Littinéraires viniques » Gamay

LA VIGNE, LES CERISES ET L’OISEAU DE PARADIS…

Nikko Kali. Petit oiseau de Paradis.

J’ai cherché partout et longtemps. Dans la famille les Moulins à Vent de Janin 2006, j’ai trouvé «Le Domaine du Tremblay» et «Le Clos» du même nom. Point de «Terre du Tremblay»!!!

Alors, quelle est donc cette «Terre Mystérieuse», que le hasard des rencontres en bouteilles, a déposé sur l’autel usé, constellé des ronds rouges et noirs de tous mes voyages mysti-viniques??? La jolie main fine et aimée, qui caresse, trop rarement à mon goût, le silence de ma vie, a déposé sous mes yeux six flacons de ce vin. Les ailes de ce Moulin à vent, ont tourné lentement, séchant, avant qu’elle ne bourgeonne, la larme chaude qui perlait, scintillante, sous ma paupière. Déjà, j’étais heureux. Il va sans dire, que le commentaire de ce vin, qui suivra, quelque part, au creux de ma divagation en marche, ne sera pas vraiment objectif.

Dans la salle, d’or et de rouge tendue, le murmure des voix féminines est sans équivoque. Aucune fausse note, ne vient troubler ces cœurs unanimes. Aux alentours, les mâles fatigués dont je suis, ne peuvent qu’acquiescer en silence. Loin et si proches pourtant, Farinelli et Carestini qui ont fait chavirer bien des cœurs, jubilent et se disent dans le silence de l’entre deux, qu’il doit être bienheureux ce garçon, qui n’a pas eu à subir les douleurs physiques et les blessures de l’âme, qu’ils ont endurées. Dans le secret de son alcôve, il va et les venge. Chacun de ses bonheurs, est le leur.

Nichés au creux du poulailler, comme suspendus aux cimes du théâtre, les bras des quelques enfants perdus au milieu des adultes révérencieux, s’accrochent aux balustrades dorées. Ils ont le regard flou, égaré, absent. Il boivent la transparence fragile, de cette voix, si proche d’eux, qui les magnifie. Le grand lustre de cristal de bohème frissonne, et palpite de tous ses feux. Le bâtiment tout entier respire à l’unisson. Les corps assis des humains, alignés le long des rangées rouges, semblent abandonnés par la vie. Dans le temps suspendu à la voix de l’éphèbe, planent les âmes mêlées, qui ont quitté leurs enveloppes de chair. Elles forment un égrégore de lumière, qui palpite, et que personne ne perçoit. Seul le cristal vibre doucement. Il est de ces moments, rares et précieux, où dans l’ignorance du subtil qui les dépasse et les conduit tout à la fois, les hommes se dépouillent, s’extraient de la pesanteur ordinaire, et communient en pleine beauté.

Nous sommes à l’opéra Vanessa, ici le poulailler est Paradis.

Vagabondages, sauts incroyables, que permet la pleine liberté de l’esprit. Entre Philippe Jaroussky qui chante l’Aria d’Alceste du Termodonte de Vivaldi, l’Ariodante d’Haendel, là-bas, si loin bientôt, entre l’opéra de Bordeaux et cette bouteille, l’espace est aboli. A ma guise, je passe de l’un à l’autre et je pleure ces larmes rares, que la beauté me tire. L’imagination est ma liberté. Tout est possible, aussi je veux les unir en ce lieu intime, que les plus ardents Diafoirus ne soupçonnent même pas, tandis qu’ils continuent, imperturbables, à scruter les mystères de l’atome, à bord de leurs canons.

Mais voici que vient la cerise sous le nez. Le vin l’exhale, puissamment. Rouge sang de taureau fourbu, fraîche, juteuse, elle est de celles qui vous marquent les lèvres, pour mieux vous trahir. Sous le couvert fragile de mes yeux fermés, elles roulent en grappes, au milieu des fleurs. Effrayé, le lièvre qui avait, espiègle, remué son cul odorant sous mon nez, s’en est allé. De la robe d’un beau grenat sombre, une de ces robes, qui emprisonnent la lumière et qui rayonnent de l’intérieur, montent et s’unissent, en vagues successives, le parfum de la pivoine piquetée de rosée, en ce petit matin intemporel, et la poignée de grosses cerises, dont la peau tendue, rouge sang de veine, peine à cacher, dans la chair débordante, un jus sucré odorant. La réglisse et le noyau enfin.

Les lèvres violettes des petites filles, les cerises en boucles d’oreilles, qui jouent à l’ombre du figuier. «On dirait que t’es le monsieur qui chante comme un oiseau rouge, que t’as des yeux beaux et que moi je suis un oiseau aussi et que tu l’aimes…et que…».

Jeux de l’enfance qui s’étirent toute une vie.

En bouche, le jus attaque fraîchement, roule et s’étale. Puis, le flux de la marée de plaisir se fige. Au sortir de la cerise réglissée, la verdeur des tannins nappe la bouche d’un voile astringent, qui serre les muqueuses. La fraîcheur se fait acide et le miracle s’interrompt. C’est un abîme, plutôt qu’une finale, qui sidère la gorge en attente. Un vin, comme amputé. Une cuvée d’entrée de gamme sans doute, qui ne tient pas ses promesses. La vie…

L’ange qui habite la voix, lui, tient la note.

 

EMOJAROUSSKYTICONE.

What do you want to do ?

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ACHILLE ET LE COMBAT DES OMBRES …

Daniel Tramer. bassethoundDaniel Tramer. Bassethound.

 

Ils rentrèrent au pas de charge …

Olive courait presque. Lui l’agité perpétuel, capable d’extrêmes folies, qui n’avait pas hésité lors d’une de ses phases délirantes à semer la panique aux Halles de Paris jusqu’à ameuter les forces de police après qu’il a explosé plusieurs vitrines, poursuivi qu’il était par une meute d’agents secrets imaginaires et féroces, oui, lui ne mouftait pas et trottinait derrière ACHILLE comme un loulou de Poméranie derrière un dogue.

Fatigué par la longue marche de l’après midi, Achille s’endormit le soir venu plus serein que Mao Zedong au bord de la rivière aux sables d’or. Armé des deux aiguilles de sa montre il combattit toute la nuit une araignée noire aux mandibules puissantes qui le poursuivait sans relâche. Fourbu, épuisé, au bord de la reddition, sur le somment venteux d’une haute montagne perdue dans une brume épaisse, les pieds crispés sur le bord d’une falaise abrupte, il ferrailla une dernière fois, frappant désespérément le monstre, en vain, ses aiguilles tordues, émoussées, restèrent impuissantes à percer l’épaisse carapace velue de l’aranéide. D’un dernier revers de patte la bête le fit basculer dans les abîmes. Le vent glacial sifflait à ses oreilles, il tombait sans fin, épouvanté, les bras agités, se vidant de ses humeurs, les dents serrées à se briser. Le dernier hurlement qu’il poussa le réveilla. Le corps tendu par l’épouvante il se retrouva sur le sol de sa chambre qui le réveilla en arrêtant net sa descente aux enfers. Sous la poussée du vent qui s’était levé sa fenêtre mal fermée claquait. L’air s’engouffrait dans la pièce faisant voler aux quatre coins les dessins en cours et autres feuilles de papier entassées sur son bureau. Le froid glacial de cette nuit de janvier le réveilla tout à fait et la sueur aigre qui l’enveloppait de son seconde couenne poisseuse gelait presque sur sa peau. Étrangement il n’avait pas froid, bien au contraire il bouillait, le sang courait dans ses veines comme une bouillon en ébullition. L’araignée, pattes écartées, crochées dans son cortex tendre, vomissait ses habituelles imprécations. Achille saisit sa montre qui phosphorait à son chevet. Les aiguilles intactes marquaient quatre heures pile. Une grande vague de rage monta de ses entrailles, l’inonda tout entier, frappa l’araignée dont les vociférations se turent noyées par l’onde puissante qui la submergeait. Sa peau se rétracta, la sueur disparut, il poussa le cri du gladiateur vainqueur du tauride et se redressa à demi nu. Envahi par la colère, rouge du sang pulsé par son cœur déchaîné, il se rua, muscles de bois dur, courut comme un aveugle jusqu’à la chambre de Sophie dont la porte fermée à clef résonna sous ses poings. La pièce était vide, ça sonnait creux mais elle ne s’ouvrit pas. Sa tension retomba, il regagna hébété sa chambre sans se rebiffer, escorté par les cerbères en panique qui étaient accourus …

Allongé sur son lit les yeux grands ouverts il revécut sa journée. Olive, le chemin, le centre commercial, l’altercation, son intervention efficace, la prise de conscience, la volte face sur le chemin, la montre, le retour et la force qu’il lui semblait avoir retrouvée. Cette force qu’il ne dominait pas. Et cela l’effrayait. Il se mit à pleurer à grosses larmes irisées sous la lune qui grisait la pièce, des billes chaudes et grasses qui roulaient le long de ses joues, glissaient dans son cou, salant au passage la commissure de ses lèvres. Comme si des lustres de souffrances oubliées remontaient du fond de sa vie si longtemps étouffées, niées, retenues, écrasées. Se pourrait-il qu’il soit au fond de la piscine prêt à donner du talon pour enfin remonter ?

Le lendemain il fit irruption dans le bureau de Marie-Madeleine qui tenta en vain de le renvoyer. Lui parler, lui faire une demande, répétait-il sans cesse, n’écoutant pas son refus de l’entendre, là de suite sans rendez-vous. Elle était seule gribouiller des formiulaires qui pouvaient bien attendre un peu, geignait-il l’oeil humide et les lèvres tremblantes. Elle était ce jour-là rayonnante, toute de chairs gonflées, dans une robe de soie légère. Une brioche au sortir du four. Un paysage tout en rondeurs, une peau de lait, des lignes souples, élégantes, des courbes parfaites et des abîmes vertigineux à mettre en ébullition l’imagination des pires psychotiques. Mais ce matin là Achille était insensible à ces merveilles, il ne percevait plus la beauté de cette femme aux cheveux étincelants ! Il était dans l’urgence, il avait peur d’une rechute qu’il sentait imminente, plus profonde encore s’il ne parvenait pas à s’expliquer.

C’est alors, quand il ne s’y attendait plus qu’elle céda …

Achille se vida de ses eaux noires. C’était comme un torrent boueux à la fonte des neiges qui inondait la pièce de sa terre grasse et de ses roches aiguës. La psy le regardait, interloquée. Un long moment après que le gave a charrié son flot tumultueux et qu’Achille, prostré sur sa chaise, tête basse et mains nouées, s’est tu, Marie-Madeleine, sidérée, n’a toujours rien dit. Plus pâle encore qu’à l’habitude, elle a les yeux creusés, cernés de mauve et sur sa gorge découverte des plages marbrées de rose et de veines bleues. Le silence succède au vent furieux, longuement. Un silence épais. Quand Achille relève la tête, derrière le brouillard qui voile un peu yeux verts de l’Irlandaise au visage pétrifié, elle le regard mouillé de douceur et d’émotion. Alors il relève la tête pour y planter le sien.

Le lendemain on lui présenta madame Landonne qui lui propose de le recevoir deux fois par semaine. «Landonne» ! Avec un nom pareil, le nom d’une grande côte rôtie, comment dire non ? Achille accepta sans discuter. En sortant du local des infirmières il riait en douce et remerciait le sort d’avoir tant d’humour.

Achille le ratiboisé, seul dans le silence mouillé de cette nuit de pluie battante, emmitouflé dans une robe de chambre rouge qui le réchauffe, se marre silencieusement, le regard fixé sur le nom de cette cuvée de Morgon 2011 du Domaine Jean-Marc Burgaud : « Les Charmes » ! Le gros œil immobile dont l’or flamboie au centre du vin sous le rayon dardant de la lampe peine à en percer le grenat profond bordé de rose intense. Les arômes montent jusqu’à lui sans qu’il ait besoin d’y plonger le renifloir. C’est un bouquet de fruits rouges, complexe et déjà fondu qui l’a renvoyé au temps des sortilèges. Du lac parfumé, la cerise mûre émerge, si juteuse qu’il lui semble déjà la croquer et sentir sur sa langue creusée, gicler sa chair sucrée. Hasard, sort, destinée, coïncidence, Dieu ou l’un de ses anges du bout de son aile plumée l’a renvoyé à sa douleur. Achille rit encore à se mouiller les yeux. L’humour sous toutes ses couleurs, de la plus tendre à la plus fuligineuse serait-il la preuve de l’existence de Dieu ? La cerise dans sa robe d’épices douces est si présente dans le verre qu’il en oublie le coup de pouce du démiurge. Ce n’est certes pas une Landonne de pure syrah qui s’ouvre sous son nez mais ce gamay dans l’enfance suffit à le combler tant il a le nez joyeux. Sur la pointe de sa langue, le jus crémeux, que perce déjà la fraîcheur, roule jusqu’au creux de sa langue pour s’épanouir pleinement et donner à goûter sa matière pleine et tendre. La chair abondante de la cerise, que les épices enrobent et relèvent, à nouveau le ravit. Et la cuve a élevé son enfant de belle manière. Un enfant mutin, fils des grappes portées par de vieux ceps de quatre vingt trois ans ! Dans sa bouche le jus joue à la marelle, s’ébroue, s’ouvre et n’en finit pas de se vider de son fruit ! Passé l’uvule le vin le réchauffe, non sans lui laisser longuement au palais la fraîcheur épicée que portent ses tannins soyeux.

Dans la nuit

Que rincent les ondées

Achille bouboule …

 

 

EBRASMOSSÉETICONE.

VIGNERONS DES TERRES SECRÈTES.

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Mâcon « Milly-Lamartine » 2010.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?… »

 Âmes secrètes, qui prenez les chemins détournés que la raison ignore, buvez donc de ce vin de plaisir, il charmera vos ailes dépliées, quand par les espaces obscurs vous cherchez vos sœurs éparpillées.

Or donc Mâcon, terres de calcaires arides, que la chaleur des étés inonde, qui portent les raisins des vignes de Gamay. Terres de Milly, secrètes, que le poète à chantées. Lamartine que les anges n’effrayaient pas.

Et ce vin qui ondoie, pur rubis clair, brillant que moire le ciel qui s’y reflète, lâche au nez épaté qui s’y plonge, les fragrances mûres de la merise croquante, de la groseille fragile, et des épices douces. Comme la main aimée qui court sur mon bras. Ouvrez large vos gueuloirs, amants des jus de fraîcheur, qui aimez à vous désaltérer d’un vin coquin qui agace les papilles, dont la chair souple, comme la peau ductile de la belle éloignée, charme vos âmes recroquevillées.

Au Zénith, le soleil obscur des intuitions fatales brûle les scories d’un hiver finissant. Dans le verre qui me regarde, je vous offre les charmes purs de ce vin qui ne ment pas. Et le voilà qui joue, sous mes narines gourmandes, le plaisir qu’il s’apprête à me donner. Aux plaisirs simples, je m’adonne, quand il glisse et joue avec ma langue incurvée. Il roule et s’enroule comme un serpent charmant, s’ébroue, enfle puis éclate, inonde ma bouche de fruits humides, d’épices, juteux du bonheur espéré.

Alors, tandis qu’au loin la belle se pâme sous l’aiguillon souple de son courageux bien-aimé, solitaire je me repais des tannins enrobés, plus fins que les bas qui enserrent le haut des cuisses des nymphes énamourées. Dans ma bouche conquise, comme la caresse d’un organsin, le vin défunt qui réchauffe mes os, me parle de la craie qui l’a porté.

 Enfin je lève mon verre vide, plein des arômes subtils d’un matin au jardin, là-bas, très loin, proche des Hespérides. Au couchant les nymphes reposent, et je souris.

JEAN MARC BURGAUD. RÉGNIÉ. « Vallières » 2011.

Sans titre 1

Mais que vient faire Madame de la Vallière en Beaujolais ?

 Mais rien. Du tout. Simple homonymie, ou presque. Mais je suis suis favorable au mariage pour tous, et particulièrement celui des homonymes, lesquels pour n’avoir pas le même sens, n’en sont pas moins pourtant proches … Rire discret.

 RÉGNIÉ, la plus jeune appellation de cette région souvent décriée, à faire de forts volumes de sauces insipides pour Japonais au bain, a vu le jour en 1988. Dernier cru de Beaujolais en date, enfin, il me semble.

 Jean Marc Burgaud, un vigneron qui fait de très bons vins, un des meilleurs de cette région des collines tendres.

Juste reçue, et déjà la bouteille a ploppé, après deux jours courts de repos. Dans le grand verre, le jus s’étale et ne semble pas s’étonner d’être ainsi versé dans un cinq étoiles, lui, pâle cousin de Gamay des nobles Pinots de Bourgogne, bien autrement révérés. Le roturier s’étale, fait la planche qu’il n’a pourtant pas connue lui, comme un pauvre Spartiate élevé dans une simple cuve.

Ceci posé, je regarde la jupe du vin, brillante de tout son grenat profond, proche des plus beaux zinzolins, finement gansée de carné au ras du disque. Déjà le plaisir monte, le premier sens est ravi. Le temps est venu d’y aller du blair. Enfin le mien qui est loin d’être « Libéral », tant la cupidité sans âme qui capte les profits et mutualise les pertes, m’est insupportable.

Mais il s’égare le “sale vieux”, direz-vous, et vous n’aurez pas tort sans pour autant avoir raison, puisque le vin se vend, s’achète et qu’il est parfois objet de spéculations acharnées … !

Alors il est temps d’inspirer franchement. Des fruits, des fruits, des fruits rouges, mûrs et éclatants, d’une très pure définition, framboise, cassis et groseille, me caressent l’appendice. Et bellement tant, que la salive monte en bouche. Bouche qui tremble un peu, pressée qu’elle est d’y mettre les lèvres.

La main a monté le verre, le jus frais a coulé, l’avaloir l’a reçu. Et le palais tressaille sous le toucher très doux de ce jus de Gamay. Une caresse de vin qui fait sourire le coeur, quand le jus enfle et roule en bouche son panier de fruits goûteux. Puis déborde, explose sous la poussée du fruit, que la fraîcheur de la groseille allonge tout du long, comme un chat qui se réveille (d’aucuns parlent de tension …). Même les papilles s’y mettent et frissonnent jusqu’aux poils des bras. Rires. Puis le vin bascule, la luette passée. Les fruits s’attardent en bouche, longuement, puis laissent place à la craie qui signe les tannins fins et enrobés. Et ceux-ci de me dire à l’oreille, avant de me quitter, que ce vin de plaisir gourmand peut encore voir venir.

Un vin qui frétille en bouche, bien vivant, n’en déplaise aux gardiens du temple des breuvages de pleine nature.

ACHILLE ET LE CHEVAL FOU …

Natacha … von Teese.

 

Ce soir Achille a le bourdon …

Paris ce soir est noir. Même les illuminations excessives – magie factice pourtant – ne peuvent l’éclairer. C’est que … c’est le Paris d’Achille (sic). Nul ne peut voir sans ses yeux. Et ce soir l’âme d’Achille est sombre. Pour d’autres, au même instant, qu’il croise en foules agglutinées, Paris est rose de tendresse, éblouissant, rouge de plaisir, multiple, multiforme, changeant. Paris n’existe pas. Achille traîne, ses pieds sont lourds de fatigue, suants, il fait chaud dans les rues, sur les boulevards ; sous les jupes légères des filles rieuses aussi.

Mais Achille ne voit rien, il est « inside » dans le fond du puits de ses craintes, la glu de ses terreurs. Comme un escargot par forte chaleur. Le spectre de l’échec lui caresse les reins. Il a beau faire tous les efforts du monde, se battre pour se dégager de ces tentacules visqueux qui lui paralysent la cervelle, il n’y parvient pas. Alors il marche d’un pas de métronome, au hasard Balthazar. En ce 13 Juillet 1969, le temps est changeant, morose, incertain. Grand soleil et ondées orageuses se succèdent. Mais ce soir il fait lourd, moite, collant, on dirait que même le ciel angoisse. La pluie s’est arrêtée, les rues se sont vidées, c’est l’heure des transhumances. Sous le sol qu’il foule à grandes enjambées mécaniques, Achille sent la vie qui vibre sous le bitume luisant. Les termites en jupes et pantalons, besogneuses et flapies, courent, parfaitement dressées, dans l’alignement des galeries sans fin. Il frémit. Les lourdes ondes, noires de la suie des violences retenues, des frustrations accumulées, des haines masquées, sourdent du sol et le polluent. Non ! Pas ce soir, il lui faut se protéger, il a besoin de toutes ses forces claires et intactes demain aux aurores. D’instinct il grimpe sur les trottoirs et marche comme un équilibriste sur les blocs de granit imputrescible qui les bordent. La pierre épaisse le protège se dit-il, mieux qu’un bouclier d’airain ne le ferait. L’image de Spartacus lui traverse l’esprit, impromptue. Musculeux et suant le gladiateur esquive les coups, le bronze qui le préserve résonne et ce son mat le transcende ; son glaive court taille les chairs, vide les ventres, fend les crânes. Le sang chaud gicle et le recouvre à longs jets gras. La rage de survivre le porte et l’enivre, plus que le vin capiteux dont il se désaltérera après le combat. Car il est sûr de vaincre. La force de Spartacus court dans les veine du jeune homme, une bouffée de chaleur brûlante lui met sueur étrange au front. Achille hurle en silence ! Demain, il va les décaper, les étonner, les enchanter, tous ces barbons qui le regarderont, l’air ennuyé et la lippe méprisante, ces nœuds papillons, ces garants de l’orthodoxie universitaire. Ils l’attendent ces badernes vicieuses mais l’ectoplasme de Spartacus est en lui, il sera rebelle, charismatique et tempétueux. Insolent, provoquant, il tordra les concepts, jonglera avec la rhétorique, osera des folies, les fera blêmir, rosir, il les mettra dans sa pogne de velours violente !

Achille a passé l’Étoile depuis un moment, il descend les Champs-Élysées qui l’éblouissent et le tirent de sa torpeur. Inconsciemment il sait qu’il doit puiser dans les forces de la terre du ciel et de ses intuitions réunies l’énergie dont il aura besoin au petit matin. Trop de ces artifices de lumière lui nuisent, il en a l’intuition. Très vite il prend à droite l’Avenue Georges V. La station de Métro vomit un long jet sombre de termites à demi aveugles, au juste instant où il échappe à la dangerosité de ces champs frelatés, pas très verts. Ah, « La Leçon », il a beau calquer ses pensées sur ses pas, scruter le sol, compter les pierres, activer la pensée magique qui lui dit « Allez, cinq pas d’ici à la prochaine fissure dans le sol et le ciel pourvoira … », il a beau implorer la fleur chétive qui s’arrache du goudron à ras mur, visualiser un cône de lumière dorée qui le barde et le protège, rien n’y fait ! Il a beau envoyer tout l’amour dont il est capable aux silhouettes anonymes qu’il croise pour attirer la compassion des anges (!), non, milliards de non, les griffes bleues de la peur ricanante sont plus fortes que toutes ces fantasmagories et lui excorient la chair et l’esprit avec délectation. Alors il marche, marche et trace pour fuir ces anticipations funestes. Comme à son habitude il n’a pas bossé beaucoup, il a survolé les œuvres et les ouvrages critiques d’un œil rapide, plus rêveur que hardeur, se fiant à son sens de l’improvisation, à son à-propos, à l’aide d’Hermès et aux vents subtils de l’esprit.

Devant lui une coulée de lave figée tremble au sol comme un mirage citadin. Le macadam réverbère une lumière rouge, crue, acide, dont un néon serti dans une façade inonde la rue. Des silhouettes sans visages s’enfoncent dans le mur comme des âmes en peine dans l’Antre du Diable. Achille plisse les yeux, surpris. Sous verre, près de l’entrée, des photos de jolies filles dénudées, sans la vulgarité glauque des boites de strip-tease prennent des poses languides sous des jeux de lumière colorée. Des femmes très belles mais désincarnées, réduites à la plus simple expression de leurs formes sans défauts, soumises aux loi de la symétrie froide, corps pâles et parfaits. Des apparences de femmes, sans chaleur, sans odeur, sans la chair ductile des femelles d’amour, sans les torrents de pleurs retenus qui les rendent émouvantes. Entre les reflets changeants qui moirent le panneau de verre froid, une surface de papier glacé – image insolite – attire son attention juste alors qu’il s’apprête à poursuivre son échappée incertaine. Perdu dans une ombre épaisse, un visage aux lèvres rouges, fines mais incroyablement charnues à la fois, émerge d’une touffe de cheveux noirs en broussaille agités par un coup de vent. Sous l’eau céladon vibrante de ces deux grandissimes yeux liquides, il perçoit furtivement un abîme de ténèbres épaisses, peuplées d’algues serpentines inquiétantes qui ondoient lentement comme les fantômes sidérant d’une vie au passé douloureux. Ce visage le happe d’une seule goulée. Son angoisse laisse instantanément place au désir irrésistible de retrouver cette apparition qu’il sent déjà vivre en lui.

Oubliant ses inquiétudes, Achille franchit le pas …

Le « Crazy Horse Saloon », n’était encore qu’une petite salle. Un grand bar auquel s’accrochaient, verres en main, une grappe de noctambules silencieux, faisait face à la scène au rideau fermé. Dans la pièce vieillotte, au devant du bar, quelques tables rondes nappées, entourées de chaises kitsch. Couples, trios et quarterons, devisaient à voix basse. Leurs voix feutrées se mélangeaient aux notes cuivrées d’un saxo en sourdine. Les tableaux se succédaient qui laissaient Achille impavide, sourd aux applaudissements nourris. Brochettes de corps vernis aux acrobaties millimétrées vêtus de projections psychédéliques sur dessous chics et seins calibrés. Numéros mélaminés, longues jambes gainées et sourires figés, dans l’ombre ménagée, glissaient comme d’improbables beautés glacées. Sophisticated Ladies …

Plusieurs fois il tenta de s’arracher au sortilège qu’il pressentait, mais voltant très vite, hébété, pour revenir dans l’antre entre tables et zinc, le cœur dilaté à la rupture, sans savoir ni pouvoir. C’était comme une gueuze de fonte qui lui dévorait les reins. Ces yeux étranges, liquides, toujours au bord de se vider, insondables, translucides, tendres et confusément perfides à la fois, il voulait éprouver leur fulgurance, tester en frissonnant leur charme ; c’était un besoin incoercible qu’il ne comprenait pas, une attirance délétère et inexplicable.

Le rideau retomba, l’éclairage décrut jusqu’à ce que ce soit noir absolu. Épais à ne pas voir le bout de ses yeux. La musique jazzy qui avait accompagné les tableaux précédents s’éteignit peu à peu. Montait lentement le battement sourd des tambours mêlé aux raucités des fauves. Tapis dans le velours luisant. Dessiné ligne à ligne par l’éclairage rasant. Divan de jais pelucheux sur fond charbonneux. Le son profond des tambours hallucinés envoûtait les spectateurs attentifs que l’attente exaltait. Entre les battements mats des tam-tam se glissaient le souffle chaud des buffles affolés, le rugissement gras des lions en rut, le crissement des panthères à l’affût, le feulement des tigres en chasse qui enfiévraient l’atmosphère. Le rayon blafard d’une lune artificielle tomba brusquement, étroit d’abord, sur le visage pâle d’une femme aux lèvres blessées de rouge, puis s’élargit pour dénuder un corps d’albâtre languissamment étendu sur le sofa de ténèbres. Dans ses cheveux sombres, qui cascadaient en vagues ruisselantes jusqu’à ses épaules graciles, ondoyaient les reflets bleus cobalt de cette nuit électrique. Au centre de ce tableau en noir et blanc, deux émeraudes opalines, comme deux puits d’eau fraîche, rutilaient, immobiles, le regard perdu bien au-delà des murs du lieu. Natacha Dynamo éclaboussait de sa beauté détachée les voyeurs médusés. Elle se mit à onduler imperceptiblement ses hanches félines, s’appuya sur un coude en levant mollement une jambe galbée, muscles longs au relief léger. Achille se coula entre les tables jusqu’au pied de la scène. Tout près. Le satiné de la peau qu’il voyait à portée de main, soyeuse et ductile, le dessin d’école de ses seins lourds et fermes, le rose tendre de ses aréoles piquées d’un court téton flaccide en leur plein centre, la courbe ovoïde de sa hanche et surtout ce regard qu’il avait cru voir sourire furtivement le mirent en adoration. Le plaisir et l’horreur l’inondèrent à la même seconde quand sur le corps parfait de Natacha l’image d’un cadavre en putréfaction, seins vides et ventre verdâtre béant se superposa. Ce fut un flash, un éclair d’horreur qui le fit reculer. Puis s’effaça aussi vite. Au même instant une risée de tristesse trembla sur l’eau des lacs vert tendre. Natacha le fixait, éberluée !

Ils surent à l’instant qu’ils étaient deux, mystérieusement liés …

Mais c’en était trop pour Achille qui fut dehors en un bond. Sous la pluie tiède qui redoublait il leva la tête pour se laver du sentiment ambigu qui l’avait assailli. Puis s’en fut, épaules basses et cheveux collés. L’eau ruisselait jusqu’à ses reins, il ne la sentait pas. La nuit sans ciel l’avala. Par instants des éclairs cisaillaient la pénombre, le tonnerre grondait au loin. Le ciel violaça en rafales, qui découvrirent par instant les bourrelets noirs des nuages denses qui roulaient, électriques, emportés par de violentes bouffades.

Achille disparut.

Le lendemain à l’aube il entrait dans la cour de la Maison d’Éducation de la Légion d’Honneur. Bien décidé à défendre le sien. A quelques pâtés de maison de là, Natacha Dynamo, de Mostar, regard mouillé au plafond, ne dormait pas. Achille dans le creux de sa conscience sourde, confusément sentait sur sa nuque l’étrange et douce chaleur de ce regard qui l’avait bouleversé.

Il savait qu’un jour viendrait …

Ce matin sera feu d’artifice,

Ou mort subite …

Rétrospectivement Achille le pré-sénile fut parcouru par un spasme douloureux. Comme s’il avait mis le doigt sur un fil électrique dénudé. Derrière la porte qui venait de s’ouvrir dans le fouillis de son passé, la scène qu’il découvrait comme si c’était hier, impitoyablement précise, l’avait sidéré. Il chercha le refuge, l’ambre fondu de sa lampe et se recroquevilla pour qu’elle le réchauffe entièrement. Pourquoi cette bouteille ? Pourquoi ce Gamay 2010, ce Côtes de Brouilly, cette cuvée « Mélanie » du Domaine Daniel Bouland l’avait-elle entraîné dans ces ombres passées ? Dans l’élégant cristal à haut pied qui lui servait de couche, ce vin à la robe d’un beau violet cardinalis brillait intensément. Sous la lumière dorée il était agité de vifs reflets rubis. Au centre du cristal, un oeil jaune battait. « L’oeil sans doute » pensa Achille ? Il souleva le hanap et s’y plongea. Juste avant de clore les paupières, au centre du verre, il vit un lac, surface claire au dessus d’un abysse insondable qui le regardait, impavide. La même secousse lui vrilla les chairs. La chair sucrée d’une pivoine rouge enchanta son inspiration et se prolongea sur des fragrances fruitées. La précision olfactive du vin, la netteté de la fraise épicée, de la framboise et de la cerise poivrée, mûres et presque palpables, l’enchantèrent. Il n’ouvrit plus les yeux quand le vin toucha sa bouche. Les fruits bien mûrs, à l’unisson du nez, lui offrirent leur matière goûteuse et conséquente, lui tapissèrent le palais de leur pulpe crémeuse. Le jus enfla et sa fraîcheur le relança comme s’il prenait encore du volume. Rien à voir avec ces vins étriqués au fruit brouillon, à ces jus issus de macérations carboniques, identiques et souvent vernissés. « Mélanie » la généreuse le combla jusqu’au bout, se prélassant longuement après l’avalée, lui laissant au palais longue fraîcheur et nano-tannins soyeux …

Derrière ses paupières closes,

Dans les vapeurs du Gamay,

Achille brillamment fait sa leçon.

Natacha sourit,

Elle le sait …

 

EPIÉMOGÉETICONE.


LES LOUPS BLEUS EN GAMAY INCARNAT…

Michel Petrucciani.

 Quelque part, non loin du Pic – au pied duquel les loups se font velours, en cet Avril bleu – dans le jardin du chef de meute, les fraises sont en fleurs.

Deux cents cinquante kilomètres plus à l’Est, un vieil homme se meurt lentement, comme une bougie à bout de cire.

Tout est déjà dit…

Presque tous sont là. Amis de proche lointain. Pour certains, potentiels encore hier, les voici qui sortent des fils de lumière de la gaze virtuelle et s’incarnent. Enfin! Plus intimes, d’emblée, que nombre de familiaux infligés. La joie des retrouvailles se mêle aux plaisirs de la découverte. La transition est tellement brutale, entre la camarde qui rode à l’est et ces plénitudes qui hurlent leurs jeunes vies, que je me sens ivre, comme un condamné surpris par une grâce inespérée. La tête me tourne autant que mon cœur se gonfle. Éternelle ritournelle de la reviviscence. Flux et reflux. Entropie et néguentropie se croisent et s’accommodent. Langueur et allégresse. Le destin? La vie.

Joie et tristesse se fondent toujours en tresses douces…

Kade. Loups bleus.
 

 La louvetine ouvre ses mirettes aux éclats de noisettes, sur les humains qui s’ébrouent autour d’elle. Son père, c’est le loup roux nerveux, de la meute de la Grange Mythique. La petite louve Vénitienne, sa mère, aux crocs délicats, n’est pas loin. Elle est fine, douce, souriante, attentive et discrète. Dans la maison à flanc de colline, l’atmosphère est au partage et à l’amitié vraie.

Oui, je sais…

Un peu niaiseux tout ça? Pas très tendance FB-TWIT? Damned! Plutôt ringard comme un Bojo sans «thermo», un volcan éteint, un «people» au Pôle Emploi, un Grand Cru pas cher (oui, oui, j’ai connu ça) à Bordeaux et ailleurs…

La Grosse-Soirée-Mythique approche, les condamnés piétinent. Les frères Feuillade du Domaine Mirabel arrivent sur la pointe des sarments. Le caviste-V se fait attendre. Un tendre-dur celui-là. Impressionnant d’exigence le verre à la main. Analytique à-donf. Accompagné de sa dure-tendre, que le temps et les vins finiront par relaxer à fleur du fond. Le cycliste Ardéchois, monté sur caillettes et sa femme très aimante, ronde comme une lune à son meilleur, les bras chargés de victuailles roboratives, sont tout en franche exultation. Peu après le Paulo, tendre comme une rosette mûre, pointe son poil ouvragé et le bout de ses rondeurs naissantes. Sandra la longue, gracieuse comme une gazelle aux yeux pers, l’accompagne. Silencieuse, efficace et belle, comme Naples au printemps.

A chacun sa vache! En Égypte, c’est plutôt le chat que l’on vénérait. Ce soir il n’a plus d’Égyptien que ma fantaisie. La Suisse l’a fait «Milka». Et c’est de fait un chat, plutôt Libanais, qui ferme la ronde. Comme à son habitude, il regarde, observe, scrute le plus souvent et reste à peu près silencieux. L’important chez le «Châ», ce sont les yeux. Clairs, vifs, limpides, ils vont et viennent sans cesse, couvent et caressent à l’envi.

Le temps vient enfin où le loup roux, fébrile comme vierge en Mai, fait son relou. Il n’en peut plus d’attendre. En quelques traits à peine adoucis, il met vigoureusement son monde en place et inflige les consignes. L’heure de la ronde Beaujolaise est venue…

C’est le millésime 2005 que l’on va mirer, humer et bruyamment dérouiller.

Elles sont onze les belles championnes et une traitresse, parmi elles cachée. Le silence que poisse un peu d’anxiété, s’installe et bruisse des petites angoisses de chacun. À la baguette, le sourcier du Pic, sourcilleux et tendu, toise l’auditoire. L’atmosphère est plus concentrée qu’un Gourt de Mautens 2003! Tous s’humectent les papilles à l’eau de source, comme des nageurs avant une finale olympique. Ça ne moufte pas, ça crachouille un peu, ça se racle les papilles, ça déglutit, de stress plus que d’impatience.

Le Maestro pointe son auriculaire droit, comme un Paganini sous coke… Il fait taire les cuivres et réveille les violons.

Et la farandole des Gamay commence.

Les jus grenats, vieux rose, violets, légers, moyens, profonds, insondables, roulent deux par deux dans les verres. Dans l’air saturé, les phéromones de tous âges se frôlent, s’enlacent et se mêlent en vrac, aux fragrances épicées, florales et fruitées des vins. Des orgasmes silencieux s’organisent en secret dans les cerveaux reptiliens surchauffés. Ça renifle à qui mieux-mieux, ça se pâme, ça glaviote, ça postillonne tous azimuts. Bientôt, les feuilles de notes, rigoureusement éditées par le Gravetteux du Pic, évoquent la plus pointilliste des périodes de Pollock. Les tranches de pain Ardéchois épongent régulièrement les gencives momifiées par les tannins. Ça clapote du bec, ça se rince à l’eau fraîche, ça opine du chef, ça fait la tronche en biais, ça grimace, ça fait des «hou là là!», ça sourit à Bacchus, ça se gratte la couenne, ça se rassure dans l’entrejambe, ça tremble sous les plexus… Le temps passe et plus les vins descendent, plus je monte. Je m’abstrais de temps à autre (me faut vous dire que les dégusts marathon à l’aveugle, c’est pas trop mon trip…) Je regarde, l’œil torve de droite et de gauche. Dans l’auditorium intime de ma tête légère, j’écoute Michel Petrucciani dérouler ses notes de Lalique sur les ivoires d’un piano imaginaire… Les yeux des femmes sont au vague et les embruns mousseux colorent leurs lèvres, rouges de Gamay…

La fée capillarité a fait son oeuvre et les vapeurs conjuguées des Chénas, Juliénas, Morgon, Moulin à Vent, Fleurie et autres Côte de Brouilly m’arrachent à la réalité. Michel me fait une place au piano, là-bas, très loin dans les nuages roses que survolent quelques Jumbos aux grands yeux humides. Son menton frôle les touches. Il est tout en noeuds, comme un cep chenu. Vissé de traviole, comme une cheville trop tôt vieillie. Enfermé dans ce corps de coquâtre en douleur, il ne semble pas l’habiter, pas vraiment. La grâce est ailleurs, dans ses yeux. Ses douze mains démesurées, caressent le clavier comme d’élégantes et douces aranéoïdes glabres. Je lévite, je flotte sur les croches et les noires qui roulent en vagues, plus longues que l’interminable finale du vin divin, que je ne boirai jamais…

Mais le Capo, inquiet de mes absences silencieuses, m’a ramené du fond de mon verre. Le temps est au verdict, aux résultats, au classement, à Descartes au pays des nuances… Le bougron n’en finit pas d’additionner, de diviser, de psalmodier, dans une langue borborygmique qu’il est le seul à comprendre…

La sentence tombe : 12, 5, 9, 8, 1 !

 En clair : Le Moulin à vent «Vignes Centenaires» de Diochon l’emporte. Suivent dans l’ordre, le Morgon «Côte du Py» de Foillard, le Juliénas «Grande Réserve» de Granger la cuvée «James» de J.M  Burgaud et le Fleurie «Les Moriers» de Chignard. Le pirate à l’oeil noir – Cornas «Les Côteaux» de Robert Michel – vin encore sévère, serré comme une cerise dans son bocal, aux arômes de graphite et de goudron, à la matière conséquente, dans son bois prégnant, au café cacaoté – les talonne. Le Moulin à Vent de Janin est mort de bouchonnite aigue, les autres, que le vinaigre attire avant l’heure ou affublés de bois exotiques pommadés, ont succombé sans gloire. Les «Roches Noires» de Jadot, le Chénas de J. Georges, sont restés dans le ventre mou du classement.

Paix à leurs jus…

Les tensions se sont enfin relachées. Finie la compét! Place à la table, à ses folies câlines.

La noce aux mandibules commence.

Les vins (chacun avait apporté son meilleur), j’avoue les avoir oubliés. Mais la terrine de Saint Jacques, la sauce et les petits radis rapés de la louvette – tout comme le rizotto aux truffes du Paulo Transalpin – m’ont laissé en mémoire le souvenir croquant et goûteux d’une parenthèse de plaisir intense… Les très beaux fromages Hélvètes aussi. L’un d’entre eux surtout, mûr à point, qui souffla, à ma voisine de gauche, quelques commentaires de droite, aussi puissamment scabreux que fort à propos du bout du rectum!

Dans mon verre, sur la terrasse, au bout de la nuit, Le Porto Quinta do Vésuvio 1995 , floral, élégant, soyeux et long comme une extase orientale, répond aux étoiles, qui piquent le ciel pur jais de cette nuit d’Avril, de leurs scintillements complices.

Dans les tréfonds obscurs de ma conscience, la paix, comme un chat Italien, quand il a sa souris et son lait, «Corconne»…

 

 

EMAMORITILOUCONE.