ET C’EST ALORS QUE XERESSE …
Albert Lynch. Portrait.
Chapitre 12.
Mathilde se chargea de tout. Le dimanche suivant, au bas des marches de l’église, elle fit savoir au garçon, par un billet écrit à la plume, joliment tourné à l’encre violette sur un papier d’écolier à carreaux, subrepticement glissé au passage, que Xéresse consentait à se rendre dans le petit bois, le jeudi suivant, en début d’après midi, pour y cueillir des fleurs, et converser un peu, avec le post-scriptum suivant : « Tenue correcte exigée ». Le Gonzague lut ça d’un œil hagard, n’y comprit pas grand chose mais sourit néanmoins d’un air entendu. C’était son air spécial qu’il n’adressait qu’à lui même, pour se persuader, qu’en toutes circonstances, il maîtrisait les êtres et le monde. Sans même se rendre compte qu’il se mentait. Il était de cette race que rien n’effraie, de ceux qui partent à l’assaut, toujours heureux de ne pas savoir ce qu’ils sont. Inoxydable, imputrescible, inébranlable et sûr de lui. La petite caille lui tomberait toute cuite dans le bec.
Le même soir la grande expliqua à la petite que le si beau se mourait d’amour pour elle. Elle battit des mains comme une enfant à Guignol et s’envola bien haut. Depuis le temps qu’elle l’attendait son prince charmant, celui qui la libérerait de ses peurs récurrentes, qui la remplirait de son amour, elle se noyait déjà dans ses émeraudes, se blottissait entre ses bras rassurants qui la protégeraient des rudesses du monde, et mettrait son corps au tendre supplice de ses mains douces. Elle l’entendait déjà lui murmurer des sucres candi, lui jurer à voix basse qu’il la chérirait toujours, et plus encore, ses lèvres charnues effleuraient son cou, son souffle parfumé électrisait sa peau, et son ventre brûlant se collait au sien. Abandonnée contre la poitrine de Mathilde qui lui titillait le delta du Nil, elle entrevoyait les portes du paradis sur terre. Elle se sentait déjà remplie, à jamais pleinement vivante, débarrassée de ce manque douloureux qui lui gâchait toutes les heures de sa jeune vie. Elle se promit de lui donner tout ce qu’il voudrait. A l’instant où elle se livrait en pensée, derrière ses paupières closes apparurent les émeraudes, qui tournèrent à la citrine, vivement, puis disparurent. Un frisson roula sous sa peau, qu’elle chassa d’un mouvement des épaules, un haussement, comme une renonciation.
Ce jeudi là, il faisait beau depuis plusieurs jours, et le sous-bois bien sec brillait doucement sous le soleil, entre zénith et coucher, le sol brodé de jonquilles aux périanthes gonflés de vie appelait à toutes les sarabandes, les gnomes et les elfes, invisibles aux yeux des mortels aveugles, sur le tapis moelleux, s’en donnaient à corps joie. Gonzague, vêtu de frais, pommadé comme un œuf mayonnaise, debout au milieu de la clairière que le soleil baissant commençait à caresser de ses rayons biaisés, faisait le héron depuis un moment déjà, passant d’une jambe l’autre. Sa longue silhouette étroite et ses trépignements répétés ne gênaient pas le petit peuple du bois, qui riait en silence en s’aimant sans vergogne, sûr qu’il était de n’être pas là. Derrière un des gros chênes de bordure, Mathilde venait de s’installer, comme au spectacle. Elle poussa la petite d’un geste doux et Xéresse apparut en lisère, dans sa robe de coutil bleu qui lui raidissait la dégaine, trop raide, l’étoffe lui mangeait les contours et gommait ses formes. Au bout de quelques pas un peu hésitants, le bellâtre l’aperçut enfin et sourit gauchement. Le petite le regardait béate, intimidée, son regard d’agnelle au sacrifice s’agrandissait sur ses iris noisette qui paraissaient plus grosses que des coques de noix, sa peau rosissait un peu et ses joues de pomme d’api lui faisait visage rayonnant, elle avait les deux mains crispées sur les plis de sa robe, le soleil jouait au bûcher dans ses cheveux, ses boucles lâches soulevées par la brise de printemps. Sous sa poitrine ronde, son cœur battait les tambours de la garde, sur l’organsin de sa peau de petits picots picotants roulaient en holas, qui envahissaient son corps sous la houle montante. Gonzague daigna faire un pas, et tendit les mains. Osseuses les pattes, aux doigts longs, maigres, un peu crochus, agrippèrent, plutôt qu’elles n’accueillirent, les menottes de la tendronne. Qui furent surprises par ce contact rugueux, mais dociles, elles s’abandonnèrent pourtant. Il lui prit sauvagement la taille, se baissant un peu, à contre jour on eût pu croire qu’un épouvantail l’enlaçait.
Maladroitement, il mit un genou à terre, l’entraînant, elle tomba presque et se fit mal au genou sur une pierre, ce choc la surprit mais elle ne laissa rien paraître. La main du garçon lui crocha durement la taille, il la serra d’un coup, lui coupant le souffle, mais elle aima. Les os secs la raidirent un peu, lui coupant la taille, il mit cela sur le compte de la pudeur, et serra plus fort jusqu’à ce qu’il sente sa poitrine s’écraser sur la sienne. Elle était pneumatique à souhait, une légère tension gonfla son pantalon étroit, qu’elle sentit aussitôt. Xéresse était partagé entre le désir de se remplir et une légère répulsion que la dureté des gestes déclenchait. Alors elle ferma les yeux, attendant que le miracle s’accomplisse, benoîte et conquise déjà. Mathilde au sourire cruel, la joue écrasée contre l’écorce du chêne, n’en perdait pas une miette. Gonzague écrasa sa bouche maladroitement contre celle de la poupée supposée, ses dents crissèrent qui la firent reculer. Le contact de ces lèvres molles, immobiles et sans vie ne lui plut pas, elle avait souvent imaginé le premier baiser de son prince, ce devait être quelque chose de tendre, doux, sensuel, soyeux, ondulant, humide et délicieux. Alors elle se mit à l’ouvrage, se relâcha complètement, laissa sa chair parler pour elle. Ses lèvres se mirent à suçoter lentement la bouche du garçon, d’instinct elle promena la sienne en souplesse par petits rebonds légers, gourmands et fureteurs sur les lèvres de bois, les incitant à lui répondre, pendant que sa langue le léchait furtivement d’une commissure à l’autre. Le séducteur sursauta, vexé de perdre la main, mais le délice ressenti, qui le dépassait totalement, l’emmenant bien au-delà de son pauvre registre de crachoteux, annihila sa volonté de petit maître. Dompté, le triste maraudeur des campagnes se laissa butiner.
Xéresse prenait son temps, dévorait le museau du coquelet par petits morceaux comme elle le faisait avec sa tartine du matin, qu’elle aimait à sentir fondre par minuscules bouchées sous la langue. Elle lui tenait la tête maintenant, ses deux petites mains couvraient à peine les joues du garçon, et les chatouillis des rouflaquettes clairsemées sur le bout de ses doigts la troublaient délicieusement. Le pauvret se retrouvait penché en arrière, ses cannes de serin tordues sous lui, la petite au dessus, pesant de tout son poids de chaton sur son torse osseux lui sciait les tendons. Il en aurait pleuré mais n’osait, ni se plaindre, ni bouger, de peur d’avoir l’air de fuir. Cela dura, dura tant et tant qu’il ne sentait même plus ses propres lèvres, encore plus figées, malgré les baisers de Xéresse de plus en plus profonds et dévorants. Il se redressa d’un coup, il n’en pouvait plus, ce qui renversa la petite sur le tapis herbeux qui, certes amortit sa chute, mais lui coupa le souffle et lui brouilla l’esprit. Quand elle souleva les paupières, les cheveux en bataille de la silhouette noire penchée sur elle lui recouvraient le visage, il lui sembla que le garçon n’avait plus d’yeux. Sous sa robe relevée, des doigts gauches, cherchaient, s’agitaient, tiraient sur sa culotte de coton élimé qu’ils avaient saisi à deux doigts, au cœur de sa chair, à la confluence de ses cuisses écartées, pétrifiées, stupéfaites. Quand il tira d’un coup sec, le tissu fragile craqua à la couture et la culotte s’ouvrit comme un sac de blé. La jeunette trembla, une onde de peur la traversa et lui griffa le cœur, elle referma les jambes, écrasant la main de l’intrus contre ses pétales délicats. Cela énerva Gonzague au plus haut point qui se débrouillait d’une main nerveuse pour desserrer sa ceinture, il n’y arrivait pas et grommelait tête basse, ses genoux écartés bloquèrent les jambes de la drôlesse qui ne s’était jamais défendue. La tête lui tournait, le soleil à contre-jour auréolait le chef du garçon au visage de charbon, elle cherchait ses quinquets verdelets pour qu’ils la rassurent, mais elle ne les trouvait pas, elle ne voyait qu’une forme noire aux longs membres aigus qui se démenait, tressautait, comme une marionnette aux fils coupés. Les arbres se balançaient bizarrement, se tordaient sur eux mêmes, les sons déformés stridulaient sous son crâne. L’autre grand pendu ne s’en souciait guère, il releva plus encore la robe, s’abattit sur elle d’un bloc, fourragea dans son pantalon, elle le sentait confusément qui cherchait, se trompait, ne trouvait pas. Puis au bout d’un moment, il donna un coup de rein sec, une petite piqûre la fit à peine sursauter, elle avait beau se concentrer, il lui semblait ne rien ressentir. Le petit asticot s’agita à peine, il ne dépassa pas le vestibule, puis il sursauta deux fois. Et ce fut tout. Sauf une petite tiédeur qui coula, mais si peu. Gonzague se releva, se rajusta très vite et lui jeta en partant : « alors, on se revoit quand ? », puis il partit, un grand sourire satisfait éclairait son regard.
Mathilde sortit du bois, déçue elle ne souriait pas, elle entraîna la petite qui s’était relevée. Le soir même, Xéresse, assise dans son lit, le regard vague, l’angoisse aux lèvres et le cœur vide, recousait avec application sa culotte. Non elle n’était pas triste, elle croyait simplement que l’amour, c’était comme ça, de grands baisers onctueux, puis une petite chaleur fugace. Elle aimait bien les bécots, c’était encore meilleur que manger. Quelque chose au fond de son cœur, de son ventre, de sa tête, elle ne savait pas, lui disait sans un mot, des choses qu’elle ne comprenait pas mais qu’elle n’aimait pas. Dans la chambre d’à côté, Gracieux, les esgourdes grandes ouvertes, fut déçu de ne rien entendre ce soir là. Il plongea sous la couverture, saisit l’objet de ses compulsions ordinaires, et se mit au boulot comme un brave petit soldat de la quéquette en feu.