Littinéraires viniques » Christian Bétourné

ISULA PINZUTA.

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La tête de mule de Maure de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Cirrus échevelés, des ors et des rochers,

Le ciel comme un voile bleu, les filles ensorceleuses,

Des pics et des baies, du granit et des plaies,

Et mille fois violée, Kallisté, toi la gueuse.

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Immortels bouquets d’immortelles précieuses,

Aigles lents, grands milans, myrte, ciste au maquis,

Diaspora, condottiere, écumes audacieuses,

Ses rivages sont blancs, sa langue silencieuse.

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Ses enfants disparus, d’autres se sont perdus,

Les tempêtes ont sculpté son joli doigt de fée

Qui pointe dans les eaux, jusqu’au fruit défendu,

On s’y casse les dents et le sable est doré.

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Entendez vous blêmir les cœurs dans les vallées,

Les ventres peaux tendues, les cordes sont vocales,

Et leurs yeux de basalte aux pentes accrochés,

Dans les ports désertés qui donc ferait escale ?

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Toi qui passe par là, ne baisse pas les yeux,

Regarde donc leurs âmes à l’espérance lasse,

Le flux et le reflux et vertes les eaux bleues,

Le Maure laisse sa tête, et comme lui tout passe.

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Les grands pins ont penché leurs têtes millénaires

Sur les roches érodées par les forts vents de sang,

Le sourire des plaines s’allonge sur les terres,

L’aube pointe à la porte, le héron sur l’étang.

HAÏKUS 8

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

QUAND JE SERAI MORT.

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La camarde de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Quand je serai très mort, je serai bien vivant

Je me fendrai la gueule, je n’aurai plus de dents

Je jouerai bien aux boules, à un deux trois soleil

En courant comme un fou, je n’aurai pas d’oseille

La terre est sur ma tête et le ciel sous mes pieds

J’ai de l’herbe à l’oreille, les nuages sont mouillés

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Onze mille vierges une salope et deux putes

Et moi, et moi, et moi qui leur joue de la flûte

Mes trilles à l’unisson, dans l’arbre la turlute,

Gros lapin, mimi pinson, bonbons à foison,

Au cœur du potiron chante et rit le frelon,

Alice et sa pelisse et Falstaff sa toison.

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Au royaume des morts, je serai un enfant

Roland cuirasse d’or souffle dans l’olifant,

Blanche neige et le cierge, leurs doigts font des arpèges,

Je saute comme un cabri, vais cours vole et bondis,

Sardanapale énorme, entouré de houris,

Et Prévert et sa clope, Emmanuelle et sa fraise !

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Lourds fracas de douceurs, tendre pièges farceurs,

Et des cochons mafflus, les crêpes, la chandeleur,

Des abricots dodus, des pastèques velues,

Ah que vienne la mort, que j’erre dans les rues,

Ah que vienne la vie, les jeux suants de glu,

Quand je serai très mort, oui je serai tout nu.

HAÏKUS 7

haiku mix 4

Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LE JASMIN JAUNE.

Basilique du sacré coeur de Montmartre

Basilique du Sacré Cœur de Montmartre.

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Yasmine tricote. Son regard délaisse ses aiguilles – depuis le temps elles savent cliqueter toutes seules – et se perd par la porte fenêtre, vers un horizon qui n’existe pas pour elle. A deux mètres des vitres, le dos de béton d’un garage. Alors elle se noie dans le jasmin jaune qui fait la boule contre le mur gris.

L’hiver est tombé d’un coup, il a réduit les jours et bouché le ciel, ce n’est plus qu’étoupe grise bourrelée de nuages d’encre, pleins à craquer de froidures diverses. Yasmine n’y voit plus grand chose, la lumière anthracite éclaire si chichement son ouvrage qu’elle le confond avec son tablier sombre. Mais peu lui importe. Elle voit avec les yeux de l’âge bien plus perçants que ceux de chair.

Dans le fond de la pièce obscure, Alfred est à ses réussites. Le pauvre vieux n’y arrive pas, il n’y voit plus goutte. Il lui faut approcher au plus près chaque carte au ras du nez, pour espérer la reconnaitre dans cette pénombre épaisse. Yasmine l’entend pester et même jurer comme le charretier qu’il n’a pas été, lui qui faisait le beau à calligraphier des actes notariés dans son costume gris, cravaté comme un ministre, les manches recouvertes de lustrines protectrices, fièrement assis derrière son bureau de bois de chêne à l’entrée de l’Office. “Alfred, apportez moi le dossier Michaud !”, criait maître Tabellion sans même ouvrir la porte matelassée de son bureau. Et Alfred se levait et courait. Retrouver le dossier dans le fatras n’était pas chose facile, ça montait bien à mi murs de tous côtés, mais le sous clerc connaissait son capharnaüm. Le Tabellion avait juste clôt son clapet que déjà le dossier atterrissait sur son sous main de cuir patiné. Alfred, torse bombé, se dressait devant lui, les guidons de sa moustache cirée frémissante, parfaitement pointés vers le plafond, le sourcil droit en accent circonflexe, le jarret tendu, le visage crispé, le sourire pincé du loufiat aux ordres, raide et rouge comme un Dalloz au sortir de l’imprimerie.

Dès qu’il poussait la porte du pavillon qu’il habitait avec Yasmine, Alfred se métamorphosait. Sa colonne vertébrale s’arrondissait comme celle d’un scoliosé, ses épaules s’affaissaient et se voutaient, ses bras tombaient à raser les genoux, son regard surtout s’éteignait plus encore quand il enfilait ses pantoufles, avant de s’écrouler en soupirant dans un antique fauteuil vert bronze à poils ras. Yasmine s’enquerrait de sa journée, trottinait autour de lui comme une souris fragile. Mais lui hochait à peine la tête. L’oreille distraite et le regard vide, il semblait avoir prit dix ans entre la porte et le fauteuil.

Alors Yasmine retournait à ses aiguilles, le regard braqué sur le petit monde qui vibrionnait autour de l’arbrisseau. Mais la vie prenait son temps. Patiente, elle regardait le jasmin d’hiver, le jasmin constellé d’étoiles jaunes. L’arbre était aussi haut qu’elle, c’est dire qu’il ne tutoyait pas le ciel, ses branches montaient du pied en s’évasant vers le sommet. Là elles redescendaient se perdre dans le buisson épais, cette géométrie végétale lui faisait penser – Yasmine ne manquait pas d’imagination -, à un cœur plus haut que large, dont la pointe longue semblait enfoncée dans l’herbe au pied du mur. Un cœur vert, touffu, piqueté de petites fleurs d’or à six pétales minuscules. Ajouté à cela de longues branches vertes, garnies de quelques rares feuilles miniatures cirées, et l’ensemble suffisait à ravir Yasmine. Au bout d’un bon quart d’heure, un couple de mésanges charbonnières arrivait, le mâle et la femelle sautaient de branche en branche, s’enfonçaient dans le profond du buisson où ils criaillaient et sautillaient sans cesse. Puis un petit campagnol à poil brun pointait le bout de son museau moustachu, ses petits yeux noirs en tête d’épingle brillaient, il se figeait – Yasmine croyait dur comme fer qu’il voulait lui faire comprendre quelque chose d’important et de mystérieux, mais elle avait beau se creuser, et ce depuis des mois, elle ne comprenait pas – puis la bestiole, en un éclair, disparaissait dans les herbes. Parfois, un étourneau ou une pie se posait à grand bruit, et la vie, effrayée, s’en allait. Mais que ce jasmin jaune lui faisait du bien !

En juin 1944, la petite Sarah Stein et ses grands yeux à boire l’amour, pas plus grosse qu’une mésange charbonnière, descendait du train à coups de crosse, pour se retrouver à moitié estourbie sur un lit de bois dur au ras du sol d’un baraquement crasseux. Toutes les nuits qu’elle y passa à se frotter les os sur les planches dures, elle occupa le plus sombre de son mauvais sommeil à éviter les excréments qui suintaient des lits supérieurs. En quelques jours la petite oiselle ne fut plus qu’un squelette fragile aux grands yeux dévorants et à la peau translucide. Dès le petit matin du second jour les kapos à matraques envahirent le baraquement en hurlant. Ils cherchaient dix zombies pour le docteur Sigmund Rascher, qui avait besoin de cobayes pour ses petites expériences. Un colosse à poils roux empoigna la petite Sarah, mais un grand kapo maigre au visage sévère lui parla brièvement à l’oreille. Le rouquin la rejeta brutalement sur son bat-flanc.

Le kapo aux longs bras d’araignée s’appelait Moshe, il sauva régulièrement la petite d’une mort certaine. Entre le froid, la faim, les travaux forcés, et Rascher l’expérimentateur sadique, les prisonniers tombaient comme mouches au Groenland. Tous les matins, les kapos emportaient par charrettes entières les morts de la nuit ramassés dans les baraquements insalubres. Les fosses communes creusées dans le sol débordaient. Tous les matins, Moshe tremblait quand il inspectait la cahute de Sarah. Quand il croisait dans la pénombre le regard fiévreux de la petite recroquevillée sur sa paillasse infecte, il soupirait discrètement, s’arrêtait un instant, son visage ne marquait aucune émotion, mais quelque chose de l’ordre du soulagement lui dénouait le ventre. Il lui arrivait de voir passer dans le regard halluciné de la moinelle déplumée une lueur imperceptible, douce comme un soleil voilé. Alors Moshe savait qu’ils avaient gagné une journée de plus. Et cela lui donnait de la force.

Sans la protection de Moshe le taiseux, Sarah n’aurait pas survécu longtemps. Une année durant elle n’entendit pas le son de sa voix, mais elle comprenait au demi battement de cil ce que les yeux du kapo muet lui disaient. La nuit, la pisse et la merde qui descendaient des étages fétides l’engluaient. Mais elle ne bronchait pas, attendait que ça sèche pour gratter les croûtes épaisses qui la recouvraient. Sous ses yeux clos, le sang battait faiblement et déformait le visage flou de Moshe qui brillait sur l’écran rose de ses paupières. L’espoir de le revoir passer, le temps d’un soupir, le bref arrêt qu’il marquait en face d’elle dès que l’aube grise pénétrait le baraquement, la tenait en vie, sa croyance en Dieu s’effilochait au fil des jours, le kapo était sa seule espérance.

A la mi avril 1945, la rumeur courut que les américains approchaient de Dachau. L’état major allemand ordonna de tuer tous les prisonniers. La nuit d’avant le début du massacre, Moshe enleva Sarah. Tous deux descendirent dans la dernière fosse creusée, se glissèrent sous les cadavres en décomposition. La main du kapo serrait celle de la petite qui suffoquait dans les humeurs malodorantes. Ils tinrent une semaine. Le 29 avril les américains les retrouvèrent, décharnés et respirant à peine.

C’est ensemble qu’ils furent rapatriés. Ils changèrent de nom, Sarah devint Yasmine et Moshe devint Alfred. Ils se marièrent à la mairie. Le reste de leur vie ils ne se dirent pas trois mots. Sans avoir eu besoin d’en parler, ils décidèrent de ne pas avoir d’enfants. Yasmine ne sortit presque jamais du logis, elle passait ses journées dans l’espoir du retour d’Alfred. Elle tricota d’innombrables layettes et autres pulls pour enfants qu’elle entassait dans un grand coffre de bois sombre. Quand il était plein, Alfred déposait un colis soigneusement ficelé devant la porte d’un orphelinat.

Assise devant la porte fenêtre, Sarah regardait le jasmin jaune et les mésanges lui racontaient de belles histoires. Souvent ce spectacle lui tirait une minuscule larme de bonheur qu’elle essuyait furtivement. Un soir, comme tous les soirs depuis des lustres, au fond de la pièce qu’envahissait la nuit, Moshe s’escrimait sur sa réussite. Mais ce soir là, il poussa un petit soupir. Les cartes tombèrent de sa main au moment où la nuit devint noire. Aucune étoile ne s’alluma dans le ciel. Quand plusieurs mois plus tard les pompiers défoncèrent la porte du pavillon, Sarah, momifiée, souriait devant le jasmin jaune.

HAÏKUS 6

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LES DÉESSES SONT LASSES.

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Les quatre vies de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi – Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Agrippine féline, tes doigts de perles fines,

Ton sourire de satin, tes yeux de tourmaline,

La tournure de tes reins, ta cambrure zibeline,

Ta façade, ta vitrine, ta démarche vipérine.

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Aglaé triste fée, à ta main agrippée

La lance déployée sous tes doigts à hurler,

Ton sourire d’airain, ton regard extasié,

Ton dos de poivre chaud, tes rondeurs dévoyées.

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Athénée au palace, à se draper la face,

Sa chevelure rousse, son œil de jais me glace,

Assise sur le pré dans les fleurs en rosace,

Sur sa bouche vorace, le baiser d’un rapace.

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Aphrodite est en eau sous sa couronne d’algues,

Sur la surface bleue le soleil et ses dagues,

Une girelle verte lui a fait une bague,

Et les congres joueurs sur le bord des madragues.

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Les déesses sont lasses, les dieux sont courroucés,

Le sol se dérobe, les volcans sont gelés.

HAÏKUS 5

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.

LES JOUES BLEUES DE LA NUIT.

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L’enfant du vent de La Di.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Les joues bleues de la nuit, le blanc des cœurs en neige,

Le noir givré des embruns fous glace l’élan

De safran. Les joies, les collines en arpèges,

Accroché à sa bouche le guerrier du Soudan.

Vole le perce-neige, plane l’enfant du vent.

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A la cime dépeuplée, tout au bas des abysses,

Au delta du grand fleuve, l’embouchure, la mangrove,

Aux confins du destin s’ébattent les métisses,

Plonge le cormoran où le serpent se love.

Dans les nids, des mots bruts, des plumes et des oves.

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Le froissement glissant des écailles de verre,

Le temps n’existe plus quand survient le naufrage,

Flotte l’étoile, souvenir, rire aux cheveux clairs,

Longues algues vertes le long du gouffre en rage,

Plaisir acidulé, flonflons, fille volage.

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Au son brûlant, tambours battants, soleil couchant.

Les mélopées tristes des regards déployés,

Cils vibrants, arcane majeur, aux chants haletants,

A l’espérance aveugle, à l’arc-en-ciel zébré.

Dans les cieux de soie bleue, la neige miraculée.

 

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HAÏKUS 4

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Illustrations B. de Lanfranchi, haïkus C. Bétourné et B. de Lanfranchi  – ©Tous droits réservés.