LES SOURIRES DE CATHERINE…
Cranach l’Ancien. Les fiançailles mystiques de Sainte Catherine.
Une énigme sur longues jambes que cette femme roseau. Brune haut perchée, esprit vif, et revers de volée à qui la cherche. Mais fondante aussi, derrière le masque fermé de ses sourires absents. Une ligne à hanter les cocktails parisiens… rive droite, des mains certes soignées, mais marquées quand même par les travaux des vignes. Une femme complexe donc, qui marne dur dans ses Villafranchiens, ses Carbonifères et ses Basaltes sévèrement burinés. Les terrains volcaniques, somme toute, lui vont bien ! Selon les caprices du temps, elle est en « Lune Rousse », en « Lune Blanche », en guerre avec « Arès » qui boude sa malo, quand « Les Six Rats Noirs » embaument le cassis dans un coin du chai.
Vous dire, que de visu, jamais je ne l’ai vue. C’est une virtuelle. Mais une amie, car la fibre ne ment pas, et par l’étrange voie de l’optique lumineuse, les atomes crochent envers et contre toutes idées reçues. Ceci dit par honnêteté de blogueur, pas « Ô Ministre… », mais intègre néanmoins. Et vertueux, qui se veut aussi. Mais laissons là Victor et son Ruy. Blasé ne serai point. Et passerai au tamis implacable de mon palais de peu, les vins de la sus-évoquée.
Madame n’est point seule sur les rangs de Carignan, Syrah, Grenache, Roussane, et autre Mourvèdre. Daniel Leconte des Floris, son ex-mari lui reste associé, pour le pire comme pour le meilleur du labeur. Une belle paire de complémentaires, passionnés, opiniâtres, et durs au mal d’airain. Madame écume les piscines (municipales) pour se délasser les lombaires que la vigne lui noue. Daniel, lui, je ne sais, mais l’homme a l’air suffisamment Villafranchien, pour résister aux tourments du corps meurtri par les travaux de la terre si basse. C’est que vie de vigneron n’est pas champ de poète, et la terre ne donne que ce qu’elle reçoit. La pioche sur silex résonne dans les bras, le basalte est compact et la végétation recherchée envahissante parfois. Saison après saison, ça n’en finit jamais !
Or donc mes gens, on travaille propre au Domaine, qui sans hurler avec les loups, à gorge éructante, respecte plantes et sols, n’engraisse pas la terre et ne l’inonde pas non plus de produits délétères. Naturellement Bio-Ecocerté dès le prochain millésime… La moindre des politesses, quand « des Floris » clôt en bouquet le patronyme particulé de ces jardiniers des lianes.
Mais allons voir mignonne si ces particules dorées et pourprées, n’ont point perdue en cette vesprée, leurs charmes annoncés. Et supputés…
La première approche est un échec. « Arès » 2007, fier guerrier, ne se rend pas au « sommelier » affûté, qui lui attaque pourtant le col en extrême douceur. Il préfère mourir, pollué par le bouchon ! Foutre d’Archevêque vérolé, marri je suis. Navré aussi. Résigné, enfin.
Mais sous son aube faussement pacifiée, la vieillesse est un volcan paisible sous les cendres duquel grondent encore les flots brûlants des magmas filandreux, rouges de tous les sangs noirs des désillusions passées. Me fiant à ma douceur naturelle, au charme lumineux de mes grands yeux bleus, à demi recouverts par l’âge qui effondre les paupières, je me dis que nulle « Lune », fut-elle « Blanche » et native de 2007, ne saurait me résister. Mais ne point effrayer la fragile surtout. Alors, c’est avec un doigté d’Archiprêtre grand manieur d’encensoirs fragiles, que je me fais plus léger que papier d’Arménie. La belle ne bronche pas quand je la décapsule de la pointe légère du canif. C’est en lui souriant, droit dans l’étiquette qu’elle a claire et ourlée de caractères tourbillonnants élégamment, qu’avec la plus infinie tendresse, je lui glisse la lame hélicoïdale de mon vieux sommelier poli par l’âge et les expériences moultes fois répétées, au plein centre de son bouchon encore pâle. Prudemment j’extirpe sans à-coups – de ces à-coups réservés aux vieilles lunes – l’oblong cigare de liège tendre qui la protège des tentations du monde. Elle émet un bruit gracieux, un petit pet clair, sous lequel montent déjà effluves et parfums. Jamais, je le confesse humblement, je n’avais eu mouvement aussi parfait de la lame, extirpation aussi compassionnelle. Généreuse, ravie, reconnaissante, la jeune lune s’offre alors à mes désirs multiples. Cette lune en premier quartier ne donne à humer que parcimonieusement. Elle prend air et temps pour monter au zénith. La pierre fumée domine d’abord, dans un corset fin d’épices douces, de cire, puis de pêche et d’abricot. Ajoutez une once de vanille, un soupçon de réglisse et vous aurez sa palette de jeunesse. C’est une autre affaire en bouche ! La donzelle ouvre largement ses quartiers et se montre pleine, ronde, caressante, fine et complexe. Enveloppée d’un gras gourmand, elle inonde le palais de fruits jaunes mûrs, de miel d’acacia, amer ce qu’il faut, et prend un beau volume. En milieu de bouche, elle enfle et lâche généreusement, la pêche, l’abricot et la réglisse. Derrière les fruits, c’est une soie délicate, fraîche et tendue qui relance le vin. La finale, sur le noyau et le poivre blanc, est longue et rechigne à faiblir. Le dernier quartier de cette gibbeuse n’est pas pour demain ! Et si tous les vins de lune avaient ce charme gracieux et cette opulence fraîche, je voudrais bien m’appeler Pierrot !
Petit tour, avant que de m’en aller, du côté du « Carbonifère ». Enfant j’entendais souvent : « Si tu n’es pas sage, tu finiras en Carbonifères !». La grosse trouille et les pleurs assurés. Mais place à l’une des Œuvres au Noir du domaine, sur Carbonifères justement (Schistes, grès, argilites…), au rendement de 25 Ho/Ha, élevages en demi-muids neufs et de un à deux vins… 2007 flambe sur l’étiquette et 2008 pyrogravé sur le bouchon !! Le mystère plane, que le vin va dissiper. Le temps qu’il daigne sortir de son placard. Pas très causant ce soir au premier fond de verre, le vin se révèle le lendemain midi.
Plutôt engoncé dans une stricte robe, opaque comme celle de la plus pudique des rosières, le vin ne laisse entrevoir de sa chair qu’un fin liseré rose soutenu, au bord du disque étroit. Après qu’agité à tours de poignet au long des courbes cristallines du verre fin, l’invisible pinceau de la vigne, esquisse le Pont du Gard et les frêles arrondis sous piliers ténus des chefs-d’œuvre Romans…
Comme une poignée de cerises noires et de cassis écrasés sur un lit de mures mûres traversée d’épices douces fumées, et d’une furtive pointe de zan, chapardé par un gamin gourmand à l’étal d’un marché de printemps, me titille gaiement ce parfois bel organe fragile, qu’abondamment Rostand détaille.
La matière dense, fraîche et pulpeuse fait sa ronde charnue, qui s’étale et se déploie en ondoyant. Au sortir des fruits, la pierre sort de sa gangue et retend le vin comme un arc de pierre aiguë. Passé l’étroit détroit de la luette, la finale installe longuement au palais enchanté d’imperceptibles tanins crayeux, épicés et réglissés.
Quant au sourire de Catherine, c’est dans ses vins, pudique, qu’il se cache…
EHIMOLATIRECONE.