Littinéraires viniques » Christian Bétourné

L’INTERCESSION DE RITA…

Weinman. Sweet dream of Sainte Rita.

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 Blanc, somme de toutes les couleurs ou absence, c’est selon…

L’addition des couleurs-lumières crée l’immaculée, celle des pigments entraine la négation, l’absence, le noir, d’avant et après la vie. L’esprit serait l’éblouissance de ce petit matin de presque hiver? Et la matière, le dense, le compact, le pesable, le mesurable, serait le point ultime de l’entropie, la disparition, la négation, l’inanimé, la mort? Questions pas très fashion-victim, certes. Désolé pour toutes les ViWi qui se seraient égarées en ces lieux de perdition… L’avenir, pour nos sociétés supposées responsables, est action, projet, investissement, consommation, frénésie, course, accumulation, genre syndrome de Bahlsen, more and always more. Alors, qu’il neige de l’amour ou qu’il pisse du sang sur les landes Irlandaises comme dans les entrailles fumantes de l’Afrique, quel importance, quel intérêt?

A gros flocons poudreux les cieux ont, doucement déversé sur les villes engourdies leur manne de caresses ouatées qui assourdissent les chants rauques de nos ordinaires agitations matinales. Les os noirs des arbres déplumés ne se découpent plus sur le ciel sans relief, épais, lourd, apathique, couleur plomb et mercure pesants. Les cris, comme les angles agressifs de nos villes cubiques, sont étouffés, gommés, par les voiles, légers et voletants, des eaux sidérées. La courbe est reine. La neige, subtile, nous enseigne la beauté émouvante des rondeurs, comme le charme d’une hanche d’opale bleutée, alanguie dans la lumière naissante de ce petit matin figé du monde, l’intensité des sensations simples aussi, comme le baiser mordant de la ouate givrée, fondant entre col et cou.

Hors la ville, la neige révèle, souligne, sculpte, redonne à la nature la primauté, en effaçant les routes, en soulignant les lignes torturées des vignes nues. La nature retrouve sa virginité, sa nudité, à peine marquée par les tatous délicats des oiseaux, qui effleurent le sucre glacé des prairies immobiles, de leurs pattes tridactylées

Mais l’amour n’est ni de mise, ni de mode, dans les cités fascinées par les leurres grossiers des avidités triomphantes. Bientôt les gommes épaisses des monstres de tôles vernissées, à quatre roues motrices, tous crabots engagés, écraseront les plumes fragiles qui brillent – encore un instant, por favor – et escamotent le bitume. Les chaussées noirciront. La boue grasse des âmes perdues, éperdues, tracera les chemins lourds de nos entêtements bornés. Les maîtres sont de retour, qui déversent inconsidérément sur les sols, le sel arraché à la terre. Rien ne doit arrêter, voire freiner – un instant de ce temps, qui nous effraie tant – la marche forcée de notre monde, si fragile…

«E la Nave…» folle des Nations aveuglées, «…Va»…, droit dans le mur, à (court?) terme!

De droite et de gauche, ça roupille! Il faut qu’un ex-rebelle des pelouses dorées s’y mette, col relevé et verbe coloré, style direct, reprise de volée assassine, en plein dans la gueule dentue des vautours de la Phinance. Allez retirer vos petites éconocroques citoyens, reprenez vos quatre sous, dépouillez les banques qui se gavent de vos kopecks! Proposition généreuse mais illusoire, les garces ont verrouillé leurs coffres. Essayez donc de récupérer vos misères pour voir!

Non mieux que ça, plus malin, plus facile à faire. Demandez aux Banques Éthiques (vocable peu usité, dont la signification nécessite le recours au dictionnaire, désolé!) de vous héberger. Elles sauront transférer vos avoirs, liquides, solides, gazeux, sans que les Hyènes Lyonnaises, Populaires, Paribas, Mutuelles (!!!), ne vous arrachent au passage quelques pitoyables lambeaux supplémentaires. Pour mettre à genoux la Phinance insolente, sans mettre les équilibres en dangers, pensez Équitable, Moral, Solidaire, Durable. Et de surcroît, apaisés, vous dormirez mieux!

Allez, c’est fini! Pour ceux qui auront, jusqu’au bout, traversé ces insignifiantes diatribes, sans vomir sur leurs Rolex, l’heure de la récompense, enfin, est venue!

A froidures hivernales, neiges pures et considérations nébuleuses, il faut du blanc. Mais quel blanc? Un Austral, sorbet vanille? Un Sudiste alcooleux? Un Côte Chrysocalien flamboyant, à prix d’or? Non, vendre ma Rolex? Que non, et toujours non! Mais alors, à quel Saint se vouer? Ruminations longues, réflexions volcaniques, synapses en feu, hémorroïdes corticales imminentes, fistules purulentes du cervelet, vérole du pont de Varole, varices suintantes de l’hypothalamus, hypertrophie brutale de l’hippocampe, et trois aspirines plus tard, me retrouvent, hébété, presque égaré, au fil des longues galeries de calcaire brut de mon immense cave. A perte de vue, murs de bouteilles, piles de Jeroboams, murailles épaisses de «Romanée-Conti» des origines à demain, enceintes bâties à grands coups de briques de Nabuchodonosors de tous les «Musigny» qui douillent, de tous les somptueux «Charlemagne» des collines de «Corton», échafaudages serrés de «Montrachet» prestigieux… Perdu je suis. Déboussolé, égaré, déprimé, j’en appelle à la très Sainte Rita. Ô toi, Patronne des causes désespérantes et des êtres désespérés, viens t-en vers moi, que ta main de lumière, pure et chaste, éclaire le chemin du pauvre hère en perdition, que je suis. Yeux fermés, lèvres crispées, fesses serrées, de peur de me prendre la paroi de calcaire en pleine poire (un Meursault peut-être?), pogne tremblante, tel le mendiant trébuchant de Noël (un Banuyls blanc?), j’avance à petits pas apeurés. La très Sainte me guide. Derrière le mur opalescent de mes paupières closes, palpite la vision, floue, d’une après mort sereine. Mais je m’égare…

Au juste moment, où le désespoir épais s’apprête à étreindre, de ses cercles d’aciers glacés, mon torse gracile, voici que glisse entre mes doigts gauches, tel un gode givré dans le cul d’un banquier qui verrait fondre ses profits (je blague!), le col fin d’une bouteille. Le ciel a parlé, c’est d’un blanc qu’il s’agit. De la Côte certes, mais de la pauvre (enfin…, comparée à l’autre), celle que l’on dit Chalonnaise. Un de ces blancs bien nés, qu’élève avec un soin, une rigueur et une simplicité toute Cistercienne, un de ces rares hommes qui a voué sa vie au vin. Dans son Domaine de Bouzeron, petit village, habillé de vignes, depuis que les moines de Cluny en supputèrent la qualité, Aubert et Pamela de Villaine font leurs vins. Sans esbroufe ni tapage, le co-gérant de la DRC, avec classe et discrétion, cultive sa vigne et élève rigoureusement ses jus. Pas le roi du buzz cet homme, plutôt taiseux, mais avec cette petite lueur d’humanité souriante, rare de nos jours, qui éclaire un visage plutôt sévère, si ce n’était justement… La Rita maline, solidarité (ben oui, il faut taper bien haut pour la trouver by now!) oblige, m’a fourré (pardon très Sainte!) une «Les Saints Jacques» Rully 2008 au creux de la main.

Encore proche de l’extase mystique, je gravis quatre à quatre, les 11000 marches qui montent au rez-de-chaussée de mon logis. Là, presque nu, tant la chaleur des demis chênes, qui roussillent dans la cheminée marmoréenne d’un de mes salons, est torride, je décapsule, non pas une de ces vierges recluses dans un harem proche oriental, mais la modeste bouteille, encore fraîche de la cave. Puis d’un tour de poignet tendre et leste, je la déleste du bouchon quasi vierge, qui lui lui coupait le souffle. Elle me remercie d’un petit «plop» timide. Dans le grand verre aux formes replettes, dont le cristal reflète les lueurs changeantes des braises andrinoples, auréolées de flammèches bleu saphir, la robe d’or de ce vin modeste, pâle comme ces auréoles décolorées, qui ceignent les icônes, dans la pénombre spirituelle des monastères Byzantins, palpite comme un Mondrian miraculeusement animé. Il me faut l’élever, vers la lumière neutre d’un lustre de cristal de Bohème, pour que vive la pure brillance limpide de son or argenté.

Cette parure du vin m’hypnotise, tandis que mes doigts se perdent dans la fourrure épaisse d’un Tigre du Bengale sur lequel je suis à demi étendu, la tête confortablement relevée, par le crâne rayé du félin apaisé, dont l’haleine puissante, m’oblige à m’écarter un peu. Accoudé à la table marquetée de jade, d’orichalque, et d’écailles de tortues bicéphales, le verre posé devant moi, je sens sous mon séant assis, la douce chaleur du cuir de buffle nain hémiplégique, qui tapisse le fauteuil accueillant. De mon auriculaire recourbé, j’approche le hanap fragile de mon appendice en prière. Ce sont des effluves, subtiles et élégantes, de fleurs délicates et blanches, qui ravissent, tout d’abord mon odorat. Puis montent en volutes fines, des fragrances de beurre frais, et comme l’idée d’une poire. Puis une touche subtile de citron salé, et l’amertume d’un noyau, finissent de me frôler le renifloir. Un dernier souffle de ruche chaude, enfin, tel un clin d’œil du printemps à venir.

L’enfance du vin murmure à peine en bouche. Certes la matière est là, qu’allège un gras mesuré, mais elle semble encore repliée, comme les pétales d’une rose, à la coque à peine entrebâillée, au matin de sa vie. Entre les capitons gourmands des fruits mûrs, et la fraîcheur élégante des citrons de Palestine, le sel des coraux anciens, entroques du secondaire des temps primordiaux, enrobe la sécheresse du calcaire, de ses épices fines. Un vin qui ne se paye pas de race, qui ne l’affiche pas, mais n’en manque pas pour autant. Retenue de l’âge, élégance du Chardonnay en Septentrion, «éducation» discrète en foudres de «quercus» porte glands, sont esquisse élégante d’un vin promit à l’équilibre sous peu.

Mais le «Hollandais Volant» repart en pays de chimères, et le claquement métallique du vide-ordure sur le palier, me ramène brutalement à la réalité banale, de mon HLM en léthargie.

Dans mon verre vide, rode encore le parfum troublant d’un rêve.

EBIMODÉTIDIÉECONE.

DANS LE PUITS DES SORTILÈGES.

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Le Pan Pan de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans le puits des sortilèges

Sont tombés braves gens

Quelques feuilles d’automne

Sur un couple d’amants.

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Dans le puits des sortilèges

On y voit, au bout de toi,

Sous la Chapelle Sixtine

Des rois au coin du bois.

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Au fond du puits, des manèges

Ils tournent en riant

Des myriades d’étincelles

Comme les rires des enfants.

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Au fond du puits des sacrilèges

Se vêtent les cathédrales

De parures de diamant

Et de vierges en bacchanales.

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Dans les arcanes de mes rêves

Les sarabandes et le dieu Pan,

Le goût sucré des fraises,

Que croquaient les chenapans.

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Dans le brouillard de longs cortèges

De moines en déréliction,

Dans le puits des sortilèges,

Comme elle valse ma chanson.

DANS L’ANIS ROUGE …

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Avec le talent de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans ta timide combe charnue, en l’air,

J’enfonce, poignard bouillant, mon annulaire.

Dans l’anis rouge et poivré qui t’étoile,

Je meurs et je pleure en levant la voile,

Et dans le secret noir de ton cœur qui bat,

Nous dansons, hanches de fous, le cha-cha-cha,

Putain, coule le rhum, le bois bandé, et la rumba.

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Il t’en cuira de réveiller le serpent cru,

Oeil fendu, chemin tordu, langue fourchue,

Serpent, ma plume qui s’abreuve à ta lune,

Te guide, languide, turgide, vers ton but.

Et la biche qui flagelle, aux timides aisselles,

Pattes raidies, sveltes comme des radicelles.

Cruel, il s’insinue. Le crotale a mordu.

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Lit de fleurs pressées, beignet de miel doré,

Chairs concassées, éclairs stroboscopés,

Flots de purée grasse aux épices dédiées,

Tête levée, à hurler, sur ton bassin lové,

Écailles percées, à l’extase monté, le serpent a versé,

Sur l’ivoire de ton regard, des larmes de ciel tourbé.

Sirius, Orion, embrassés, enlacés, corps figés.

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L’Ouroboros, aux étoiles glacées, s’est enflammé,

A l’ombilic céleste, comme un fou, accroché,

Et les fleurs et les fruits, et mon corps et ton cœur,

Isis, et Osiris dépecé, aux membres éparpillés,

Ont perdu la mémoire, oublié les rancoeurs,

Sous l’amphisbène, les sonnettes, à mourir, ont vibré,

Acides soies des voilures, parures épuisées.

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Et tes yeux ont perlé, le serpent s’est ployé,

Et nous avons pleuré tout au fond de nos peurs,

Au dessus de nos vies. Quelque chose a tremblé.

LES LILAS SONT EN FLEURS.

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Vanité de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ah, la place Vendôme en ce petit matin d’été, déserte, ses arcades et son doigt de granit dressé !

Oh le dôme, il étincelle, là, quelque part devant l’histoire mille fois brûlée !

Sur l’esplanade le bruit gourmand des fers émoussés qui frappent le pavé,

et les plumes chamarrées,

et les plastrons dorés, les éperons cinglants, les moustaches taillées,

gommées à se tendre,

à montrer le ciel ciré des espaces d’ailleurs et d’avant, comme l’obélisque des amours si durs,

des amours de velours,

de masque de fer,

et de voilettes baissées,

les petits pas claquants, mille jupons chantants en diagonale,

la reine est au fou,

le poison dans la fiole cachée, perdue dans les cents plis

des traînes et des traînées.

Voilà que le temps bascule, la terre se fend, tout s’écroule quand tout

remonte du profond

des laves des coeurs éteints.

Vanités étalées comme de précieuses dentelles effilochées par les dents aiguës

du temps implacable,

du temps qui fait le mort,

le temps qui est la mort,

la seule qui vaille, vaille que vaille, enfers et entrailles, cercueils perdus des histoires de peu, de pieux, d’organdi et de lit des grands empanachés.

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La brise tiède a soufflé, les lilas sont en fleurs.

MAÎCRESSE ET TURLUPIN …

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Mis en scène par La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans le boudoir si rose qu’il en paraît morose,

Turlupin, petit rat, string rose, court son chemin,

Il piétine, turlupine, badine en sourdine,

C’est une ficelle entre deux fesses de sardine.

Deux qui le tiennent bien, trois qui le butinent.

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Maîcresse, drôlesse, taille épaisse, grosses fesses,

Le mène, malmène, folle farandole,

La bourrache sait bien manier sa fiole,

Et le pur lupin court comme un petit lapin

Toujours prêt à prêter, à donner de son burin.

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C’est un couple charmant qui joue de la bombarde,

A longueur de journée on les entend crier,

Hurler, minauder, se fâcher et se réconcilier,

Et ça chauffe, et ça cloque et ça clique et ça barde,

Turlupin et Maîcresse aiment tant la bouffarde.

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Il était page dans un gai manoir parisien,

Elle en fut la première éblouissante catin,

Ces deux là étaient faits pour se prendre la main,

Lui, petit, gentil, drôle, que rien n’effarouche,

Elle grosse loche, poigne à mater le manouche.

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« Turlupin, cesse ! » dégosille t-elle à tout va,

Dès que le furet rose ose le bout du roi,

« Et viens t-en beau te coucher, là tout entre moi !

L’heure est tombée, Toupin, occupe toi de moi »,

C’est qu’elle est tendre quand brûle le bout d’un doigt.

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Ils vécurent heureux mais n’eurent pas d’enfants

Elle lui fit endurer les bien pires tourments,

A te le manier, à lui saigner le gland,

Turlupin adorait qu’elle lui fouette les flancs,

Elle aimait quand il lui défonçait le turban.

——

Tout allait pour le mieux entre ces deux charmants,

Mais un jour alors qu’il la battait durement,

Maîcresse dans un spasme à se péter les dents,

Senti son cœur bondir quand sa rose éclatant,

Le dard de Turlupin lui défonça les flancs.

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C’est ainsi que périt Maîcresse, un soir tombant

Depuis lors Turlupin dort comme un chien hurlant …

NE TOMBE TA PEAU …

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La De entre deux eaux.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les âmes habillées des lumières de la vie,

Quittent au bout du quai ces dépouilles pourries,

Elles errent dans l’entre-deux, sinistre Paradis,

Se lamentent, et attendent que flamboie l’aujourd’hui.

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Et tu sais bien ma sœur, mon amante, ma lie,

Que sans toi, son vol traîne, enchaîné à son lit,

Du solitaire, froid, mousseux comme une bière,

Il gît, las, dans la pénombre, triste bruyère.

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Et tu sais bien ma praire, ma croquante mie

Tu vis à marée lasse quand tu es loin d’ici,

Âme, ma dame, ma flamme, tu rames, alors souris,

Je m’envole en gondole, à tire cœur, rigole et surgis.

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Alors gicle, pisse, frémis, comme un vice charmant,

Te roules la moule, la houle, sur le mât branlant,

Hurle, arrache, dévore, adore, lèche et griffe,

Déchire, pleure, appelle encore ! Défonce et gifle.

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Cingle, tringle, épingle, dépèce ma folle,

Coule la foule au long des bancs de larves molles,

Grasses morves, langues torves, bleuets flétris,

Fleurs d’opales, diamant gluant, douces chatteries.

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Avant que loques immondes, qui tombent en lambeaux,

Que la lumière crevée, ne pleure dans tes yeux,

Quand tes laves si bleues inondent les chaos,

Ouvre toi aux délices, aux larmes en camaïeux.

——

Que ton âme soupire, que tu meures jouvencelle,

Toi mon miel, surréelle, mon ombrelle, ma voyelle.

Toutes les pierres dures glissent sur ta peau.

AU CAFÉ ANDALOU.

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La De fume la chicha ?

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Au plafond tout noirci, la fumée des chichas

En volutes épaisses tourne toute la nuit

Aux mille jours dorés, au travers des tumultes

Les grandes invasions ont déferlé là-bas

Les barbares et les turcs, sauvages en djellabas

Égorgent l’odalisque et ceux qui vont au culte.

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Un vieil homme, nu sous ses rides de cendres

Dans son regard aveugle dansent les nuages

Sur sa peau de lézard, il n’est plus qu’une orange

Morte au soleil d’orient. Les larmes opales

Des souvenirs perdus roulent en vagues lentes

Comme les notes de l’oud le soir au creux des ombres

Mais l’oued est à sec et ses yeux ont fondu.

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Sur les miroirs noircis, l’histoire a déposé

Les pleurs en cascades des femmes éplorées

Les roses ont fané quand le sang a jailli

En geysers si brûlants qu’un oiseau paradis

Qui planait innocent au-dessus des mosquées

Beau comme l’amour que les anges exaltent

A péri enflammé, un coeur noir de basalte

Et son cri bleu persan a fait trembler les cieux.

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Au café Andalou le temps s’est retourné.

DES LARMES DE PORPHYRE.

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La De voit double.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Le temps a passé vite ; dans le ciel qui rougeoie

Les nuages ont couru chargés de pluies claires,

Comme s’il s’était agit de contraindre la mort,

La mort qui ferme les yeux des cœurs trop obscurs

Pour que la lumière fluidifie les sangs,

Les sangs épaissis et noirs des espoirs déçus,

Des espoirs sans mémoire et des nuits de charbon.

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Les jardins défleuris, les sources déjà taries

Sous les terres empilées des vies à trépasser.

Ils ont revêtus les atours, les sourires,

Et les âmes engluées dans les rages et les ires,

A ne pas se trouver, toujours à se chercher,

Comme des oiseaux fragiles aux plumes arrachées

Sous les plombs cruels des morts aux griffes d’acier.

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Un soir d’une de ces vies qui se traînent, éplorées,

Alors qu’ils avaient, perdus, jusqu’à presque oublier,

Dans le cours ordinaire de leurs amours têtues,

Le goût du souvenir des fleurs du jardin,

Au détour de leurs errances fades réitérées,

Quand ils n’y croyaient plus, rampant parmi les ombres,

Leurs yeux se sont croisés quand ils n’en pouvaient mais.

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Avril s’était levé, les cieux étaient lavés,

Dans l’obscure clarté d’une nuit de maraude,

Après que la lune pure à mangé ses quartiers,

Quand elle a oublié d’éclairer les montagnes,

Leurs cœurs se sont touchés, ils ont bu à la coupe,

Et sans même se voir, ils se sont reconnus,

Ils ont pleuré de joie des larmes de porphyre.

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Saturne était ailleurs, ses effluves fétides,

Son œil de tigre fou, et ses anneaux d’albâtre,

Au loin des mondes blêmes, à porter d’autres guerres,

A peser tout son poids sur les champs de misère,

Ils respiraient enfin, libérés des aimants,

Oubliant le goût vert de leurs amours bilieux,

Leurs deux âmes séparées venaient de s’enivrer.

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Alors Vénus la belle est montée au zénith,

Ronde comme une pomme qui croque sous la dent,

Irradiante, insolente, à coulé sur leur peau,

Libérés de leurs chaînes, des épines de la rose,

La lumière de l’astre, l’alchimie des amants.

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Ce soir, au secret, enivrés, enlacés,

Comme deux enfants joyeux, apaisés, délivrés.

ESTAMPES LIÉES.

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La De fait sa Bacon.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Îles longues aux cimes apaisantes

Moines psalmodiant dans les encens brûlants

Cuirasses de tatous et aigles cris planants

Fujiyama sacré au dôme crémé de blanc

Éternelles épures des estampes de grège

Moi je ne bouge plus enfoui sous la neige.

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Dans les lointains brumeux des silhouettes s’agitent

On entend et le vent et le souffle des bêtes

Parfois entre deux arbres on voit passer des têtes

Et des casques noircis et des âmes qui palpitent

Les katanas balancent et taillent les entrailles

Ils galopent en hurlant raides, les samouraïs.

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Dans les maisons de thé à petits pas légers

Entre les tours violentes les geishas sont blessées

Ils ont brisé les murs les papiers déchirés

Gisent en lambeaux longs cheveux noirs en fumées

Alors les samouraïs poussés au désespoir

Leurs genoux mis à terre leurs yeux devenus noirs.

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Le silence est tombé sur les flambeaux éteints,

Les geishas éplorées aux grâces de satin,

Sur leurs visages blancs s’affiche le dédain

Et leurs yeux sont fermés leurs paupières sont de lin

Les guerriers arrêtés leurs visages opalins

D’un geste de la main ils ont crevé leurs seins.

L’AMAZONE A SOURI.

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Les sauvages de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La flèche vole et l’air semble blêmir sous le trait,

Le regard bleu la suit, cruel et sans pitié,

A l’impact la peau craque, la toison se contracte,

Dans les yeux de la biche éclate un cri muet,

Un instant la vie se dilate, puis elle diffracte

Comme un éclair qui tonne dans le ciel, soudain.

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L’amazone a souri et ses canines pointent,

Elle a lâché son arc, ses mains se sont jointes,

Et son coeur a enflé, sur le point de se rompre,

Entre ses cuisses pâles, une source a jailli,

A ses côtés, muet, un homme a tressailli,

Comme l’arc s’est tendu, il s’est jeté sur l’ombre.

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Dans le sang et les tripes qui jaillissent du ventre

De la bête meurtrie qui jette son dernier souffle,

Le couple s’est emboîté de la bouche jusqu’aux antres,

Dans les viscères fumantes, ils ahanent comme des buffles,

Se roulent dans le foutre au milieu des roseaux,

Dans l’étang tout près d’eux, croassent les corbeaux.

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C’était aux temps anciens, au temps des grandes chasses,

Dans les plaines fumantes, au sommet des montagnes

Sous leurs hardes de peaux taillées au silex dur,

Ils affrontaient à deux les pluies et les froidures,

Ils erraient au hasard des troupeaux égarés,

Dans le ciel étoilé, les dieux étaient cachés.

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Et la chaleur du sang mêlé à leurs humeurs,

Leur faisait un manteau qui recouvrait leurs peurs,

La nuit pelotonnés dans les grottes perdues,

Aux flancs des montagnes aux cimes échevelées

Ils balbutiaient à deux, serrés l’un contre l’autre,

Les premiers mots d’amour, bien plus purs que les nôtres.