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BACH EN PÉTALES À BORDEAUX…

Francesco Tristano.

L’automne s’accroche et ne veut pas mourir. Ciel de safre tendre, clair et lumineux comme les yeux aux fossés de Saint Maur, azur qui flamboie du sourire chaud des femmes heureuses. Dimanche qui voit le citoyen, enfin reconnu, sortir du champ de la docilité, pour s’exprimer à sa guise, ou pas. « Primaires », ode à la liberté de choix, bien plus qu’à l’enjeu hexagonal. Je choisis donc je suis ?

Bach m’appelle.

Comment résister à ce « vieux » Maître dont l’Art traverse les temps, les modes et les affadissement de nos modernités clinquantes ? Ce que musique veut, jamais je ne résiste à ! Dans ma quatre roues non motrices, donc, j’enfile le ruban gris qui me sépare des quais Bordelais. Ça roule ma poule, au radar, l’esprit en vadrouille et le coeur à l’air, qui se protège de la passagère légère qui croise ses élans pour s’en aller comme papillon au vent. Le long des vignes déchargées de leurs fardeaux de jus, je baguenaude, pied au tapis; je me glisse le long des forêts que le rouge habille. Le temps de l’exil des énergies terrestres n’est pas loin. Elles refluent doucement. La mort de la vie végétale, en beauté ardente, sournoisement, se manifeste. Mais qui a dit que la mort se voulait noire? Non, en cet Automne tiède, la mort est belle éclatante, séduisante, qui se fait rouge. Ses assesseurs sont flavescences saturées, ocres d’Apt et cuivres patinés ! Dans un dernier souffle, les couleurs chantent et exultent, avant de succomber, exsangues, sous les glaces à venir… La mort sera synthèse noire des couleurs, quand le fuligineux térébrant aura repeint les branches souffrantes des arbres tordus, en habits d’hiver. Les pneus de la voiture bourdonnent sur le bitume, que d’ordinaire écrasent les longues chenilles processionnaires puantes des lourds tonnages. Ce dimanche, semi désert, il est méconnaissable. Le ruban semble chanter, comme jarretelles sur jolies jambes !

Le Duc de Richelieu l’a voulu, Bordeaux l’a eu son Grand Théâtre. Monumental le néo-classique de 1780 ! Puissance, harmonie, élégance et pureté. Une douzaine de colonnes corinthiennes en façade, au-dessus desquelles trois déesses et neuf muses, académiques à souhait, veillent dédaigneusement sur la place et son luxueux hôtel « Régent ». Ironie. Cet après midi, Eutorpe veillera sur la musique. Surpris je suis, au dedans, quand se dévoile un théâtre de poupée, restauré à l’identique, bleu, blanc et or, au parterre restreint, habillé de chaises étroites au confort spartiate. Plafond haut, balcons, loges et baignoires exiguës, comme bonbonnière de Diva.

J’y entre…

Dans le vestibule, ça sent l’ISF, l’Insoutenable Suffisance Financière. Y glissent peu à peu, de belles personnes, distinguées, sans trop d’afféterie. De grandes femmes aux silhouettes minces, atournées sans outrances, néo-classiques elles aussi, traversent à pas mesurés l’espace, sans faire sonner les dalles. A leurs bras délicats, des hommes, presque insipides, souvent plus petits qu’elles, étrangement ! La foule grossit. Apparaissent de jeunes âmes aussi, aux visages calmes, qui ajoutent, à l’impermanence des beautés que le temps traverse, l’énergie de leur jeunesse. Les voix feutrées disent la primauté de la musique à venir. Comme s’il fallait ménager l’air ambiant dédié à la musique, les êtres susurrent, modulent en mineur, et sourient mesurément… Comme un banc de daurades royales habituées à nager de concert, les mélomanes, sans hâte ni agacement, se coulent, en bruissant à peine, dans la salle. Au dessus des têtes délicatement coiffées, le grandiose lustre en cristal de Bohème éclaire la salle d’une lumière douce, que réverbèrent, comme des lumignons improvisés, quelques crânes dégarnis….

Sur la scène ouverte, un Steenway et quelques pupitres, attendent que la musique daigne. Francesco Tristano, silhouette mince de trentenaire enfantin, et longues jambes dégingandées, sourit, mains en prière, grand dans son costume clair, cheveux négligemment longs et bouclés, avec aux lèvres, comme une insolence légère, et du rire pétillant dans les yeux. Les partitions font bruits légers de papiers que les musiciens déplient. Violons, altos et contrebasse s’accordent au « La » du piano, dans une symphonie de sons, comme un petit avant goût des bonheurs en trilles et reprises, à venir… Le roseau frêle au piano, dirige d’un regard, d’un mouvement des lèvres, voire d’un doigt. Bach, revisité par le benjamin, résonne dans la salle, rajeuni, dépoussiéré des interprétations pesantes ordinaires. Tout n’est pas parfait, mais la musique est vivante, les musiciens sourient et ce n’est pas tous les jours, Monsieur, que dans ces milieux là…. Citron sur la meringue, le jeune musicien se lance, avec un naturel confondant – j’adooore ce truisme « fondant » et si… qui court les textes viniques – dans quelques improvisations jazzifiantes, véritables fleurs de Bach, dans la droite ligne de l’implacable beauté harmonique du maître. Ça swingue par moment jusqu’aux cintres ! Les deux heures du concert passent en accéléré, comme une vie entre deux battements de paupière de l’ange, qui sans doute, vortex invisible pour les yeux de chair, a plané, souriant, sur la scène…

Le retour est hors temps, je vole plus que ne roule. Les notes, en bouquets riches et fleuris, tournent encore dans ma tête. Le soleil bas rase les vignes qu’il habille de velours chaud, le ciel céruléen vibre déjà de la nuit qui s’annonce, s’accrochant encore à la lumière du soleil mourant. Ce soir la malemort est rouge, toujours. Brûlante, flamboyante, hypnotique, elle a déjà séduit ceux qui passeront ce soir.

Seule la musique de Bach la défie, qui a dompté le temps…

Dans mon verre qu’irise les nitescences dorées de la lumière factice, sous le halo de ma lampe, le vin luit doucement. Le milieu de la nuit palpite du silence des coeurs endormis. Je suis seul, paisible mais joyeux, et veux honorer Bach, prolonger ce petit bonheur précieux du jour tout juste passé. Et boire la musique du vin rosit par l’âge, qui m’attend. Célèbrer en silence, communier, remercier, réunir, ne faire qu’un avec le monde de la beauté et des sens exaltés.

Je suis le corybante qui danse au son du vin…

« Les genévriers » 2001 de La Réméjeanne sont en grenat majeur, dont les années ont à peine rosi les baies. La robe, quasi ecclésiastique, absorbe la lumière qui la fait moirer, tandis qu’elle tourne dans le cristal, comme une valse de Strauss. La nuit, souvent, les robes grésillent de plaisir, au pied des lits agités… En trilles odorantes, le vin caresse mes narines curieuses, de ses fragrances fruitées de prunes noires, de mûres en gelée et d’épices douces, de cuir et de garrigue, que relèvent à point nommé, quelques volutes furtives de poivre et de cade mêlés.

Le vin, dont l’âge a heureusement arrondi les angles, coule en bouche, comme une boule de ce bonheur goûteux, que le sort malicieux mets parfois sur la route de celui qui ne l’attend pas… La matière, conséquente et fluide à la fois, fait la roue, libérant ses flots fruités, que sa réglisse puissante enrobe. Tout au long du cérémoniel, le vin libère ses petits tannins fins et mûrs, qui tapissent le palais de leur poudre délicate et fraîche. Après l’avalée, le jus ne faiblit pas pour autant, et les traces délicatement salines qu’il laisse aux lèvres, sont la signature de terres marquées, sans doute, par le calcaire ?

Le silence de la nuit éclate alors des souvenirs conjugués de Bach l’aérien, et de l’empreinte joyeuse de ces « Genévriers » Allegro Assaï … !

Dans le verre vide, prune et mûres en compote, papotent…

EMOPÂTOMÉECINONE.

LE CHAT DE MA VOISINE…

Mon avenante voisine….

Le souvenir d’un 1976 complétement passé, acqueux, éteint comme le regard de chat de ma très accorte voisine, quand elle voit un pauvre ratounet de passage échapper à ses griffes avides, me traverse l’esprit régulièrement, et me pollue insidieusement depuis lors. Il me faut à tout prix chasser ce souvenir malheureux de ma mémoire, pour le remplacer par la gentille annonce selon laquelle – enfin, il était grand temps – je ne serai bientôt plus soumis au joug insupportable du très injuste et ruineux ISF! Et merci, à Rita la très Sainte patronne des causes désespérées d’avoir inspiré nos hommes d’en haut. Enfin, ce grossier Bouclier vulgaire est livré aux fours actifs de la Fonderie Administrative Nationale, et son métal en fusion va disparaître dans les arcanes subtiles de la fiscalité discrète, ainsi il pourra poursuivre son oeuvre de salubrité, plus finement, noyé dans la masse, mais tout aussi efficacement.

Ce soir je vais enfin pouvoir dormir sur mes lingots en fusion…

Alors, histoire de fêter ça…

Au prix d’un violent effort, bandant au maximum les quelques forces qui parfois m’animent encore, ressassant en un Mantra désespéré “Je suis un Nietzschéen, un combattant de l’Être, un Yoda en perpétuel devenir”, j’ouvre la porte de ma cave et dans un mouvement convulsif, j’arrache d’une des nombreuses piles de flacons hors de prix qui la garnissent, un “Champans” 1976 de J.Voillot

Fier comme un Winemaker seul dans son chai rénové, juste après que le dernier raisin du millésime 2010 a commencé à chantonner dans les cuves, chatouillé par une légion de levures indigènes en provenance assurée (?) de la vigne, du chai ou du chat vicelard de la voisinel (va savoir, il paraît que ça pullule ces bestioles, un peu comme la vérole sur le Bas-Clergé, sauf que ça n’abime pas les encensoirs…). Enfin bon, j’ouvre la bouteille avec des précautions de premier ministre fraîchement reconduit, expliquant au bon peuple les joies multiples qui l’attendent, s’il n’est pas riche.

Sûr que ce n’est pas une robe d’Évêque que celle de cette vieillasse, pas plus que d’un Cardinal cacochyme d’ailleurs, mais plutôt celle d’un Enfant de Coeur pauvre, qui aurait connu de longues et nombreuses lessives à la soude (la robe pas le gamin…quoique les curés…). Sous la lumière artificielle du monde moderne, le vin brille d’un grenat-rubis évolué qui se perd dans le rose, l’orangé, délavé comme le regard d’un amateur de New Bojo, à l’aube du 18 novembre, quand enfin, ouvre la porte de son caviste…

Il va bien falloir y aller me dis-je in petto (Dieu que j’aime cet in-petto!), tremblant, inquiet, concentré comme le chat de ma très courtoise voisine quand elle le caresse en se léchant les babines, qu’elle a roses et humides. Ouf, ça sent bon la vieille (non!!!) pivoine, la fleur, fanée comme mes souvenirs, la rose transie dans le tiroir d’un grenier.

Là c’est bon, tu te calmes, tu respires et t’en rajoutes pas!!! C’est du vin qu’il te faut parler et pas de tes acrobaties aériennes!!! Et arrête d’embêter tes camarades d’école!!!

Oui, d’accord, je reprends….

De petits fruits rouges aussi, de la soupe de légumes – il est complexe le vieux – des épices douces, le cuir du cartable racorni du vieil écolier, du champignon qui se fraie un chemin entre les feuilles humides d’un automne installé. Un vieux bonheur odorant, qui resurgit du fin fond de mon histoire.

Le bruit assourdissant de ceux qui lisent ce texte et se disent, agacés, “P….n, il en fait des tonnes, encore plus que d’ordinaire le vieux schnoque” me parvient. Oui les grincheux, il me parvient, avec vos noms, vos adresses vos numéros de Comptes en Banques gavés des bénéfices honteux accumulés (Puisez dans vos souvenirs Mes Seigneurs). Ben oui les gars, une momie, même fatiguée par les tourments de la vie, ça a des chemins dans les tuyaux de la toile que le commun (très!) des moineaux, n’a pas.

Alors pas de critiques acerbes ou croates, parce que sinon….

Ah la bouche… Une attaque aussi franche que fraîche, comme une douceur agressive, une matière patinée, glissante comme les BL’s au sortir d’une sérieuse dégustation en pays Beaunois. En vrac, en foule, dans un désordre apparent, les fruits, le cuir et moultes autres nobles finesses, s’enroulent voluptueusement (comme le chat mouillé de la voisine dans son panier) autour de ma langue complice. Tout est douceur, subtilité complexe, dentelle, taffetas dans ce vin, d’une finesse… (là je ne vois pas à qui ou quoi comparer si ce n’est peut-être à la langue du meilleur Molière ou à une gavotte de Bach??). La finale (enfin ça se termine, soupirent les lecteurs pressés…) est dans la droite ligne, douce mais fraîche comme une caresse. Elle monte, très lentement, en puissance, pour délivrer d’ultimes notes de groseille, de menthe bleue qu’égaient quelques tanins, polis comme le matou de la voisine – top tendance le margay à poils ras – quand il a bu….

Pendant ce temps là, le chat de ma voisine, lové dans le couffin du bébé qu’elle n’a pas eu, ronronne…

 

ERASMOSETIRECONEENEE.