Littinéraires viniques » Christian Bétourné

VENUS MUSQUÉE …

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La Venus revisitée de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Vos yeux me regardent,

Ardents, sauvages, tendres,

Et vous me dites des mots

De sang, crus et terribles.

Je me dresse et vous donne

Plus que vous ne voulez.

——

Au bout de la danse,

Vous criez miaulez,

Et vous allongez

Pour prendre ma bouche,

Longuement.

Nos salives mêlées

Ont goût de rose.

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Vos mains cherchent,

Prennent et épandent,

Sur nos corps pâmés,

Mon offrande,

Et votre jus

De sel poivré.

Dans l’espace clos

De nos ébats

Volent les parfums sauvages

De nos chairs

Odorantes.

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Je vous offre ces mots imparfaits

Jetés d’un trait

Poivré.

Venus musquée.

BACH, OLIVIER ET LA TUNIQUE…

Odilon Redon. Tête de Christ au serpent.

 

Le seize Septembre 1953, sortait aux États Unis le premier film en Cinémascope de l’histoire du Cinéma…

«La Tunique» d’Henry Koster, le Péplum aux deux oscars, révélait au cinéphages le rouge velours de la Tunique du Christ crucifié sur les hauteurs du Golgotha. Deux cent ans plus tôt, Bach composait «La Passion selon Saint Jean» dont le chœur d’entrée rougeoie de toutes les douleurs échues, actuelles et à venir de l’Humanité en folie. Dans un abandon d’une profonde humilité, «Le Fils fait Homme» brûle tous les pêchés du Monde, expiant, comble de l’amour, les noirceurs humaines en se sacrifiant sur la Croix après avoir retiré ses actifs de cette p**** de banque Irlandaise, que Pierre qui finira Saint, lui avait conseillée. Vingt sept ans après «La Tunique», Lennon John mourrait, assassiné par un de ces ordinaires abrutis idolâtres qui traînent leurs navrantes impersonnalités au pied des podiums scintillants. Depuis lors, l’«Imagine» de l’utopiste myope s’est délité, les rêves de paix, de fraternité et autres foutaises, déclenchent de très saines crises de fou-rires, dans les corbeilles fleuries des bourses débordantes de vanité. Les nouveaux maîtres du monde sont d’habiles proctologues, aux longs doigts huilés.

La jeune femme, à l’entrée du cinéma, lui sourit, d’un de ces sourires dont la puberté fatale prive les hommes. Le meilleur de la femme se conjugue au temps de l’enfance. Le petit se faufile, musaraigne agile, frôlant pieds et jambes, le nez sur le nombril des spectateurs qui sagement font la queue, en rangs bien alignés. Dès qu’il aperçoit la dame, sa fée dominicale, rassuré, il plisse du nez – il sait qu’elle aime ça – découvrant une double rangée de dents folles, plantées en foule, trop grandes pour sa bouche d’enfant. Collé aux jambes gainées de nylon, il en caresse machinalement la surface fine, tendre et rêche à la fois, tandis que l’autre main agrippée aux hanches rondes de l’ouvreuse, il attend – traversé par une émotion douce qu’il ne comprend pas encore – d’être poussé, d’une tape tendre dans le dos, au cœur des ténèbres délicieuses de la salle. Sa place habituelle est souvent libre, au milieu du premier rang. Comme une petite souris agile, il grimpe sur la tranche du siège et ne bouge plus, les bras croisés comme à l’école. La salle, pleine comme œuf, de Pâques à Trinité, caquète, gazouille, en croches aigües, rassurantes et cacophoniques. Les rires perlés des femmes roulent en triolets cristallins sur le chœur de basse continue, que tiennent sans faillir les feutres gris anthracite, qui coiffent alors les hommes endimanchés. La tête levée, l’enfant peine à embrasser toute la largeur immaculée de l’écran qui palpite, opalescent, comme l’œil du merlan mort que maman fait trembler au coin de la cuisinière, dans l’eau écumante d’une casserole frémissante. Le soir, au fond du lit qu’il marque à peine de son poids d’oiseau fragile, il ferme les yeux, attendant que l’arc-en-ciel des couleurs mouvantes de ses souvenirs de l’après midi, surgisse de la pulpe lumineuse et fragile qui blanchit le revers de ses paupières closes. Les peurs immondes, les monstres gluants disparaissent alors, d’un coup, dans l’obscurité épaisse de la chambre tiède. Errol Flynn, l’éternel flibustier, ferraille avec Tyrone Power le Zorro de tous les Zorro. De belles femmes éplorées dont les peaux translucides palpitent sur la nacre de l’écran, se lamentent en les regardant. Toutes ont la main sur la bouche et les yeux remplis de larmes épaisses qui coulent en vagues chaudes.

Sans s’en douter, il découvre la jubilation qui est au bonheur ce que la fellation est à l’amour. Là-bas, dans le lointain inaccessible et proche, une femme qui n’est pas encore née, insouciante, passe à côté de sa vie.

Le dimanche à l’église, dans sa culotte courte de velours, il se pique aux épines du martyrisé d’ivoire qui saigne, hiératique, sur sa croix de faux bois. Marie, la Mère Céleste en robe bleue, Bernadette sous sa cape de bure châtaigne, et toutes les Saintes avec elles, s’animent, pour se mêler derrière l’Autel au combat des Pirates et des Indiens.

Plus tard, bien tard, il découvrira, expérience funeste, la passion dont il mourra.

De la même étrange façon, aux premières notes de Bach, l’Autel, le Grand Souffrant et sa cohorte d’Élues, l’écran, Errol, Tyrone et ses sbires, toutes ses peurs mystiques, comme tous ses ravissements de pellicule, courent en sarabande fantasque sur l’écran vif de sa mémoire dès qu’il ferme les yeux pendant la messe.

Étrangement cela revient quand dans la transparence de son verre, il retrouve la pourpre de la Tunique, cette couleur Bourgogne du cinémascope de son enfance.

Pour ce Mas Jullien 2002, la tunique inonde la robe de sa pourpre, chaude, veloutée, lumineuse. Les seuls et uniques Languedoc de ce millésime, je les avais dégustés – hors le Mas – en compagnie d’une doublette infernale, au pied du Pic Saint Loup. Abominable souvenir vert. Hic et nunc, en revanche, le nez, déjà, et c’est beaucoup, part dans les tours, dès qu’il se penche. Des effluves en profusion, fondues, qui donnent une impression d’apogée du vin. Il est là, accompli, et se donne. Une première note, goudronnée, ouvre le bal odorant. Ensuite, la cerise mûre, le thym, le ciste, la réglisse, apparaissent généreusement. En élégance. La garrigue est magnifiée par le fruit. Un nez de velours! Que le Languedoc peut, quand il est conduit par Olivier Jullien, être beau, subtil, racé. Deux jours de carafe ne l’épuisent pas. Stable, c’est le mot, avec beaucoup de classe. Une impression lactée à l’attaque qui laisse place au cassis puis à la myrtille et sa pointe d’acidité. À la messe des sens, le corps du vin transparaît au travers d’une matière conséquente, construite sur une foultitude de petits tanins réglissés et crayeux. Le vin s’étale, s’installe, et nul ne s’en plaindrait. La finale est à la hauteur. Longue, elle s’épuise lentement, en douceur et fraîcheur.

Je me dis alors, que sur un grand millésime du Mas, Jésus me serait apparu, en culotte de velours bien sûr, et Bach aurait déchaîné sa passion, loin, là-bas, dans mon cœur d’enfant…

«Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard, ni patience». René Char.

 

EITEMOMITISSAESTCONE.

RITON, LE P’TIT RATON.

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La De grave distroy.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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C’était un p’tit raton, les yeux comme des boutons,

Il aimait les rognons, les pommes et les trognons

Se gavait de crème fraîche, le soir dans les poubelles,

L’avait pas l’air d’un rat,il était bien trop gras,

On l’appelait Riton, ses potes c’étaient des chats,

Avec eux il jouait à s’trouer la rondelle,

A la manif pour tous, s’est planqué sous une pelle.

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Ronron le chat mignon qui s’prend pour un raton,

Tout maigre tout efflanqué à bouffer des dentiers,

Le soir il a très peur et il trouve pas son beurre,

Les matous du quartier lui foutent des raclées,

Un soir Riton l’a vu qui pleurait tout du long,

Alors il a foncé, toutes canines plantées,

Sur les poilus galeux, à les faire tous pleurer.

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Ils ont fait des enfants, le chat était une chatte,

Riton le raton à grands coups de reins malins,

Les moustaches en sueur, les yeux au ras des fleurs,

A la tache voué, à la tringle, à la batte,

Tant au soir qu’au matin à crier comme un chien,

A se crever les yeux dans un style aérien.

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Madame, monsieur, vous, au sortir des salons,

Faites donc attention en posant vos petons,

Sous les portes cochères se planquent les tigrons.

SOUS VOS PAS.

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Avec La De la terre devient fleurs.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Où allez vous comme ça à petits pas chinois

Vos hanches se disloquent on ne sait pas pourquoi

Sur le détroit d’Ormuz les oiseaux en bouquets

Planent en flammes lentes, l’azur transfiguré.

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Où courez vous comme ça quand grincent les violons

Perchées sur vos échasses vos flancs en vibrations

Canal du Mozambique les dunes en vol-au-vent

Alanguies et torrides sous le soleil flambant.

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Que tenez vous comme ça entre vos doigts de lait

Vous souriez aux anges vos cheveux sont défaits

Au large de Panama les plaines sont figées

Les arbres calcinés les Temples désertés.

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Où marchez vous comme ça à longs pas indolents

Votre corps est voilé de grands nuages ardents

Les chutes du Zambèze déversent leurs torrents.

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Où est passé le temps il est passé par là

Et les fleurs ont séché, écrasées sous vos pas

Et la pivoine pleure quand vous êtes là-bas.

LA SORCIÈRE AUX CORNUES.

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Le totem de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ton corps sage, ton corps nichons, ton corps billard,

Dans l’ombre, dans le corset des nuits de charbon,

A foison, corps vidé, coruscant, tout tremblant,

Même la lune s’est couchée, allongée dans les eaux

Qui caressent les déesses, les drôlesses, les papesses.

La diablesse blottie, et ses fesses d’ogresse,

Quand elle couine et rapine en caressant ma peau,

Comme les arbres en forêt se balancent. Et les glands

Des grands chênes parsèment le gazon.

Sur les cimes corrodées dérivent les busards.

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Puits de réglisse, gouffrée de zan, les amants

Crèvent les bulles majuscules, les opercules,

La pluie coule, rus en foules, tourneboulent,

Dagues brûlent, piquent et pleurent, le bonheur.

Suées grasses, rires complices. Les artistes,

Mousse de lys, hagards, émus, la valse triste

Déroule, et tonnent ses accords, douce houle.

Sous les soies, sous les draps, mains serrées des glaneurs,

Fleurs des champs, myosotis, buissons de farigoule,

Un monde se bouscule, vallées et monticules,

Dans le silence bleu scintillent les aimants.

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Les cordons se dénouent, elle du corps, ce corps fou,

Tombent les cordonnets, corps de lait, don du corps,

Offrandes fragiles, ce corps sage à l’outrage,

Rêves de tison, corps ogives, si rond ce corps

Au fond des corridors, réveille toi en nage,

Cornique tu parles, oiseau pâle de Corfou,

Le corps se tait sous la cornette corsetée,

Beau corps, sous le bec des corbeaux, le corps râle,

D’âge pleure, serre les cordages en correction,

Érection fatale, le corps rôde, coeur à létal.

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La sorcière aux cornues, à tirer au cordeau.

MA LOVE ME TOO …

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Les flamboyances de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ma louve ma Lou,

C’est si charmant, si doux,

Quand tu fais ta Love me too,

Et tu serres fort tes genoux,

Pour masquer ton buisson de houx.

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Je te regarde et suis tout fou.

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Allez, ma too, viens t-en voir,

Et boire, avide, à l’abreuvoir,

De mes yeux sableux. A te voir,

Les curés noirs, les encensoirs,

S’agitent comme des braquemarts.

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Je suis tombé sans te voir.

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Dis donc, gironde, ma ronde,

J’aime quand tu me grondes,

Blanche comme une vagabonde,

Il faudra bien que tu m’émondes

Ma fronde bandée, me refondes.

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Comme je te hais ma furibonde.

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Plus épicée qu’un cachou,

Derrière tes lunettes de hibou,

Oui mets toi donc à genoux,

Je deviens bleu comme un bantou,

Quand je me roule sur ton chou.

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Je t’emmène à Ouagadougou.

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Love me too, love me tender,

A l’aube de tous les millénaires,

Accrochés, juste fous, à nos aiguières,

Nous voguons aux confins des cimetières

Voiles éclatées, chairs sucrières.

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Et j’arrache tes jarretières.

L’INTERCESSION DE RITA…

Weinman. Sweet dream of Sainte Rita.

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 Blanc, somme de toutes les couleurs ou absence, c’est selon…

L’addition des couleurs-lumières crée l’immaculée, celle des pigments entraine la négation, l’absence, le noir, d’avant et après la vie. L’esprit serait l’éblouissance de ce petit matin de presque hiver? Et la matière, le dense, le compact, le pesable, le mesurable, serait le point ultime de l’entropie, la disparition, la négation, l’inanimé, la mort? Questions pas très fashion-victim, certes. Désolé pour toutes les ViWi qui se seraient égarées en ces lieux de perdition… L’avenir, pour nos sociétés supposées responsables, est action, projet, investissement, consommation, frénésie, course, accumulation, genre syndrome de Bahlsen, more and always more. Alors, qu’il neige de l’amour ou qu’il pisse du sang sur les landes Irlandaises comme dans les entrailles fumantes de l’Afrique, quel importance, quel intérêt?

A gros flocons poudreux les cieux ont, doucement déversé sur les villes engourdies leur manne de caresses ouatées qui assourdissent les chants rauques de nos ordinaires agitations matinales. Les os noirs des arbres déplumés ne se découpent plus sur le ciel sans relief, épais, lourd, apathique, couleur plomb et mercure pesants. Les cris, comme les angles agressifs de nos villes cubiques, sont étouffés, gommés, par les voiles, légers et voletants, des eaux sidérées. La courbe est reine. La neige, subtile, nous enseigne la beauté émouvante des rondeurs, comme le charme d’une hanche d’opale bleutée, alanguie dans la lumière naissante de ce petit matin figé du monde, l’intensité des sensations simples aussi, comme le baiser mordant de la ouate givrée, fondant entre col et cou.

Hors la ville, la neige révèle, souligne, sculpte, redonne à la nature la primauté, en effaçant les routes, en soulignant les lignes torturées des vignes nues. La nature retrouve sa virginité, sa nudité, à peine marquée par les tatous délicats des oiseaux, qui effleurent le sucre glacé des prairies immobiles, de leurs pattes tridactylées

Mais l’amour n’est ni de mise, ni de mode, dans les cités fascinées par les leurres grossiers des avidités triomphantes. Bientôt les gommes épaisses des monstres de tôles vernissées, à quatre roues motrices, tous crabots engagés, écraseront les plumes fragiles qui brillent – encore un instant, por favor – et escamotent le bitume. Les chaussées noirciront. La boue grasse des âmes perdues, éperdues, tracera les chemins lourds de nos entêtements bornés. Les maîtres sont de retour, qui déversent inconsidérément sur les sols, le sel arraché à la terre. Rien ne doit arrêter, voire freiner – un instant de ce temps, qui nous effraie tant – la marche forcée de notre monde, si fragile…

«E la Nave…» folle des Nations aveuglées, «…Va»…, droit dans le mur, à (court?) terme!

De droite et de gauche, ça roupille! Il faut qu’un ex-rebelle des pelouses dorées s’y mette, col relevé et verbe coloré, style direct, reprise de volée assassine, en plein dans la gueule dentue des vautours de la Phinance. Allez retirer vos petites éconocroques citoyens, reprenez vos quatre sous, dépouillez les banques qui se gavent de vos kopecks! Proposition généreuse mais illusoire, les garces ont verrouillé leurs coffres. Essayez donc de récupérer vos misères pour voir!

Non mieux que ça, plus malin, plus facile à faire. Demandez aux Banques Éthiques (vocable peu usité, dont la signification nécessite le recours au dictionnaire, désolé!) de vous héberger. Elles sauront transférer vos avoirs, liquides, solides, gazeux, sans que les Hyènes Lyonnaises, Populaires, Paribas, Mutuelles (!!!), ne vous arrachent au passage quelques pitoyables lambeaux supplémentaires. Pour mettre à genoux la Phinance insolente, sans mettre les équilibres en dangers, pensez Équitable, Moral, Solidaire, Durable. Et de surcroît, apaisés, vous dormirez mieux!

Allez, c’est fini! Pour ceux qui auront, jusqu’au bout, traversé ces insignifiantes diatribes, sans vomir sur leurs Rolex, l’heure de la récompense, enfin, est venue!

A froidures hivernales, neiges pures et considérations nébuleuses, il faut du blanc. Mais quel blanc? Un Austral, sorbet vanille? Un Sudiste alcooleux? Un Côte Chrysocalien flamboyant, à prix d’or? Non, vendre ma Rolex? Que non, et toujours non! Mais alors, à quel Saint se vouer? Ruminations longues, réflexions volcaniques, synapses en feu, hémorroïdes corticales imminentes, fistules purulentes du cervelet, vérole du pont de Varole, varices suintantes de l’hypothalamus, hypertrophie brutale de l’hippocampe, et trois aspirines plus tard, me retrouvent, hébété, presque égaré, au fil des longues galeries de calcaire brut de mon immense cave. A perte de vue, murs de bouteilles, piles de Jeroboams, murailles épaisses de «Romanée-Conti» des origines à demain, enceintes bâties à grands coups de briques de Nabuchodonosors de tous les «Musigny» qui douillent, de tous les somptueux «Charlemagne» des collines de «Corton», échafaudages serrés de «Montrachet» prestigieux… Perdu je suis. Déboussolé, égaré, déprimé, j’en appelle à la très Sainte Rita. Ô toi, Patronne des causes désespérantes et des êtres désespérés, viens t-en vers moi, que ta main de lumière, pure et chaste, éclaire le chemin du pauvre hère en perdition, que je suis. Yeux fermés, lèvres crispées, fesses serrées, de peur de me prendre la paroi de calcaire en pleine poire (un Meursault peut-être?), pogne tremblante, tel le mendiant trébuchant de Noël (un Banuyls blanc?), j’avance à petits pas apeurés. La très Sainte me guide. Derrière le mur opalescent de mes paupières closes, palpite la vision, floue, d’une après mort sereine. Mais je m’égare…

Au juste moment, où le désespoir épais s’apprête à étreindre, de ses cercles d’aciers glacés, mon torse gracile, voici que glisse entre mes doigts gauches, tel un gode givré dans le cul d’un banquier qui verrait fondre ses profits (je blague!), le col fin d’une bouteille. Le ciel a parlé, c’est d’un blanc qu’il s’agit. De la Côte certes, mais de la pauvre (enfin…, comparée à l’autre), celle que l’on dit Chalonnaise. Un de ces blancs bien nés, qu’élève avec un soin, une rigueur et une simplicité toute Cistercienne, un de ces rares hommes qui a voué sa vie au vin. Dans son Domaine de Bouzeron, petit village, habillé de vignes, depuis que les moines de Cluny en supputèrent la qualité, Aubert et Pamela de Villaine font leurs vins. Sans esbroufe ni tapage, le co-gérant de la DRC, avec classe et discrétion, cultive sa vigne et élève rigoureusement ses jus. Pas le roi du buzz cet homme, plutôt taiseux, mais avec cette petite lueur d’humanité souriante, rare de nos jours, qui éclaire un visage plutôt sévère, si ce n’était justement… La Rita maline, solidarité (ben oui, il faut taper bien haut pour la trouver by now!) oblige, m’a fourré (pardon très Sainte!) une «Les Saints Jacques» Rully 2008 au creux de la main.

Encore proche de l’extase mystique, je gravis quatre à quatre, les 11000 marches qui montent au rez-de-chaussée de mon logis. Là, presque nu, tant la chaleur des demis chênes, qui roussillent dans la cheminée marmoréenne d’un de mes salons, est torride, je décapsule, non pas une de ces vierges recluses dans un harem proche oriental, mais la modeste bouteille, encore fraîche de la cave. Puis d’un tour de poignet tendre et leste, je la déleste du bouchon quasi vierge, qui lui lui coupait le souffle. Elle me remercie d’un petit «plop» timide. Dans le grand verre aux formes replettes, dont le cristal reflète les lueurs changeantes des braises andrinoples, auréolées de flammèches bleu saphir, la robe d’or de ce vin modeste, pâle comme ces auréoles décolorées, qui ceignent les icônes, dans la pénombre spirituelle des monastères Byzantins, palpite comme un Mondrian miraculeusement animé. Il me faut l’élever, vers la lumière neutre d’un lustre de cristal de Bohème, pour que vive la pure brillance limpide de son or argenté.

Cette parure du vin m’hypnotise, tandis que mes doigts se perdent dans la fourrure épaisse d’un Tigre du Bengale sur lequel je suis à demi étendu, la tête confortablement relevée, par le crâne rayé du félin apaisé, dont l’haleine puissante, m’oblige à m’écarter un peu. Accoudé à la table marquetée de jade, d’orichalque, et d’écailles de tortues bicéphales, le verre posé devant moi, je sens sous mon séant assis, la douce chaleur du cuir de buffle nain hémiplégique, qui tapisse le fauteuil accueillant. De mon auriculaire recourbé, j’approche le hanap fragile de mon appendice en prière. Ce sont des effluves, subtiles et élégantes, de fleurs délicates et blanches, qui ravissent, tout d’abord mon odorat. Puis montent en volutes fines, des fragrances de beurre frais, et comme l’idée d’une poire. Puis une touche subtile de citron salé, et l’amertume d’un noyau, finissent de me frôler le renifloir. Un dernier souffle de ruche chaude, enfin, tel un clin d’œil du printemps à venir.

L’enfance du vin murmure à peine en bouche. Certes la matière est là, qu’allège un gras mesuré, mais elle semble encore repliée, comme les pétales d’une rose, à la coque à peine entrebâillée, au matin de sa vie. Entre les capitons gourmands des fruits mûrs, et la fraîcheur élégante des citrons de Palestine, le sel des coraux anciens, entroques du secondaire des temps primordiaux, enrobe la sécheresse du calcaire, de ses épices fines. Un vin qui ne se paye pas de race, qui ne l’affiche pas, mais n’en manque pas pour autant. Retenue de l’âge, élégance du Chardonnay en Septentrion, «éducation» discrète en foudres de «quercus» porte glands, sont esquisse élégante d’un vin promit à l’équilibre sous peu.

Mais le «Hollandais Volant» repart en pays de chimères, et le claquement métallique du vide-ordure sur le palier, me ramène brutalement à la réalité banale, de mon HLM en léthargie.

Dans mon verre vide, rode encore le parfum troublant d’un rêve.

EBIMODÉTIDIÉECONE.

DANS LE PUITS DES SORTILÈGES.

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Le Pan Pan de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans le puits des sortilèges

Sont tombés braves gens

Quelques feuilles d’automne

Sur un couple d’amants.

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Dans le puits des sortilèges

On y voit, au bout de toi,

Sous la Chapelle Sixtine

Des rois au coin du bois.

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Au fond du puits, des manèges

Ils tournent en riant

Des myriades d’étincelles

Comme les rires des enfants.

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Au fond du puits des sacrilèges

Se vêtent les cathédrales

De parures de diamant

Et de vierges en bacchanales.

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Dans les arcanes de mes rêves

Les sarabandes et le dieu Pan,

Le goût sucré des fraises,

Que croquaient les chenapans.

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Dans le brouillard de longs cortèges

De moines en déréliction,

Dans le puits des sortilèges,

Comme elle valse ma chanson.

DANS L’ANIS ROUGE …

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Avec le talent de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dans ta timide combe charnue, en l’air,

J’enfonce, poignard bouillant, mon annulaire.

Dans l’anis rouge et poivré qui t’étoile,

Je meurs et je pleure en levant la voile,

Et dans le secret noir de ton cœur qui bat,

Nous dansons, hanches de fous, le cha-cha-cha,

Putain, coule le rhum, le bois bandé, et la rumba.

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Il t’en cuira de réveiller le serpent cru,

Oeil fendu, chemin tordu, langue fourchue,

Serpent, ma plume qui s’abreuve à ta lune,

Te guide, languide, turgide, vers ton but.

Et la biche qui flagelle, aux timides aisselles,

Pattes raidies, sveltes comme des radicelles.

Cruel, il s’insinue. Le crotale a mordu.

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Lit de fleurs pressées, beignet de miel doré,

Chairs concassées, éclairs stroboscopés,

Flots de purée grasse aux épices dédiées,

Tête levée, à hurler, sur ton bassin lové,

Écailles percées, à l’extase monté, le serpent a versé,

Sur l’ivoire de ton regard, des larmes de ciel tourbé.

Sirius, Orion, embrassés, enlacés, corps figés.

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L’Ouroboros, aux étoiles glacées, s’est enflammé,

A l’ombilic céleste, comme un fou, accroché,

Et les fleurs et les fruits, et mon corps et ton cœur,

Isis, et Osiris dépecé, aux membres éparpillés,

Ont perdu la mémoire, oublié les rancoeurs,

Sous l’amphisbène, les sonnettes, à mourir, ont vibré,

Acides soies des voilures, parures épuisées.

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Et tes yeux ont perlé, le serpent s’est ployé,

Et nous avons pleuré tout au fond de nos peurs,

Au dessus de nos vies. Quelque chose a tremblé.

LES LILAS SONT EN FLEURS.

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Vanité de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Ah, la place Vendôme en ce petit matin d’été, déserte, ses arcades et son doigt de granit dressé !

Oh le dôme, il étincelle, là, quelque part devant l’histoire mille fois brûlée !

Sur l’esplanade le bruit gourmand des fers émoussés qui frappent le pavé,

et les plumes chamarrées,

et les plastrons dorés, les éperons cinglants, les moustaches taillées,

gommées à se tendre,

à montrer le ciel ciré des espaces d’ailleurs et d’avant, comme l’obélisque des amours si durs,

des amours de velours,

de masque de fer,

et de voilettes baissées,

les petits pas claquants, mille jupons chantants en diagonale,

la reine est au fou,

le poison dans la fiole cachée, perdue dans les cents plis

des traînes et des traînées.

Voilà que le temps bascule, la terre se fend, tout s’écroule quand tout

remonte du profond

des laves des coeurs éteints.

Vanités étalées comme de précieuses dentelles effilochées par les dents aiguës

du temps implacable,

du temps qui fait le mort,

le temps qui est la mort,

la seule qui vaille, vaille que vaille, enfers et entrailles, cercueils perdus des histoires de peu, de pieux, d’organdi et de lit des grands empanachés.

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La brise tiède a soufflé, les lilas sont en fleurs.