Littinéraires viniques » Clos des Rouliers

QU’ELLE EST BONNE LA MARTINE…

Jan Steen. La mangeuse d’huîtres.

 Saint Jean des Monts sur Côte Vendéenne, en ce début Novembre 2010 de la fin du monde. Sur les 250 kilomètres qui séparent Cognac de cette Chouannerie, nombre d’Arches de Noé tentent de se construire, régulièrement démontées par les bouffades enragées d’un vent tempétueux. Agrippé comme Agrippine au poignard de Néron, soudé au volant comme huître à son rocher, les quadriceps en fusion et les bras noués, je cherche mon chemin de paradis, entre les vagues hurlantes des eaux, catapultées d’un ciel en sinistrôse profonde, par un Éole frénétique. Au bout de l’enfer liquide, le sourire chaleureux d’un homme à La Pipette curieuse qui en vaut quatre, accoudé, du bout de son sourire barbu, au bar de bois nature d’un caviste fêlé, qui règne démocratiquement sur son Carlina de Chai. Il fait bon vivre, rire et boire entre les murs de ce lieu convivial, beaucoup moins foutraque qu’il n’y semble au premier abord. Plus un espace libre sur les murs, que tapissent à la va-comme-j’te-pousse, les souvenirs sur planche de caisse des hôtes de passage, la collection de boites de sardines du patron, des dessins d’enfant, des bouteilles vides en groupes ou en pagaille, les cailloux du Petit Poucet semés par-ci par-là, et foultitude de petites choses de toutes provenances…, un étrange foutoir surréaliste et chaleureux, qui vous console d’avoir bravé Zeus en bagarre, avec Neptune en furie.

Derrière le bar, en salle, à la cave, en cuisine, partout à la fois et en même temps, Philronlepatrippe semble mener une existence stroboscopique. Entre ses mains rapides, les bouchons volent comme abeilles de liège. Sur le bar, les bouteilles, serrées les unes contre les autres, orphelines craintives, se tiennent mutuellement frais, et suent par-dessus leur verre tant elles angoissent d’être vidées trop vite, ce qui définitivement les priveraient des longs regards amoureux, que leurs jettent la brochette mal cuite, de picoleux impatients accrochés au zinc.

La soirée, vouée aux méléagrines d’origines diverses, est – Novembre oblige – intitulée «14-10-huîtres»… Plus précisément douze variétés d’Ostrea sont proposées deux par deux, soit vingt quatre mollusques salés à téter, à slurper, à gober bruyamment, à ramasser, parfois lourdement chus sur le pantalon, comme glaviots glaireux. Bref, à déguster avec des mines de patte-pelu gourmand. Autour des reines du soir, beurres AOC, du doux au demi-sel, en passant par le délicieux beurre aux algues. Histoire de pousser les molasses au-delà du canal de la luette, douze vins différents de toutes régions, mais tous blancs of course (les Vendéens ne sont pas Parigots branchouilles qui assassinent ces pauvres bébêtes sans défense à grandes lampées de Bordeaux sévèrement douellés ), ont été choisis pour les exalter. Douze vins donc, parmi lesquels le «Clos des Rouliers» 2008 de Richard Leroy me séduit à nouveau, quand il envoûte de son Chenin longuement élégant, la chair pâmée de la «Prat ar Coum» Bretonne. Mais entre toutes ces belles offertes, c’est sans conteste pour l’Irlandaise, la «Muirgen» qui finit son élevage à Cancale, que sonnent les cornemuses de la victoire. Il vous faudrait la décoller délicatement de sa coquille, puis verser une giclée blonde du «Phénix» 2009 de Guy Bussière dans son écrin, enfin vous mettre le tout en bouche, pour comprendre combien la finesse, le croquant, la douceur, la longueur de la chair, fouettée par ce «modeste» Melon du Val de Saône, vous caresse longuement le palais. D’autres vins, dont nombre vouent un culte mérité à Demeter la Grecque agricole, réussissent leurs épousailles avec les bivalves. Le Muscadet 2009  “La Bohème” de Marc Pesnot, le Sancerre  2008 de Gérard Boulay envoient, pour l’un, au septième ciel, le sarcoplasme iodé de la «Vendée Nord Ouest pleine mer», pour le second, c’est le pied tendre de la «Utah Beach» Normande qui enfle de plaisir. Tout est là, jouissance et volupté en bouche…

Mais le temps s’écoule et la parenthèse se referme. Le bitume succède à la grève venteuse, le vent persiste mais les eaux restent au coeur des cieux lourds. Au platitudes bocagères Vendéennes succèdent les reliefs doux de la Saintonge, puis les plaines et coteaux de la Charente, jaunis ou rougis par les vignes, qu’enflamme encore l’automne. Céans, l’eau, abondament bue, me nettoie les cellules quelque peu engorgées par les jus blancs, les beurres et les corps croquants des belles de mer. Mais ce jour, après deux jours, me revient l’envie d’un tour en Macônnais, en Chardonnay gourmand. Là-bas, entre les roches célèbres qui se font face, non loin du Val Lamartinien, à Uchizy, un peu plus au nord le climat «La Martine». Un vin de poète? Peut-être, mais pas Lamartinien pour un sou…

La robe de La Martine est pâle, rehaussée d’ors lumineux.

Les parfums de Martine montent au nez, bien plus mûrs qu’elle. De son corsage, qui rebondit au rythme de sa course innocente, s’échappent en volutes chaudes, des odeurs de petits matins de pâtisserie, de paniers de fruits jaunes et dorés à l’étal d’un marché d’été, de bocaux de fruits confits, de boites de Calissons d’Aix. Un bâton de réglisse retient la cascade blonde de ses cheveux. Les fleurs des chèvrefeuilles s’écartent sur son passage et ajoutent à sa trace odorante… C’est un bonheur de la suivre du bout du nez.

La suite de ce Mâcon-Uchizy, en bouche, est plus délicate….Je ne m’y risquerais pas et dirais succinctement qu’elle est est à l’avenant, une gourmandise mais avec de la matière, un jus délicieux que tend et rehausse une finale délicieusement fraîche. Martine est un bonbon dodu que l’on aime à croquer, qui gicle sensuellement entre les dents, pour vous prendre langue et palais, de toutes ses rondeurs généreuses et fruitées. Les 2006 des “Bret Brothers” du Domaine de la Soufrandière sont, pour ceux que j’ai goûtés jusqu’à présent, la gloire d’un millésime bien maîtrisé.

Ce que qui précède est pure fiction, résultat d’une récente nuit trouée par une insomnie blafarde. Seuls sont réels les mollusques et les vins cités.

EFEMOTILEECONE.

LE ROY RICHARD COEUR DE LION *…

Le Douanier Rousseau. Le repas du lion.

 Octobre 2002. De mémoire, vers le douze.

Pause méritée pendant les vendanges chez Joguet.

Toute une journée à me reposer quadriceps, ischio jambiers, trapèzes, grands droits et quelques autres, qu’une bonne semaine a passablement meurtris. Oui, il me faut vous dire amis du vin, qu’avant que vous ne dégustiez dans vos bars métropolitains les produits de la vigne, des milliers de fourmis anonymes connaissent les joies de la torture faiblement rémunérée. Non pas dans les rangs des armées démocratiques, qui défendent la liberté de pomper du pétrole et autres matières premières juteuses sur tous les continents (surtout celui où les autochtones ne sont pas blancs de peau), mais dans (ou plutôt entre) les rangs des vignes de France et d’ailleurs. Ceci dit, il me faut bémoliser. Certains rangs sont aussi productifs – je parle pas d’hectos à l’hectare quoique… – que les meilleurs derricks…

Bon, c’est dit.

Or donc, en ce jour de repos qui n’était pas Chabbat, je m’en allais baguenaudant, flâner plus au nord en Anjou. Derrière l’os arrière de la tête, en cet endroit obscur où siège la conscience sourde – vous savez ce lieu stratégique qui voit naître tout ce qui devrait nous arrêter illico. Ce lieu des importances souvent vitales que l’on refuse d’éclairer, parce que la fausse «vraie» vie nous emporte loin des rivages du sens, de l’être et du pourquoi – hé bien en cet endroit précis, le désir d’Anjou me grattait. A bord de «Maquatrerouesmobiles», qui n’était vraiment pas fille Germanique de «joie» publicitaire, je m’en allais, passant des crêtes douces ourlées de vignes, aux bords de la Vienne puis à ceux de la Loire, par un de ces chemins d’alors que le GPS dernier pondu just now, serait incapable de prévoir. Oui, au gré de ma fantaisie presque inconsciente, je roulais. Mon maître était au volant, ce maître que nul ne connaît, mais qui vous emmène en des lieux magiques – si vous avez l’humilité (pas très tendance, je sais), de lâcher votre putain de bride. Alors là! Bon voyage assuré au téméraire…

C’est comme ça sans plan pré-établi que, sur le coup des onze heures, après avoir halté au Château du Hureau puis chez Jean Noël Legrand et quelqu’ autres bons faiseurs, je me retrouvais pedibus cum jambis (latin de cuisine…), à déambuler dans les rues étroites d’un des multiples trous du cul du monde, un de ces rectums dont la France (Dieu soit loué, mais ça risque d’être cher) a le secret. Pour être précis et tout dire, j’étais à Rablay sur Layon. Sans savoir qu’y faire…Tu parles d’un menteur! C’est à ce moment là très précisément (vers onze heures et trente et une minutes), qu’un rayon de lumière d’une étrange pureté, jaillit d’entre les nuages aussi lourds qu’automnaux ce matin là, pour me frapper en plein Sahasrara. Dans ces cas là, assez courants d’ailleurs (!), il n’y a rien à faire. Avec un peu de bol, faut espérer que ça ne vous foute pas en branle Koundalini, parce que là c’est l’explosion implosante du petit bourge amateur assurée… Rompu aux études théosophiques et régulièrement initié par les plus secrètes des Écoles de Sagesse, ce genre de rayon, je maîtrise… Il n’empêche que ma conscience fut immédiatement dé-sourdée. La nano seconde d’après, je sonnais à une porte que rien ne distinguait des autres.

L’illumination du roi des chakras venait de m’envoyer chez Le Roy Richard.

Deux points d’interrogation m’accueillirent. Deux yeux clairs parfaitement calmes, comme dénués d’affect. Je me vis remuer la queue et me tordre la colonne, pour le coup plus mouvante que vertébrale, comme un chien, qui fait son dominé pour avoir une caresse. J’envoyais une purée de mots d’excuses, maladroite et convenue. Le gars ne broncha pas, ne cilla pas et m’offrit de franchir le pas de sa porte. Pas un expansif le Richard. J’expliquais en m’embrouillant les muqueuses, qu’entre deux semaines de hottage chez Joguet, j’avais été pris de l’envie de goûter un peu de ses vins. L’allusion lourde à mes travaux de Romain d’occasion, fit son effet sans qu’il y paraisse. Il me convia à m’assoir dans son salon. Sa femme charmante me donna des sourires, de ces sourires sincères que les femmes savent faire… Nous conversâmes un moment. Richard s’enflamma doucement. Debout au milieu de la pièce claire il me suffit d’une question pour le faire démarrer calmement. Il avait un phrasé sérieux de coureur de fond. Une parole lente, claire, modeste, précise. J’appris ainsi qu’un groupe de Belges devait arriver. Il me proposa de me joindre à eux.

Harnachés comme des pros, les cuissards collants à leurs cuisses puissantes de cyclistes habitués à lutter contre le vent du nord, les Belgicos arrivèrent. Rien de mieux qu’une troupe de joyeux Outre-Quiévrains pour faire monter la mousse. D’un naturel aussi «confondant» que les vins branchés encensés par les critiques qui ont le droit de parler, les Wallons, plus levurés que la meilleure des houblonnées, initièrent cette «amitié» immédiate que seuls les bons vivants savent proposer à ceux dont le cœur bat encore. Moi qui passais alors, comme tous les frontaliers, le plus clair de mes weekends en Belgique, je me retrouvais presque chez moi, joyeusement. Le petit garage, plein à ras bord de tonneaux soigneusement alignés, eut du mal à enfourner la troupe. Nous ne fîmes que le traverser, car Richard, le cœur en bandoulière, nous emmenait aux vignes. Le téton de Montbenaut, sur lequel se battaient quelques vignes basses à peine chargées de deux ou trois grappes par cep, m’est resté en mémoire. Plantées dans la roche, les vignes se tordaient sans rire, grimaçaient et peinaient à pomper, au profond du sol, leur pitance. Quelques ares de lambrusques chétives, qu’entouraient d’autres parcelles, plantées de lianes hautes aux larges feuilles vert céladon, vigoureuses et charnues, lourdes de grappes peu mûres, donnaient à l’arrondi de la colline, des allures de moinillon fraîchement tonsuré. Plus tard, je compris que ces petits raisins miséreux exsudaient à terme, des jus d’une élégance, pour le coup, vraiment confondante! Plus le temps passait, plus Richard se déplissait. Le «pot Belge» faisait son effet….

De retour à Rablay (ça ne s’invente pas), le casse croûte était prêt. Un combat violent, intense, fraternel,entre la mangeaille généreusement déployée, et les bouteilles de toutes régions, qui n’en finissaient pas de se succéder, commença. Richard était maintenant complétement déployé, et son humour froid, auquel répondait la faconde tendre de ses hôtes, était à l’instant, ce que dans le vin, la fraîcheur est à la richesse. Un moment d’équilibre, de plénitude, de bien-être.

«Bliss» total!

Vous dire ce qui dévala la pente de nos gosiers gourmands, m’est impossible. À mémoire infaillible nul n’est tenu. Mais il me souvient que notre hôte ne fut pas avare de vins d’exceptions… L’après midi était bien entamée,et moi aussi,lorsque je me décidai à reprendre la route des «hasards» bienheureux. Je me dois de dire,pour les gendarmes qui me liraient (je m’la pète!), qu’après quelques hectomètres comateux, je fis une pause au somment d’un cotal (singulier de coteaux), histoire de laisser à mon foie le temps de distiller les gentils breuvages dont je m’étais ravi la glotte, peu avant de tomber en catalepsie,sur le bord du chemin, ombragé à souhait,que longeaient de paisibles vignes anonymes. Régénéré par un somme aussi profond que ronflant,je repris le chemin, laissant à ma fantaisie retrouvée le soin de me ramener au bercail.

Dans le coffre de mon tas de tôles, ondulées comme je l’étais encore un peu, brinqueballaient une douzaine des 2001 de Richard roi de cœur…

Elles se sont reposées presque dix ans, bien à l’abri des soiffards amicaux,qui régulièrement me pillent. Aujourd’hui,le souvenir vif de cette journée vibrante, à mon cœur défendant, me fait tendre la main vers un «Clos des Rouliers» 2001. Le temps aura t-il fait son œuvre de sagesse??? Vous le saurez ci-dessous…

Le bleu franc de l’étiquette,est toujours aussi surprenant. Le bouchon qui ne résiste pas à ma poigne décidée, cède avec un petit bruit prometteur et humide. Mi grosse et lourde, la bouteille au col effilé,dont coule, plutôt grasse dans le verre ventru, une aqua que je n’espère pas simplex, me livre son trésor liquide. La robe,ou plutôt le cafetan, tant les reflets d’or vert,reflètent puissamment,la lumière crue de ce printemps balbutiant, roule, glisse et s’accroche comme un surfeur des neiges,aux parois du verre. Le vin semble liqueur de soleil. Dans ses plis épais l’astre diffracte.

Je m’y plonge, le regard en dedans sous mes paupières closes. Et je m’en vais profond, rencontrant au passage les parfums de sucre tendre de la dragée du communiant, les notes fruitées de l’angélique confite, la fragrance sèche de la réglisse brute,et le vol des odeurs de la ruche, cire tiède et propolis.

Ma bouche s’attend,à ce qu’une purée de fruits jaunes miellés l’envahisse. Que nenni! Du caillou, tendu, sec comme une lame du plus pur Tolède, me cisaille, le temps d’une surprise aigüe – de ces surprises qui vous font croire à l’infarctus prochain – la langue! Dans la foulée,c’est une matière grasse et onctueuse,qui enfle au palais, délivrant au passage,l’ineffable plaisir des fruits jaunes qu’un bel été a nourris… Moment de grâce subtile,où la puissance ne masque pas l’élégance essentielle de ce Chenin,transfiguré par la subtilité d’un élevage suprêmement abouti. Le vin gracieux s’étire infiniment,et me laisse au palais la trace pure de sa roche tranchante.

Grand silence assourdissant en bouche, pure joie au cœur!

Jamais je ne fus ainsi, aussi parfaitement, dévoré par un lion…

*    M’en étant aperçu après coup, je rends au virtuose de l’Olif-ant, la paternité de ce titre, que je lui emprunte néanmoins…

ETRANSMOFITIGURÉECONE.