FONROQUE L’ÉQUILIBRISTE…

 Bachelard. Fonroque

Fonroque. Salle de dégustation. Octobre 2010. 

—–

 Le tapis de vignes vertes que l’automne caresse à peine, comme une troupe d’enfants sages, s’étale de toutes ses feuilles autour de la maison ancienne, cossue sans plus, qu’en Bordelais on érige vite en Château…

En ce dix septième jour de ce mois d’Octobre 2010, le ciel est à la bouderie. Un ciel de winemakers, bas de plafond, humide, lourd de gros nuages gorgés d’eau comme éponges grises gavées. Il reprend la lumière de l’été, le feu est en veille. Les jours raccourcissent imperceptiblement, les énergies débordantes de la saison chaude refluent et s’en vont hiberner, lentement, – au contraire de l’homme perpétuellement agité comme une puce dérisoire – sous les terres, vers les magmas brûlants… Insensiblement les sols se taisent, la vie s’enterre pour mieux renaître.

  Alain Moueix, homme d’intérieur.

 D’entre les portes lie de vin du chai attenant aux pénates, un homme apparaît. Grand, mince, à son rythme intérieur, comme replié vers son essentiel. Sans le manteau gras qui enrobe ordinairement le succès matériel. Il sourit mesurément aux visiteur matinaux. Rien de moins, rien de trop, en phase me semble-t-il d’emblée, avec les énergies paisiblement actives de ce matin calme. Fugace, l’image intemporelle d’une être en prière profane, comme un éclair bref, me pique le cœur. Dans son regard bleu pâle qu’un soupçon d’ardoise adoucit, brille une lueur, douce comme un feu apaisé au terme d’une flambée; c’est la lumière argentée d’une conscience ouverte au monde mais étrangère à la surface des choses.

L’homme ne tourne pas le dos tandis qu’il remonte, l’arrière vers l’avant, le chemin crayeux qui fend la houle des vignes vers le haut du coteau. Doucement, clairement, méthodiquement, il nous présente les dix sept hectares de lambrusques auxquelles il a décidé de donner le majeur de lui même. Certes elles sont siennes ces pamprées, au sens que les hommes donnent à la propriété, mais il est à elles autant, au nom d’un pacte muet qu’ils ont signé en secret au nom de l’équilibre des rôles. L’homme a besoin de la nature mais elle peut aisément se passer de lui. Nous ne sommes maîtres de rien, pas même de nos illusions puériles. Certes il ne nous dit pas ça clairement, mais cela transpire de ses silences.

A la tête du domaine depuis 2000, tout en douceur – hurluberlu à tête sage – , unique dans cette région plutôt conservatrice, il remet posément, avec humilité cette nature accueillante à l’équilibre. Après un passage au biologique, il approfondit sa réflexion et perçoit la naturelle nécessité des eurythmies énergétiques. Pour recevoir le meilleur il commence par soigner. Dès lors, il met la biodynamie au service de la flore des lieux. Rassurez vous, je ne me prends ni pour un Rudolf Steiner de salon, encore moins pour un Bachelard miniature et surtout pas pour un Goethe d’opérette, et vous épargnerai les leçons de douzième main, chères aux petits maîtres qui pullulent comme oïdium par temps pluvieux sur les fils de la toile. En raccourci et sous toutes réserves, il s’agit «simplement» de redonner puis d’assurer la «santé du sol et des plantes», dans la «compréhension profonde des lois du vivant», acquise par «une vision qualitative et globale de la nature»… Sagesse ancienne, somme toute, que les apôtres du toujours plus fustigent au nom de la science pure et dure, mère de l’agriculture intensive et productiviste.

Conversation devant les marmites du Diable!

 C’est dans ces chaudrons «maléfiques» que sont chauffées, infusées, filtrées, dynamisées les eaux «homéopathiques» qui seront aspergées dans le respect du calendrier lunaire – des rythmes de la nature donc – sur les sols et les vignes.

Préparats de bouse de corne de vache.

Dans la malle aux trésors simples d’Alain Moueix, la bouse transfigurée après un hiver en corne de vache enfouie en sol, dans ces pots de terre remplis d’une substance légère, aérée, odorante, aux parfums d’humus, de sous bois et de champignons frais. Certes, ces quelques exemples ne sont qu’illustrations superficielles de la “méthode” Biodynamique et toutes critiques des «spécialistes» sont, par voie de conséquence, inutiles…

Mais le temps passe dans le sourire des vignes qui se préparent au repos. Nous passons au chai. La vendange 2010 à peine rentrée fermente, parcellisée, dans de petites cuves en béton. Les levures croquent les sucres. Les parfums ambiants célèbrent les fruits, et les jus fraîchement recueillis sont les élixirs crémeux de ces framboises juteuses et humides, oui ces tétons rouges qui fondaient sur la langue à l’aube tiède d’un jour de l’été dernier. Ça se goûte comme bonbons! Dans la pénombre de la salle de repos, les fûts font oeuvre d’élevage pendant dix huit mois. 2009 nous tend la pipette. La dégustation des vins à l’école du bois m’est d’ordinaire difficile, pour ne pas dire désagréable, tant les jus apparaissent destructurés, durs, dominés pas des tanins «genre» artichaut cru. Ce matin, rien de ces désagréments habituels. Du bas de la pente aux sols argileux-ferrugineux, au sommet de la côte – terre très peu épaisse sur roche calcaire – tout est bonheur en bouche et recracher n’est pour une fois pas urgent (d’ailleurs, j’oublie à plusieurs reprises…)! De la puissance en largeur des Merlots du bas des terres, à la verticalité tendue des vignes sur calcaire, tout se resserre et s’élance en douceur. Les Cabernets-francs (15 à 20% en moyenne) sont parfaitement tendres, onctueux et mûrs. En salle de dégustation le 2007 en bouteille, long et fruité est d’une parfaite pureté de nez et de bouche et d’une gourmandise avérée qui pousse à s’en délecter. Le millésime 2008, plus puissant, concentré, ne se donne qu’avec pudeur et ses parfums de framboise, de truffe et de zan, n’apparaissent qu’à la longue. Ces vins conjuguent nez pur et bouche précise. Élégance, tension, minéralité, matière conséquente et à terme race et distinction caractérisent, plus ou moins intensément selon les années, les vins de Fonroque. Mais toujours cette pureté, cette définition nette et cette précision d’horloger de la vigne, comme si les ceps en bonne santé donnaient leur meilleur en retour.

Dans le silence, le millésime 2009 s’accomplit…

Le temps a passé si vite que la faim nous a oubliés!

Nous quittons le Domaine, bouteilles au coffre. Alain nous accompagne sans un mot de trop, toujours juste et pondéré. Dans la voiture, au sortir de l’allée qui borde l’entrée, nous sourions calmement sans plus, comme si ces heures passées à Fonroque nous avaient appris la juste mesure – si rare – qui sied aux relations de qualité.

De part et d’autre du chemin, les vignes nous saluent imperceptiblement du bout de leurs bras ligneux. Un souffle de vent léger agitent leurs feuilles, fragiles comme des éventails délicats…

 

EAUMOPATIRACODISNE.

Trackbacks Commentaires
  • Superbes écrits pour un portrait juste et précis.
    Bon bah moi, avec tout ça, j’ai la pression car j’ai prévu de rédiger mes ressentis et notes de dégustation la semaine prochaine.

    D’autant plus que je risque fort d’être dithyrambique tant je suis ébloui à chaque fois depuis 2/3 ans par ses vins. Mon chouchou à Bordeaux. 😉

  • franck dit :

    Superbes écrits !? Je ne sais pas si vous etes habituez à lire autre chose que des blogs et des contre-étiquettes mais ce n’est pas bien écrit.
    Je trouve que les sujets sont bons mais le style est lourd et plombant.
    Désolé de ne pas etre toujours dithyrambique mais l’autoclomplaisance à des limites.

  • Manifestement, vous savez de quoi vous parlez. Style alerte et orthographe novatrice. Au fait, “l’autoclomplaisance”, vous pouvez expliquer?

  • Les contre étiquettes sont réservés aux neuneus, les blogs ont au moins pour quelques uns la faculté d’éclairer sur des vignerons et avant tout des ressentis.

    Maintenant libre à vous de vous abreuver de mags du vin complaisants concernant de pseudos vignerons. J’estime que le portrait brossé par Christian est de qualité. D’autant que je pense savoir de qui je parle concernant Alain Moueix.

    Allez donc sur le terrain, rencontrez l’homme et après moult échanges vous constaterez que le portrait dressé ici est de bon ton.

  • Anne-Laurence dit :

    Et hop, un Fonroque Lover de plus! 🙂 Joli texte Christian, qui reflète très bien l’ambiance qui y règne. La juste mesure, l’équilibre, oui…
    Et joli choix musical dis moi! 😉

  • Oui le Chet m’a semblé aussi incontournable qu’approprié, tant sa musique est intérieure… C’est la première fois que j’ose, au-delà de la description du domaine, des vins, des cultures – au demeurant passionnantes et qui donnent des vins d’une grande “justesse” – faire le portrait d’un vigneron dans ce que je ressens d’essentiel chez lui, en relation avec sa pratique. Exercice un peu périlleux mais j’aime bien faire “l’équilibriste”!!!
    Si un jour je te visite “au boulot”, tu passeras à la moulinette!

    • Michel Grisard dit :

      Christian, pour une fois un petit mot, et sans autoclomplaisance…
      J’aime beaucoup lire tes billets et j’admire ton écriture, au point d’en être tout Rétourné, et pourtant sans être passé à la moulinette!
      Je suis très heureux que tu ais pu toucher du doigt cet “ésotérisme paysan”. J’emploie le mot ésotérisme, bien sûr, pour tout ceux qui n’ont rien compris ou qui ne veulent pas comprendre (sans polémique…)Il s’agit pour moi de cette “sagesse paysanne” que nos aïeux transmettaient de bouche à oreille, mais qui a été gommé par la génération NPK. Celle dont je fais partie.
      Une petite remarque: dans ton discours poétique, s’il est vrai que: “La vie s’enterre pour mieux renaître”, les sols ne se taisent pas à la morte saison. C’est l’hiver que tout le processus de la vie du sol s’emballe pour décomposer l’humus et les restes des végétaux de la saison passée. C’est cette même la vie qui a fait évoluer cette bouse de vache qui sent si bon au printemps et que tu décris si bien.

  • Ah Michel!
    Ta présence me touche particulièrement, car toi tu sais (bien mieux que moi) de quoi parle la terre. Je ne suis qu’un petit “passeur” besogneux qui recueille et transmet, du mieux possible, dans le meilleur des cas, ce que le “paysan” me donne et/ou que je ressens de ces ondes mystérieuses qui volent, subtiles, des uns aux autres, à “l’insu de leur plein gré”..!
    Pour la “vie qui s’enterre”, bien sûr, j’ai simplement voulu dire que ça se passait au dessous de la surface du sol.
    En tout cas merci de me lire et de m’avoir fait signe.

Réagissez