C’EST VENDREDI ET LE VIN SERAIT MEDECIN DE L’ AMOUR?
Yoshitaka Amano. Yose.
Foutre de Diafoirus, soyons donc de parti-pris, voire de mauvaise foi.
«Le Vin, médecin de l’Amour»? Mais quelle idée!
Est-ce à dire qu’il faille boire pour oublier?
Soit, qu’il faille s’imbiber pour fêter?
La litanie douloureuse, de tous les breuvages qui ont adouci ma gorge, alors que mon cœur d’artichaut venait d’être vendangé, pigé, foulé, par les piétinements délicats des donzelles cruelles de mes jeunes années, aurait suffit à donner aux moines de Solesmes, de quoi pleurer en Grégorien pour l’éternité. En boucle, les Derviches du Couvent de PERİŞAN BABA, auraient pu toupiller de longues incantations, comme une «scansio» à l’infini. Leurs longues robes ondulantes auraient aimer tournoyer, rafraîchir mon chagrin moite, éventer mon front brûlant. Les Soufis aériens, en extase, m’auraient épargné ces libations sans fin, dans lesquelles tombent trop souvent ces cœurs martyrisés, mal égrappés, qui sont à l’amour du vin, ce que la médecine est à la subtilité de l’âme.
Pour autant qu’il m’en souvienne, peu m’importait que le jus soit d’ «Amoureuses» issu, ou de «Vide Bourses» exsudé… Quand le manque de la délicate me taraudait le coeur et me rongeait les chairs, le plus mauvais des verdagons faisait l’affaire. L’acidité du jinglet, conjuguée à l’aigreur de l’affliction, m’arrachait, même les larmes que je n’avais plus. Alors «Saint Amour» ou pas, je m’en battais les…pampres! Illusion du piccolo en rasades, dont je me gavais… croyant m’anesthésier.
Seth a jeté Osiris au Nil. Isis, sidérée, le pleure. Croyez vous qu’elle se soit jetée sur les jarres du Fayoum, pleines de vins forts, pour soigner son âme en détresse? Hébétée, rassasiée, elle n’eût pu courir le long des berges du fleuve et retrouver son amant, son frère, sa moitié d’âme, à Byblos, en plein Liban.
Non, le Temps est, seul, médecin de l’Amour. Inexorablement il apaise ou décuple. Au mieux le vin, aussi délectable soit-il, peut, faute de pire, accompagner l’extinction des petits feux ordinaires dont se gorgent nos sociétés du paraître…
Mais que cela ne m’empêche pas de célébrer les souvenirs flamboyants de celles qui, parfois, m’ont comblé. Que cela ne m’éloigne pas des douceurs réitérées dans lesquelles m’enroule – depuis que l’âge m’a gagné autant que j’ai gagné sur lui – celle dont le nom m’est plus doux que la robe frissonnante de la pouliche fragile, celle qui a trouvé la clef, celle qui m’emporte au delà des portes de l’Olympe!
Satyre apaisé, je chevauche la grâce.
Avec ELLE, mon ultime palindrome, ma ravissante qui me ravit.
Et le vin, Nectar des Dieux – enfin ceux qui le méritent – célèbre à chaque occasion, les noces toujours recommencées de ce miracle inespéré. À deux, encore à deux, toujours à deux, nous trouverons dans l’humeur changeante des vins en devenir, la force de conjurer le temps. Au dessus de nos verres humides, nos yeux le sont aussi…
Alors au lieu de le soigner, l’Amour – comme s’il était malade, souffreteux, anémié, exsangue, moribond!!! – m’en vais le bichonner, le faire reluire comme un sou neuf, le caresser comme un nouveau né, ne pas en croire mon coeur, lui baiser les pieds qu’il a mignons, lui parler à voix basse, pleurer ces larmes paisibles que le mystère appelle, lui faire sa fête, à chaque seconde, à chaque bouteille, rire, jouer, chanter, roucouler, me rouler dans l’herbe et dans les plumes.
En un mot comme en mille Romanée Conti, vibrer, délirer, jubiler –Mozart, à l’aide! – crier, hurler, EXULTER!
Alors je quitte sans regret les souvenirs anciens des amours mortes, que jamais les vins n’ont pu remplacer, et pour fêter l’Amour vivant qui aime l’unisson d’avec la dive, c’est un Valençay blanc 2007 d’André Fouassier que je choisis de sacrifier. Le bel amour se repait de simplicité
Quand la galette de froment sort du four, ça sent bon, c’est la fouace. Vous y avez incorporé olives, noix, amandes, tomates, fromage…ce que vous voulez. Et c’est beau, c’est doré, épais ce qu’il faut, ça craque et ça fond dans la bouche, ça vous graisse un peu les doigts. La bonne excuse pour les lécher…
André Fouassier, c’est d’abord cette analogie improbable, pour moi. Je sais, c’est idiot, ça ne tient pas la route de la logique toute puissante. Tant pire! Rien de tel qu’une approximation – souvent, mais pas toujours – pour faire une belle rencontre. Le hasard, cette notion vague à laquelle le scientifique fait appel quand il ne sait pas, «fait bien les choses». Vive les contre-allées, les chemins de traverse, les virages et les hommes inutiles, les rebelles ordinaires, les allumés silencieux, les vaches qui pètent dans les prés, les bois morts que la mer rejette, les pessimistes joyeux, les enculeurs de mouche, le lichen au nord des arbres, les écureuils camés et Jim Morrisson.
Le regard qui embrasse…
La robe est pâle comme l’Ophélie de Rimbaud, cadavre exquis dérivant au gré des courants. Littéraires surtout. Quelques reflets verts la moirent…elle flotte depuis longtemps!
«Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles …
On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.»
L’odorat qui suppute…
Ça ne pue pas le sauvignon et c’est beaucoup!
Ce nez de vin est une bombe olfactive. Comme si surgissait du passé, l’arrière boutique d’une vieille boulangerie, à l’heure où la fouace, longuement pétrie, sort du four, et méle son parfum brûlant, aux souvenirs odorants des croissants du matin et des crêmes au beurre de la veille. Ça embaume les épices patissières, les fruits jaunes bien mûrs, la banane, la badiane et la réglisse …
Le baiser de la chair du vin…
En bouche, ça ne donne pas dans la demi-mesure. La matière est riche, puissante, pelote de fruits jaunes – toujours – et exotiques, grasse d’une réglisse anisée. Un vin qui ne passe pas sans rien dire, qui vous enchante les muqueuses comme la plus rousse des sorcières le ferait d’un coeur à l’abandon… Une acidité bienvenue perce le gras du vin, équilibrant l’ensemble, qui sans cela, se serait écroulé dans le sucre.
La finale qui tue…
La chair du vin charme et s’attarde. Puissante et souple, elle fait sa «pneumatique», Georges Orwell dixit. La crème de fruits gourmands, comme un soleil finissant, met un milliard d’années à s’éteindre. La réglisse, longuement épicée, lui succède et explose sur mes papilles ravies, que la cannelle apaise. Puis la tension du vin subiste, seule comme une lame de Tolède en Suède et s’étire, ainsi qu’un ressort libéré, pour me laisser une bouche, propre, à l’égal d’un silex sous la pluie.
Sur une compoté d’abricots tièdes, ou à l’apéro.
Et peut-être…
Juste avant ou juste après…
Encore que, pendant?