La mise en palais se fait sur un Champagne Grand Cru Chardonnay J. Pernet qui déroule sous les nez silencieux, ses arômes fleuris, sa brioche chaude, son miel et ses fruits jaunes. Grand contraste avec la bouche, longue droite, toute d’agrumes et de craie.

Tous s’enfilent ensuite autour de la table ovale. L’orange et le rouge des assiettes égaient la nappe, et annoncent aux convives les couleurs saturées que prendront leurs visages, plus tard, au terme de la nuit joyeuse.

Les foies gras mi-cuits, découpés en tranches épaisses, nature pour les uns, piqué de cerises pour les suivants, apparaissent.

Un Cahors Montpezat 1990 roule dans les verres. Les nez plongent. Mieux vaut avoir un verre sous le nez que l’avoir «inside», me dis-je, fier de ma lucidité, aussi conne-branchée que temporaire. La robe est sombre, évoluée, quelques lueurs violettes persistent. Le nez envoie du zan, des épices et du chocolat. Damned, ça s’effondre en bouche, c’est petit, étriqué. Ad patrem!!!

Lui succède un Cahors Cessac Harmony 2004. Fruits et bois au nez. Belle matière charnue, confiture de prunes et fruits noirs. Frais, épicé, un poil rustique. Un bon Malbec consensuel qui ne me bouleverse pas pour autant.

Puis la Bourgogne s’installe à table. Le Stéphane, l’air faussement détaché, pose au milieu de la troupe, un Drouhin Puligny-Montrachet Premier cru 2001. Le bouchon est vierge… Étrange. Pas dans l’habitude de la maison…L’animal minaude dix bonnes minutes, avant de s’entrouvrir pour lâcher un joli pet citronné, façon des Îles. Puis replonge, et ne donne rien d’autre. Bof, rien de bien enthousiasmant, ça ne semble pas très complexe. La bouche est un peu maigrichonne aussi. Mettre le verre à gauche, et voir plus tard. Ah ben ouiiii. Quand j’y reviens c’est d’un autre voyage qu’il s’agit. Une autre dimension. Fleurs et fruits au nez, finesse et distinction. Tout est intimement mêlé… Mais c’est en bouche que la transformation touche au spectaculaire. A vrai dire, ça me troue… C’est comme dab en fait. Des certitudes et jugements trop rapides. Ne pas se prendre pour ce que je ne suis pas me dis-je… Humilité et profil bas, don’t forget et en toutes circonstances. Détendu qu’il s’est le Puligny, alangui, étalé, déplié. Y’a du vin dans la bouche. Et ça fait le beau. Et ça roule. Et ça gonfle. D’la belle came qui bedonne en bouche – citron confit frais… – onctueuse, fine, qui danse avec la glotte. Les épices apparues rehaussent la matière. Quelque chose de la turgescence vinique s’installe. J’oxygène encore et plus, et ça monte, et ça s’épanouit. Le vin étriqué s’est mué en vin à…. Il n’arrête plus d’enfler. Un vin de folots et autre génies. Posé sur le coin de la table de nuit, il aurait réveillé le Président Lebrun!!! Merci Monseigneur!!! Nous, on est d’accord avec toi!!! Toujours!!! Il t’en reste???

Le suivant à l’atterrissage devrait avoir de la voilure car c’est d’un Drouhin Puligny-Montrachet «Les Folatières» 2005 qu’il s’agit. Une millésime de grande réputation, un climat de près de 18 ha, conséquent donc pour la région. Versé, et mis à gauche aussitôt. Encore une fois, l’air et le temps vont aider à extraire l’esprit de la matière. Ça papote un peu, ça jacasse en périphérie. Tata veille au grain et au gratin. La Loulou muette sourit. Tiens j’ai le tympan gauche qui vibre. Non, non, le Caviste ne ronfle pas, il rétrolfacte comme un dogue en boule dans son panier. Le Patrice, les crocs de la moustache tendus à embrocher tout ce qui passe, se délecte, l’œil vague et le sourire extatique. Il faut dire que les vins ont fait leur effet, les yeux brillent comme des lucioles sous ectasy. La Jeanneton, le regard perdu au plafond, est aux anges, manifestement comblée. Ça va léviter sous peu. Juste à ma gauche, le hussard est prolixe et tout à la fois marmonne, le nez au fond du verre. Il lui arrive même de se répondre à voix basse. Le Grand embrasse la scène – la cène ??? – d’un regard énamouré et se nourrit en silence de nos présences. Il aime que l’on aime «sa» Bourgogne, qu’elle nous cause au creux des papilles, et adoucisse les visages marqués par les tracas du monde.

Mesdames, ce soir la crème de nuit est Bourguignonne!!!

Le vin s’est détendu lui aussi, et brille de tout son jaune chrysocale. J’y descends les yeux fermés. Non, je ne vous ferai pas le coup de la noisette grillée du Puligny des familles. Je lutte contre les clichés que ma mémoire propose, et m’ouvre au vin. Le silence s’installe, les conversations s’estompent, j’entre en conversation intime. Ça fleure bon l’acacia en fleur, le citron frais, la gelée de coing, le beurre frais. Quelques notes miellées aussi. La menthe enfin. Mais par dessus tout, le pamplemousse juteux domine, et fédère les arômes qu’il affine. C’est bien le mot, la finesse, qui résume le mieux le nez de ce vin. Droite, rectiligne, tendue, presque tranchante en bouche, la matière tout en retenue ne se livre qu’à peine. Seul le temps, le vrai, celui des caves aussi fraîches qu’obscures, le délivrera de ses crispations de jeunesse, lorsque au terme de ses rêves, il se déploiera.

Puis vient le temps du mystère – je parlais de la cène il ya peu… – qui se tient là, debout, sous le verre poussièreux d’une bouteile nue. Ni collerette, ni étiquette, ni falbalas. Le Stéphane boit du petit lait. Il se retient de nous aider, jubile et a du mal à se taire. Le jus sans nom remplit les verres. La robe est sombre. Sous la lumière artificielle, le verre levé à bout de bras dévoile un coeur brillant, pur rubis, rouge du sang d’une vigne encore inconnue. Un instant l’assemblée se fige. Sous les corsages, les kiwis, les poires, les pommes, les melons se tendent, et pointent le bout de leurs courtes queues agacées par l’angoisse. Sous le tissu des mâles, les prépuces se rétractent… S’agit pas d’avoir l’air c.. !!! C’est à chaque fois la même chose à l’aveugle. Les Egos s’inquiètent et se toisent, se dressent sur leurs ergos! Quelque chose d’un peu sauvage plane. Du fin fond des âges… Dans le verre aussi, subrepticement. Puis le vin se déchaine, et envoie grave. Des fruits rouges – ça mange pas de pain – en entrée, histoire de se mettre en nez, et surtout en confiance. Puis en rafales, de la mûre et du cassis, qui tournent très vite en confiture, de la réglisse, brute de bâton, du cuir, des épices et du poivre. La deuxième vague, un peu plus tard, révèle la cerise, un grain de framboise, une volute de tabac brun. Pas mal!!! Pas un village, un grand premier sans doute ou un grand cru. Morey me tente. Mille neuf cent quatre vingt dix neuf? J’annonce… Bingo pour le millésime, tiers de oui pour Morey. La matière est puissante, encore ferme, mûre. Elle roule et ravit la bouche, qu’elle marque de ses tannins soyeux et élégants. Les tensions ne résistent pas aux charmes du vin, qui Chambolle n’est pourtant pas. La basse cour caquète à nouveau. On dit et redit. On périphrase, on tourne en rond. Je me perds dans la réglisse épicée et la poudre de soie de la finale, dont la virilité ne me quitte pas. Tout au bout de sa persistance, comme un clin d’oeil jardinier, une pivoine dépose un grain de sucre parfumé sur ma langue pâmée. Stéphane, presque désolé annonce : Drouhin Bonnes-Mares 1999.

Silence.

Bien plus tard les millésimes 68 première mise, 68 deuxième mise, 69, 71,76, 77, 78, Cognacs de la Maison Prunier…Pas goûtés, pouvais plus. Le tenter eut été indigne de ces très beaux alcools. Mon nez, seulement, a survolé les verres. Tous différents, pourtant issu du même cépage. Le 68 première mise m’a enchanté. Pâte d’amande, fleurs, fruits confits, de mémoire…Une autre fois et sérieusement….

Ah, j’allais oublier. Façon de parler en fait. Je me la gardais pour la bonne bouche. La fraîcheur spontanée de Claire, l’une des «grandes» filles de la maison. Son regard espiègle qui tournait sur ce ramassis de vieux pochetrons! Encore que…

Un Bonnes-Mares-Puligny-carrément-Montrachet à elle toute seule.

 * Alzheimer enfant… 
 
 
 

 EPLUSMOTRESTICLAIRECONE.