Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique, quand une transparence s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait, c’est la mort qui ricane. Le Motus renvoie son Monde à l’inéductablité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche, pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse, quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.
A ma vérité, le temps est blanc.
Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie, et se perd en alertes vaines.
A ma vérité, sang rouge vire au noir.
La Terre amoureuse est sinople étiqueté de jade et d’argent, elle pousse le bout de ses arborescences aux quatre cardinaux. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout et comble ses hôtes de ses pommes d’Amour. Mais le vert est aussi de rage et de peur, quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.
A ma vérité, vert est pur amour rageur.
La vigne lilliputienne de Chassagne-Montrachet, microscopique dentelle verte Bourguignonne, noyée dans le vignoble hexagonal, lui même hors monde, vu des cieux, bras noirs aux griffes tordues l’hiver, verdoyante au printemps, qui s’empourpre d’érubescences progressives à l’automne, pour renaître, dans une flamboyante flavescente, jusqu’à mourir, exténuée, au bout de ses derniers feux rubigineux… Pour y dissoudre, avant que survienne la mort blanche, sang rouge et rage verte. L’ami Thibaut qui fait bon, Morey-Coffinet de son nom, a glissé, sourire muet aux lèvres, au creux de ma cave, sa « Romanée » 2006.
Le temps est venu d’y noyer les hivernales.
Par une de ces alchimies fines que réserve le vin à celui qui s’en délecte, la bouteille embuée, du centre de la table, de son regard ensoleillé, dissout déjà les nimbus menaçants qui m’embrumaient à l’instant.
La parure citron de ce premier cru se moire de vagues vertes qui ondoient au gré changeant du verre tournoyant. Elles ont les infinies délicatesses d’une sonate de Scarlatti ces subtiles touches fleuries fugaces, qui laissent au premier nez une pure eau de chèvrefeuille. Puis vient le temps des fruits, velouté comme le saxo de Stan Getz, qui roule la poire mûre, l’ananas, pour finir au coing. Élégance extravertie de Chassagne la riche.
L’attaque en bouche est subtile, l’équilibre est son nom. Le vin se roule en bouche. Comme l’Oud d’Anouar Brahem, il enivre de son gras, il est riche et vif à la fois. Réapparaît l’ananas qu’affine la poire, ils s’étirent à deux et rebondissent sous le fouet du zan, et la lame acide qui finit d’allonger le vin. Une bouche digne de la plus voluptueuse bayadère, et j’en ai connues d’ondulantes par temps de grand blanc, sous la voûte Bourguignonne.. Et la finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Marquée par le calcaire, elle s’installe, se resserre et lâche ses épices réglissées, doucement…
Le ciel cérule, les lourds cotons noirs des orages ont disparu. L’âme au diapason, je jubile, yeux clos. Sur mes lèvres qui sourient, ma langue se régale du sel de la vie…
A vrai dire il ne se lève pas, il bondit de son lit comme une balle joyeuse. Sa toilette, il l’expédie d’un coup de gant de toilette humide sur le visage. Puis il croque une tartine beurrée, boit un verre de lait et file ventre à terre. A huit ans, on ne marche pas, on tressaute, on court, on est une boule d’énergie, une usine chimique en effervescence. Sur le haut de la côte raide qui mène à la route empierrée, Achille fonce rejoindre la petite bande d’enfants qui prend le chemin buissonnier de l’école. « Bellevue » est alors un quartier de Meknès excentré, perdu dans la campagne aride au milieu des cactus, des oliviers grimaçants et des figuiers odorants. Bien sûr la route bordée d’habitations mène bien à la ville et à l’école, mais c’est bien loin et monotone à pieds d’enfant. Alors les gosses préfèrent « leur » chemin, un raccourci en pleine brousse. Le matin, la troupe tire la langue et galope. Impossible d’arriver en retard à l’école, ce serait une catastrophe et les foudres du directeur, « Barbichou » comme ils le surnomment, les raieraient plus sûrement de la carte que le champignon de la bombe atomanique dont parlent les grands …
Et surtout, surtout, à l’école il y a Angélique ! Dans son cœur Achille parle à Angélique tout le jour et le soir surtout, avant de s’endormir. A voix tendre. Quand il l’aperçoit le matin dans sa jupe écossaise, ses soquettes blanches, son chemisier rose et ses longues nattes soigneusement tressées, il rougit en cachette. S’approcher d’elle, mine de rien en faisant comme si j’te voyais pas, devant la grille avant la rentrée, Dieu qu’il aime ça ! Pas question qu’il lui parle ou qu’il réponde aux filles qui lui demandent en douce « Tu veux sortir avec ? », d’autant qu’Achille ne veut pas « sortir !!! » mais ETRE avec elle, tout le temps, lui dire des mots de miel et lui tenir la main. Prudent, il se tait. Pas question d’avouer ça, ce serait la honte ! Il deviendrait la risée de l’école et se ferait traiter de pédé par les copains. Pour eux, tout ce qui est doux, tendre, sentimental, c’est « Pédé !» !!! La règle de fer en matière de fille, c’est « celle-là, je la nike ». Et tous d’opiner en riant grassement, genre mec à la coule qu’a plus roulé sa bosse qu’un triqueur bien poilu de quinze ans. Comme les copains Achille se la joue, histoire de rester dans les normes implacables du clan. Pourtant quand sa mère l’oblige à se doucher, il se demande en apercevant son asticot dans le miroir, comment on s’en sert de ce petit doigt de viande molle qui se raidit parfois sans qu’il ait à le décider. Certes, le soir, dans la chaleur de son lit, la pensée d’Angélique lui met la sueur au front et son têtard durcit, mais bon, on s’en sert comment ? Comment ? Comment !!! Bruno, le chef de la bande, un noiraud rondouillard, lui a bien montré sur une page chiffonnée, arrachée à un magazine « de cul », une femme nue aux gros seins tombants, au ventre de plâtre, vue de loin, avec comme des cheveux noirs entre les jambes. Il a eu beau faire l’affranchi, il ne comprend toujours pas comment on « nike » !
En classe, Angélique est deux rangs devant lui, assise à côté de Bouchra, une petite marocaine, fine comme un fennec, aux grands yeux noirs frangés de longs cils recourbés bleus noirs qui lui donnent un regard profond et humide. Et ces deux perles de jais, brillantes et fines comme peu, aux reflets d’encre cobalt, tranchent sur sa peau d’angelette safranée. Bouchra se retourne souvent en ébauchant un sourire craintif mais le regard du Roméo transi se perd dans les frisettes claires qui bouclent dans le cou d’ivoire de sa Juliette. A la récré, Achille la suit de loin, elle saute à la corde. Il a remarqué que ses nattes pointent vers le ciel quand elle retombe et inversement, ce qui l’émeut infiniment ; il n’y a qu’elle pour faire ça. A la fin de la séquence, elle se penche gracieusement en rejetant ses tresses vers l’arrière et relève ses soquettes bordées de rose. C’est l’instant trop bref qu’il préfère, quand il aperçoit furtivement le creux de son genou à la peau si fine qu’on peut y voir battre du sang bleu. Un matin qu’il n’y croyait plus, elle s’est retournée d’un bloc et l’a regardé une très longue seconde, intensément, au fond des yeux. L’esquisse de sourire qui a suivi lui a coupé le souffle. Depuis plus rien, elle ne l’ignore pas, il sent bien que non, mais elle ne lui donne rien non plus. Ce vide dans lequel elle lui enfonce la tête, qui lui coupe la respiration des minutes entières, Achille le peuple de belles images et de sentiments tendres. Dans le pays de ses promenades intérieures, sa main ne quitte pas la sienne, elle lui sourit et de temps à autre, lui pose un gros baiser fermé sur la bouche et rit aux éclats à chacune de ses blagues …
Achille est amoureux de l’Amour,
Qui ne le lui rend pas.
Il fait ses gammes,
Et s’y habituera …
Au retour de l’école, entre les haies de cactus hérissés de figues de barbarie, c’est le temps du reflux quotidien des Barbares. Les filles traînent et jabotent entre elles. Les garçons, emmenés par Bruno, parlent le langage grossier des enfants qui tentent d’apprivoiser le monde. Melloul est vif, sec, tout en tendons et ses coups de poings qui partent sans prévenir font très mal. Les autres sont plus calmes, moins irascibles, plus joueurs et les « putain de ta mère », « enculé de ta race » et autres bonbons, ricochent dans l’air sec orangé, au soleil tombant, tout le long du chemin. A défaut de cailloux, les petits poucets de là-bas laissent derrière eux des chapelets d’injures que les oiselles qui les suivent picorent en pouffant …
Un soir, il descendait le dernier chemin menant à la maison, l’oreille encore endolorie par une droite sèche de Melloul, ruminant sa rancœur, ravalant la rage de l’humiliation subie, quand il entendit claquer à son oreille valide, l’insulte, la définitive, la suprême, l’intolérable : « Tiens v’là le p’tit pédé ! », suivie d’un rire aigu et méprisant. Derrière un mur de pierres plates qui entourait une belle maison, à cheval sur une basse branche d’un grand eucalyptus, un enfant aux boucles blondes, un peu plus âgé que lui, le regardait en ricanant. Achille sentit la colère monter en lui. Soudaine, violente comme un crachat de lave écarlate au sortir d’un volcan enragé, elle lui monta du ventre, le submergea d’un coup, il perdit tout contrôle. Lorsque qu’il vit son ennemi choir sans un cri, comme un paquet mou de sa branche, Achille reprit ses esprits. La caillasse coupante qu’il avait ramassée et jetée de toutes ses force avait frappé le moineau en pleine tempe ! L’image d’une hyène hurlante le traversa, le couvrant de sueur glacée, la peur lui creva la vessie et inonda son pantalon. Achille se mit à courir à toute vitesse vers la maison. La nuit épouvantable qui suivit le laissa éveillé, grelottant de trouille, croyant à chaque bruit nocturne que le père de sa victime frappait à la porte. Au petit matin, hagard, épuisé, il n’eut pas de peine à convaincre sa mère qu’il était malade. Toute la journée il regretta cette lâcheté car la peur ne baisserait pas, il le savait bien, tant qu’il se cacherait. Quelques jours plus tard, il revit sa victime dans l’arbre, qui ne dit mot à son passage. Sa tête enturbannée par une large bande avait pris du volume. « Pâques est en avance cette année » lui jeta-t-il au passage, d’un ton faussement bravache. L’autre ne répondit pas.
Cette année là il comprit qu’il ne lui faudrait jamais plus fuir les conséquences de ses actes. Mais il ne comprit pas que l’homme blessé se transforme souvent en animal enragé. De ce jour là il préféra les mots aux poings. Très vite, il prit l’ascendant sur les violents en leur clouant le bec à coups de mots cinglants et de formules assassines …
Les doigts d’Achille courent sur le clavier comme les souvenirs dans sa tête. Les émotions, les craintes, les peurs et les tendresses d’antan remontent en vagues incessantes, lui serrant le cœur et lui mouillant les yeux. Dans la gelée de cette nuit, épaisse de toutes les solitudes accumulées, les volants de la jupe écossaise d’Angélique volent au vent de son enfance qu’il croyait oubliée et arrachent à ses doigts une dentelle de mots qu’il ne maîtrise pas. Dans un coin de sa tête, Roger lui tend un verre de cristal fin au sein duquel un beau rubis liquide accroche la lumière dorée de la lampe. Les rayons jaunes illuminent ce vin qui prend au bord de son disque des reflets roses délicats. Achille tourne la tête vers le vin rédempteur qui tremble dans le verre et plonge sous la robe écarlate. C’est les yeux fermés qu’il nage le mieux dans les reflets brillants, dans les gammes de rouges toujours changeantes. Là, sur l’écran liquide ondoyant du cristal, les vignes de l’été 2008, au creux de Chassagne-Montrachet, dans cette parcelle des « Morgeots » du Domaine Morey-Coffinet, sont lourdes des grappes aux billes bleu noir dont il fait tourner le jus d’un mouvement souple du poignet. Des parfums de fruits frais, de fraises mûres et surtout de cerises, se mêlent aux effluves d’épices douces, de cuir et de réglisse qui lui ravissent le nez. Les larmes grasses qui s’accrochent au verre sont un peu des siennes et cela le soulage. Il soupire à la fois du plaisir de l’instant et de celui du passé. De la joie à la tristesse, du bonheur au regret, il n’y a qu’une frontière ténue et mouvante qu’une seconde lui suffit à franchir. La gorgée de vin emplit sa bouche d’une matière qui fait sa boule de fruits gourmands, qui roule, puis s’étire, lâchant la fraîcheur de ses cerises au palais. L’acidité des fruits étire plus encore le jus, en une longue finale au goût de noyau et de réglisse. A l’avalée, la douce chaleur qui l’envahit lui dit qu’avec la beauté de ce vin sa nostalgie passagère s’en est allée, aussi …
C’était le début de l’été, peu avant que Décembre attaque…
Les forces marchandes annonceraient un Noël 3D, rouge, vert et relief. Papa Barbe Blanche et cadeaux incontournables commenceraient à me manger la tête et les yeux. Dans les bassins encore tièdes, belons et portugaises trembleraient sous l’eau des claires, dans le miroir desquelles se mirerait encore un soleil anémié. Les feuilles quitteraient le gîte bruissant des arbres en pleurs. Bientôt ils seront nus, décharnés et branches tordues, sous la morsure acide des vents glacés…
Les jus des vins de l’année mangeraient leur alcool et se prépareraient à la « malo » qui les ferait embryonner au printemps. Tout semblerait aller pour le mieux dans le meilleur des petits mondes possibles. Au dessus de leurs claviers, aux quatre coins Français du Web Hexagonal, les amoureux du vin des treilles – pour nombre d’entre elles encore peu connues – concocteraient leurs petits papiers sans importance. Discussions, découvertes, chamailleries puériles, échanges, iront leur train de sécateur. En vrac, tout de trac, sans arrières pensées, comme des enfants dans la cour de récréation… A l’échelle du Web Gaulois, le monde du vin est microcosmique, à hauteur planétaire le Web Gaulois est œuf de colibri et le placard vinesque est micro-atomique. C’est pour cela qu’il émet, plus souvent que supportable, de petits pets foireux dont certains sont carrément puants… Grâce soit rendue au Dieu Matrix, chiffonneries et pestilences sont jasmins en fleurs, au regard des vides intersidéraux alentours.
Or donc, au cœur de notre belle capitale, un jeune nain, geekounet invétéré, écrivaillonneur à l’occasion, se mit à rêver de mers immenses et de pirates audacieux. Fureteur comme tout bon I-Phoneur à géométrie Twittée, et petite Face de Bouc à ses heures, il se résolut, hardi, décidé et énergique, à monter un équipage, qui au secret de ses plus folles chimères, envahirait le monde concret du papier à bord d’un vaisseau de haut bord, utilement titré « Guide des vins Pirates ». Lequel prendrait d’abordage l’escadre souveraine des Corsaires du Roi du parchemin, et révolutionnerait à boulets rabattus les mœurs très hiérarchisées du Lilliput livresque vinique ! Bien sûr, ce très tout petit Nain Parisien ne se berçait d’aucune illusion et voulait simplement ficher un insolent mini coup de pipette dans l’ordre très établi des strates empilées de nababs cauteleux. Histoire de commettre un petit attentat, aussi pacifique que l’océan éponyme, une sorte de tsunamini de papier, une pincée de poil à gratter, qui mettraient à l’honneur quelques vignerons, peu connus ou nouveaux, mais pas thermos-régulés, amoureux des petites fleurs dans les vignes, des défricheurs de terres nouvelles, et de mœurs œnologiques au plus près possible du « naturel » mais pas pour autant disciples de la queue de renard trempée dans le pinard. Tout un tas de vrais faiseurs de bons ou futurs presque grands vins, autrement amicalement surnommés « Les Co-Bions » et autres énergétiques dynamisés.
Les Nains de Blanche Neige étaient sept. Candide le Geekounet sus-présenté en convainquit six autres sans trop d’efforts. Les blogueurs non rétribués sont gens fous, très souvent aventuriers intègres. Au long cours de sa campagne électorale, il prit aussi à sa pipette gouailleuse deux libellules aux ailes plus ou moins kilométrées qui voletaient alentours les vignes propres. Certes les nains avaient quelque(s) surnom(s) chacun mais je n’en connais très bien qu’un seul, le mien : Grincheux le Chieur qui vous conte ce Conte naïf, où les Princesses meurent éventrées et les Princes empalés par un Père Noël transformiste…
Or donc bis, Candide, alias Enrageek le Poulbot se mit en quête d’un investisseur en pâte à papier encrée qu’il convaincrait derechef et mettrait extasié à ses pieds, hypnotisé que serait le marchand de feuillets, par l’originale qualité du projet ainsi que par la faconde enthousiaste et communicative du petit sieur. En moins de temps qu’il n’en faudrait pour vider sept verres, un facteur d’in-quarto, de belle envergure, fut séduit par le projet et la gouaille du poulbot. Papa Noël, de son nom de chantre du papyrus, nous réunit, nains et libellules – YESSSS ! – en la Capitale elle même. Échappés de leurs jardins de provinces et autres lieux reculés, homoncules et demoiselles blogueu(se)rs, déjeunèrent, burent puis signèrent nombre exemplaires de contrats abscons (mais pas pour Papa!) à l’heure du café. Ébahis et repus, confiants et décidés, tous s’en retournèrent à leurs travaux gustatifs prêts à tirer les bords inédits qui les mèneraient à l’in-octavo.
Dare-dare, illico presto autant que d’arrache-pied, l’équipage de baltringues extatiques se mit à l’ouvrage. Dans les bruissements multiples de la Toile, on entendait cliqueter furieusement leurs claviers. Aux confins des Marches de l’Est, Timide Le Bon autrement surnommé Le Précis, voire Le Méticuleux, tricotait assidument ses textes autour de vignerons étincelants dans l’ombre des Grands Crus aux noms imprononçables… Joyeux l’Enveloppé, autrement affublé de surnoms fantaisistes tels que Le Grand Nain Jaune, L’Arpenteur sévèrement Trompé, Le Savant Gnain… courait par monts et vaux, si verts par chez lui, portraiturant à sa manière impressionniste d’obscurs ouilleurs, lumineux sous leurs voiles fragiles. Au delà des Alpes Françaises, dans les verts pâturages peuplés de vaches violettes et de coucous bruyants, Dormeur Le Lent, ainsi injustement supputé, tant les lieux communs attachés au pays des Cantons sont stupides et tenaces, se démenait comme un beau diable entre Petite Arvine, Cornalin et autre Chautagne exotiques, tantôt escaladant, tantôt dévalant… Clochette l’Evanaissante, ainsi rebaptisée tant sa jeunesse mutine et rieuse, dynamisait la troupe, remontait la Loire, de Paris à Nantes à grands coups de pagaies quand elle n’empruntait pas les chenins de traverse qui l’emmenaient à l’école buissonnière des talents naissants et des anciens nouveaux génies à demi ignorés… Atchoum Le Chouan chevauchait les longues cavales grises qui roulent incessamment au long des ciel venteux des Côtes Atlantiques, galopant à travers Fiefs et Melons de Bourgogne, barbe frisée, huîtres grasses, lippe gourmande et beurre salé à la main… Prof le Sage, que le moindre Verdot envoie au Cabernet pas toujours Franc devait son hétéronyme à de récents travaux Girondins, unanimement encensés, toutes chapelles confondues ou presque. Éclectique, il puisait à bâbord comme à tribord des perles de vins de grands fonds, qu’il polissait et repolissait longuement jusqu’à ce qu’elles étincèlent, plus encore que couronnes royales. Enfin O’Catharinette La Brune, également appelée gourmandement La Ronde Du Vin, s’échappait régulièrement de son arrondissement bridé, n’hésitant pas à descendre le couloir du Rhône pour explorer la Provence, la Corse et autres terres ensoleillées. Curieuse, elle dénichait de jolis œufs tous frais, au creux de nids tièdes encore inconnus des coucous…
Le Grincheux qui vous narre, n’en finissait pas de râler, de vitupérer à longueur de mails, agaçant ses congénères, réclamant, menaçant, recadrant, défendant sa soif de liberté étroite, voulant à tout prix jouer sa petite musique acide. Ses frères Nains et sœurs de petite importance, patients, l’écoutaient, le rassuraient, le supportaient. Il n’en pondait pas moins moult textes introductifs aux belle Régions de France et autres vignobles Européens, à sa façon, autant de contes destinés à ravir les lecteurs espérés curieux. Le temps passait, tous s’échinaient à donner leur meilleur.
Plus de cent et quelques textes après la ligne de départ, un beau jour qui voyait le frêle esquif fendre les flots et prendre les vents portants vers l’imprimerie, proche désormais, l’armateur éditeur précautionneux rompit le gouvernail qui envoya la coque de noix fraîche se fracasser contre les récifs aigus des prétextes économiques. Le bateau n’était plus viable « at all », comme ça, d’un coup, en un beau jour de Printemps. Il paraissait alors que les marchands, comptables du Temple Éditorial, avaient usé leurs crayons à d’obscurs calculs complexes qui démontraient la chose. Mieux valait abandonner le rafiot à deux encablures du port et jeter l’encre par dessus bord. La joyeuse troupe de nains naïfs fut sacrifiée sur l’autel de la rentabilité prétendument inatteignable et la nef rejoignit la flottille des Hollandais Volants qui naviguent, à tout jamais perdus, dans l’entre-deux monde des avortements livresques honteux.
La messe était dite, les Nains besogneux ne verraient jamais leurs amours sur papier, et tout resterait en l’état frileux et immuable dans le meilleur des mondes conventionnels possible. Déception, désillusion, petites colères passées, le Grincheux que je suis continue de vaticiner à l’ombre des contre-allées. Les autres membres de cet équipage de minuscules poursuivent leurs chemins de passion, de partage et d’écriture, tout comme avant, continuant de plonger leurs plumes bien taillées dans les encres multicolores de leurs rencontres…
Alors amis de passage, méfiez vous des Pères Noëlsuceurs d’oreilles tendres qui prétendent déposer à vos petits petons, de rutilants cadeaux !!!
Stan déroule ses notes de soie feutrée, qu’une touche de raucité exalte. Oscar, petite boule accrochée au piano l’accompagne, le sert, avant de partir dans la côte, d’un seul coup de rein… Ça feule autour des larmes d’ivoires, c’est d’une tendresse exquise, ça me remue la moelle de l’âme. Lionel et ses gouttes de cristal, musicales, tendues et rondes à la fois, comme les plus élégamment équilibrés des grands blancs que la Bourgogne permet. Comme les caresses réitérées du beurre tiède de la pulpe de mes doigts, sur la hanche ronde de l’amour de ma vie, endormie…
Dieu que c’est beau et bon!
Que de mois, que de jours, que d’heures, que de secondes. À espérer, à rêvasser, à bailler, à vrombir, à fulminer… Aux souvenirs d’organsin d’une peau tendre envolée. Aux fumerolles d’encens. Aux fragrances intimes. Collés à l’âme, soudés à l’os. Qui vous persillent la chair. Des stigmates opalescents qui marquaient ma conscience trouble, de la ressouvenance tremblée de cette silhouette à nulle autre pareille, de la pivoine tendre et de l’émail de son sourire. Comme une lente désespérance qui n’en finissait pas, qui se traînait, éprouvante, délétère, acide comme un mauvais vin, comme une messe à l’envers, comme une eau de tribulation…
Jusqu’après le neuvième cercle des pires géhennes,
D’où l’on ne revient jamais plus,
Je m’étais perdu.
Là-haut, sans doute me contemplaient-ils? Pures énergies d’amour, vortex sublimes, ils souffraient de mes affres et me soufflaient le chemin que je ne voyais pas. Tout ce temps, Geburah pesait sur mes épaules, de l’atroce et juste accablement qu’exercent les Maîtres du Karma.
Plus lourd que ça, tu meurs!
Alors, dans un revirement des destins dont ils ont le secret, les Anges fulgorèrent. Ce fut au prix d’autres douleurs, que cessa l’insoutenable solitude des cœurs. En ce printemps que la terre n’en finissait pas d’accoucher, le bleu tendre de mes ciels intérieurs s’illumina doucement, en prenant son temps.
Peu m’importait maintenant qu’il plût, tonne et vente!
Je retrouvais le pays du grand beau…
Il paraît que les Saints sont de Glace en ce début mai? Du Beaujolais aux terres Oriennes, en croisant les Roches jumelles au passage de Fuissé, ils seront carrément coagulants.
L’Auberge de Clochemerle, au creux de Vaux en Beaujolais est un havre de finesse et de bon goût. Delphine est en salle. Longue comme un bambou blond, sans jamais trop en faire, elle ne vous reçoit pas, mais vous accueille. Les nids fleuris qu’elle vous propose (Gentiane, Camélia, Orchidée…) sont de vraies plumes de tourterelles qui vous poussent à roucouler. En cuisine, avec son air d’ado pas fini, Romain Barthe (une homonymie pareille ne peut que vous rendre subtil…) est à l’assiette ce que Chopin est à Beethoven. Faites lui confiance, il vous promènera les papilles le long de ses secrets. Cela s’appelle le menu «Plaisir». Voyage inventif, dont chaque étape vous dévoile un peu de ses arcanes. Tout y est finesse, grâce et subtilité. Aux antipodes de la barquette pour cosmonaute et/ou des luxes gustatifs habituellement révérés, vous finirez – oubliant (mais pas vraiment..) les charmes de votre compagne – par fermer les yeux, bercés que vous serez, par la salsa des croquants, le tango des moelleux, la valse des soyeux, le «molto vivace» des épices, furtives et troublantes, qui mettront vos sens en lévitation. Pour revenir, sur la terre souvent trop ferme des additions massives, sachez que les prix vous renverront aux temps anciens d’avant l’Euro… Et que dire des vins qui promeuvent à prix doux, les plus beaux Crus du cru? Un Morgon «Javernières» 2008 de L.C Desvignes, à la chair conséquente, aux tannins veloutés et au glissant crémeux, se roulera avec finesse entre les plus délicates des textures qui n’en finiront plus de vous complaire. Lorsque vous regagnerez votre nid de plumes, au détour d’une fenêtre basse, en attendant mieux, les mamelons assoupis des collines avoisinantes vous souhaiteront bon repos.
Après une petite halte froide et pluvieuse à Fuissé, le pèlerinage se poursuit en Côtes de Beaune. Saint Romain, haut perché au pied de ses falaises, vous accueille. Plus précisément, c’est à laMaison d’Hôtes de la Corgetteque vous prenez vos quartiers de presque hiver. Impressionnante la maison, aux chambres perchées comme des refuges au plus haut d’escaliers, dans le dédale desquels, les enfants que nous fûmes, auraient aimé avoir pu jouer. Véronique double-nom, presque sosie de Sharon Stone, règne en douceur sur les lieux et surtout – et cela est de haute importance – sur les petits déjeuners gourmands…
L’heure est aux replis, tant le temps ne veut pas. Pluie et froidure. Les Saints qui sont aux seins ce que l’esprit est à la chair, sont proches de l’apostasie! La Bourgogne a ceci de spirituel, qu’elle vous offre ses caves, sombres comme des cryptes anciennes et plus nombreuses que raisins sur vieux ceps bellement conduits. Quoique enténébrées, elles vous illuminent le cervelet, tant l’accueil qu’elles vous réservent… le plus souvent, est discrètement chaleureux. Vous n’en abuserez pas, parce vos moyens sont à la mesure du temps des pèlerins pauvres et que les vins par ici, quoi qu’on en dise, ne sont pas ordinairement bradés. Alors vous en visitez deux, parce que ceux qui y élaborent leurs élixirs, qu’ils fassent Œuvre au blanc ou au Rouge, sont de vrais Alchimistes, toujours insatisfaits, en quête perpétuelle de leurs limites, de leur «Vin Philosophal». Cette improbable perfection, qu’au delà de leur humanité ordinaire, inconsciemment, ils recherchent. Ils ne sont que le «Chemin», sans jamais savoir, ce faisant, qu’ils œuvrent à leur propre évolution, plus spirituelle qu’il n’y peut paraître. Souvenez vous que la Bourgogne des origines, de Cluny à Citeaux, est terre de moine, au creux de laquelle la matière vise à retrouver le «Spiritu»!
Passé Chagny, vous côtoyez les merveilles…
Vous longerez, timides, les murets de pierres sèches du Montrachet, vous passerez Puligny la pâle aux murs d’ambre. Droit, presque tout droit, vous entrerez à Meursault dont les façades parlent d’opulence. Vous enfilerez la rue de la Velle, «la génisse qui veut?» pour vous parquer en douceur – à droite toutes – dans la courette étroite du Domaine Buisson Charles. Là, Michel, au sourire et à l’œil pétillants, au verbe mesuré et aux gestes lourds du poids discret des affections sans chichis, surgira de nulle part,. Puis Catherine, toute en courbes onctueuses, vous sourira du bout des doigts. Enfin Patrick, Essa voix grave, vous dira peu mais bon – l’œil bavard – ce que sa retenue peine à exprimer. Non pas qu’il ne sache – il sait le bougrot – mais parce que sa parcimonie sans affectation, donne aux mots le poids qu’il faut. Sans que vous n’ayez rien vu venir, vous vous retrouverez entre verre et pipette, à faire la ronde des fûts. Le nez, la bouche et l’âme, au cœur des 2009 en élevage. Moment à plein temps, hors du temps. Rire et gravité, comme une métaphore de la Vie. Sûr que ce millésime, qui se met en place à son rythme, ce vrai rythme que nos empressements futiles ont oublié, sera beau. Toutes les cuvées du générique aux «Santenots», ronds et pleins de la chair des fruits mûrs des Juins à venir, auraient plu à Tchekhov! La brochette Murisaltienne – des (très) «Vieilles Vignes» au «Charmes», en passant le long des «Tessons», «Cras», «Bouchères», «Goutte d’or» – vous enlace en finesse, sans jamais chercher à vous séduire, façon «regarde voir comme je suis belle et bonne »! Vous retrouvez alors ce que Beaune et sa Côte peuvent donner de finesse de tension et d’équilibre, de richesse contenue aussi. Vous vous sentirez plus proche de l’ostensoir que de l’ostentatoire…
Les caisses au coffre, vous repartez…
Cette année, vous ne dépasserez pas Beaune, car elle vous a convié ce soir aux Caves de l’Abbaye dont les pilastres anciens s’enroulent autour de vous. François, Pascal et Aurélien, Maud aussi, que vous ne connaissiez ni d’Ève ni d’ailleurs, vous y ont invité. La Toile a voulu que leurs chemins croisent le votre. Ne résistez jamais aux surprises du Destin, vous passeriez à côté des essentiels, que nos futilités aveugles ne perçoivent que trop rarement. Vins prestigieux de vignerons nouveaux et assiettes de bons produits régionaux battent la mesure des échanges qui se bousculent, au portillon de nos curiosités mutuellement avides. Le Charivari Tohu-bohuesque d’une cohorte d’Américains en goguette, n’empêchera pas la bulle rose des amitiés naissantes de palpiter. Au cœur des agitations, comme un silence qui bat – soie fragile – comme un c(h)oeur unique. Comme une poudre chatoyante d’écailles de papillon sur les doigts d’un vieil enfant surpris…
Pas plus tard que le lendemain.
La pluie froide, compagne indéfectiblement fidèle du séjour, continue à vous clouer (à toute chose malheur est bon!) sous l’édredon. Il faut bien que vous vous en extirpiez pour gagner, l’après-midi avançant, Chassagne-Montrachet. Le Thibault Morey du Domaine Morey-Coffinet vous y attend. Ce sont des retrouvailles, que ce taiseux de Thibault vous offre avec délicatesse. Vous vous perdrez pour mieux vous retrouver dans les cryptes anciennes des caves du douzième siècle. Le long des impressionnantes rangées de fûts, pleins des jus en élevage de presque toutes les parcelles essentielles de Chassagne, vous écarquillerez vos mirettes de buveur halluciné, lorsque la faible clarté des lieux vous fera deviner – plus que lire – les noms des «Caillerets», «Dents de Chien», «En Remilly», «La Romanée», «Blanchots-Dessus», «Les Farendes», «Les Pucelles», «Bâtard Montrachet», en blanc et «Morgeot», «Clos Saint Jean», en rouge. Tout 2009 est là qui ronronne en silence sous les douelles. Alors vous aurez droit à la pipette infernale, celle qui enchante, qui ravit, qui comble, vos voeux les plus fous…
Oh oui, comme vous aimez que Bourgogne la Blanche vous emmène sur les chemins escarpés de l’équilibre. Qu’elle vous caresse l’échine du fil élégant de sa lame. De surcroît, vous rêvez que les fleurs d’acacia, d’iris, de tilleuls, vous puissent chatouiller les naseaux. Que vous avez exigeants et taillés fins. Qu’outre le nez, vous ne détestez pas que la chair mûre de la pêche blanche, voire le brugnon pâle ou encore la mangue et/ou l’ananas – mais en soupçons – vous tapissent sensuellement la chambre des plaisirs oraux. Qu’après cela, vous adorez aussi, que les épices fines, du côté de la menthe, du gingembre, de la réglisse (mais subtile et pure) et du poivre, blanc comme la craie sous la pente, s’allongent longuement, langoureusement, au-delà de la fameuse finale, dans votre gorge énamourée.
Mais Bourgogne la Rouge vous trouble tout autant. Du «Clos Saint Jean» au «Morgeot» vous voyagez dans les ondes rubis, des jus des plus frais des pinots. Vous passez du Yin délicat du Clos, qui célèbre la Burlat, au Yang plus sombre de la cerise noire du Morgeot, dont les jeunes tannins fougueux, vous mordent un peu les gencives.
Alors, pour sûr, vous vous dites, pantelants, que vous avez bien fait de pousser la porte de la caverne d’Ali-Thibault-Baba!
Le retour aux réalités quotidiennes, l’inévitable retour au bercail, vous surprend la veille du matin du départ…Mais vous avez eu bonne fortune sur ces terres bénies et vous n’y pouvez mais! Alors…
Et moi tout comme vous…
Le ciel vous accompagne, chargé des nuages sombres de vos regrets. Quelques éclaircies, subreptices, vous disent, que les cliquetis célestes qui vous font croire un instant que Lionel s’agite au fond de votre coffre – au passage des dos d’âne qui sécurisent les villages que vous traversez – vous parlent des petits trésors, qui illumineront, au fil des mois à venir, vos soirées ordinaires. Sur l’asphalte figé- mouillé qui vous précède, comme la vie que vous n’en finissez pas d’avaler, les reflets multiples des bohneurs récents, vous parlent déjà des joies et des épreuves qui vous guettent encore.