Littinéraires viniques » 2015 » janvier

NE TOMBE TA PEAU …

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La De entre deux eaux.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

—–

Les âmes habillées des lumières de la vie,

Quittent au bout du quai ces dépouilles pourries,

Elles errent dans l’entre-deux, sinistre Paradis,

Se lamentent, et attendent que flamboie l’aujourd’hui.

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Et tu sais bien ma sœur, mon amante, ma lie,

Que sans toi, son vol traîne, enchaîné à son lit,

Du solitaire, froid, mousseux comme une bière,

Il gît, las, dans la pénombre, triste bruyère.

—–

Et tu sais bien ma praire, ma croquante mie

Tu vis à marée lasse quand tu es loin d’ici,

Âme, ma dame, ma flamme, tu rames, alors souris,

Je m’envole en gondole, à tire cœur, rigole et surgis.

—–

Alors gicle, pisse, frémis, comme un vice charmant,

Te roules la moule, la houle, sur le mât branlant,

Hurle, arrache, dévore, adore, lèche et griffe,

Déchire, pleure, appelle encore ! Défonce et gifle.

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Cingle, tringle, épingle, dépèce ma folle,

Coule la foule au long des bancs de larves molles,

Grasses morves, langues torves, bleuets flétris,

Fleurs d’opales, diamant gluant, douces chatteries.

—–

Avant que loques immondes, qui tombent en lambeaux,

Que la lumière crevée, ne pleure dans tes yeux,

Quand tes laves si bleues inondent les chaos,

Ouvre toi aux délices, aux larmes en camaïeux.

——

Que ton âme soupire, que tu meures jouvencelle,

Toi mon miel, surréelle, mon ombrelle, ma voyelle.

Toutes les pierres dures glissent sur ta peau.

LA CHATTE DE MON VOISIN…

 Bastet revisitée…

Sabatino lève la tête quand il monte l’escalier, à l’assaut, comme un vieil hussard flétri.

A se luxer les cervicales. «Hélicoïdal», ce mot lui vient à l’esprit, chaque fois qu’il pousse ses mollets maigres dans l’escalier. Ça l’envole, ça le met en lévitation, ça le charme, ça l’enchante, parfois même, ça lui donne une petite érection. Furtive, douce, intellectuelle… Marche après marche, il gravit son Golgotha, tous les jours, enfin, tous les soirs, en rentrant du boulot. Sa nuque raide le fait souffrir à chaque fois, mais tant pis, il lève quand même la caboche, stoïque comme un Épictète modeste, obsolète, ringard, hors course. Pas une Sophia à se mettre sous la dent, que dalle, le néant, la solitude, le soliloque, le sinistre vide couilles des soirs blêmes. Il bute régulièrement sur la troisième marche, fléchit sur ses quadriceps malingres, mais se redresse au prix d’un effort qui le mange. Sa nuque n’a pas ployé pour autant, hypnotisé qu’il est par l’axe de l’escalier, qui monte droit au sommet de l’immeuble, tandis que s’enroulent, en spirales parfaites, les cercles de métal aux airs penchés, striés d’escadrins, comme la flèche centrale d’un nautile fossile.

La perfection du colimaçon, l’enchante.

A sa façon, Sabatino est un céphalopode. Comme le nautile, il est solitaire, caparaçonné, il vit dans la chambre du haut, juste après que la dernière volée de marches lui ait mis le cœur dans la bouche, grande ouverte, respirant comme un aspirateur fou, la suée au front, et le dos trempé. La jambe tremblante, il agrippe la rambarde de ses doigts blancs et minces, et penché au dessus du vide, il repart à nouveau, tout là-bas, dans les Fidjis, tandis qu’il halète, le regard fixé sur l’axe de cuivre patiné qui plonge dans le vide, piqué de ses arcs de bois parfaitement ordonnés. Souvent, à ce moment de sa journée, il pense à sauter par dessus le garde-fou, vers l’Australie…. Remis de son chemin de croix, Sabatino glisse la clé dans la serrure, d’un mouvement doux, presque retenu. Derrière la porte, assise comme un culbuto sur son large cul, Jeannine, sa compagne, l’attend. Il fait silence avant d’ouvrir, histoire d’entendre le doux ronronnement de la bête, ce chant familier, quotidien, qui finit d’apaiser son mauvais cœur de poulet de batterie, martyrisé par la montée des degrés. Le pêne grince, comme le souvenir mortel qui le taraude nuits et jours. Chaque fois qu’il pousse le vieux battant de bois de la porte qui mène à son enfer paisible, il la voit la Jeannine, telle qu’elle était. Ses cheveux courts, son sourire d’amour tendre, la ligne gracieuse de ses hanches douces, ses cheveux en queue de canard, soyeuse mais drue, derrière sa nuque gracile, qu’il aimait plus que tout à pénétrer d’un doigt léger, pendant qu’elle lui parlait, ce babil doux qu’il n’écoutait pas, tant il dégustait, se repaissait, se roulant dans la houle de bonheur qui le submergeait à chaque fois.

A ce moment de la journée, ses yeux de chair défaillent et son troisième œil, celui des amours mortes, perce la matière dense de la réalité obtuse. Il croit léviter et touche au sanctuaire précieux des heures anciennes. Elle est là, tapie dans le temps arrêté, hologramme vibrant, vivante, la sorcière qui lui a lui vidé l’âme à tout jamais. Dans les rides tourmentées qui lui enfoncent les yeux, au coin de son orbite flasque et rougie, une grosse perle de phlegme, fragile comme un pleur honteux, ne roule pas. Puis le mirage récurrent se brouille, la matière reprend ses droits, l’amour de sa vie disparaît. Face à lui Jeannine la dodue, enroulée dans son épais manteau roux, rayé d’ivoire natif, le regarde fixement. Elle sait, elle a toujours su. Son œil vert mort d’amour comprend et cligne, complice. Un seul miaulement, bref et doux, venu du fond de son pelage, comme un reproche compréhensif, l’accueille. La chatte sait son malheur. Magnanime, elle lui pardonne son égoïsme aveugle, qui la voit si peu. Chatte n’est pas jalouse, elle est boule et muscles tendus à la fois, elle passe de l’extrême tension, au relâchement instantané. En une fraction de seconde. Jeannine est pleinement vivante, changeante comme un ciel sous le vent, simplement. L’instant d’après, elle est chairs apaisées bourdonnantes.

Sabatino s’écroule toujours d’un coup, pas comme le mur de Berlin. Il se liquéfie, sans plus de forces, dans le sofa verdâtre, qui l’absorbe comme une pieuvre décomposée, et sur lequel, toutes les traces de sa vie gluante s’étalent multicolores, depuis qu’il a déchiré tous les calendriers. Sur une caisse de bois retournée, sa montre, au verre brisé, disparaît sous une crasse, grasse de poussière et de vin séché. Son désespoir, constamment, l’écrase. Il pèse, lourd, froid, côtes rompues et désirs disparus. Réservoir vide, moteur éteint, culasse grippée. Derrière son visage de cire tourmentée, l’hébétude lui serre les os, comme l’eau d’un lac gelé. Alors Jeannine s’approche et le regarde, les jarrets ployés, la tête perdue dans la fourrure, attentive et patiente. Telle Bastet la discrète Egyptienne, elle est joie et chaleur constante, hiératique, éperdue. Sabatino bat furtivement des paupières, c’est le signe. Elle bondit souplement sur sa poitrine qu’elle recouvre largement, pattes écartées, museau enfoui comme pour un baiser, dans l’échancrure de la chemise, souillée par trop de chagrins, arrosés à s’arracher la vie. Jeannine est un kalanchoe vivant. Comme une éponge de fourrure aimante, elle absorbe et transmute les souffrances qui rongent la vie de son amour humain, elle est l’acide bienfaisant qui le délivre, le temps que le temps s’arrête, un peu. Il dort, entre parenthèses, muscles dénoués, apaisés. Son haleine puante agite les moustaches de Jeannine, comme un pet putride qui se serait trompé de chemin. La nuit absorbe la ville. Par la fenêtre, les battements électriques d’une enseigne qui bégaie en grésillant, strient le visage ivoirin de l’homme sidéré. La lame bleue, froide et têtue, arrache à ses yeux éblouis qui ne se ferment plus, une douleur irradiante qu’aucune larme ne vient plus calmer.

Puis la minette, rassasiée de nuages noirs, s’en va plus loin, libre, la queue ondulante, laissant sur la poitrine de Sabatino sa trace invisible. Le froid monte et submerge bientôt ce dernier îlot de tièdeur nourrissante. Alors viennent les raideurs craquantes et les saignements impromptus du corps en détresse. La mollesse le gagne, l’engourdit de ses charmes vénéneux, son corps affaibli se crispe, le forçant à se réfugier dans l’inexpugnable donjon de ses souvenirs immuables. Sabatino n’est plus qu’un corps mourant, au creux duquel, dans les profondeurs satinées d’au delà des apparences, brille encore, lumière infime, la mèche opiniâtre, rebelle et fragile, d’un espoir insensé.

Oui, il s’accroche de toute sa volonté restante, au mépris de la vie qui le fuit en rigoles écarlates, à la croyance impossible, au retour possible de l’amour de sa vie. Derrière la basane ivoirine de sa peau racornie, il respire, à petites goulées prudentes, immergé dans son âme recroquevillée, au fond, au fin fond de sa conscience intacte. La Charogne entropique le guette, prête à bondir, qui suppute un renoncement imminent. Mais il la connaît cette Garce goulue, cette Parque patiente, cette Camarde retorse; et son sourire, aux crocs jaunis par les viandes tuméfiées, qu’elle se complait à écraser, lentement, en bulles grasses, pour en faire jaillir les humeurs putrides dont elle aime à se gorger. Intérieurement (in petto, one more) Sabatino sourit. L’antidote, le jus de vie qui repoussera encore un peu, cette garce des ténèbres à l’affut, est prêt! Il est là, brillant du rouge incarnat des vignes, qui palpite à son côté. Le diamant pur du verre miraculeusement immaculé, contraste avec la sordidité ambiante. Une lumière bilieuse perce à peine la paroi souillée de l’unique ampoule, qui pend du plafond, comme un chancre à point. Par les fentes des fenêtres disjointes, un filet du blizzard glacial qui souffle en ce début décembre, joue avec la cloque phosphorescente qui balance au bout de son fil tordu, comme un pendu en loques à Montfaucon. Le halo conique de lumière cireuse dessine dans la robe du vin des arabesques délicates, qui mêlent aux ondulantes lueurs carmines, des grenats sombres, profonds comme le regard furieux d’une panthère en chausse-trape.

Un jour ancien, tout proche pourtant, il rencontrait J.P Charlot, impressionnant sumo vigneron, dans sa cave de Volnay. Lui, petit patachon vif-argent et l’imposant double-pattes, s’entendirent comme larrons, entre les bouteilles généreusement ouvertes. Jeannine, bouche bée, les écoutait ferrailler habilement, verbe haut et regards complices. Sur sa joue, tandis qu’il s’agitait, il sentait la chaleur douce de son regard noisette-pistache grillée. Tout cela surgit, entre deux secondes, du verre qui tremble convulsivement, au bout de sa senestre froncée. La vigueur et l’envie lui reviennent un peu, il se redresse, regarde le disque parfait du vin ridé par sa faiblesse, et ferme les yeux. L’effluence de pureté le frappe, ce fumet sans odeur qu’il a toujours recherché, et rarement rencontré dans les verres, est là. Oui, ce «parfum» inexistant, cette idée abstraite mais vivante, qui, de son aile si subtile, ordonne les fragrances à venir, les rassemble sans les mélanger, les fond «démocratiquement» dans un parfait équilibre olfactif, EST LÀ! Sous sa baguette invisible, montent en légions, touches de cerise au kirsch, arômes de fruits rouges en compote, senteurs de réglisse en bâton, fumets de poivres frais concassés. Petits bonheurs, furtifs, d’une rare intensité pourtant, comme si la vie lui ranimait l’esprit et lui rapetassait le coeur.

Au coin opposé de la pièce, Jeannine, en boule, extatique, sphinx rasséréné, ranime son basson profond.

Sabatino prend son temps, savoure ce moment – précieux comme le sourire si tendre dont elle l’enveloppait – qui anesthésie son inextinguible peine. Le sourire, qui étire ses lèvres, gomme les outrages de son visage ravagé, que le meilleur scalpel ne pourrait ragréer. Derrière ses paupières closes, brille l’éclat d’une joie. Dans le petit matin d’un été chaud d’antan, il glisse sa menotte dans la main chaude de son père… Enfin, ses lèvres accueillent le buvant du verre, qui tinte sur ses dents, tant sa main trémule. Une gorgée de ces jeunes «Épenots» roule, fraîche comme fruits de printemps, dévale la pente râpeuse de sa langue sêèhe, bute sur le fond de sa gorge et revient, comme un reflux gourmand, s’étaler et oindre son palais. La matière du Pommard 2008 s’ouvre et lâche ses fruits rouges en tresse, son cuir frais et sa jeunesse, puis enfle et lui emplit la bouche de tendresse liquide, comme si les forces telluriques, inondaient son corps flasque d’énergies bienfaisantes. Proches de Beaune, les Épenots sont enjôleurs… L’adolescence du vin, généreuse, l’emberlificote dans sa pureté élégante, sa tension, et sa force encore contenue.

À l’avalée, le vin glisse, soyeux, sur ses imperceptibles tannins lisses, et renvoie Sabatino à son Karma.

Le vin fait jouvence. Souvenir fugace, l’enfançon qu’il fut, pousse le bout d’un sourire…

Mais le verre vide, glisse, échappe à ses doigts morts, et se brise en miettes de diamants, sur le sol froid, tapissé d’immondices. La Faucheuse, au fond de la Géhenne, patiente, roucoule avec Dieu

ECAVEMONETICACODASNE.

AU CAFÉ ANDALOU.

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La De fume la chicha ?

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Au plafond tout noirci, la fumée des chichas

En volutes épaisses tourne toute la nuit

Aux mille jours dorés, au travers des tumultes

Les grandes invasions ont déferlé là-bas

Les barbares et les turcs, sauvages en djellabas

Égorgent l’odalisque et ceux qui vont au culte.

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Un vieil homme, nu sous ses rides de cendres

Dans son regard aveugle dansent les nuages

Sur sa peau de lézard, il n’est plus qu’une orange

Morte au soleil d’orient. Les larmes opales

Des souvenirs perdus roulent en vagues lentes

Comme les notes de l’oud le soir au creux des ombres

Mais l’oued est à sec et ses yeux ont fondu.

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Sur les miroirs noircis, l’histoire a déposé

Les pleurs en cascades des femmes éplorées

Les roses ont fané quand le sang a jailli

En geysers si brûlants qu’un oiseau paradis

Qui planait innocent au-dessus des mosquées

Beau comme l’amour que les anges exaltent

A péri enflammé, un coeur noir de basalte

Et son cri bleu persan a fait trembler les cieux.

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Au café Andalou le temps s’est retourné.

DES LARMES DE PORPHYRE.

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La De voit double.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Le temps a passé vite ; dans le ciel qui rougeoie

Les nuages ont couru chargés de pluies claires,

Comme s’il s’était agit de contraindre la mort,

La mort qui ferme les yeux des cœurs trop obscurs

Pour que la lumière fluidifie les sangs,

Les sangs épaissis et noirs des espoirs déçus,

Des espoirs sans mémoire et des nuits de charbon.

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Les jardins défleuris, les sources déjà taries

Sous les terres empilées des vies à trépasser.

Ils ont revêtus les atours, les sourires,

Et les âmes engluées dans les rages et les ires,

A ne pas se trouver, toujours à se chercher,

Comme des oiseaux fragiles aux plumes arrachées

Sous les plombs cruels des morts aux griffes d’acier.

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Un soir d’une de ces vies qui se traînent, éplorées,

Alors qu’ils avaient, perdus, jusqu’à presque oublier,

Dans le cours ordinaire de leurs amours têtues,

Le goût du souvenir des fleurs du jardin,

Au détour de leurs errances fades réitérées,

Quand ils n’y croyaient plus, rampant parmi les ombres,

Leurs yeux se sont croisés quand ils n’en pouvaient mais.

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Avril s’était levé, les cieux étaient lavés,

Dans l’obscure clarté d’une nuit de maraude,

Après que la lune pure à mangé ses quartiers,

Quand elle a oublié d’éclairer les montagnes,

Leurs cœurs se sont touchés, ils ont bu à la coupe,

Et sans même se voir, ils se sont reconnus,

Ils ont pleuré de joie des larmes de porphyre.

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Saturne était ailleurs, ses effluves fétides,

Son œil de tigre fou, et ses anneaux d’albâtre,

Au loin des mondes blêmes, à porter d’autres guerres,

A peser tout son poids sur les champs de misère,

Ils respiraient enfin, libérés des aimants,

Oubliant le goût vert de leurs amours bilieux,

Leurs deux âmes séparées venaient de s’enivrer.

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Alors Vénus la belle est montée au zénith,

Ronde comme une pomme qui croque sous la dent,

Irradiante, insolente, à coulé sur leur peau,

Libérés de leurs chaînes, des épines de la rose,

La lumière de l’astre, l’alchimie des amants.

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Ce soir, au secret, enivrés, enlacés,

Comme deux enfants joyeux, apaisés, délivrés.

COLIBRI JOLI …

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La De et ses plumes.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Amour velours de Colibri,

Oiseau joli,

Envolé à tire d’aile

Au lever du soleil,

Quand le froid est tombé,

Chape de glace rose,

Au petit matin.

Chagrin.

Va, vole,

Virevolte,

Butine, tartine

Toi de pollen,

De vents odorants,

D’oiseaux charmants,

Oublie ce gland,

Seul l’écureuil

Peut le croquer,

Et tu le sais …

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Comme un cobra,

Clé de sol dressée,

Tendue, pointée,

Vers le cul nu,

Des souvenirs

Échus, Déchus.

Triste menhir,

A défaillir

Tu ne pourras,

Le temps te ronge,

Le temps t’écrase

De tout son poids.

Au fond de la mine,

Plus de charbon,

De coke ou de houille,

Ne reste que la peau

De pauvres couilles

Flétries …

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Et le granit s’est délité,

Le colibri s’y est posé,

Si beau, si doux,

Et ses plumes électriques,

Ont allumé

Le vieux rocher.

Pauvre lutin,

Trop aigre-doux,

Ta vieille trique,

Flasque burin.

La brise froide,

Le vent glacé,

Va te tuer,

Et tes ruades,

N’y peuvent rien.

Le soleil tombe

Et tu succombes,

Le temps te plombe …

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Tu es si beau,

Toi bel oiseau,

Si fin, si vif,

Tu n’es pas fait,

Pour vivre en cage,

Trop de plumages,

Multicolores.

Autour de toi,

Ça brame à mort,

Et même les chants,

De Maldoror,

N’y feront rien.

Inutile de te voiler,

L’âme et le corps,

La pauvre plume

Pas très pointue,

Ne griffe plus …

 

ESTAMPES LIÉES.

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La De fait sa Bacon.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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Îles longues aux cimes apaisantes

Moines psalmodiant dans les encens brûlants

Cuirasses de tatous et aigles cris planants

Fujiyama sacré au dôme crémé de blanc

Éternelles épures des estampes de grège

Moi je ne bouge plus enfoui sous la neige.

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Dans les lointains brumeux des silhouettes s’agitent

On entend et le vent et le souffle des bêtes

Parfois entre deux arbres on voit passer des têtes

Et des casques noircis et des âmes qui palpitent

Les katanas balancent et taillent les entrailles

Ils galopent en hurlant raides, les samouraïs.

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Dans les maisons de thé à petits pas légers

Entre les tours violentes les geishas sont blessées

Ils ont brisé les murs les papiers déchirés

Gisent en lambeaux longs cheveux noirs en fumées

Alors les samouraïs poussés au désespoir

Leurs genoux mis à terre leurs yeux devenus noirs.

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Le silence est tombé sur les flambeaux éteints,

Les geishas éplorées aux grâces de satin,

Sur leurs visages blancs s’affiche le dédain

Et leurs yeux sont fermés leurs paupières sont de lin

Les guerriers arrêtés leurs visages opalins

D’un geste de la main ils ont crevé leurs seins.

L’AMAZONE A SOURI.

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Les sauvages de La De.

Illustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

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La flèche vole et l’air semble blêmir sous le trait,

Le regard bleu la suit, cruel et sans pitié,

A l’impact la peau craque, la toison se contracte,

Dans les yeux de la biche éclate un cri muet,

Un instant la vie se dilate, puis elle diffracte

Comme un éclair qui tonne dans le ciel, soudain.

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L’amazone a souri et ses canines pointent,

Elle a lâché son arc, ses mains se sont jointes,

Et son coeur a enflé, sur le point de se rompre,

Entre ses cuisses pâles, une source a jailli,

A ses côtés, muet, un homme a tressailli,

Comme l’arc s’est tendu, il s’est jeté sur l’ombre.

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Dans le sang et les tripes qui jaillissent du ventre

De la bête meurtrie qui jette son dernier souffle,

Le couple s’est emboîté de la bouche jusqu’aux antres,

Dans les viscères fumantes, ils ahanent comme des buffles,

Se roulent dans le foutre au milieu des roseaux,

Dans l’étang tout près d’eux, croassent les corbeaux.

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C’était aux temps anciens, au temps des grandes chasses,

Dans les plaines fumantes, au sommet des montagnes

Sous leurs hardes de peaux taillées au silex dur,

Ils affrontaient à deux les pluies et les froidures,

Ils erraient au hasard des troupeaux égarés,

Dans le ciel étoilé, les dieux étaient cachés.

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Et la chaleur du sang mêlé à leurs humeurs,

Leur faisait un manteau qui recouvrait leurs peurs,

La nuit pelotonnés dans les grottes perdues,

Aux flancs des montagnes aux cimes échevelées

Ils balbutiaient à deux, serrés l’un contre l’autre,

Les premiers mots d’amour, bien plus purs que les nôtres.

ELLE ET LUI.

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Julio Pomar. Etonnement.

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Ils n’avaient pas de noms. Rien. Seules leurs odeurs les distinguaient des autres animaux.

Le vent soufflait en rafales brûlantes sur leurs nuques sales. La femelle était sèche et brune, plantée sur deux jambes à la musculature fine et endurante. Sa peau mate et glabre se confondait avec les fourrures d’ours brun qui la recouvraient en bandes rudimentairement cousues, et serrées au plus près par d’épais tendons dilacérés. Deux yeux lavande trouaient étrangement sa face crasseuse à moitié dissimulée par l’épaisse broussaille auburn de ses cheveux en bataille.

Ils s’étaient rencontrés un soir de grand froid, ils erraient à la recherche d’un abri. La grotte, qui s’était révélée à elle au détour d’un buisson épineux, l’avait sans doute sauvée ce soir là d’une mort certaine, alors qu’elle grelottait sous la neige collante qui tombait du ciel noir. Les épaules courbées et les genoux remontés sous le menton, elle s’était blottie tout au fond de l’alcôve de pierre poussiéreuse, quand un souffle rauque l’avait mise en panique. Lui s’était arrêté devant elle comme un chien de plaine devant une proie, il avait poussé quelques cris graves, puis s’était accroupi un moment à ses côtés. Elle s’était calmée, l’homme près d’elle ne sentait pas la mort, et l’odeur qu’il dégageait l’apaisait plutôt. Quand elle poussa une série de petits cris doux en se poussant un peu, il se laissa couler contre elle. Ils partagèrent leur peu de chaleur. Elle mit ses mains autour du torse de ce vivant qui lui tournait le dos, puis elle les glissa sous les fourrures jusqu’à sa poitrine. Lui ne broncha pas. Sa respiration régulière la calma complètement. Leur première nuit fut longue, éprouvante, ils souffrirent de la faim et du froid, mais à deux ils survécurent. Le lendemain, l’air était vif mais le ciel avait la couleur pure des premiers matins du monde, un bleu profond, lumineux, radieux qui inondait les terres alentours. Le paysage, uniformément blanc, étincelait. Naturellement, ils ne se séparèrent pas. S’ils avaient voulu parler, ils n’auraient pu le faire. Ils ne purent que grimacer en taisant leur agressivité naturelle. Mais ils surent très vite qu’ils chemineraient ensemble.

Au début il marchait devant elle, mais depuis peu il la préférait à son côté. A eux deux, épaule contre épaule, constamment aux aguets, ils fouillaient sans cesse le mystère du paysage devant eux. Tout était découverte, tout était menace. De temps à autre, il se penchait vers elle, grognait doucement et la reniflait bruyamment, puis son corps se tendait quand il se retournait inquiet. Le danger arrivait toujours de l’arrière. Le mâle tenait un épieu durci au feu et portait à la taille une hache de silex grossièrement taillée. C’était un être râblé au torse massif monté sur deux jambes puissantes. Ses épaules compactes roulaient en cadence, son pas était pesant et son buste à demi voûté le poussait vers l’avant. A intervalle régulier, il levait la tête et reniflait, à la recherche d’une odeur connue. Rien ne les différenciait de loin. Il aurait fallu s’approcher ras museau pour distinguer le mâle de la femelle. Avec leurs grosses pelisses sombres qui gommaient les formes, on les aurait crus asexués. Le primate avait une trogne à faire peur, de petits yeux noirs rapprochés, le visage aux trois-quarts mangé de poils noirs, il était hirsute, sa bouche proéminente aux grosses lèvres craquelées recouvrait à moitié quelques dents déjà gâtées. Chaque heure de leurs vies promises à être courtes, chaque combat pour survivre leur mangeaient le sang. Et ces deux tiques là tenaient bon.

C’était au plus fort de l’été. La savane touffue s’étendait devant eux, les herbes hautes leur arrivaient à la poitrine et les épines des acacias nains dissimulés par le manteau roux de cette végétation exsangue leur déchiraient les jambes. Ils gémissaient tous les dix pas, la soif leur brouillait la vue et leurs forces déclinaient quand tout à coup, sur leur gauche, les graminées se mirent à chanter en ondulant. L’homme se ramassa sur ses jambes en poussant un cri venu du fond du ventre, il brandit son épieu vers le sillon qui allait en s’élargissant droit sur eux. Le phacochère géant qui déboula n’eut pas le temps de grouiner. Deux fois l’épieu lui déchira le poitrail et la hache de pierre se piqua dans son flanc. A l’écart, à peine, la femelle se mit à sauter sur place, puis en tous sens. Elle poussa des cris aigus, désarticulés, déchirants, entrecoupés de sanglots de joie quand la bête mourut, le groin enfoncé dans le sol pourtant dur, couinant et frémissant de toutes ses soies. Le sang giclait de sa jugulaire crevée, la terre le recevait comme une bénédiction. Pourtant en ce temps là Dieu, ni même l’idée de Dieu, n’avait pas encore traversé le cerveau reptilien des quelques hominidés disséminés en groupuscules disparates sur la surface sauvage de la terre. L’homme soupira, leva les bras au ciel, sans un cri son corps se détendit une seconde, il se tourna vers la femelle en lui montrant le metridiochoerus terrassé à ses pieds. Ils se mirent à grogner tous deux, une grimace les unit un instant. Ce soir, ils mangeraient. Ils dévorèrent autant qu’ils le purent, ils s’endormirent dans la chaleur réconfortante des graisses.

Le Dents de Sabre lui tomba sur le dos et le fit fléchir, il avait suffit d’un instant d’inattention. Ses jarrets le maintinrent debout, ses bras, levés au dessus de sa tête s’enfoncèrent dans la toison butyreuse du lion, il tira de toutes ses forces en se baissant pour se dégager de l’emprise du fauve. Ils tombèrent, l’homme roula sur lui-même, le lion boula et l’une de ses longues canines, enfoncée dans son trapèze gauche, le déchira en se dégageant, tandis que l’autre dague d’ivoire lui griffait profondément la poitrine. Un voile vermeil recouvrait son dos et son torse, la tête lui tournait, il lança mollement son épieu éraflant à peine la bête qui faisait volte face, il voulut aussi jeter sa hache à la tête du monstre, mais elle ne put que tomber entre ses pattes. Sa compagne hurlait en crachant et trépignant sur place, peur et rage mêlées. Le lion fit un pas vers l’avant puis, inexplicablement s’enfuit, queue basse, le ventre rasant le sol, en se coulant entre les hautes herbes. Elle s’agenouilla près du blessé qui bredouillait en bavant, assis, les yeux à demi fermés, le corps écroulé, une main accrochée à son épaule saignante. Entre ses gros doigts crispés sur ses chairs ouvertes, la vie rouge, odorante, filait en silence. La femelle se tordait les mains, passait de gémissements plaintifs en longs borborygmes inarticulés. Puis elle se leva et traîna l’homme dans la savane. Elle avait aperçu au loin, un arbre isolé. Le mâle était de plus en plus lourd, ses pieds avaient du mal à suivre le pas pourtant lent de sa compagne. Ils s’arrêtèrent à plusieurs reprises, et le soleil était proche de se coucher quand ils arrivèrent au pied de l’arbre. Une brise légère s’était levée et les herbes agitées jouaient avec la lumière rasante. Elle aida le blessé à s’adosser au tronc après avoir vérifié qu’aucun danger à fourrure ne se dissimulait dans le feuillage. Puis elle lui parla doucement et ses yeux lui dirent sa peine, des larmes grasses traçaient des rigoles claires sur la crasse de son visage, le bleu de ses iris, lavé par son chagrin, étincelaient comme jamais. L’hominidé la regardait sans broncher mais tressaillait et grimaçait à intervalles réguliers. L’ombre du sourire qu’il s’efforçait de lui donner avait du mal à éclairer sa face terreuse. Puis la femelle se leva et s’éloigna lentement en moulinant force signes apaisants. Le nez à terre elle scrutait le sol, se baissait régulièrement pour arracher des touffes d’herbes vert bronze, mates, grasses, plus petites et plus épaisses que les autres, à peine visibles dans la broussaille. Quand elle revint au chevet du blessé, il ne bougeait plus et respirait à peine. Assise à son côté elle se mit à mâcher les feuilles de sa cueillette. Au fur et à mesure, elle enduisait de salive verte la blessure, puis elle enfonça dans la plaie purulente la pulpe qu’elle avait accumulée dans ses joues. L’homme poussa une série de cris à peine étouffés mais il ne se défendit pas. Puis elle se balança devant lui en chantonnant.

La nuit tomba, lourde, frémissante. Seul le ciel clouté d’étoiles distillait un peu de paix. Elle s’endormit, épuisée. Un feulement réveilla la femelle, l’aube revenait sur terre et teintait le ciel vide de lueurs bleues et roses. L’air était doux, pur et parfumé, elle eut envie de ronronner. Elle se retourna, le visage gris du mâle ne la voyait plus, ses yeux grands ouverts, éteints, déjà glauques n’avaient plus de regard. Son visage tordu par la souffrance ressemblait à un masque de terre craquelée. Elle toucha son épaule et le corps raidi tomba sur le côté. Elle se jeta sur lui et le secoua longuement en balbutiant des mots de salive, mais il était si mort qu’autour de l’arbre on entendait déjà tourner les nettoyeurs. Et la peur lui serra la gorge, la poitrine, le ventre. Elle urina longuement sous elle. Le regard fou, la femelle se tournait de tous côtés, le danger était partout, sournois, elle le sentait, multiforme, qui l’encerclait lentement. Sa gorge éclata comme une grenade mûre sous les crocs d’un tueur, si rapide, qu’elle ne le vit pas venir. Le sang fusa de son nez, de ses artères arrachées, ses yeux se révulsèrent, elle mourut en souriant, soulagée de quitter la terreur. Elle tomba sur le cadavre de son compagnon, son sang avait dessiné une peinture de guerre sur le visage figé de celui dont elle avait à peine pu partager l’existence. De la savane jaillirent en foule des bêtes affamées qui se battirent sur les dépouilles. Haut dans le ciel, de grands oiseaux tournaient lentement …