Littinéraires viniques » Christian Bétourné

VENDETTA ET FROUFROUS.

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La vendeFrou de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La danse, tourbillons, vendetta et froufrous

Valse, tournoie, gambille, bas de soie, émoi

Et toi ? Etincelle, crécelle, rire doux

La joue si rose, l’œil brillant, et moi et moi !

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Feuilles ouvertes, macaron cru, fraise tendre

La biguine, la coquine, la noix croquée

Vole et vire. Pleurs et cris. Crie à cœur fendre

A pierre  tant briser, à bûche tronçonner.

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Pastels fragiles, cœurs d’argile, regard d’encens

Fumerolles rousses, fous délices de sang

Mais que vaines sont vaines les amours d’antan

Toi qui sur les mers a bourlingué trop longtemps.

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Blanc noir, éclair cinglant, mots de perles fines

Les ondes légères vibrent sous le ban

Et la peau, sein damné, les eaux l’illumine

Brocarts et taffetas ont épousé le gland.

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Qu’as-tu dit, qu’as-tu fait, toi qui souffles en coulisses

Dans les espaces étroits, dans les conques marines

Dans les bois, dans les cuivres, dans le cœur des vouivres

A l’amour, aux braises, je lève mon verre et pisse.

UN MOUSTIQUE.

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Mosquito des Enfers par La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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On croirait une sciotte qui vole dans les airs,

Quand la nuit est tombée le moustique surgit

De nulle part ou d’ailleurs, comme une flèche d’ombre.

Personne ne s’en doute, mais Mosquito rugit

Comme un griffon ailé. Il nait de la pénombre

Des marais infestés où règnent les mystères.

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C’est un insecte hargneux, ils se rue sur les chairs

Des êtres dénudés, des enfants aux yeux clairs

Arrachés au sommeil par le vampire ailé.

Il se gorge de sang, un sang gras et salé,

Alors il devient fou, gagné par l’arrogance

Il rugit plus encore, en brandissant sa lance.

Ainsi telle la grenouille qui se prend pour un bœuf,

Mosquito alourdi, par sa soute lesté,

Se pose contre un mur au soleil réchauffé,

Sa digestion est lente, c’est qu’il n’est plus très neuf,

Mais il repart bientôt, ne sachant plus attendre,

 Mosquito le goret sent sa panse se distendre.

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Quand il a fait le plein, au bord de la syncope,

Ses ailes ne portent plus le diptère glouton,

Accroché par les pattes à l’écorce d’un tronc,

Le stryge ridicule a perdu sa superbe

Il meurt en éclatant, sous la langue d’un Serbe.

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Un Gecko des Balkans l’attendait patiemment.

PAUL ET MANON.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Manon pliait les maillots depuis peu. C’est une minutieuse Manon, quand elle plie pas de faux-plis. Antoine son père faisait partie du staff de l’équipe de rugby locale, une bonne équipe d’amateurs enthousiastes. Pas des cadors, non, mais des gars amoureux de ce sport exigeant. Ce dimanche l’équipe jouait à l’extérieur. C’était la première fois que Manon la roussette – sa famille et ses amis l’appelaient ainsi – nouvellement chargée de l’entretien des équipements, accompagnait l’équipe première, une belle bande de joyeux costauds.

Les déplacements se faisaient dans le bus du club, un bus qui avait déjà pas mal roulé sa carlingue, un engin d’un confort relatif dans lequel tout le monde s’entassait pour quelques petites heures de trajet. Au départ l’ambiance était aux rires et les vannes volaient, mais déjà à mi-chemin, les gars se calmaient, le stress apparaissait, et la dernière heure de voyage devenait électrique, les visages se fermaient, la tension montait.

Elle faisait le voyage aux côtés de Paul le troisième ligne centre de l’équipe, un costaud, forcément, qui lui prenait bien la moitié de son siège, son épaule gauche collait la sienne à presque l’ankyloser. A vrai dire c’était plutôt le coude du garçon qui lui défonçait l’épaule ! La première heure avait été pénible, oui vraiment, elle avait cherché tout autour sans grand espoir un siège libre, mais le bus était bondé. Les plaisanteries de vestiaire avaient volé au-dessus de sa tête entre le grand machin et le reste de l’équipe. Manon aurait bien voulu fermer les écoutilles, se retirer, mais il braillait tellement, sautant sur son siège, levant ses grands bras en ricanant comme un ravi ! Elle avait tout enduré sans se plaindre, les coups de coude, de hanche, ses genoux pointus qui lui meurtrissaient les jambes, les postillons, les odeurs de pâté, de charcuteries diverses, les grandes rasades odorantes de bière mousseuse et bien d’autres douceurs. Puis une fois le concours de rots terminé – par chance les concours de pets c’était tout au fond du bus, sur la grande banquette dévolue aux premières lignes – la testostérone avait baissé et bien des gars s’étaient mis à ronfloter la gueule ouverte, histoire d’emmagasiner de l’énergie avant le match qui les opposerait au premier de la poule trois de la division d’honneur du Sud Ouest.

Paul sommeillait lui aussi, son corps s’était détendu et Manon ne détestait plus son contact. Elle réfléchissait en respirant, sans déplaisir se rendait-elle compte, le fumet des aisselles chaudes, un peu âcre, qui lui retroussait le nez. Au bout d’un moment elle eut même très chaud, et se sentit gênée quand elle prit conscience que c’était sans doute les odeurs de vestiaire, que son père ramenait à la maison depuis toujours, qui l’avaient amenée là dans ce bus, collée contre le grand corps avachi et parfumé à l’huile de noix fraîche.

Manon était une roussette sensible, fine, intelligente. Tavelée comme un ocelot, sa peau crémeuse attirait les regards. Rousse atypique, elle avait les yeux très noirs, larges et brillants, deux olives au sortir de la jarre, un corps potelé tout en rondeurs fermes, une bouche demi fraise juteuse, et la langue bien pendue prête à décalquer le premier, ou la première, qui oserait dépasser les bornes. Façon de parler, elle avait les bornes aussi élastiques que ses seins étaient pneumatiques, cela dépendait des gens, de ce qu’elle ressentait face à eux, de son humeur aussi. Tout ça pour dire que la petite était du genre volage mais avec goût, une curieuse de la vie la Manon, une butineuse, cœur large et chair sensible, gourmande mais pas au point de s’oublier au nom de l’amour. D’ailleurs ce mot la faisait rire. Au point que ceux qui l’avaient étourdiment murmuré à son oreille, fusse de jour comme de nuit, s’étaient aussitôt retrouvés seuls face eux-mêmes. Certains, qui n’avaient pas compris la raison de l’envol inopiné de l’oiselle, cherchaient à comprendre, à la revoir, mais aucun d’entre eux n’y était parvenu. Alors des bruits couraient sur son compte, entre éconduits on parlait d’elle comme d’une dévoreuse, une fille facile qu’il était impossible de séduire, encore moins d’aimer. Les plus acrimonieux venaient bien entendu de ceux qui étaient restés à la porte des félicités espérées, ceux-là tenaient des propos aussi stupides que vulgaires et infâmants. Personne n’était dupe pourtant, Manon était généralement aimée, appréciée et respectée au village. D’aucunes même l’enviaient et admiraient sa liberté.

Tout était prêt. Manon avait disposé dans les vestiaires chaussettes, shorts et maillots. Autour d’elle les garçons se préparaient, elle s’éclipsa juste avant qu’ils ôtent le bas mais elle avait pris le temps, mine de rien, de se régaler des cambrures, des postures évocatrices, des torses, des  dos musclés qui tournant et retournant lui avaient donné grand faim. Elle suivit le match dans la petite tribune du stade en compagnie des dirigeants des deux clubs. Mais elle n’entendit rien, toute à son match elle vibrait sous les chocs, s’époumonait à courir avec les garçons, sentait jusque dans ses fibres la poussée des mêlées, le souffle rauque des avants qui chargeaient comme des boeufs, son pouls battait au rythme des leurs, un mince filet de sueur coulait de son cou à l’échancrure de ses fesses crispées. Et c’est le rose aux joues qu’elle atteignit la mi-temps. Qu’elle passa dans les vestiaires, au cœur de la tourmente, entre les coups de gueule de l’entraineur et les têtes basses des garçons peu fiers de leur début de match, à couper les citrons, changer les maillots, s’étourdissant d’odeurs fortes, au plus près des corps meurtris, les joues plus roses encore et les sens en émoi. Elle s’occupa surtout du grand Paul, il avait fait l’objet d’attentions particulières de la part des avants adverses, et comme disait l’entraineur  il avait “mangé” bien plus que les autres, façon de leur dire, aux autres, qu’il était temps, d’aller “au combat”, de “mouiller leur putain de maillot”, de “se tirer les doigts du cul” et autres consignes tactiques du plus haut intérêt. Personne ne mouftait, seul Paul qui ne voyait plus que d’un œil et qui était presque aussi bleu que son maillot était vert de gazon à force de s’y être frotté, voire enfoncé sous le poids des aurochs qui lui avaient sauté sur le râble pendant quarante minutes, souriait de toutes ses dents d’un air presque satisfait. En jetant des regards complices, discrets et mouillés en direction de Manon, qui lui répondait franchement, la bouche fendue d’une oreille à l’autre. Pour Manon, la messe était dite, le petit Jésus ne tarderait pas à chanter l’Introït.

Le match reprit, plus dur encore, ecchymoses et saignements avaient quelque chose de Bergmanien se disait Manon, qui se pourléchait les babines tandis que les gnons pleuvaient plus drus encore. Mais l’adversaire à ce jeu là fut le plus fort. Paul, saoulé de coups, sortit en boitant à la soixantième, on eut beau changer la ligne d’avants, deux trois-quarts et un ailier explosés en vol, rien n’y fit. Ce fut la déculottée, la Berezina, la branlée, celle dont on se souvient toute sa vie. Dans les vestiaires ça sentait la défaite, l’écrasante, la cuisante, l’écurie avant le changement de litière aussi. Manon, invisible, était partout, ramassant les tenues maculées de terre et de sang, les shorts arrachés, les chaussettes hors de forme, appréciant les corps fourbus à moitié nus, humant à plein nez leurs odeurs fortes, les respirant goulument, à tourner de l’œil. La goule était à son affaire. Mais il fallut bien qu’à un moment elle sorte, il y avait des choses à se dire entre hommes, avant la douche. En refermant la porte à regret, elle surprit le regard un peu triste de Paul fixé sur elle. Et cela l’émut, et plus encore.

Paul dormait comme un centurion après l’assaut, la tête appuyée contre la vitre, le corps de travers pour caser ses grandes jambes. A son côté Manon avait repris la même place, les jambes remontées sur son siège pour pouvoir tenir. Très vite le car ronfla comme un seul homme, l’encadrement dépité par la défaite suivit peu après. Seuls la roussette et le chauffeur étaient éveillés. Elle aima ça, tant, qu’elle fut surprise quand un sentiment très doux lui mouilla fugacement le coin des yeux. Sa main gauche caressait doucement le bras gauche du garçon, appuyant un peu pour éprouver  la fermeté des chairs. Il grogna et se rétracta quand elle empalma trop fort son épaule blessée. De ce grand corps puissant à l’abandon montaient des effluves de peau propre, un peu du jasmin et de l’orange de son shampoing douche, ainsi que quelques notes phéromonalement animales et subjuguantes. Elle ferma les yeux pour mieux se délecter des ces odeurs tendres, émouvantes et puissantes à la fois. La vie, oui la vie, c’était ça qu’elle ressentait violemment, la vie dans son expression la plus épanouie, la vie troublante, odorante, la vie au plus haut du possible, là juste à côté d’elle, à l’œuvre dans ce corps endormi, ce corps qui l’attirait plus qu’aucun autre corps jamais ne l’avait fait. Puis elle pensa au regard triste qu’il lui avait jeté, ce regard lourd comme la mort, aqueux comme un mollusque hors d’eau, un regard désespéré, un regard de chien battu sans avoir combattu, un regard résigné, un regard terrible, glaçant, terrifiant, qui lui avait gelé le corps, le cœur et l’âme. Quelque chose se passait, la prenait se disait-elle, l’impression de perdre le contrôle de sa vie, mais c’était quelque chose de très doux, de très onctueux, un peu comme si le miel des ruches et le beurre de la ferme se mélangeaient à son sang pour battre dans ses veines, comme si sa poitrine se remplissait de duvet immaculé, comme si le soleil et les fruits mûrs de l’été coulaient dans sa gorge en ravissant sa bouche. C’était comme si … elle ne savait plus trop … comme si elle avait accès à l’ineffable, à tous les rêves, tous les espoirs secrets de toutes les petites, de toutes les grandes filles, de toutes les femmes, croyait-elle, depuis l’aube des temps. A ce moment précis Paul grogna, changea de position, plongea la main dans son bas de survêt et se gratta vigoureusement les roustons. Et la scène attendrit la roussette qui le regardait s’agiter d’un air niaiseux. Puis elle eut peur, très peur, peur de le perdre. C’est alors qu’elle sut. Elle venait de tomber dans le puits sans fond de l’amour. Bien pire que celui tant redouté des Danaïdes.  Elle sut aussi, et ce fut une évidence étourdissante, qu’elle n’avait jamais aimé auparavant. Manteau de sueur et chape de glace la recouvrirent en même temps. Qui aurait pu la regarder à ce moment là aurait vu ses grands yeux de houille perdre de leur brillance.

Au travers du filtre de ses cils, Paul qui sommeillait plutôt qu’il ne dormait – mais cependant détaché des réalités du monde – sentait la main de la jeune femme caressant son bras, il en soupirait d’aise, le contact était agréable, puis la main se crispa sur son épaule. Il grogna. L’étreinte se relâcha. Paul reprit conscience, un parfum fruité, à peine mâtiné de musc lui caressa le nez, il inspira plus profondément, il eut envie, et cela le troubla lui qui était jusqu’à ce jour de caractère casanier, de visiter Venise, Jérusalem, Grenade, ou cette ville très ancienne dont le nom le fuyait, Balybone ou quelque chose comme ça. Puis, il observa le profil de la fille qui se tenait là, à quelques  vingt centimètres de son visage, profil dont les contours étaient flous tant il peinait à ouvrir grand les yeux. Cela lui donna la délicieuse impression de la mater par le trou d’une serrure. Le soleil couchant d’une chaude journée d’été rougeoyait moins que la masse bouclée de sa chevelure indocile, elle faisait d’autant plus ressortir l’ivoire poli de son teint grivelé de minuscules ilots de chocolat au lait, qu’il eut envie de goûter à petits coups de langue discrets. Puis un nez fin et droit au dessus de la fraise en sang de sa bouche, le tout dressé comme un dessert sur un long cou, posé au-dessus de deux seins fermes et globuleux, le nez dans les étoiles, sur une taille fine, des hanches rondes, des cuisses aux muscles dessinés et des genoux gracieux. Ses chevilles et ses pieds disparaissaient sous ses fesses. A damner un trois quart centre.

Il la lorgnait depuis qu’elle venait au club avec son père, il était encore pupille. Le grand – il l’avait toujours été – n’avait jamais osé quoi que ce soit, elle l’impressionnait. Elle, vive, enjouée, papillon coloré, gracieuse, langue piquante ou piment doux selon les heures, entourée, recherchée, courtisée, et lui dégingandé, bafouilleur, timide, maladroit, sans esprit, complexé, face à elle …. Et là maintenant, la voici qui le collait tout d’un coup. Il n’y comprenait rien, gonflait en silence comme une pâte à crêpe, il lui semblait n’être plus qu’un cœur, des yeux au pubis, un cœur énorme, envahissant, trop gros, étouffant, prêt à éclater au moindre effort, un cœur de vieux à deux jours de sa mort. La trouille, oui c’était ça, le grand bestiau, le bison des pelouses était en panique comme un cobra devant une mangouste.

Là-haut, invisible derrière l’indigo violent du ciel apparent, translucide sous sa tignasse d’or fin, en équilibre sur la branche droite de l’étoile, le petit prince tremblait lui aussi.

TALA ET YAHTO.

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Texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Le ciel était d’un bleu limpide. Uniformément bleu au zénith comme un saphir blessé. Pas la moindre trace d’un soupçon de passage d’une nuée blanche effilochée. Pas un crapaud dans la lumière diffractée de l’améthyste en bord d’horizon. Depuis des semaines.

Aux portes du désert la bande de Shoshones abandonna la poursuite. Mais le guerrier Arapaho ne s’en aperçut pas, il s’enfonça à bride abattue sur son cheval écumant dans l’enfer de la fournaise. Yahto marchait depuis des jours torrides et des nuits glacées. Comme le ciel le désert des Invisibles courait à perte de vue. Courait comme un coyote aux pattes légères, la terre sableuse lentement mangeait les pierres, et toute vie quasiment. Même les cactées avaient disparu, seuls quelques reptiles glacés agitaient leur clochette en chassant les lézards insensibles à la fureur du climat. Tout ce qui portait fourrure s’engrottait le jour et poussait le nez aux étoiles, particulièrement scintillantes en ces lieux violents, dès que les montagnes à l’horizon avaient avalé l’œil rouge du diable. Car la densité, toujours, a raison des états plus subtils de la matière. La caillasse brulante régnait ici ainsi que son expression la plus aboutie, le sable fluide. Le sable, qui à force de se dérober sous les pieds, finissait par épuiser l’homme perdu dans cette immensité. Et Yahto était bien le seul humain vivant chancelant à cent miles au moins à la ronde. Le mustang qui l’avait porté était mort, les os saillants et la langue racornie dès les premiers jours. Yahto avait résisté un peu plus longtemps grâce à l’eau bouillie de sa gourde de peau, et aux quelques fibres momifiées de viande séchée qui trainaient encore au fond de son carquois. Mais il avait fini par dévorer le cuir de son étui et même sa gourde vide. La gourde il n’aurait pas dû. Mal tannée elle l’avait plus empoisonné que nourri, le cuir raide lui avait mis l’estomac à l’envers et les tripes en bouillie. Il boitait comme un infirme, sa cuisse droite avait enflé, et la pointe de la flèche brisée qui lui avait crevé le muscle dépassait à peine des chairs verdies par la putréfaction rampante.

Au soir du dixième jour Yahto tomba, le dernier rayon du soleil lui brûla le front, juste avant de disparaître derrière les crêtes anguleuses de la montagne des Esprits qui tremblait comme un mirage noir dans le lointain.

Tala vivait dans une grotte. Chassée de sa tribu après la mort de sa famille, massacrée lors d’un raid de représailles par une escouade de soldats blancs passablement avinés, Tala avait été violée par un quarteron de soudards en uniformes bleus, sous la tente familiale, au milieu des cadavres éventrés de ses proches. Ils l’avaient épargnée, mis le feu au wigwam, puis ces fous déchainés, ivres d’eau de vie, avaient fini par détaler en titubant. La jeune fille hurlante, la robe en feu, échappa de peu à la calcination en se roulant dans l’herbe mouillée par l’abondante rosée du petit matin. Les femmes la dénudèrent, la déposèrent à l’abri d’une toile, à l’ombre fraîche d’une hutte et badigeonnèrent ses plaies avec une épaisse mixture végétale nauséabonde. Les herbes macérées dans l’eau de la rivière puaient la mort, mais elles sauvèrent Tala. Quand elle fut guérie, les femmes ôtèrent le bandage à la graisse de bison qui enrubannait entièrement sa tête et son visage, elles restèrent muettes un long moment avant de déguerpir en invoquant les esprits. Sa face était coupée en deux parts égales. Comme parfaitement tranchée par un sabre rougi au feu, de la base du cou au milieu du menton en passant par le haut du crâne et l’arête du nez ! La moitié droite était intacte, son œil d’obsidienne aux reflets fauves brillait comme jamais, sa longue chevelure d’un beau noir aile de corbeau dévalait comme un épais bouquet jusqu’au bas de son dos. Le côté gauche n’était que lave refroidie, magma de chairs figées informes, l’œil gauche avait fondu, de la nuque au cou en suivant le crâne, sa moitié de face n’était plus que lacis, bourrelets, cicatrices épaisses, d’un rose sale, grumelés de ravins livides et de plaques d’os à nu. Tala n’avait plus que demie figure humaine. Le sorcier décréta qu’elle commerçait de ce fait avec les esprits du mal, les chiens la poursuivirent longtemps aux confins de la plaine. Tala fut avalée par le désert des Invisibles. Quand elle se traîna en rampant dans une grotte obscure, deux loups adossés à la paroi du fond grondèrent, mais elle était si faible, insensible, qu’elle ne les entendit même pas. Quand elle se réveilla, quatre escarboucles étincelaient au-dessus de son visage. Une langue rouge et râpeuse lui trempa les joues, un mufle chaud la poussa doucement vers un rocher creux au centre duquel coulait un filet d’eau. Elle but et but encore, à vider la vasque de grès jaune.

Tala s’installa dans la grotte. Elle dormait entre les loups. Chaque soir, Asha la femelle lui léchait la face, sa langue rêche apaisait les douleurs récurrentes de sa moitié de visage dévastée pendant que Tala caressait doucement le poil épais de la bête. Bly le mâle ne bougeait pas mais sa fourrure réchauffait la jeune fille. Chaque nuit le couple rapportait les fruits de sa maraude, Tala acceptait l’offrande, dévorait à dents aiguës les viandes sauvages. A chaque fois que la jeune indienne sortait prendre l’air cru et le soleil doux du matin au pied des roches déchiquetées, les deux fauves n’étaient pas loin. Bly ouvrait la marche, Asha se tenait à l’arrière, trottinait la croupe de biais, se retournant tous les trois pas. Ils veillaient. Bien des lunes filèrent dans le ciel étoilé, bien des soleils orangés furent dévorés par les cimes montagneuses. Asha avait accepté son sort. Souvent à la nuit tombée, elle s’asseyait en tailleur, chantonnait à voix rauque en se balançant. Les loups la fixaient, leurs regards sombres étaient doux. Ils écoutaient, les oreilles pointées. Au bout d’un moment la jeune femme fermait les yeux, alors leurs gémissements feutrés accompagnaient la mélopée lancinante. Quand Tala arrivait au bout de sa dernière note, la femelle lui léchait les mains, du bout de sa truffe humide le mâle la reniflait. On eût pu croire qu’il souriait.

Le ventre au ras du sol, les deux coyotes zigzaguaient, s’arrêtaient, s’aplatissaient à disparaître, puis reprenaient à pas comptés leur approche prudente. Yahto délirait. Ses lèvres, craquelées par la soif et le soleil des jours passés, étaient recouvertes de croûtes de sang noirci, à leur commissure gauche un filet de bave sanglante coagulait sur le sol. Le coyote de tête, le plus hardi des deux, bondit, mais au sommet de son vol il fut arrêté net par la mâchoire puissante de Bly. Le loup serra les crocs, les os craquèrent, le chacal mourut en piaulant, la colonne vertébrale fracassée avant d’avoir touché le sol. Le second coyote détala en miaulant comme un chaton effrayé. Le carnassier et sa femelle crochèrent Yahto par les épaules de sa veste de peau, ils le tirèrent à reculons jusqu’à l’entrée de la grotte. Tala installa le guerrier inconscient sur une couche de branchages tapissés de fourrures multicolores, dépouilles restantes des chasses nocturnes du couple de canidés. Asha mordilla la plaie purulente autour du bois de flèche brisé au ras des chairs. Une fois la peau ramollie, les deux loups sucèrent la plaie, avalant le pus verdâtre, la peau en lambeaux, puis ils arrachèrent d’un mouvement de tête soudain le bois pointu, Yahto se cambra sous la douleur. Les loups ne faiblirent pas, ils nettoyèrent la plaie longuement, leurs langues agiles mirent les chairs intactes à nu. Puis ils se léchèrent longuement les babines. La jeune femme étala grassement une infecte purée végétale, la même que celle qui lui avait sauvé la vie, sur la cuisse blessée. Il fallut des jours de soins attentifs, de chants mélodieux et de prières pour que le guerrier retrouve le monde des vivants. Il se mit lui aussi aux viandes crues et à l’eau fraîche de la vasque de grès jaune.

On ne sait ce que les deux couples d’humains et de loups devinrent, personne ne les revit jamais. Une légende indienne raconte que les soirs de pleine lune, ceux qui ont osé s’aventurer dans le désert des Invisibles et qui ont réussi à survivre, arrivés au pied de la montagne des Esprits, très loin là-bas, au bord de l’horizon, au pied du gouffre dans lequel le soleil écarlate disparaît chaque soir, ceux-là, – mais nul ne sait, ne connait, ni n’a jamais connu celui ou ceux qui y sont parvenus – peuvent entendre les rires, les chants et les glapissements joyeux des loups et des hommes, des louvarts et des enfants qui jouent. On dit aussi que la lune en quartier s’esclaffe, se penche et saupoudre d’or fin la nuque fragile des petits.

Les soirs de grande lune blanche, les sorciers enfumés, aux regards extatiques, entendent parfois le chant sacré des étoiles. A eux, et à eux seuls, l’étoile polaire, du bout de sa branche droite, raconte quelques secrets.

LE FAUCON A PLONGÉ.

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Quand La De a fumé.

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llustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Un perroquet gros bec aux couleurs électriques,

Parure rouge, jaune, verte et bleue, criaille,

Et pique les fruits mûrs aux pulpes éclatées.

Aux palmes, accroché, il a mis la pagaille,

Il jase, piaille et crie, on croirait une courée,

Une bande d’enfants qui torturent une bique.

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Le bel ara royal, nuage albuginé,

Grogne, craque et siffle, la crête ébouriffée,

Comme une grande aile jaune aux plumes agitées,

Défie le perroquet, regard désespéré,

Ses griffes aux ongles noirs font de forts moulinets,

Volatiles en bataille, combat des emplumés.

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La musaraigne grise, au pied de l’arbre vert,

Attend le cou levé que tombe enfin la manne,

Les fruits tant désirés aux sauces pâtissières,

Elle tremble de plaisir comme une toxicomane,

Se lèche les moustaches, prête à faire sa fière,

A se gonfler la panse, se remplir la théière.

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Les deux psittacidés secouent les branches lourdes,

Leurs plumes volent au vent, leurs becs se déchirent,

Leurs livrées maculées de tripaille et de sang,

Ils crient et s’égosillent, hurlent comme des déments,

Une mangue ventrue, la voici qui expire,

Elle chute, écrase et tue l’innocente cougourde.

Des hauteurs de l’azur, le faucon a plongé.

ENTRE DEUX BRAS BERCÉ.

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Coeurs en coeur par La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Qu’on me lance des fusées fuselées, des grenades

Rouges, et les moires brulantes de leurs jus vermeils,

Des balles de coton blanc, qu’elles roulent au vent

Dans les grands champs moussus des chemins des dames,

Qu’au pied des cathédrales, les anciens rois gisants

Sous leurs marbres glacés tressaillent en nous voyant.

Sur ma poitrine glabre, qu’au tréfonds de mon âme,

La laine des moutons apaise mes tourments.

Que le dard de Phébus, que les rais du soleil,

S’enfoncent sous ma peau comme lames de jade,

Et réchauffent mes os, me redonnent vigueur.

Qu’on me jette des bombes de parfums odorants,

Des torrents de benjoin de lavande et de myrrhe,

Que les jambes des femmes me découpent en rondelles,

Que leurs seins opulents me fassent guerre douce,

Et les blondes et les brunes, les châtaignes et les rousses,

Sur leur peau de safran, de lait frais, de dentelle,

Entre leurs chairs tendres, dans leurs vallées, sourire.

Que l’on me jette enfin dépecé sur leurs flancs,

Que Diane chasseresse dévoile ses rondeurs.

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Et qu’à la fin je meure entre deux bras, bercé.

CLOTAIRE ET CLOTILDE.

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Watteau. Pierrot. 1719.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Elle avait un prénom qui sentait la sainte et l’encens à plein nez. La reine et la princesse aussi. Le royaumes des francs fin Vème siècle pour tout dire.

Clotaire l’avait croisée, au soi-disant hasard des rues, un dimanche matin. Il descendait la rue des Carmes pour prendre son métro à Maubert-Mutualité. L’envie de retourner déambuler le nez en l’air dans le transept de la basilique Saint Denis, de flâner dans la nécropole des Rois de France, l’avait pris au réveil. Avec le Père Lachaise et les Catacombes c’était un de ses lieux de prédilection, il ne se passait pas trois mois sans qu’il y retournât y prendre son bouillon de bonheur. Le temps était radieux en ce mois de Novembre, l’été s’accrochait et semblait étrangler l’automne entre ses doigts de feu. Pourtant le sol était couvert d’un manteau de feuilles, couleur jaune, rousse, bronze et pain brulé, que la pluie de la veille collait à la chaussée. C’était beau, quoiqu’un peu glissant. Clotaire se régalait. Le regard baissé, il suivait le déroulé de ce tapis multicolore, s’amusant à mettre ses pas sur les tâches de lumière dessinées sur le sol par le soleil qui filtrait au travers des arbres à demi effeuillés. Le vent léger agitait les ramures, il s’évertuait à suivre les mouvements aléatoires des opalescences qui jouaient à cache lumière, avec une telle attention qu’il faillit glisser sur les feuilles grasses à plusieurs reprises.

A ne regarder que le trottoir il finit par heurter une jeune femme vêtue de noir qui marchait devant lui. Le choc fut léger, pourtant elle trébucha. C’est qu’elle s’était arrêtée soudainement pour regarder la façade de l’église Saint Ephrem le Syriaque, sise au numéro 17. Instinctivemen, Clotaire la serra dans ses bras pour qu’elle ne chute pas. Et se trouva collé à elle. Quelque chose qui le dépassait le prit au cœur. Au ventre aussi ! Le contact de son dos et de ses fesses l’électrisa un millième de seconde, et sous ses mains agrippées, il sentit avec une précision étrange, sous la gauche le ventre ferme de la jeune femme, et sous l’autre son sein droit, moelleux à souhait. S’il avait eu fait nuit le visage écarlate de Clotaire aurait illuminé la rue. Il se mit à bafouiller, bredouiller, des excuses incompréhensibles. Clotilde s’était retournée, la main levée, le regard courroucé, mais quand elle découvrit le visage rubicond du garçon et entendit les borborygmes mouillés dont il cherchait, bafouillant plus encore, à faire des phrases, un fou-rire la gagna. Elle tourna sur sa droite, et s’en fut, sans un mot de plus que son rire vers l’église. Mais avant de pousser le vantail, elle fit volte face, le regarda un instant fixement d’un air interrogateur, puis entra.

Clotaire était entre deux tailles, deux âges et deux corpulences. Il était d’allure quelconque, commençait à se dégarnir sur les tempes, les cheveux qui s’accrochaient encore poussaient à hue et à dia en épis indisciplinés, de sorte que cette chevelure carnavalesque contrastait grandement avec ses traits sans charmes particuliers. Ses membres étaient un peu courts, ses mains courtaudes, épaisses, et ses doigts, de petites saucisses crues. Son teint blafard – on l’eût cru enfariné – qu’éclairaient à peine deux minuscules yeux gris, un sourire timide entre deux petites lèvres rouges de bébé boudeur, lui donnaient un air étrange. On l’aurait pu croire maquillé. En partance pour un bal masqué.

Clotaire, effaré, demeura un instant immobile au milieu du flot descendant des passants affairés, mais finit par descendre vers son métro. Il resta sans bouger plus d’une heure, le visage douloureusement levé vers la Cathédrale bancale amputée de sa tour nord. A chaque fois, à la contempler, il sentait monter la colère devant les conséquences de la bêtise des hommes. L’impuissance qu’il ressentait, augmentait d’autant plus, jusqu’à la rage, et ça tournait en boucle comme une tornade intérieure qui se nourrissait de sa propre substance. Jusqu’à ce qu’il doive s’asseoir, épuisé, en sueur, sur un banc, toujours le même, tout au fond, à gauche du portail central. Alors il fermait les yeux, et demandait pardon à la beauté de la barbarie imbécile des hommes. L’histoire de l’édifice, il la connaissait par cœur, depuis l’an 475 son origine, plus supposée que certaine. A chacune de ses visites c’était le même rituel, extérieur puis intérieur. Le dos douloureux sur la planche de bois dur, il se ressassait, années après siècles, toutes les misères que le saint lieu avait enduré. Et Dieu sait qu’il avait affreusement souffert. ” En 1793, à la suite de la profanation des tombes de la basilique Saint-Denis, les révolutionnaires jetèrent les cendres de quarante-deux rois, trente-deux reines, soixante-trois princes, dix serviteurs du royaume, ainsi que d’une trentaine d’abbés et de religieux divers, « entre des lits de chaux », dans des fosses communes de l’ancien cimetière des moines alors situé au nord de la basilique ” avait-il lu dans Wikipédia. Cette phrase, il la relisait souvent, jusqu’à la nausée.

Le calme revint, Clotaire toujours collé à sa banquette se mit à “prier”. Une prière vague, inventée, qu’il répétait comme un mantra. Une prière vide de sens, faite de mots assemblés, une purée de sons empruntés aux vocabulaires religieux, sans distinction, un salmigondis de sonorités qu’il n’adressait à aucune divinité en particulier mais qu’il aimait à réciter des heures entières. Cela le calmait, le réchauffait petit à petit, dès qu’il avait assez chau, il cessait d’un coup en plein milieu de sa litanie. D’ordinaire il se levait pour s’aller promener un long moment. Sa déambulation était immuable. Il longeait la nef, s’arrêtait à chaque chapelle, stationnait plus longtemps sous le chapiteau de la Vierge, puis se plantait devant les gisants de Pépin le Bref et de Bertrade de Laon. A l’arrêt, les yeux écarquillés comme un enfant émerveillé, il suivait méticuleusement la progression millimétrique des rayons de lumière colorée que filtraient les hauts vitraux. Les tâches multicolores et mouvantes remontaient le marbre en diagonale, du bout des chausses du roi jusqu’aux pointes de la couronne de la reine. Cela signait la fin de sa visite.

Ce jour-là son pèlerinage ne s’était pas tout à fait passé comme à son habitude. A plusieurs reprises le visage étonné de la jeune femme bousculée par mégarde lui avait fugacement traversé l’esprit. Cela l’avait certes agacé, mais en même temps une petite chaleur lui avait piqué la poitrine. Tout en marchant vers le métro il y repensait. Sans parvenir à se l’expliquer. Allez, pour se libérer de ce mystère il se jura d’aller perdre ses yeux dans les Catacombes le prochain dimanche. Le quai était bondé, une rame lui passa sous le nez. Au coude à coude, les pieds au bord de la plate-forme il attendit la suivante, le nez baissé sur les rails luisants.

Clotilde écoutait la messe. Perdue dans la foule des fidèles, elle distinguait à peine l’officiant au travers de la toile légère, qui masquait le portail central de l’iconoclaste de vieux bois sculpté. Elle apercevait au fond du portail de gauche la peinture murale de Saint Ephrem, “la harpe du Saint esprit”, tandis qu’au centre du portail de droite elle ne voyait que le bout du mufle du lion au-dessus de Saint Ignace. Sa peau mate safranée, sa chevelure sombre, ses yeux noirs cernés de couleur cannelle, terre de sienne et violette foncée, passaient inaperçus au milieu des visages rassemblés qui déclinaient toutes les teintes des épidermes orientaux, du blanc le plus pur, au pain brulé, en passant par toutes les nuances de l’olive mûre. Elle n’était pas plus croyante que ça mais elle aimait l’atmosphère particulière de cette petite église. A la messe, dite en araméen-syriaque ou en arabe, elle ne comprenait rien, mais la musique de ces langues lui mettait de la douceur au cœur. Elle en prenait pour toute sa semaine de rien, et quand elle faisait les chambres du Georges V, ramassant les serviettes maculées, les robes de chambre sales, récurant les toilettes, les douches, les baignoires, arrachant aux lits King size les draps tachés d’alcool et d’humeurs diverses, par instant elle fermait les yeux et les volutes odorantes de l’encens du dimanche à venir lui montaient aux narines, les chants ornementés de l’office lui caressaient la nuque. Le courage lui revenait.

Le prêtre leva l’hostie, les fidèles baissèrent la tête, le silence se fit. Clotilde sentit un flot de larmes brulantes jaillir de ses yeux sans qu’elle comprenne ce qui lui arrivait. Elle s’épongea discrètement. Elle ne sut jamais ce qui s’était passé.

Le métro arriva à pleine vitesse. Au moment où il décélérait, la foule impatiente s’ébroua, Clotaire glissa sur le bord gras du quai. Il tomba d’un bloc sous les roues. Le bruit grinçant du freinage masqua l’horrible craquement de ses os. Il avait bien disparu depuis dix secondes quand le troupeau se mit à brailler sur tous les tons …

L’AMIE MARSUPIE.

Marsupie l’amie de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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L’amie Marsupie sous son léger boa rose

Bondissante, aérienne, jolie petite chose,

Toute de jaune vêtue, charmante peau à pois,

Saute de feuilles en arbres, se mirant le minois

Aux mares de passage, minaudant en chinois.

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Une pile l’amie sur sa queue à ressorts !

Là-haut derrière sa branche, Sidonie la Jaguare

La fauve féministe au regard d’ambre et d’or,

Se lèche les babines. Abonnée au cafard,

La fauvesse est fébrile, accablée par le sort.

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Et l’amie Marsupie ne la laisse pas de marbre,

Elle préfère de beaucoup les gentilles aux gentils.

Mais la faim la tenaille, elle est maigre comme un sabre,

Oubliant les Femen, l’écologie, les arbres,

Il lui tarde de voir Marsupie dans son nid.

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Tapie, prête à bondir sur l’insouciante folle

Qui sourit à la vie, belle et dégingandée,

Sidonie se prépare à lacérer la molle,

A déchirer les chairs de la jeune effrontée

Elle tremble de plaisir, même son cœur s’affole.

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Mais la queue caoutchouc la saisit à la gorge

Marsupie ouvre grand sa gueule aux dents aiguës,

La jaguare étouffée hoquète comme une forge,

Quand leurs regards se croisent un miracle se produit,

Une flèche d’Eros transperce leurs deux gorges.

L’amour les a saisies, leurs crocs se sont unis.

GEORGES ET PHAEDRA.

Léonard Lomosin. 1560.Phèdre

Phèdre. Emaux. Léonard Limosin. 1560.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La soufflerie du Richelieu faisait un vacarme infernal qui couvrait les hurlements entêtants des moteurs diesel poussés au maximum. Les pistons cliquetaient, ça ronflait dur dans le ventre surchauffé du navire lancé à pleine vitesse. Sur la passerelle, sous sa casquette galonnée d’or, le pacha imperturbable dirigeait la manœuvre. Le lourd cuirassé changeait de cap fréquemment, mais sa masse imposante peinait à réagir aux ordres. Un U-Boat maraudait sous la surface. Le navire de guerre était sa proie du jour. Cuirassé certes, mais pas au point de résister à quelques torpilles bien placées. Impossible de virer sèchement, de tourner à angle droit, comme un slalomeur sur les pentes neigeuses le bateau décrivait de belles arabesques. Régulièrement, les artilleurs du bord balançaient des chapelets de grenades sous-marines, un peu au hasard, en espérant toucher le squale noir qui zonait sous les eaux agitées de l’atlantique.

La première frappe fendit la proue dans l’axe du bateau, qui stoppa sous le choc avant de poursuivre sa route en piquant un peu du nez. Sur la passerelle le pacha trébucha, la barre vibra, les hommes se regardèrent. La deuxième déchira le flanc droit, la ferraille coupante déchiqueta les mécanos qui graissaient les moteurs emballés. Georges, abrité par une épaisse tôle blindée, remplissait sa pompe, la porte se tordit mais le protégea. L’eau froide de l’océan envahit en partie la salle des machines, un moteur explosa sous la caresse glacée. Le navire ralentit encore et prit un peu de gîte. Georges réussit à s’accrocher à la rambarde quand la coque blessée laissa vraiment entrer le flot vert et blanc, il se hissa à la force des bras, puis,  la vareuse en lambeaux, couvert de graisse et d’huile noirâtre, il gravit l’échelle de coupée. L’air glacé et les embruns cinglants le revigorèrent, il ouvrit grande la bouche pour respirer à pleins poumons et rejeter l’ait vicié de la salle des machines. La troisième torpille percuta la poupe, le grand navire sursauta, se cabra, Georges déséquilibré roula sur le pont avant, le blindage de la tourelle quadruple de droite l’arrêta, ses canons de 380 mm, impuissants contre l’ennemi sous marin, regardaient le ciel d’encre. Seul le tonnerre résonna quand la pluie se mit à tomber à tonnes rabattues. En quelques secondes on n’y vit plus rien qu’un brouillard liquide. Georges accroché à l’angle de la tourelle ne sentait plus son épaule gauche ensanglantée par une profonde coupure. Le Richelieu grinça comme une vieille tôle sous le marteau. Son arrière s’enfonçait déjà sous les eaux, quelques marins échappés de son ventre aux entrailles béantes, tentèrent de gagner les canots de sauvetage, mais l’inclinaison du navire, gueule en l’air, les énormes vagues noires qui attaquaient les flancs de la bête blessée, et le ciel qui déversait ses eaux comme si tous les dieux de l’Olympe s’en donnaient à cœur joie, emportèrent tous les hommes. Le pacha se tenait à la barre, le visage blême, les mains crispées sur le bois, les pieds agités de soubresauts électriques, il mourrait avec son Richelieu.

Agrippé aux rebords du canot, Georges attendit qu’il touche l’eau, libéra les amarres, souqua pour s’éloigner le plus loin possible, pour échapper à l’attraction du bateau qui s’enfonçait de plus en plus vite. On eût pu croire que l’océan était une goule affamée qui avalait sa proie. La proue disparut, Georges était déjà assez loin, il s’arcbouta sur ses rames de toutes ses forces pour résister à la succion des eaux. La mer blanche lâchait de grosses bulles bruyantes, des fragments de toutes sortes surgissaient des flots avant de retomber alentours. Quand le canot, aspiré par les force déclenchées par le cuirassé mourant, arriva sur site, la goule avait fini son repas, les dernières bulles de ce champagne sinistre finissaient de crever, une large tâche claire, d’un calme contrastant avec les hautes vagues déferlantes, s’installa, puis les flots recrachèrent des tonnes de fuel, la mer devint noire comme la colère des dieux, les vagues reprirent le dessus, la chaloupe connut les joies des montagnes russes.

Le ciel bleu avait balayé la rage, Georges somnolait sous une bâche au fond du canot depuis des jours. Sa large plaie s’était infectée, la fièvre le dévorait, il grignotait parcimonieusement les rations de survie trouvées dans l’embarcation, mais ses lèvres craquelaient sous l’effet du sel. Ses yeux bleus souffraient, la lumière hivernale, très crue, l’aveuglait, il grelottait de fièvre et de froid. Sans force, il était incapable de tirer sur le bois des rames, et la barcasse dérivait comme un bouchon au gré des courants. Georges perdit connaissance le septième jour.

L’océan luisait sous la pleine lune, il était d’encre de chine, d’huile lourde, immobile, réverbérant. Les étoiles s’y reflétaient, tremblant à peine tant le miroir était lisse. La fine étrave de l’U-Boat fendait les flots, de chaque côté un fin liseré d’écume blanche l’accompagnait. Quand Georges se réveilla, il était solidement sanglé sur une couchette étroite. Un officier en vareuse bleue l’informa dans un français approximatif, qu’il était désormais prisonnier du Reich, et qu’il serait débarqué dès que possible.

Phaedra Verrazano, de mère grecque et de père incertain, sortit de la prison sous les sifflements admiratifs des matons athéniens débraillés et rigolards. C’était le même rituel tous les jours en milieu d’après midi, quand les trois femmes chargées de la buanderie, en sueur et légèrement vêtues, quittaient leur travail. Sa     mère, native de Delphes, avait quitté Catane. Après la naissance de Phaedra, elle s’était retrouvée seule avec l’enfant. C’était un matin de plein été. Guiseppe n’avait pas reparu. La veille il était sorti “régler une affaire” avait-il dit. Son corps, bien abimé, avait été retrouvé, longtemps après, au pied d’une falaise de roches rouges, sur une grève de galets roulés par les vagues. Le sang sicilien coulait abondamment dans ses veines, pourtant ses yeux vert d’eau dénotaient un peu, mais sur sa peau safranée aux traits fins et ses cheveux aile de corbeau, son regard clair prenait une profondeur liquide particulière, et les reflets d’azur du ciel y ajoutaient une moire changeante qui la rendait irrésistible.

Après un long périple, Georges fut débarqué à Athènes et jeté brutalement sur le bat-flanc d’une cellule crasseuse. La prison était administrée par les Grecs, sous le contrôle d’un officier de l’armée allemande d’occupation. Très occupés par la résistance grecque, les allemands surveillaient de loin la marche de l’établissement pénitentiaire. C’est dire que le régime réservé aux prisonniers – principalement des détenus de droit commun – était relativement souple.       A vrai dire Georges était le seul prisonnier de guerre incarcéré. Il fut donc traité comme les autres, c’est-à-dire humainement. Lorsque les yeux bleus du marin croisèrent le regard d’eau douce de Phaedra, un jour qu’elle déposait dans les bureaux les grands sacs de linge propre du jour, Georges qui avait été affecté au nettoyage des lieux, fut proprement subjugué et surpris de l’être à la fois. C’était la première fois qu’il la voyait, pourtant elle lui sembla étrangement familière. Des images inconnues, des visages, des lieux, des scènes violentes, défilèrent dans sa tête à toute vitesse. Au point d’en oublier la réalité, des lieux, de sa situation de prisonnier, du désespoir qui le gagnait jour après jour, de la présence des gardes même. Phaedra, qui se moquait ordinairement des regards et des sourires salaces des hommes, habituée à repousser leurs avances maladroites, s’étonna de l’émotion qui la gagnait, du sentiment puissant qui la paralysait elle aussi. Ils restèrent face à face quelques secondes, sans pouvoir ni parler, ni bouger. Les gardes, alertés, sentant confusément qu’il se passait quelque chose, intervinrent, et renvoyèrent Phaedra à sa buanderie. Georges fut bousculé, jeté à terre, copieusement insulté par les matons jaloux, et remis durement en cellule.

Quelques semaines passèrent, le caractère insouciant des gardes reprit le dessus. L’incident passa aux oubliettes. Mais ni Georges ni la jeune femme ne réussirent à l’oublier. Ce fut Phaedra qui renoua, et Georges ne s’en étonna pas. L’un et l’autre se sentaient dépassés, quelque chose venu d’ailleurs, quelque chose d’avant la vie, remontait à la surface sans que leurs consciences actives n’y puissent rien. Phaedra, en deux sourires au chef des matons, fut affectée au ramassage du linge. Elle demanda l’aide d’un détenu chargé de la collecte préalable. Finement elle œuvra pour que Georges soit désigné, arguant du fait qu’un  voyou de bas étage pourrait se montrer dangereux, alors que le français était un soldat, donc certainement plus fiable. C’est ainsi, qu’une fois par semaine, ils purent passer près d’une heure ensemble. Georges poussait le chariot, levait les gros sacs lourds, tandis que Phaedra pointait minutieusement, en prenant son temps, toutes les pièces de linge. Enfin, le jeune homme ramenait le chariot débordant jusqu’à la buanderie pour le décharger et vider les sacs. Leurs yeux se souriaient, leurs mains se frôlaient, mais leurs visages restaient impassibles. Nul besoin de se parler, entre eux tout était évident, ils partageaient la même bulle bleue, leurs auras se confondaient. Le soir, Georges, allongé sur sa paillasse, le regard fixe, luttait contre le désir qui lui serrait les reins, Phaedra ne trouvait pas le sommeil et soupirait entre ses draps. Dans le ciel de pur jais, la pleine lune trouait le velours de la nuit, les étoiles vivantes scintillaient en cadence. Le mois de septembre 1944 avait été torride, le bruit du départ des troupes allemandes courait dans tout le pays. La prison de Korydallos s’agitait aussi, on n’y avait pas vu le major Trauttman depuis plus d’un mois. Les gardes inquiets relâchèrent brusquement leur surveillance le 2 octobre. Le 12 l’armée d’occupation quittait les terres grecques. Georges et Phaedra avaient fui dès le 3 octobre sans que personne ne songeât à les en empêcher.

Zeus le bouc noir courait dans la montagne au milieu des roches grises et des herbes rares. Une douzaine de chèvres à barbichettes le suivait en béguetant entre elles. Leurs cris rauques et tremblants rebondissaient sur les parois abruptes. Le bouc s’arrêta au milieu d’un bouquet de chardons que les chèvres s’empressèrent de croquer. Quelques ruades empêchèrent le mâle noir insatiable de saillir les croupes blanches offertes. Georges, debout sur une grosse roche ronde, surveillait le troupeau. Au loin, la mer réverbérait le soleil de l’après midi. En ce mois de septembre 1948, à moyenne altitude, il faisait un temps idéal sur le flanc est du mont Olympe. Phaedra et lui s’y étaient réfugiés après leur fuite de Korydallos. A mi-pente ils s’étaient abrités, alors qu’un gros orage éclatait, dans une large grotte de granit qu’ils avaient élue, puis au fil du temps sommairement aménagée. Ils menaient une vie simple, se nourrissaient frugalement de quelques légumes sauvages et de fromage frais. Tapis au fond de leur grotte au sol recouvert de peaux de chèvres et d’herbes sèches, ils passaient de longues heures silencieuses blottis dans les bras l’un de l’autre. L’émerveillement ne faiblissait pas, il leur arrivait souvent d’avoir les larmes aux yeux, pour un geste gracieux de Phaedra, un sourire de Georges, une flèche de lumière rouge qui trouait la grotte au coucher du soleil. Les deux fugitifs s’aimaient d’un amour tendre, têtu, fort, cristallin comme une eau de source, entrecoupé d’ébats aussi soudains que fougueux. A la tombée du jour, à l’heure où les dieux s’assoupissent, Georges passait des heures à se perdre dans les cheveux de sa belle, sa peau hâlée, pneumatique à souhait, l’enchantait, il aimait à s’y promener doucement, à se nourrir de sa souplesse, à l’embrasser à petits coups de langue humide qui faisaient glousser la jeune femme.

De son côté Phaedra roucoulait doucement, la tourterelle aux plumes soyeuses enfouissait son visage dans les cheveux en bataille de celui qui fut un marinier plongé dans la tourmente par la folie des hommes, elle susurrait des chants étranges venus de l’aube des mondes, qui la surprenaient elle même, ses mains enserraient le visage du soldat, elle le tenait, inquiète et tremblante comme si elle craignait de le voir disparaître, effacé par la magie noir d’un succube pervers, dans un écran de fumée, elle était terrorisée à l’idée que le ciel étoilé pourrait le lui ravir dans un embrasement soudain. Instinctivement elle détestait l’étoile polaire, attendant que la nuit fut installée avant de lever les yeux vers la voûte illuminée. Quand ils montaient les chèvres au pâturage Georges faisait le bouc, Phaedra s’enfuyait en courant, se cachait entre les pierres, Georges faisait mine de la chercher, puis la cherchait vraiment, ne la trouvant pas il prenait peur, s’affolait, l’appelait, gémissait, elle ne répondait pas. Quand, épuisé, désespéré, il finissait par s’asseoir sur un rocher, le dos ployé, la tête entre les mains, tellement inquiet qu’il en négligeait le troupeau, elle surgissait dans son dos, vive, agile comme une fée des cimes, riait dans son oreille, le chatouillait et repartait aussitôt en faisant sa cabrette.

Le temps passa, les hivers rigoureux succédèrent aux étés fleuris, ils vieillirent ensemble sans s’en apercevoir. Une nuit d’été finissant, la voie lactée traversait le ciel d’un infini à l’autre, étendus côte à côte, ils s’en délectaient. Soudainement la lune et les étoiles s’éteignirent, ce fut nuit absolue, ils se prirent la main, soupirèrent ensemble, leurs yeux se fermèrent et ne se rouvrirent jamais. Zeus le bouc noir sauta la barrière de l’enclos, seuls ses billes d’ambre brillaient dans l’obscurité totale, il lécha longuement à grands coups de langue râpeuse les visages des amants purs aux âmes envolées. La lune et les étoiles se rallumèrent.

DODO PAS LÀ.

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La Chimère de La De.

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Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Dodo moi, là

Sucre candi fraise tagada

Sous les bateaux de la Volga

Les sirènes roulent des yeux de chat

Ils sont partis très loin là-bas

Manger des noix et des rats gras.

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Dodo toi, dis

Fraise tagada, sucre candi

Sur le navire, la belle houri

Ventre de paille dents de souris

Danse la ronde du roulis.

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Dodo moi, dis

Noir salsifis ou blanc radis

Comme une poule dans un taudis

Tonne le ciel tombe la nuit

Voici que crient les yeux rougis.

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Dodo là, toi

Jambe de bois et chocolat

A l’embouchure du grand delta

Où nagent lisses les chinchillas

Voila que grouillent les cancrelats.

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Dodo, moi, toi

Crème de chou et cacao

Dans la soupente entre leurs bras

Des rêves jaunes de tequila

Et le sang coule du coutelas.

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Dodo toi, leurre

Petits malheurs des tristes heures

Canaille pâle morte de cœur

De tes doigts blancs sourdent les peurs

C’est le printemps des aboyeurs.

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Dodo moi, non

Tige de lys pelure d’oignon

Dans les ténèbres du cabanon

Pleure la voix du tympanon

Les chants des moines en pâmoison.