LES PETITS ÉMOIS DE GRACIEUX …

Sekine_Shoji_-_Boy_-_Google_Art_Project

Seiji Shoki. Garçon.

CHAPITRE 3.

La chambre de Gracieux jouxtait celle des filles, le mur qui les séparait était si mince qu’il n’isolait que peu, si peu qu’on aurait pu croire que les deux chambres ne faisaient qu’une, tant les bruits, à peine atténués, passaient de l’une à l’autre sans même être déformés. La tanière du garçon était spartiate, à l’image de son imagination déficiente. Murs blancs grossièrement chaulés, lit étroit affaissé en son centre, tellement que le corps du blanchot qui dormait en boule d’os au fond du trou, ne froissait même pas le couvre lit grisâtre qui le recouvrait. En veille comme au repos, Gracieux ne semblait pas être là. Une armoire, aussi bancale que le bureau de bois brut au plateau désert, complétait le décor. Pourtant, derrière son visage aussi tavelé qu’inexpressif, sous les touffes hérissées de la chevelure flamboyante qui illuminait chichement son faciès quelconque, vibraient quelques inquiétudes, le mystère de ces corps différents qui dormaient de l’autre côté du mur l’intriguait. Un peu.

Depuis l’arrivée des drôlesses, sans trop savoir pourquoi, il regardait fixement l’asticot déplumé qui pendait entre ses jambes. Il n’y avait jamais vraiment touché, sauf pour se vider la vessie. Pourtant, quand il accompagnait ses parents à la messe, souvent, alors que les voix aiguës des rosières résonnaient sous les voûtes et redescendaient en pluie acide sur les ouailles en prière, une étrange chaleur le gagnait, douce d’abord, qui lui réchauffait les membres, puis courait sous sa peau, ses rares poils se dressaient, son ventre finissait par brûler, tellement qu’il prenait peur, alors il se raccrochait au déroulement de l’office et tentait maladroitement de s’associer à ses parents qui marmonnaient en latin, un latin qu’ils ne comprenaient pas mais récitaient par cœur. Depuis l’arrivée des drôlesses, sous l’os obtus de son crâne épais, un point d’interrogation luisait faiblement. Parfois, à force de concentration, il visualisait avec peine, un triangle de peau blanche très flou, neutre, qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Très vite son obsession devint si forte qu’il n’osât plus les regarder en face. Le matin, au petit déjeuner frugal, il s’affalait sur la table de la cuisine, le nez plongé dans son bol de pain rassis et de lait dilué à l’eau claire, les filles grignotaient leur brouet fade, ne le regardant pas, gloussant et s’agitant sur leurs chaises. Les épaules délicates de Mathilde et les bras dodus de Xéresse le fascinaient, qu’il épiait discrètement sous ses cils courts, jaunâtres comme ceux d’un grand brûlé. Les filles voyaient bien l’embarras du garçonnet, malicieusement Mathilde l’entretenait, s’attachant à l’engluer dans sa toile, en minaudant à peine, en lui jetant de furtifs et mystérieux regards, en rejetant d’un geste gracioso ses longs cheveux noirs, en laissant parfois le rond de son épaule dépasser de sa chemise de nuit, trop grande pour elle, qui balayait le sol quand elle arrivait dans la cuisine et ne laissait rien deviner, hors l’encolure qui baillait un peu sur sa gorge, en glissant sur l’une ou l’autre de ses épaules. Xéresse faisait bouche ronde et docile, imitant les mines de Mathilde, elle aurait bien voulu en rajouter un peu, avec gestes de son cru, mais elle n’y parvenait pas. Elle prenait des airs complices, mais quand la grande ne l’avisait pas, elle se chagrinait discrètement, Gracieux, éberlué par les afféteries de Mathilde, ne la voyait même pas.

Le soir, disparu au puits de son lit boiteux, le sommeil tardait, et parfois le fuyait, quand la chaleur montait, et lui mettait les larmes au yeux tant il avait peur de ce qui lui arrivait. Un soir qu’il avait bien onze ans, quand les filles atteignaient déjà les treize et douze ans, il sentit sous ses doigts honteux les premiers frisottis rousseaux pointer au bas de son ventre. Il n’osait y toucher, il craignait le diable fourchu caché sous les draps, qui le mettrait à mal s’il osait s’y aventurer, il se voyait déjà, ventre rôti, mal à pleurer, honteux sous le regard de sa mère, le prochain samedi de la grande toilette quand elle le décrassait rudement à l’eau tiède du tub, près du fourneau dans la cuisine, tremblant à l’idée que les filles, toujours à courir comme des folle jacassantes, pouvaient surgir d’un coup, ce qui ferait à coup sûr rire la Josette. Elle voyait le bien partout la bigote, elle frottait le spaghetti de Gracieux comme s’il s’était agi d’un chandelier d’étain à récurer, le puceau serrait les genoux pour lui échapper mais elle ne lâchait pas le moineau qu’elle décalottait à coups secs, histoire de le décalaminer jusqu’au presque sang. Elle ne s’émouvait pas, elle ne semblait pas voir le petit toupet carotte de printemps qui poussait, semaine après semaine, au juste dessus du kiki du petit. L’avorton serrait les genoux, mais il avait les cuisses si maigrelettes qu’elle pouvait aisément y passer tout le bras. Elle s’attardait longuement sur la chose et lui récurait les génitoires grosses comme des œufs de caille fripés, auxquelles elle s’agrippait à les lui décoller.

Les deux fillettes avaient bien changé, elles aussi, et bien plus vite, plus en profondeur que le garçon. Elles affichaient des oranges navels, qui pointaient leurs ombilics bossus sous leurs larges blouses de coutil grossier. A vrai dire, Xéresse portait déjà des pomelos charnus, quand Mathilde avançait deux abricots bergeron, la silhouette fine, cambrée, de la sylphide, y gagnait et renforçait l’ambiguïté cultivée qui éclairait son regard noir. Mathilde était la plus grande, Gracieux ne lui arrivait qu’à mi-tête, Xéresse, elle, lui rasait le menton. La soir, toutes lumières éteintes, Elle se rejoignaient dans le lit de la grande, la petite s’adossait, recroquevillée, à la poitrine de son aînée, qui l’entourait de ses bras, lui caressant doucement les tétons du bout léger de ses longs doigts. Xéresse ne bougeait pas, faisait sa bouche de bébé rose, suçait le coin odorant du drap en tortillant une mèche de ses cheveux baillet, respirant bruyamment. De temps à autre, puis de plus en plus souvent, Mathilde laissait sa main descendre sur le ventre de Xéresse, au ras de la toison drue qu’elle frôlait lentement en s’endormant. Ça n’allait pas plus loin.

Commentaires
Réagissez sur Zakaria