ACHILLE ET LA PREMIÈRE LIPPÉE …
La première biture d’Achille…
Il paraît que ça hurle à la première bouffée d’air …
Toujours. Du moins les vivants. Les morts-nés ont perdu courage bien avant. Ou alors ils sont moins cons, et savent déjà que ce sera l’enfer. Faut vous dire que pour débarquer dans ce monde de merde, il en faut de l’innocence. Mais les cons, eux, ils n’en savent rien, on les tire par la tête, les pieds parfois, alors ils glissent dans le tunnel noir et braillent en sortant. Quand ça se déplisse dans la poitrine, quand les bronches font des petits ballons roses qui ne montent pas encore au ciel. Ça fait mal, mais on ne s’en souvient pas. En tout cas, les types en blouses blanches le clament, l’écrivent. Ça fait de la thune facile à gagner. Les grosses dondons, pleines comme des cargos Chinois, adoooorent que les ceusses qui savent les dés-angoissent. C’est que pour pondre ce truc mou, c’est un boulot. Un statut même ! Une sinécure, une rente de neuf mois pour star intermittente. Avec caprices assouvis illico, mauvaises humeurs imprévisibles bien naturelles, souffrances obligatoires, spleen pré et post natal, pris très au sérieux par la société toujours inquiète, comme par l’inséminateur qui n’a pas su se retenir…
Faut l’assumer ta giclette mon gars !
A l’autre bout de la galère, on dit que le tunnel est blanc, lumineux, apaisant, qu’un Amour extraordinaire vous prend au cœur, un Amour comme vous n’en avez jamais connu, et n’en pourrez jamais connaître dans la gadoue, sur terre. On dit ça … Enfin, y’en a qui disent ça. D’autres, des intelligents, prétendent qu’on arrive par hasard et qu’après y’a plus rien. Le néant qu’ils disent. Entre les deux, des nombreux ceux-là, affirment – meurent et tuent pour ça – qu’après, on monte au ciel (pas celui qu’on voit, gris ou bleu, non l’autre, encore plus haut), ça c’est pour les gentils, ou alors on est un salaud, et on tombe en enfer ! Bien fait les salauds. Bon c’est qui les gentils ? Ben c’est ceux qui écrasent pas les vieux et les pauvres, en gros. Et les salauds, qui qu’est-ce ? Alors là, y’a du monde. En très gros, c’est ceux qui s’en foutent, tant que le fric tombe. Y veulent rien savoir, y sont pas responsables. Eux, y sont courageux, y bossent, c’est pas leur faute. En clair : Ils s’en branlent, des deux pattes comme eux. Et pas que des jaunes (enfin pour les jaunes, y commencent à réfléchir), des Arabes retors, aussi (sauf ceux qui puent le pétrole), et des Blacks fainéants (tous).
Ben oui, c’est moi qui vous parle.
Viens d’arriver. Tout fripé. J’y connais encore rien à la vie, alors ce que je viens de vous en dire du monde, vaut pas grand chose, pour sûr. Va falloir que je fasse les écoles, que je me prenne des gadins, des râteaux et autres claques, avant de parler sérieux, comme vous tous qui me lisez, vous qui savez de quoi vous causez …
Oinnnnnnnnnnn, j’ai froid, j’ai faim !
Des mains de pro, fermes et précises, me prennent, me frottent à grands coups de serviettes éponge, me nettoient des miasmes gluants, du sang encore frais qui me poisse. Après quoi, elles me collent contre la peau humide, douce et qui sent bon, d’une femme épuisée. Je regarde, ébahi ses yeux noirs meurtris, striés de veines éclatées par l’effort fourni pour m’expulser de son ventre, pour me mettre au monde. Elle ne saura jamais combien je me suis arc-bouté, combien j’ai résisté, pour rester bien au chaud, peinard, dans mon cocon aqueux. Elle roucoule en me serrant contre elle d’une voix de tourterelle flapie, « Viens mon petit poussin (sic) » et me colle contre un ballon de chair ferme surmonté d’un gros bout couleur chocolat au lait. Sans trop savoir pourquoi j’ouvre le bec et enfourne la valve claire. Ma langue s’incurve spontanément autour de cette reine de toutes les tétines et je me mets à aspirer comme un goulu. Et que j’te suce comme un mort de faim ! Elle a du bol, j’ai pas de dents ! Pas évidente la première tétée ; faut s’accrocher, surmonter la fatigue et cet air nouveau, qui entre, qui sort de ma bouche et qui me fait tourner la tête. Je m’étouffe un peu, peine à coordonner respiration et aspiration furieuse. A grand coups de front, têtu comme un chevreau imberbe, j’insiste et tire sur le pis muet. Tant et tant qu’à la fin il cède. Un liquide tiède, léger, parfumé et sucré, gicle dans ma bouche grande ouverte. Le jet est trop puissant pour le minuscule que je suis et je m’étouffe un instant. Aspirer, respirer, avaler en même temps, c’est pas de la tarte ! Une main, douce comme une soie humide, me guide, éponge les fuites qui me bouchent le nez, et m’encourage d’une voix tendre. « C’est bien mon chéri, allez, doucement, encore, encore… ». Faut croire qu’elle m’a pas trop loupé ma mère parce que je pige vite. Mes deux neurones actifs ont analysé et maîtrisé la situation en deux battements de cils ; je m’active comme un vieux briscard de la sucette et déglutis à larges coups de glotte experts. Punaise c’est bon, ça me dévale l’œsophage comme un torrent bienfaisant, c’est chaud et frais à la fois. Ça me touche à peine l’estomac que c’est déjà dans l’intestin qui se tortille, pompe, et me distille le nectar dans tout le corps. La chaleur me gagne, mes cellules s’activent comme des abeilles au printemps, je me sens pousser comme un perce neige. Mes yeux se ferment, la langueur me prend. Ma tête tourne un peu, tandis qu’un linge frais essuie la sueur qui perle au dessus de ma lèvre supérieure finement ourlée. Bouche entrouverte, comme une rose miniature, je m’endors, béat. Avant de sombrer, je me dis que j’ai bien pris vingt grammes et grandi de deux millimètres.
Ma première érection est gustative …
Bon, ben la vie, si ça continue comme ça !
Au fait, Mamamm m’appelle ACHILLE.
Compte rendu de dégustation : La robe de ce lait est d’Alba pâle, brillante, translucide. Le nez dégage des arômes lactés, de champignon frais et d’amour inconditionnel. En bouche, l’attaque est finement sucrée, la matière de demi corps enfle progressivement, libère une flopée de crème grasse et onctueuse qui tapisse la bouche et laisse au palais, bien après que le rôt est venu, le goût entêtant du revenez-y.
NB : Merci de faire preuve d’indulgence, ce n’est que ma toute première biture …
Excellent !!!!
je m’en souviens maintenant !!!
François
Ben…Et l’rototo?
Oh l’autre eh…
Il a oublié l’rototo!!!
Ben … Et l’aut’…le Patrick
Oh l’autre eh…. il a pas lu jusqu’au bout..
il y est le rôt !!
Christian,
Vous vous êtes donné le mot avec Jacques Berthomeaux?
Les amateurs de vins se recyclent dans le lait!
Un très beau texte, un de plus.
Merci.
Michel.
Michel,
Avec J.Berthomeaux, simple coïncidence !
Bravo pour ces (ses) premières gorgées !