LA PARQUE A FERRÉ FERRAT…
Chagall. Paradis.
Ah le visage de loup efflanqué de ses jeunes années!
Hâve, émacié, à ras l’os, intransigeant mais tendre. Compagnon des illusions de la fin du vingtième, ce bout de siècle qui voyait les idéalistes de toutes obédiences, croire aux matins triomphants, en l’évidente fraternité des hommes. Le mur s’est écroulé à Berlin, comme les grandes chimères se sont diluées, dans le retour progressif des rapacités qui ne dormaient que d’un œil.
«Ab origine fidelis», il n’a pas succombé à la remontée enivrante des forces entropiques. Il n’a pas hésité, pas titubé. Sans jamais avoir franchi le pas des encartements suggérés, il ne s’est pas écarté de ses frères de coeur, idéologues bernés, ni commis de grands écarts à se rompre le myocarde. Nombre des chantres officiels, accrochés aux basques des cohortes rouges aveuglées, ont renié leurs engagements. Leurs voix se sont tues. Regardez les, qui étalent depuis, leurs réussites épaisses, sous les habits du velours côtelé de leurs reniements cauteleux…Ils se répandent sur les pages glacées des périodiques en «vogue», et affichent la mine insolente, des milliardaires suffisants du nouveau siècle. À la face des misères, désormais muettes.
Ferrat lui s’est tu. Impertubablement, il s’est contenté de nous bercer.
Encore et toujours les poètes, même ceux fourvoyés ou maudits. L’amour en boucles sous le vent, dans les éclatants silences lumineux de l’Ardèche. Loin des trémolos mous, complaisants et futiles des trompettes de la renommée, il a choisi de donner sens à sa vie, de mettre ses mots en juste résonance. Solitaire et pudique, il a disparu des champs électriques et mortifères des inconsistances. Nulle part il ne s’est affiché. La vie pleine et discrète lui a suffit.
Ah, le visage lumineux que donne le bel âge d’une conscience en paix!
Loin de tout, près de tous et des essentiels, il est resté à flot. Les U-boats délétères, qui célèbrent ou torpillent les notoriétés de surface, ils les a regardés, saborder sans états d’âme, les frêles esquifs de papier mâché, faire et défaire la pelote des glorioles éphémères. Le rythme dévorant de Chronos s’est accéléré, sans jamais pouvoir le croquer.
Ferrat est digne, définitivement. Diamant pur qu’aucun crapaud n’a terni, qui ne s’est jamais vendu, voix chaude de l’amour inoxydé, sa vie paisible a tutoyé la vérité des âmes simples.
Avec lui, disparaît sans doute, le temps arrêté au cadran de la montre…
Si le Paradis existe, il est sien.
Et là-haut dans sa moustache, Ferrat rit.
* Requiescat In Pace.