Littinéraires viniques » Christian Bétourné

LE JASMIN JAUNE.

Basilique du sacré coeur de Montmartre

Basilique du Sacré Cœur de Montmartre.

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Yasmine tricote. Son regard délaisse ses aiguilles – depuis le temps elles savent cliqueter toutes seules – et se perd par la porte fenêtre, vers un horizon qui n’existe pas pour elle. A deux mètres des vitres, le dos de béton d’un garage. Alors elle se noie dans le jasmin jaune qui fait la boule contre le mur gris.

L’hiver est tombé d’un coup, il a réduit les jours et bouché le ciel, ce n’est plus qu’étoupe grise bourrelée de nuages d’encre, pleins à craquer de froidures diverses. Yasmine n’y voit plus grand chose, la lumière anthracite éclaire si chichement son ouvrage qu’elle le confond avec son tablier sombre. Mais peu lui importe. Elle voit avec les yeux de l’âge bien plus perçants que ceux de chair.

Dans le fond de la pièce obscure, Alfred est à ses réussites. Le pauvre vieux n’y arrive pas, il n’y voit plus goutte. Il lui faut approcher au plus près chaque carte au ras du nez, pour espérer la reconnaitre dans cette pénombre épaisse. Yasmine l’entend pester et même jurer comme le charretier qu’il n’a pas été, lui qui faisait le beau à calligraphier des actes notariés dans son costume gris, cravaté comme un ministre, les manches recouvertes de lustrines protectrices, fièrement assis derrière son bureau de bois de chêne à l’entrée de l’Office. “Alfred, apportez moi le dossier Michaud !”, criait maître Tabellion sans même ouvrir la porte matelassée de son bureau. Et Alfred se levait et courait. Retrouver le dossier dans le fatras n’était pas chose facile, ça montait bien à mi murs de tous côtés, mais le sous clerc connaissait son capharnaüm. Le Tabellion avait juste clôt son clapet que déjà le dossier atterrissait sur son sous main de cuir patiné. Alfred, torse bombé, se dressait devant lui, les guidons de sa moustache cirée frémissante, parfaitement pointés vers le plafond, le sourcil droit en accent circonflexe, le jarret tendu, le visage crispé, le sourire pincé du loufiat aux ordres, raide et rouge comme un Dalloz au sortir de l’imprimerie.

Dès qu’il poussait la porte du pavillon qu’il habitait avec Yasmine, Alfred se métamorphosait. Sa colonne vertébrale s’arrondissait comme celle d’un scoliosé, ses épaules s’affaissaient et se voutaient, ses bras tombaient à raser les genoux, son regard surtout s’éteignait plus encore quand il enfilait ses pantoufles, avant de s’écrouler en soupirant dans un antique fauteuil vert bronze à poils ras. Yasmine s’enquerrait de sa journée, trottinait autour de lui comme une souris fragile. Mais lui hochait à peine la tête. L’oreille distraite et le regard vide, il semblait avoir prit dix ans entre la porte et le fauteuil.

Alors Yasmine retournait à ses aiguilles, le regard braqué sur le petit monde qui vibrionnait autour de l’arbrisseau. Mais la vie prenait son temps. Patiente, elle regardait le jasmin d’hiver, le jasmin constellé d’étoiles jaunes. L’arbre était aussi haut qu’elle, c’est dire qu’il ne tutoyait pas le ciel, ses branches montaient du pied en s’évasant vers le sommet. Là elles redescendaient se perdre dans le buisson épais, cette géométrie végétale lui faisait penser – Yasmine ne manquait pas d’imagination -, à un cœur plus haut que large, dont la pointe longue semblait enfoncée dans l’herbe au pied du mur. Un cœur vert, touffu, piqueté de petites fleurs d’or à six pétales minuscules. Ajouté à cela de longues branches vertes, garnies de quelques rares feuilles miniatures cirées, et l’ensemble suffisait à ravir Yasmine. Au bout d’un bon quart d’heure, un couple de mésanges charbonnières arrivait, le mâle et la femelle sautaient de branche en branche, s’enfonçaient dans le profond du buisson où ils criaillaient et sautillaient sans cesse. Puis un petit campagnol à poil brun pointait le bout de son museau moustachu, ses petits yeux noirs en tête d’épingle brillaient, il se figeait – Yasmine croyait dur comme fer qu’il voulait lui faire comprendre quelque chose d’important et de mystérieux, mais elle avait beau se creuser, et ce depuis des mois, elle ne comprenait pas – puis la bestiole, en un éclair, disparaissait dans les herbes. Parfois, un étourneau ou une pie se posait à grand bruit, et la vie, effrayée, s’en allait. Mais que ce jasmin jaune lui faisait du bien !

En juin 1944, la petite Sarah Stein et ses grands yeux à boire l’amour, pas plus grosse qu’une mésange charbonnière, descendait du train à coups de crosse, pour se retrouver à moitié estourbie sur un lit de bois dur au ras du sol d’un baraquement crasseux. Toutes les nuits qu’elle y passa à se frotter les os sur les planches dures, elle occupa le plus sombre de son mauvais sommeil à éviter les excréments qui suintaient des lits supérieurs. En quelques jours la petite oiselle ne fut plus qu’un squelette fragile aux grands yeux dévorants et à la peau translucide. Dès le petit matin du second jour les kapos à matraques envahirent le baraquement en hurlant. Ils cherchaient dix zombies pour le docteur Sigmund Rascher, qui avait besoin de cobayes pour ses petites expériences. Un colosse à poils roux empoigna la petite Sarah, mais un grand kapo maigre au visage sévère lui parla brièvement à l’oreille. Le rouquin la rejeta brutalement sur son bat-flanc.

Le kapo aux longs bras d’araignée s’appelait Moshe, il sauva régulièrement la petite d’une mort certaine. Entre le froid, la faim, les travaux forcés, et Rascher l’expérimentateur sadique, les prisonniers tombaient comme mouches au Groenland. Tous les matins, les kapos emportaient par charrettes entières les morts de la nuit ramassés dans les baraquements insalubres. Les fosses communes creusées dans le sol débordaient. Tous les matins, Moshe tremblait quand il inspectait la cahute de Sarah. Quand il croisait dans la pénombre le regard fiévreux de la petite recroquevillée sur sa paillasse infecte, il soupirait discrètement, s’arrêtait un instant, son visage ne marquait aucune émotion, mais quelque chose de l’ordre du soulagement lui dénouait le ventre. Il lui arrivait de voir passer dans le regard halluciné de la moinelle déplumée une lueur imperceptible, douce comme un soleil voilé. Alors Moshe savait qu’ils avaient gagné une journée de plus. Et cela lui donnait de la force.

Sans la protection de Moshe le taiseux, Sarah n’aurait pas survécu longtemps. Une année durant elle n’entendit pas le son de sa voix, mais elle comprenait au demi battement de cil ce que les yeux du kapo muet lui disaient. La nuit, la pisse et la merde qui descendaient des étages fétides l’engluaient. Mais elle ne bronchait pas, attendait que ça sèche pour gratter les croûtes épaisses qui la recouvraient. Sous ses yeux clos, le sang battait faiblement et déformait le visage flou de Moshe qui brillait sur l’écran rose de ses paupières. L’espoir de le revoir passer, le temps d’un soupir, le bref arrêt qu’il marquait en face d’elle dès que l’aube grise pénétrait le baraquement, la tenait en vie, sa croyance en Dieu s’effilochait au fil des jours, le kapo était sa seule espérance.

A la mi avril 1945, la rumeur courut que les américains approchaient de Dachau. L’état major allemand ordonna de tuer tous les prisonniers. La nuit d’avant le début du massacre, Moshe enleva Sarah. Tous deux descendirent dans la dernière fosse creusée, se glissèrent sous les cadavres en décomposition. La main du kapo serrait celle de la petite qui suffoquait dans les humeurs malodorantes. Ils tinrent une semaine. Le 29 avril les américains les retrouvèrent, décharnés et respirant à peine.

C’est ensemble qu’ils furent rapatriés. Ils changèrent de nom, Sarah devint Yasmine et Moshe devint Alfred. Ils se marièrent à la mairie. Le reste de leur vie ils ne se dirent pas trois mots. Sans avoir eu besoin d’en parler, ils décidèrent de ne pas avoir d’enfants. Yasmine ne sortit presque jamais du logis, elle passait ses journées dans l’espoir du retour d’Alfred. Elle tricota d’innombrables layettes et autres pulls pour enfants qu’elle entassait dans un grand coffre de bois sombre. Quand il était plein, Alfred déposait un colis soigneusement ficelé devant la porte d’un orphelinat.

Assise devant la porte fenêtre, Sarah regardait le jasmin jaune et les mésanges lui racontaient de belles histoires. Souvent ce spectacle lui tirait une minuscule larme de bonheur qu’elle essuyait furtivement. Un soir, comme tous les soirs depuis des lustres, au fond de la pièce qu’envahissait la nuit, Moshe s’escrimait sur sa réussite. Mais ce soir là, il poussa un petit soupir. Les cartes tombèrent de sa main au moment où la nuit devint noire. Aucune étoile ne s’alluma dans le ciel. Quand plusieurs mois plus tard les pompiers défoncèrent la porte du pavillon, Sarah, momifiée, souriait devant le jasmin jaune.

HAÏKUS 6

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

HAÏKUS 5

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LES JOUES BLEUES DE LA NUIT.

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L’enfant du vent de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les joues bleues de la nuit, le blanc des cœurs en neige,

Le noir givré des embruns fous glace l’élan

De safran. Les joies, les collines en arpèges,

Accroché à sa bouche le guerrier du Soudan.

Vole le perce-neige, plane l’enfant du vent.

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A la cime dépeuplée, tout au bas des abysses,

Au delta du grand fleuve, l’embouchure, la mangrove,

Aux confins du destin s’ébattent les métisses,

Plonge le cormoran où le serpent se love.

Dans les nids, des mots bruts, des plumes et des oves.

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Le froissement glissant des écailles de verre,

Le temps n’existe plus quand survient le naufrage,

Flotte l’étoile, souvenir, rire aux cheveux clairs,

Longues algues vertes le long du gouffre en rage,

Plaisir acidulé, flonflons, fille volage.

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Au son brûlant, tambours battants, soleil couchant.

Les mélopées tristes des regards déployés,

Cils vibrants, arcane majeur, aux chants haletants,

A l’espérance aveugle, à l’arc-en-ciel zébré.

Dans les cieux de soie bleue, la neige miraculée.

 

What do you want to do ?

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HAÏKUS 4

haiku mix 3

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

SPLENDIDE ET MERVEILLEUSE.

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Robert Sitjka.

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Grands yeux verts et truffe claire, Splendide déguste à petites bouchées délicates le ventre saignant de la souris qu’il vient de choper dans le jardin. Une heure de planque, recroquevillé, immobile comme un marbre, puis un bond, un seul, et deux crocs dans la nuque. Splendide aime ça, le bruit des vertèbres qui craquent quand il croque. La maison est vide, personne n’en saura rien. Le matou est malin, il léchera même le carrelage après avoir caché la dépouille sous un buisson. Non, qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un guerrier couturé de cicatrices, c’est même le contraire. Splendide est un félin gracieux au pelage roux comme un sous bois d’automne, à la démarché légère, élégante, il rebondit sur ses coussinets silencieusement, la queue bien droite, comme la hampe d’un oriflamme au soleil levant.

De toute façon il y a bien longtemps qu’il a mit la patronne dans sa poche fourrée. Il n’a pas eu à se forcer, il lui a suffit d’être la petite boule de poils, miaulante à faire fondre un légionnaire, qu’il était quand Marguerite l’a trouvé vagissant sous un buisson, au jardin public, sis dans une ville , heuuuu… ? Ce n’est pas qu’il ne veuille pas, le matou est finaud, mais lui le nom de la ville il s’en contrefiche comme de sa première saillie. D’autant que la première qu’il a eue honorée, c’était une vieille pelure à moitié râpée, en mal de minet innocent. Une couguar auraient dit les humains. Mais pas Marguerite, elle non, c’est plutôt le genre messe, vêpres et hosties à gogo.

Splendide avait bonne presse sur les toits du quartier. Taille fine et fourrure rousse rayée de blanc, faut avouer qu’il avait un petit côté bôchat (l’équivalent de bogosse chez les bipèdes), et il ramassait grave de la chatoune, de jour comme de nuit d’ailleurs elles ne lui résistaient pas. Pourtant d’ordinaire la chatte a la griffe facile, et plus d’un audacieux a eu la truffe lacérée, voire un œil crevé, un soir de vadrouille, mais Splendide lui ça ne lui était jamais arrivé, il lui suffisait de ronronnasser trois quatre coups, en donnant un peu dans les rauques et les basses, pour que ces damoiselles succombent. Alors là, c’était la fête. Les soirs de pleine lune, on avait même pu voir des flopées de chattes attendant leur tour. Parfois même, mais pas trop souvent, le gaillard est gaillard, on a eu pu voir Splendide s’éclipser derrière une cheminée, la queue basse et les reins en compote …

Tout ça pour dire que le margay tenait la gente féminine en piètre estime, ça n’était bon, de son point de vue, qu’à agrémenter ses longues promenades nocturnes. Ah oui aussi, motus les lecteurs … parce que Marguerite ne sait pas que son chéri chéri se carapate la nuit, elle ne sait pas, la pauvre, qu’un chat peut se glisser dans un trou de souris !

Merveilleuse la merveilleuse, enfouie dans son long manteau à poils longs, touffus et drus, plus blanche qu’une colombe, avait toujours l’air de faire le museau. Façon de parler, car elle avait le dit museau écrasé, elle donnait l’impression de s’être prise une porte de verre en pleine poire un soir de maraude, elle qui ne sortait pourtant jamais. Mademoiselle trônait, l’air perpétuellement renfrogné sur le divan élimé de Gaston, vieux garçon de métier, qui comptait et vendait boulons, clous, écrous et autres vis chez un quincailler à l’ancienne. Il était grand, sec, le visage émacié, le cheveu rare, des poils plein les oreilles et les narines qui le chatouillaient jour et nuit, de longues jambes toutes en os flottaient dans un pantalon de coutil bleu aux genoux blanchis par le temps. Gaston vouait un véritable culte à sa Merveilleuse, et se saignait aux quatre veines pour la nourrir de poisson frais et autres mets raffinés. Il la gâtait, et lui offrait des petites souris et des oiseaux en peluche que la bougonne dédaignait superbement. Elle acceptait une caresse de temps en temps, deux parfois, mais à la troisième elle zébrait jusqu’aux tendons, avec une vivacité surprenante pour une casanière, la maigre main qui avait cru pouvoir. La vie trépidante de la persane allait du divan à la litière, en passant par la mangeoire. Elle passait sa journée, et cela est propre à l’espèce, à recracher les boules de poils qu’elle ingurgitait, tout en dégustant d’une mine dégoûtée les petits plats de princesse que Gaston mitonnait pour elle.

Un soir de décembre, passé minuit, le ciel menaçait, le tonnerre roulait au dessus de la ville, Splendide, comme à l’accoutumée se glissa hors du logis, s’en allant chasser la gueuse dans le voisinage. Non loin de là, dans la même paroisse, un éclair providentiel tomba du ciel, faisant un bruit d’enfer, et la veilleuse, que Gaston laissait allumée toute la nuit pour le confort de sa chatte, explosa en mille éclats de verre. Merveilleuse fit un bond sur le divan, cracha, la pelisse en porc-épic, et prise de terreur elle sauta lourdement dans la rue par la fenêtre mal fermée. Et se retrouva nez à nez avec un rouquin aux yeux ravageurs. Qui vit atterrir devant ses moustaches une grosse boule de fourrure odorante, dodue, un peu pataude pour lui qui courait d’ordinaire les mistigrettes alertes, hanches fines et jarrets souples. Mais comme c’était la première de la soirée, il déploya ses charmes, miaula comme un ténor, tendit le jarret, lâcha une bordée de phéromones mortelles, brandit la queue bien haut à montrer les étoiles, l’enroula puis la retendit soudainement. Le tonnerre claqua violemment, la foudre toucha le clocher de l’église, on entendit grésiller les ardoises.

Marguerite et Gaston se réveillèrent en sursaut!! Tous deux, parfaitement synchrones, constatèrent la disparition de leurs amours de chats respectifs. Tous deux eurent le cœur au galop, la tension à la hausse, frôlèrent, l’une l’AVC, l’autre l’arrêt cardiaque. Tous deux s’habillèrent à la hâte, sortirent sous la pluie battante dans la nuit électrique. Marguerite, les cheveux hérissés par l’électricité statique, était méconnaissable, à moitié nue sous son peignoir en pilou-pilou, Gaston, à demi noyé sous les eaux, ressemblait lui à une girafe en pyjama à carreaux. Marguerite, petite bonne femme replète à double menton, peinait à presser le pas sur le trottoir glissant, elle avait la cheville fragile et la cuisse ramollie par l’inactivité physique. Elle avait l’air de courir alors qu’elle se traînait, sans doute parce qu’elle agitait les bras dans tous les sens, en criant d’une voix à peine audible dans le vacarme ambiant “Splendiiiiiide, Splendiiiiide mon bébéééé !”. A deux rues de là, Gaston semblait monté sur des échasses, il avalait littéralement le bitume à très longues foulées mécaniques, il n’appelait pas sa bête, il avait la gorge nouée et ses pleurs se mêlaient au déluge. Les éclairs illuminaient plus encore que la lumière du jour, tout était blanc, les immeubles, le bitume, les arbres aussi, et le rideau de lourdes gouttes de pluie emprisonnait la ville derrière ses barreaux liquides.

En pleine apocalypse, les deux félins, à l’abri dans une poubelle étanche devant laquelle Gaston venait de passer à toute vitesse, confortablement installés sur la dernière volée d’ordures fraîches déposée par une ménagère, flirtaient tranquillement. Splendide offrait à sa conquête espérée les plus beaux morceaux en ronronnant doucement. La belle consentait et mâchonnait délicatement les kleenex souillés qu’il lui offrait en la frôlant furtivement du bout de ses moustaches. Merveilleuse, chatouillée, secouait vivement la tête et lui rendait son regard langoureux. Enfin presque. Entre deux bouchées elle lui balançait quelques coups de griffe pour le maintenir à distance convenable. Non mais! Merveilleuse n’était pas chatte à succomber sans combattre!

Là-haut, assis jambes pendantes sur la branche droite de son étoile préférée, le petit Prince riait déjà.

Brandon Dupont, qui aimait l’orage et la violence en général, sortait de son immeuble, il tenait en laisse, au bout d’un collier étrangleur, Killeur son rottweiler noir et fauve qui tirait comme un fou en bavant de longs filets glaireux. Il ne vit pas arriver sur sa gauche Gaston à fond les ballons, ni sur sa droite Marguerite à bout de souffle. L’immeuble, situé à l’angle de deux rues perpendiculaires, ne permettait pas à Brandon de les voir déboucher, au moment ou il se retournait pour fermer la porte d’entrée. Et ce que le petit blond, là-haut avait anticipé se produisit, Marguerite se prit les pieds dans la laisse, Killeur, asphyxié, plia les jarrets, Brandon glissa sur la chaussée détrempée et Gaston reçu la rosière entre ses bras. Une bouffée d’hormones odorantes le prit à la gorge, un mélange d’encens, de chair chaude, de confessionnal poussiéreux et d’amidon le ravirent instantanément. Marguerite gloussa de plaisir.

Au chaud de la poubelle, Splendide et Merveilleuse, étroitement accouplés, chantaient.

Satisfait, le petit prince sourit. Pudique il cacha la lune derrière un épais manteau de nuages dodus, éteignit les étoiles, et fit une croix de plus sur son carnet. Ces deux âmes là commençaient à prendre de l’âge, tout allait pour le mieux, elles y arriveraient …

Haïkus 3

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

HAÏKUS 2.

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Avec les bijoux de La Di.

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

HAÏKUS 1.

HAÏKUS 5

Avec les ectoplasmes murmurés de La Di.

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

TOINETTE ET TONY.

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Tony Truant n’en menait pas large, ce n’était pas un homme courageux. Sa calvitie prononcée luisait dans la nuit, la lumière des réverbères ruisselants de pluie ricochait sur son crâne nu, faisant étinceler les gouttes d’eau qui éclataient et dévalaient sur son visage grimaçant. Il courait comme il pouvait, sa respiration bruyante résonnait dans les rues désertes, et son abdomen distendu ballotait devant lui. A bout de force le comptable ralentissait de plus en plus, ses jambes étaient lourdes, gorgées d’acide lactique, il sentait qu’il ne pourrait pas continuer à ce rythme bien longtemps. A quelques mètres devant lui la porte d’un immeuble s’ouvrit, une jeune femme élégante en sortit et s’éloigna à petits pas rapides. Tony, dont le cœur battait à grands coups, ne vit que ses longues jambes, il était tellement au bout du bout qu’elles lui semblèrent floues, s’agitant au ralenti. Comme dans un thriller américain. Les chaussures à talons de la femme claquaient sur le trottoir, un bruit trop fort pour être réel, insupportable, sourd, grave, métallique, qui lui donna immédiatement mal à la tête. Avant que la porte ne se refermât, il s’engouffra dans l’entrée, glissa le long du mur de grosses pierres apparentes, et s’écroula sur ses talons. C’était un bel immeuble Haussmannien, vaste, luxueux, le hall carrelé, haut de plafond, menait à un large escalier aux courbes majestueuses. Perdu dans ce vaste espace, vu de l’escalier, Tony avait l’air minuscule, on aurait un tas de vêtements effondrés sur une paire de chaussures blanches à bouts noirs. Une chose misérable dont la respiration saccadée faisait écho dans ce vestibule disproportionné. Les bruits d’une cavalcade lui parvinrent de l’extérieur, à peine assourdis par l’épaisse porte de bois massif. Tony reconnu le bruit menaçant des talons ferrés de Mike le danseur.

Tous les matins, Tony le dégarni, à défaut de pouvoir se coiffer, lissait sa moustache, drue et fournie, qu’il entretenait avec soin et fredonnait en roulant les “r” : ” J’attendrai, le jour et la nuit, j’attendrai toujours, ton retour … “. Ce refrain l’obsédait depuis qu’il lui avait enlacé le cœur, alors qu’il était passablement éméché, un soir de vadrouille en compagnie de Giorgio Amoroso et de sa bande de voyous. Pas discrète la bande, vraiment pas, le feutre porté bas sur les yeux, les costumes à rayures, la cravate hurlante, les chevalières en or et les pompes bicolores. Et avec ça le verbe haut, la main à la poche, et les billets qui volaient par brassées. Les filles aussi, brunes, blondes, noiraudes, rousses, comme un vol d’étourneaux au dessus d’un verger, s’accrochaient à leurs basques quand ils apparaissaient, poils lustrés et sourires ravageurs.

Tony, petit comptable passe muraille dans une entreprise de cartonnage, végétait au milieu des porteurs de lustrines. Il avait pour ami d’enfance une des gouapes majeures de la bande. Au fil du temps, des embrouilles et des rixes, son copain Alfred le culotté, gouailleur et violent, qui avait comme lui fleuri dans le ruisseau parisien, avait pris du galon. C’est grâce à lui que Tony était devenu l’occulte ministre des finances de la petite bande de malfrats. Ce statut le satisfaisait et depuis qu’il faisait partie du gratin de l’ombre, il prenait soin de lui. Le chef, le patron, le boss, Giorgio Amoroso était une petite frappe, du genre inculte, cruel et malin, avide de pouvoir, de femmes et d’argent. Caractériel et susceptible, rien ne le rebutait, et tous les moyens étaient bons pour asseoir son empire naissant. Il excellait dans le maniement du surin comme dans celui du pic à glace, et ses yeux clairs, faussement innocents, tournaient à l’acier quand il plantait, avec délectation son pic dans la nuque du premier qui osait ne serait-ce que discuter un de ses ordres. Histoire de varier les plaisirs, il aimait aussi tuer sans raison, comme ça, au détour d’une rue, lors de ses virées nocturnes ou juste après la réussite d’un de ses mauvais coups. “Pour faire tomber la pression” comme il disait en s’esclaffant. Son plaisir atteignait son paroxysme quand il essuyait la lame de son engin sur la chemise blanche du malheureux qui tressautait encore sur le trottoir.

Toinette était sa régulière. Cette petite femme vive, ronde comme une pomme, carrossée comme une Delage, il l’avait ramassée dans un salon de coiffure huppé, un jour qu’il se faisait tailler les rouflaquettes. Son babil aigu, sa taille fille, ses cheveux auburn, sa répartie vive et ses petits yeux méchants lui avaient plu. Depuis elle se pendait à son bras et faisait sa capricieuse. Il la couvrait de fourrures et de bijoux, question de standing. Toinette, propriété du boss, était intouchable, et les quelques rares audacieux qui avaient cru pouvoir lui sourire en douce, ou même la regarder d’un air soi-disant engageant, s’étaient rapidement retrouvés à la morgue. Ceux-là Giorgio les épluchaient au couteau avant de les finir. C’est dire que les relations étaient tendues, et les gars de la bande avaient toutes les peines du monde à répondre aux ordres du caïd tout en évitant de regarder la gamine. Heureusement, elle n’était pas grande, alors quand ils devaient parler au patron, leurs regards passaient au dessus de la tête de la mousmée. Certains mêmes, très prudents, levaient les yeux au plafond avant de répondre aux questions du daron, pour être bien certains de ne pas croiser par mégarde les yeux de la précieuse petite chose.

Tony en pinça pour Toinette aussitôt qu’il la vit. Elle s’en aperçut bien sûr. Le comptable, dont le courage n’était pas la vertu cardinale, sua sang et eau pour feindre de l’ignorer. Il dénotait dans l’équipe, c’était un taiseux discret, il se tenait toujours dans l’ombre, noircissait ses cahiers, comptait les billets, en faisait de belles liasses aux bords réguliers, la tête baissée, timide, il regardait plus souvent ses pieds que les visages. Prudent et timoré, il ne s’aventurait jamais à prendre la parole, mais ses silences, subtilement éloquents, plaisaient à Giorgio qui le protégeait des excès des autres. Lesquels, de ce fait, lui foutaient une paix royale.

Toinette l’observa longtemps en loucedé, petit à petit la douceur de ce garçon si différent des autres la pénétra. Elle se surprit, elle au cœur dur et à la jambe alerte, à soupirer quand il n’était pas là, à rêvasser le soir avant de s’endormir, quand Giorgio, rassasié après l’avoir sautée brutalement, s’écroulait comme un plomb. Elle eut beau se raisonner, afficher une indifférence hautaine et ne lui accorder jamais l’éclair d’un regard, rien n’y faisait, plus les jours passaient plus ses nuits devenaient difficiles, et plus le comptable falot l’attirait. Elle se mit à boire, elle qui n’aimait pas ça se mit à rire à propos de rien, elle dénonça à tours de langue de pute ceux qui osaient la regarder plus d’une seconde à la fois. Giorgio fit suer le surin à tours de bras et le sang coula dans les caniveaux. De Paname à Belleville ça sentait l’abattoir. Dans les petits milieux du milieu, ces exécutions gratuites, ça commençait à énerver.

Un soir, Tony travaillait aux comptes modifiant par-ci, falsifiant par-là les chiffres officiels des bars, et tenait scrupuleusement en parallèle la double comptabilité. La bande était au turf, quelque part en ville, occupée à cambrioler un entrepôt bourré de fourrures, puis les affranchis finiraient la nuit dans leurs bars attitrés, à boire comme des trous pour fêter ça, en jetant le pèze par poignées sous les regards admiratifs des gagne petit. Abrutis par l’alcool et défoncés aux substances, ils tomberaient au petit jour dans les bras des radasses accueillantes qu’ils ne toucheraient même pas, mais qu’ils paieraient grassement.

Toinette traînait sa langueur quand elle entra dans la pièce où Tony trimait. Il était là, fragile, déplumé, débraillé, les bretelles sur les hanches et la chemise ouverte sur un marcel défraîchi, le bide relâché et les yeux cernés. Triste spectacle que celui de ce jeune homme a l’air vieux, qui aurait fait rire Giorgio et les autres, mais qui émut Toinette aux larmes. Elle essuya d’un coin de mouchoir le rimmel qui coulait en noircissant ses yeux, se moucha bruyamment, s’apprêtant à faire demi tour, quand Tony se retourna et la vit. Il tendit la main vers elle sans même l’avoir voulu. Elle courut vers lui en chouinant, entoura les épaules de Tony qui n’avait pas eu le temps de se lever, et l’embrassa en bavant à moitié sur le sommet du crâne. Puis elle s’assit sur ses genoux et fourra son nez dans son cou. Stupéfait puis pétrifié, Tony n’osait plus bouger, il ne pouvait que déglutir en s’efforçant de retrouver son souffle. Ils restèrent ainsi un long moment. Aux anges. Quelque chose qu’ils ne comprenaient pas, qui les dépassait même, les unissait. La haut, assis sur la branche droite de l’étoile, le petit Prince sentit vibrer le bouchon au bout de sa ligne.

Mike le danseur se tenait à l’entrée de la pièce, son sourire sans lèvres apparentes fendait son visage, le spectacle de ces deux là, immobiles et enlacés, lui mit au ventre un spasme délicieux. Il tourna les talons en silence. Tony s’était levé d’un bond, il tremblait de tout son long. A ses pieds Toinette pleurait.

Giorgio, livide, gifla sauvagement la première fille qu’il vit. Sa tête heurta le mur. Assommée, elle tomba comme une poupée de chiffon. Prudent Mike se tenait un peu à l’écart, se dandinait, et prenait l’air penaud. ” Trouve le, crève lui les yeux, coupe lui la queue, fourre la lui dans la bouche, et saigne le jusqu’à la dernière goutte !! ” hurla t-il en direction du Danseur.

Tony courait sous la pluie froide. Il crevait de chaud. Le bruit métallique se rapprochait. Il pleura la bouche grande ouverte quand le premier coup lui perça un rein. Il perdit connaissance.

La police retrouva Toinette ventre ouvert et seins tranchés dans une benne à ordures. Les rats se régalaient encore.