Littinéraires viniques » Leroy

LA BISE DE LALOU…

 Cranach l’Ancien. Portrait.

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 Eurêka, le Fillon nouveau est de retour, sans nous jamais avoir lâché la grappe.

Son sourire radieux de bon petit soldat chafouin s’affiche largement, tandis que le Borloo, répudié comme une matrone en perte de sex-appeal, retourne aux vendanges juteuses que lui promet son futur cabinet d’avocat de grasses affaires. Les médias, en haleine et en nage – brasse coulée et suées froides – depuis des jours et des nuits, respirent et étalent grassement, à grandes cuillères généreuses, le résultat de cette belle révolution gouvernementale qui assure de beaux lendemains, gras et radieux, à ceux que les lendemains n’angoissent pas. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes gras possibles. Pauvre vieux Voltaire ringard! Le temps, décidément est au gras de cochon. Au Beaujolais nouveau aussi, qui arrose largement les comptoirs hexagonaux, en cette sacro-sainte mi-novembre. Perdus dans les torrents acides de vins insipides, quelques rares hectolitres de vins friands, issus de raisins choyés, désaltéreront les gosiers malins de quelques «privilégiés» qui auront la chance de les croiser, au détour de quelques rades incertains derrière lesquels officient cavistes ou patrons illuminés. Ils ont noms peu connus : Molière (!), Ducroux, Burgaud, Bauchet…, et autres petits Poucets qui ne sont ni Charolais inondeurs de marchés, ni branchouillards aseptisés, standardisés, japoniaisés, mondialisés, émasculés…

Mais seuls les fleuves pollués des bojos GD coulent jusqu’à moi, hélas. Point de jus joyeux, tendres, goûteux et frais, à me mettre le palais en dentelles. Le Roland du Jura, futé entre les futés, les a encavés dans son antre inexpugnable, pour se les déguster matoisement, le finaud!

Alors, me reste la robe somptueuse de cette beauté nue liquide, de chair douce habillée, qui palpite, limpide, or rutilant, dans mon verre solitaire…

Ouverte depuis quelques heures, délesté d’un demi verre pourtant, cette Chassagne-Montrachet 1998 du domaine Leroy, à l’image de la dame de légende qui l’a élevée, ne se donne pas d’emblée. Pas du genre à minauder au premier regard l’ingénue. Une fausse pudeur sans doute… Mais, quand elle consent à s’entrouvrir, c’est un “pet de lapin” qu’envoie sa seigneurie! Du réduit, du placard, le renard de mémé oublié au grenier. On parle, on cause, on fait celui qui n’a rien senti, mais l’œil de côté ne quitte pas le verre, dont l’or luit insolemment, comme le regard d’une femme sûre de sa vénusté. J’ose, un peu plus tard, y remettre le nez, discrètement inquiet.

Et dire que je la couve l’orpheline, que je l’attends, la caresse de l’œil et du cœur, depuis presque cent ans! Pourvu qu’elle ne me fasse pas honte cette mijaurée, cette impératrice insolente et dorée, moi qui l’offrait à des amis très chers, bien plus que le prix scandaleux de la belle capricieuse…

Du beurre frais – Ouff – et de la bonne brioche tiède, me chatouillent agréablement l’appendice. L’air désinvolte, du genre “curé qui sort d’un bar à putes”, je repose le verre et fait mine de m’intéresser vivement à la conversation. Je multiplie les mimiques, les froncements divers et variés des sourcils, les plissements élégants du nez, les grimaces outrancières de la bouche… Mais le regard inquiet que me lance ma très douce absente, me calme, avant que d’autres ne remarquent les gouttes de sueur qui perlent à mon front buriné. Je tremble intérieurement et brûle de retourner à mon verre. Un dernier ricanement stupide, et je coupe le son. j’y re-suis! Le bruit des mandibules qui écrasent les petites mignardises tièdes, les machins et les trucs, tous les amuse-papilles, les mini brochettes sur lesquelles s’empalent les petites choses mortes ordinaires, et d’autres horreurs encore, ne m’atteint pas. C’est muré, mieux, emmuré que je suis, totalement autiste et dédaigneux de tous et de tout. J’ai le nez tout au fond du corsage de Mlle Chassagne et ça envoie! Acacia en fleur et en miel, citron confit, cire, silex chaud, cacao, garrigue, Maury, en vrac et en couleur…. Avec un air de circonstance – l’œil qui frise et le sourire faux – je refais surface. La tête me tourne un peu, j’ai du rester en apnée un moment. Allons-y, trinquons donc, à nos femmes, à nos chevaux et à ceux, les veinards, qui… Ça détend un peu l’atmosphère, mais très moyennement. C’est ce que je préfère, la grosse “faute de goût” volontaire, faite exprès. Il y en un qui se marre, un ancien artilleur, les autres grésillent poliment. Au moins une chose réussie ce soir me dis-je in petto. Tiens, voilà du zan maintenant, ça évolue gentiment, ça n’arrête plus. Youpie!

Mais revenons à l’objet de toutes mes attentions et de toutes mes craintes. Ouahhh, la grosse boule en bouche, ovoïde purée onctueuse de fruits jaunes mûrs, dans un papier de soie et de dentelle tressées. Le gras qu’il faut, la fraîcheur, l’équilibre, ça ne faiblit pas tout du long du gosier, ça lève la queue en fin de bouche, tout ce que j’aime. Marmelade de fruits jaunes, pâte de coing, “Mon Chéri” (les cerises à l’eau de vie). Très longue finale, interminablement tendre et bonne, fraîche, veloutée, sur une très fine impression tannique, qui laisse en bouche, caresse ultime, une mémoire subtile de pierre, de réglisse, d’épices et de poivre blanc.

Dans cette pénombre de velours gris, que percent à peine les lumières douces des ampoules en basse tension, comme mon cœur qui bat la chamade, discrète, d’un amour à jamais, qui me serre la gorge entre ses serres crochues.

Autour de moi, des humains babillent.

 

ELAMOTROUTICOILLENE.

LE ROY RICHARD COEUR DE LION *…

Le Douanier Rousseau. Le repas du lion.

 Octobre 2002. De mémoire, vers le douze.

Pause méritée pendant les vendanges chez Joguet.

Toute une journée à me reposer quadriceps, ischio jambiers, trapèzes, grands droits et quelques autres, qu’une bonne semaine a passablement meurtris. Oui, il me faut vous dire amis du vin, qu’avant que vous ne dégustiez dans vos bars métropolitains les produits de la vigne, des milliers de fourmis anonymes connaissent les joies de la torture faiblement rémunérée. Non pas dans les rangs des armées démocratiques, qui défendent la liberté de pomper du pétrole et autres matières premières juteuses sur tous les continents (surtout celui où les autochtones ne sont pas blancs de peau), mais dans (ou plutôt entre) les rangs des vignes de France et d’ailleurs. Ceci dit, il me faut bémoliser. Certains rangs sont aussi productifs – je parle pas d’hectos à l’hectare quoique… – que les meilleurs derricks…

Bon, c’est dit.

Or donc, en ce jour de repos qui n’était pas Chabbat, je m’en allais baguenaudant, flâner plus au nord en Anjou. Derrière l’os arrière de la tête, en cet endroit obscur où siège la conscience sourde – vous savez ce lieu stratégique qui voit naître tout ce qui devrait nous arrêter illico. Ce lieu des importances souvent vitales que l’on refuse d’éclairer, parce que la fausse «vraie» vie nous emporte loin des rivages du sens, de l’être et du pourquoi – hé bien en cet endroit précis, le désir d’Anjou me grattait. A bord de «Maquatrerouesmobiles», qui n’était vraiment pas fille Germanique de «joie» publicitaire, je m’en allais, passant des crêtes douces ourlées de vignes, aux bords de la Vienne puis à ceux de la Loire, par un de ces chemins d’alors que le GPS dernier pondu just now, serait incapable de prévoir. Oui, au gré de ma fantaisie presque inconsciente, je roulais. Mon maître était au volant, ce maître que nul ne connaît, mais qui vous emmène en des lieux magiques – si vous avez l’humilité (pas très tendance, je sais), de lâcher votre putain de bride. Alors là! Bon voyage assuré au téméraire…

C’est comme ça sans plan pré-établi que, sur le coup des onze heures, après avoir halté au Château du Hureau puis chez Jean Noël Legrand et quelqu’ autres bons faiseurs, je me retrouvais pedibus cum jambis (latin de cuisine…), à déambuler dans les rues étroites d’un des multiples trous du cul du monde, un de ces rectums dont la France (Dieu soit loué, mais ça risque d’être cher) a le secret. Pour être précis et tout dire, j’étais à Rablay sur Layon. Sans savoir qu’y faire…Tu parles d’un menteur! C’est à ce moment là très précisément (vers onze heures et trente et une minutes), qu’un rayon de lumière d’une étrange pureté, jaillit d’entre les nuages aussi lourds qu’automnaux ce matin là, pour me frapper en plein Sahasrara. Dans ces cas là, assez courants d’ailleurs (!), il n’y a rien à faire. Avec un peu de bol, faut espérer que ça ne vous foute pas en branle Koundalini, parce que là c’est l’explosion implosante du petit bourge amateur assurée… Rompu aux études théosophiques et régulièrement initié par les plus secrètes des Écoles de Sagesse, ce genre de rayon, je maîtrise… Il n’empêche que ma conscience fut immédiatement dé-sourdée. La nano seconde d’après, je sonnais à une porte que rien ne distinguait des autres.

L’illumination du roi des chakras venait de m’envoyer chez Le Roy Richard.

Deux points d’interrogation m’accueillirent. Deux yeux clairs parfaitement calmes, comme dénués d’affect. Je me vis remuer la queue et me tordre la colonne, pour le coup plus mouvante que vertébrale, comme un chien, qui fait son dominé pour avoir une caresse. J’envoyais une purée de mots d’excuses, maladroite et convenue. Le gars ne broncha pas, ne cilla pas et m’offrit de franchir le pas de sa porte. Pas un expansif le Richard. J’expliquais en m’embrouillant les muqueuses, qu’entre deux semaines de hottage chez Joguet, j’avais été pris de l’envie de goûter un peu de ses vins. L’allusion lourde à mes travaux de Romain d’occasion, fit son effet sans qu’il y paraisse. Il me convia à m’assoir dans son salon. Sa femme charmante me donna des sourires, de ces sourires sincères que les femmes savent faire… Nous conversâmes un moment. Richard s’enflamma doucement. Debout au milieu de la pièce claire il me suffit d’une question pour le faire démarrer calmement. Il avait un phrasé sérieux de coureur de fond. Une parole lente, claire, modeste, précise. J’appris ainsi qu’un groupe de Belges devait arriver. Il me proposa de me joindre à eux.

Harnachés comme des pros, les cuissards collants à leurs cuisses puissantes de cyclistes habitués à lutter contre le vent du nord, les Belgicos arrivèrent. Rien de mieux qu’une troupe de joyeux Outre-Quiévrains pour faire monter la mousse. D’un naturel aussi «confondant» que les vins branchés encensés par les critiques qui ont le droit de parler, les Wallons, plus levurés que la meilleure des houblonnées, initièrent cette «amitié» immédiate que seuls les bons vivants savent proposer à ceux dont le cœur bat encore. Moi qui passais alors, comme tous les frontaliers, le plus clair de mes weekends en Belgique, je me retrouvais presque chez moi, joyeusement. Le petit garage, plein à ras bord de tonneaux soigneusement alignés, eut du mal à enfourner la troupe. Nous ne fîmes que le traverser, car Richard, le cœur en bandoulière, nous emmenait aux vignes. Le téton de Montbenaut, sur lequel se battaient quelques vignes basses à peine chargées de deux ou trois grappes par cep, m’est resté en mémoire. Plantées dans la roche, les vignes se tordaient sans rire, grimaçaient et peinaient à pomper, au profond du sol, leur pitance. Quelques ares de lambrusques chétives, qu’entouraient d’autres parcelles, plantées de lianes hautes aux larges feuilles vert céladon, vigoureuses et charnues, lourdes de grappes peu mûres, donnaient à l’arrondi de la colline, des allures de moinillon fraîchement tonsuré. Plus tard, je compris que ces petits raisins miséreux exsudaient à terme, des jus d’une élégance, pour le coup, vraiment confondante! Plus le temps passait, plus Richard se déplissait. Le «pot Belge» faisait son effet….

De retour à Rablay (ça ne s’invente pas), le casse croûte était prêt. Un combat violent, intense, fraternel,entre la mangeaille généreusement déployée, et les bouteilles de toutes régions, qui n’en finissaient pas de se succéder, commença. Richard était maintenant complétement déployé, et son humour froid, auquel répondait la faconde tendre de ses hôtes, était à l’instant, ce que dans le vin, la fraîcheur est à la richesse. Un moment d’équilibre, de plénitude, de bien-être.

«Bliss» total!

Vous dire ce qui dévala la pente de nos gosiers gourmands, m’est impossible. À mémoire infaillible nul n’est tenu. Mais il me souvient que notre hôte ne fut pas avare de vins d’exceptions… L’après midi était bien entamée,et moi aussi,lorsque je me décidai à reprendre la route des «hasards» bienheureux. Je me dois de dire,pour les gendarmes qui me liraient (je m’la pète!), qu’après quelques hectomètres comateux, je fis une pause au somment d’un cotal (singulier de coteaux), histoire de laisser à mon foie le temps de distiller les gentils breuvages dont je m’étais ravi la glotte, peu avant de tomber en catalepsie,sur le bord du chemin, ombragé à souhait,que longeaient de paisibles vignes anonymes. Régénéré par un somme aussi profond que ronflant,je repris le chemin, laissant à ma fantaisie retrouvée le soin de me ramener au bercail.

Dans le coffre de mon tas de tôles, ondulées comme je l’étais encore un peu, brinqueballaient une douzaine des 2001 de Richard roi de cœur…

Elles se sont reposées presque dix ans, bien à l’abri des soiffards amicaux,qui régulièrement me pillent. Aujourd’hui,le souvenir vif de cette journée vibrante, à mon cœur défendant, me fait tendre la main vers un «Clos des Rouliers» 2001. Le temps aura t-il fait son œuvre de sagesse??? Vous le saurez ci-dessous…

Le bleu franc de l’étiquette,est toujours aussi surprenant. Le bouchon qui ne résiste pas à ma poigne décidée, cède avec un petit bruit prometteur et humide. Mi grosse et lourde, la bouteille au col effilé,dont coule, plutôt grasse dans le verre ventru, une aqua que je n’espère pas simplex, me livre son trésor liquide. La robe,ou plutôt le cafetan, tant les reflets d’or vert,reflètent puissamment,la lumière crue de ce printemps balbutiant, roule, glisse et s’accroche comme un surfeur des neiges,aux parois du verre. Le vin semble liqueur de soleil. Dans ses plis épais l’astre diffracte.

Je m’y plonge, le regard en dedans sous mes paupières closes. Et je m’en vais profond, rencontrant au passage les parfums de sucre tendre de la dragée du communiant, les notes fruitées de l’angélique confite, la fragrance sèche de la réglisse brute,et le vol des odeurs de la ruche, cire tiède et propolis.

Ma bouche s’attend,à ce qu’une purée de fruits jaunes miellés l’envahisse. Que nenni! Du caillou, tendu, sec comme une lame du plus pur Tolède, me cisaille, le temps d’une surprise aigüe – de ces surprises qui vous font croire à l’infarctus prochain – la langue! Dans la foulée,c’est une matière grasse et onctueuse,qui enfle au palais, délivrant au passage,l’ineffable plaisir des fruits jaunes qu’un bel été a nourris… Moment de grâce subtile,où la puissance ne masque pas l’élégance essentielle de ce Chenin,transfiguré par la subtilité d’un élevage suprêmement abouti. Le vin gracieux s’étire infiniment,et me laisse au palais la trace pure de sa roche tranchante.

Grand silence assourdissant en bouche, pure joie au cœur!

Jamais je ne fus ainsi, aussi parfaitement, dévoré par un lion…

*    M’en étant aperçu après coup, je rends au virtuose de l’Olif-ant, la paternité de ce titre, que je lui emprunte néanmoins…

ETRANSMOFITIGURÉECONE.