Littinéraires viniques » 2013 » décembre

FRANCIS BOULARD, MON PÈRE NOËL A MOI …

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Le vent souffle qui transforme les pluies en rafales cinglantes, la ville est morte, essoufflée elle aussi, les rues vides ne sortent pas vraiment de leur torpeur glacée, et les fourmis humaines que la tempête a épargnées, s’affairent autour de leurs fourneaux ronflants, de leurs volailles ruisselantes, tandis que d’autres, tapis à l’ombre que le jour grisâtre peine à dissiper, attendent, dans l’humidité, que la fée électricité veuille bien illuminer un peu leurs sapins attristés. Ainsi va la vie des hommes dans l’hexagone …

Sur son site, Francis dit le Boulard, le nez plongé dans un verre, oui dans un verre – et non pas dans une coupette à la con pour mémés branchées soirée Country Dance endiablée, ni dans une flûte pour anorexique mondaine extatique, sourire figé, froufroutante, au Wine Tasting incontournable (encore que pour les cons le tour est vite fait), accoudée au bar d’une péniche ventrue, amarrée ad vitam au bord reluisant d’un quai Parisien – souriant, aussi finement que les bulles légères qui lui chatouillent les naseaux qu’il a largement épatés. Immuablement heureux. Lui, fier convive aux larges pattes gauches (les deux), qui partageait encore, il y a peu, un repas d’amitié simple, dans un restaurant Cognaçais, qui nous laissa, amygdales flottantes, à balbutier nos joies simples, avant de nous quitter, rassasiés de Bourgognes et de rires complices, lui, ce vigneron modeste, je le salue en ce jour de Noël 2017 qui me voit le célébrer, alors que je débouche, recueilli comme un enfant de la DDASS, une bouteille ventrue, pleine des jus des Rachais, du millésime 2007. Un pur Chardonnay.

Il aura fallu une bonne matinée, pour que ce jus, délesté d’un fond de verre ce matin, se donne pleinement. Au frais de la cave, l’air a desserré les chairs fermes du vin, et le voici qui bulle doucement dans mon verre callipyge à long pied. Le sale vieux con râleur est au silence quand j’approche, penche l’appendice, sur le disque flavescent moiré d’ambre et de vieil or, lac brillant piqueté de bulles légères qui éclatent en grésillant à peine. Oh, pas un nez de champagne pour putes maquillées, non, mais une impression première d’équilibre, de fondu, d’élégance, une discrétion de bon ton, une fraîcheur minérale, à l’oxydation habilement contrôlée. Puis des fragrances de fruits secs miellés, de patisseries, de noyau, de zestes d’agrumes, de jus de citron mûr, franches et rectilignes, que civilisent ensuite des parfums de pêche blanche juteuse. Comme un voyage olfactif sur les terres d’un Port Royal qui aurait, grâce à Dieu sans doute, oublié d’être intégriste.

Mais il faut bien qu’arrive la mise à mort, pur ravissement de mes papilles, que je sens déjà turgides à souhait. L’attaque est franche elle aussi, comme le bonhomme, douce pourtant, comme lui aussi, juste ce qu’il faut, car le raisin est mûr. Le jus se déploie, sphérique un instant, avant que les fruits, épicés de poivre blanc, cèdent sous une poussée fraîche, toute de flèches aiguës qui allongent ce vin jusqu’à ce que la pierre arrive, qui tapissent la bouche de tannins, certes absents, mais diablement crayeux pourtant. Putain ! Oui il faut oser l’écrire, putain que c’est bon !!! Le jus a basculé, a passé les rives du Styx et s’en est allé longuement réchauffer mon corps, qui soupire d’aise. Toute ma bouche est chaude, ce qui reste du vin s’attarde interminablement, racé, pur et gourmand. Comme à l’habitude, pour les vins, qu’ils soient rouges, blancs, tranquilles, ou de bulles traversés, le calcaire qui les a portés, laisse aux lèvres de ceux qui les aiment ainsi, un sel très fin. Comme un sourire, léger comme un regret …

Saint Thierry priez pour nous. Et toi Boulard le rond, mon Père Noël à moi, je te salue, au passage de ton vin …

CHUT …

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Ta Lou louange au visage angélique

Suave vestale, Louve vandale

Tarentule des bords de la rouge Vistule

Vierge vigne Angevine,

Ta Lou orage songe.

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 Songe aux phalanges de corail et d’onyx cerclées,

Léchant le lait de velours et de rose bulgare de sa peau …

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 Lou se lisse et se hérisse sous le cristal liquide de mer-mirage qui la regarde …

Lilou s’envole, sillage enjôleur, elle vacille …

Tarentelle, valse, elle roucoule, elle coule …

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 Duvet d’aubépine et brume tourmaline,

Voile d’amarante, couche d’acanthe,

Elle se tamise …

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Lou mandoline aux pupilles de santoline,

Vamper, Coqueter, Craqueler,

Lou circonvule à l’orée du bois d’ambre et d’amande …

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 Tige de laque pourpre,

Vertige opaque,

Callipyge aux olifants qui claquent,

Encensoir balbutiant l’espoir …

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 Ta Lou s’endort.

Fragile …

IL PLEUT DES FLEURS …

1508549_10201138419488101_2098730714_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

Parapluie, parapleurs

Il pleut des fleurs,

Des lys givrés,

En gerbes serrées,

Jusqu’à tes pieds.

—–

Des campanules

Se bousculent,

Un nénuphar,

Pas si flambard,

Pauvre vieillard.

—–

Le soleil meurt,

Il a si peur,

A perdu l’heure

Des orpailleurs,

Quel grand malheur.

—–

 Tu viens gratter,

Porte fermée,

La fleur coupée,

Pétales broyés,

Ton rire perlé.

—–

Poètes mes frères,

Trompettes mortifères,

Vos rimes en jarretières,

Cœurs nucléaires,

Et pattes en l’air.

—–

Il se fait tard,

Tous les canards,

Et les fêtards,

Sont au plumard,

Roulent les corbillards.

—–

Alors je crie,

Des loufoqueries,

Pauvres plaidoiries,

Et je rancis,

Au bain-marie.

—–

Ecornifleur,

Bois sans pleurs,

Coupe les fleurs,

Vide les cœurs,

L’écrivailleur.

—–

Flèche fichée,

Entre mes yeux,

Ecarquillés,

Je suis au feu,

Dévadoré …

COMME UNE BUCHE SOUS LA HACHE …

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Holbein. Self-Portrait.

CHAPITRE 8.

Josette avait jupe et jupon au-dessus de la tête, respirant à petites sucées courtes, elle attendait. Le temps semblait s’être arrêté, sa conscience, toute entière, suintait et imprégnait largement les bords fendus, à peine écartés de sa culotte de coton épais, les eaux parfumées de son désir affleuraient lentement, pour baver en minces filets clairs le long de ses chairs hérissées de picots duveteux. La porte de la grange bougea sous le vent, la lumière qui filtrait entre les planches embrasa son ventre détrempé, à l’instant où Kurt, d’un coup de rein brutal, l’embrochait au rebord de la charrette, la clouant comme une chouette. Elle le sentit, jusqu’au fond de son ventre, qui la déchirait presque, elle s’ouvrit plus encore pour l’accueillir tout entier, pour que sa présence turgide la comble, puis dents serrées et lèvres cousues, elle hulula longuement. Son cri, à demi assourdi par le vent qui gémissait entre les lattes de bois et les grincements tourmentés de la toiture, rebondit sur la poitrine velue de l’homme qui lui écrasait le visage. L’odeur forte de ce poitrail frisé finit de l’emporter bien au-delà de la lubricité, elle respirait à plein poumons, criant des mots sans suite, des mots de sang, des mots métalliques, des sons inarticulés plein de grumeaux et de voyelles mâchées. Dans son dos, le plat de la charrette lui brisait les reins, elle crut que les coups de boutoir du teuton allaient la couper en deux, comme il le faisait à coups de hache sifflants, avec les énormes bûches qu’il débitait dans la cour. Alors elle posa les mains sur le plat de la carriole qui la martyrisait, donna de toutes ses forces un coup de rein dans le ventre de l’homme, si puissamment qu’il recula un peu, tandis qu’il s’enfonçait en elle au delà du possible. Josette jouissait, se repaissait, s’esclaffait comme une hyène, sans discontinuer, plus ouverte que les bouches édentées des rosières à la messe, des étincelles multicolores crépitaient sous ses paupières crispées, elle suait abondamment, hoquetait, crachait à étouffer, la toison crépue de Kurt la chatouillait jusque dans sa bouche, ses hanches cognaient, synchrones aux siennes, elle ne savait plus qui elle était, elle pleurait et riait, la tête lui tournait, ça n’en finissait plus, c’était les flonflons de la fête foraine, la terreur délicieuse du grand huit, la barbe à papa qui fondait entre ses lèvres, son ventre n’était plus que bouillie consentante, elle devenait folle, s’ouvrait plus encore pour l’avaler tout entier à ne plus jamais le perdre …

Kurt se retira aussi violemment qu’il l’avait possédée. Surprise Josette rouvrit les yeux pour entrapercevoir, écarlate, le visage de l’homme, qui disparut aussitôt. Elle n’eut même pas le temps d’un soupir, les deux mains qui lui broyaient la taille la firent tourner sur elle même comme une toupie, elle se retrouva le nez contre le plancher du chariot. Elle sourit. Le choc lui érafla la joue quand elle fut durement empalée, le plaisir fut immédiat, elle gémit et se cambra autant qu’elle pouvait, contre les deux quartiers de sa lune opulente Kurt tapait de tout son poids, ses lombaires musclés par les lourds travaux poussaient autant que ses lourds soupirs. Sur son dos à la rupture, elle sentait la sueur de l’homme, en gouttes chaudes, grasses et musquées qui s’écrasaient. A mesure qu’il la rudoyait, sous ses paupières aveugles, l’image d’un pilon monstrueux, d’une emboutisseuse, qui frappait à coups redoublés des tôles rougies, à peine sorties des feux de l’enfer dans l’antre ombreux d’un Vulcain déchaîné, lui corrodait la rétine. Mais plus encore que les coups de massue qui lui brisaient les reins, au-delà des spasmes répétés qui lui mettaient les chairs en bouillie, les odeurs de ventraille tiède, de lièvre faisandé, de crasse capiteuse et de sang chaud, lui remuaient les tripes. Au bord de l’évanouissement, elle vomit longuement avec délice, tout en jouissant continûment. Le plaisir rebondissait sans cesse, de plus en plus fort, presque insupportable. Ses os fondaient, sa conscience déclinait, se dissolvait, elle crut mourir.

Kurt poussa une dernière fois, de toutes ses forces, se recula, inondant ses fesses qu’il écartait à craquer. Elle sentit sa semence bouillante couler entre ses cuisses jusqu’au sol, se retourna en glissant sur la paille gluante pour se retrouver face à cet homme qui ne la regardait pas, affairé qu’il était à s’essuyer à la flanelle de son jupon, elle baissa les yeux, surprise, sur l’endogé de petite taille qui pendait mollement, comme une nouille trop cuite entre les gros jambons blancs tavelés de son amant féroce. Une vague de tendresse la submergea, ses yeux se mouillèrent, son cœur battait fort, elle sourit niaisement et tendit la main, mais déjà le teuton la poussait vers la porte sans même l’avoir un instant regardée. Le lourd battant claqua dans son dos. Le vent avait forci, elle eut froid. Soudainement.

Alors Josette s’en fut en traversant le bois. Le ciel bas, grumelé de nuages gris, se mit à pleurer une pluie froide. Elle courait à petits pas pressés, les fesses serrées, essayant dérisoirement de retenir un peu de ce qui l’avait poissée, mais elle sentait que malgré ses efforts qui ralentissaient sa course, ça lui échappait. Et ça coulait entre sa peau et ses bas épais, et ça la faisait pleurer de ne pas savoir retenir ce cadeau d’amour. Alors au couvert des arbres, elle s’arrêta, trempée dedans, mouillée dehors, le nez plongé entre sa poitrine et sa chemise, à chercher l’odeur prégnante de l’homme, ce fumet encore chaud, qui mit un sourire de fleur fanée sur ses lèvres bleuies par le froid, sous les rus d’eau froide que le ciel généreux déversait sur elle. Le ciel pleurait parce que Josette n’y arrivait pas, et elle se disait qu’elle aurait peut-être bien pleuré si la pluie n’avait pas été si froide ce jour-là. Et que ce maudit vent l’avait mise dehors trop tôt, Kurt devait avoir eu froid d’un coup, il n’avait pas voulu qu’elle prenne mal et l’avait poussée d’un geste – il baragouinait à peine le Français – pour lui signifier, comme il le pouvait, d’aller vite se mettre au chaud. Oui, c’était bien lui ça cette tendresse bourrue. Ces pensées la rassurèrent, elle reprit son chemin le cœur un peu moins lourd et le ventre comblé.

SEULES SONT LES NEIGES …

1488747_10201066772096961_228963239_nIllustration Brigitte de Lanfranchi, texte Christian Bétourné  – ©Tous droits réservés.

La folie de La De.

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L’amour n’est pas Noël,

Non, vraiment pas,

Les amours sont plurielles,

Brille le soleil de ta prunelle,

Toi, l’ombre de mon glas

Regarde au loin les Dardanelles,

Noir, l’oiseau plane au delta,

Dans le jardin, la balancelle,

A oublié jusqu’à tes bras.

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Non, pas d’amour toujours,

Et crèvent les bulles,

La mer sous la tempête,

Passent les nuits, sombre velours,

Sur les eaux folles, la tourterelle,

Zigzague, ivre d’airelles,

Oeil crevé, triste aquarelle ,

Elle flagelle, tourne et virgule,

Nul ne sait, où elle se posera.

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 Qui ne voit pas le goéland,

Déployé, face au vent,

Plumes vibrantes, bec acéré,

Attend, sans même pleurer,

Corps effilé et cœur charmant,

Qui chatoie comme un diamant,

Fragile oiselle, à l’instant s’est posée,

Ailes moirées, regard brisé,

Et la vie meurt, cahin-caha.

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 Pimprenelle

Surréelle,

Jouvencelle,

Abigaël,

Tendre tourterelle,

Fragiles ailes,

Immatérielles,

Plumes de libellules,

Tu vibres, si belle.

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 J’irai peler le soleil,

Quand au couchant les abeilles,

Dans les champs, sur les treilles,

Bourdonneront à mes oreilles.

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 Seules sont les neiges, éternelles …

LES TANTÔTS DE JOSETTE …

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Frans Halz.

 

 CHAPITRE 7.

Derrière le petit bois, il y avait la ferme. On pouvait y arriver très vite en traversant la pâture puis la barrière végétale de grand bois et de futaie. Au centre de la petite clairière qui cachait au monde avoisinant les jeux interdits des filles, se dressait, priapique, aux racines épaisses qui tordaient un instant le substrat végétal, pour s’enfoncer au profond du sol, un vieux chêne au tronc si épais, qu’il eût bien fallu, quatre à six paires de bras pour en faire le tour. Les grosses veines ligneuses, recouvertes de mousses fleuries et de minuscules colonies de champignons de bois, ménageaient entre elles, de petits nids douillets, au creux desquels les filles aimaient à se blottir, tressées de fleurs, d’herbes ou de mousses selon la saison. Quand elles s’y étaient nichées, collées l’une à l’autre, on ne les y voyait plus. Au fond de la clairière, après un breuil touffu de bosquets et d’essences diverses, au travers d’un chemin étroit tracé par les enfants, on arrivait au pied d’une barrière à demi écroulée, derrière laquelle, après une centaine de mètres à découvert, on débouchait dans la cour de la ferme. Jamais Josette n’empruntait ce raccourci, elle préférait prendre le dur de la route qui rallongeait d’un bon kilomètre, c’était si long que personne n’avait l’idée, évidente et stupide, de s’y aventurer. Et ça l’arrangeait bien.

Josette s’en allait au village une fois la semaine, tantôt. Elle allait en course disait-elle, acheter la grosse miche de la semaine, un pain de savon parfois, mais ni babioles, colifichets ou fantaisies. Elle bâclait les achats, courait comme une chèvre, tête baissée et front plissé, parlait à peine, et trépignait quand par malheur, quelque commère bavassait trop longtemps avec la boulangère. Puis elle reprenait la route et marchait à suer. Arrivée à la hauteur de la ferme, elle examinait les alentours à la dérobée avant de bifurquer dans le chemin qui menait à la petite borde. Sur le court chemin de terre, elle respirait bruyamment, arrivait en eau dans la cour, et s’arrêtait net, espérant. C’était au petit malheur la malchance. Hélas le plus souvent Jacotte, dans sa cuisine, voyait surgir d’un seul coup sa voisine, souffle court, les ourlets de sa jupe grossière salis ou mouillés, alors elle sortait en vitesse, bondissait gauchement, toute souriante, les chicots en bataille, le cheveux plat en désordre, plus gris que paille, le visage buriné et couperosé à la fois, de ses mains abîmées par les travaux des champs, elle agrippait, à faire mal, entre ses doigts crevassés, le bras de sa plus proche voisine. Les deux femmes conversaient un peu dans la cour, parfois Josette se laissait entraîner jusque dans la cuisine, elle ne pouvait faire autrement, souriait à peine mais ne parlait presque pas, se contentant d’avoir l’air d’écouter les jacassements de Jacotte, qui faisait de prodigieux efforts pour peindre de rosâtre sa triste vie terne de fermière perdue sans enfants, sous un mari taciturne et très laid. Josette hochait régulièrement la tête, comme un chien mécanique à l’arrière d’une voiture, s’esquivait assez vite, le travail l’attendait elle aussi. Les bras chargés de légumes, de quelques œufs, d’un broc de lait frais, où, plus rarement, quand elle faisait l’effort de s’attarder un peu plus, d’une belle tranche de beurre du jour, encore perlée de gouttelettes d’eau fraîche salée que les enfants s’évertueraient en vain à écraser sous le couteau, elle s’en allait, se retournant une dernière fois avant de prendre le chemin.

Pour Josette, ces jours-là c’était fiasco. A chaque fois, elle espérait fiévreusement que Jacotte serait aux champs, à oeuvrer, les reins cassés, les pieds enfoncés dans l’argile gluante, à creuser, arracher, sarcler, biner, à s’anesthésier le corps, le cœur et les espoirs. Ces jours-là, figée au milieu de la cour, elle priait à toute vitesse pour ne pas la voir surgir, jupes relevées et sourire aux lèvres. Ces jours-là seulement, son cœur battait à grands marteaux dans son ventre, elle frémissait déjà, son regard fixait la porte de la grange, espérant que Kurt paraisse, en majesté, sa longue chevelure blonde emmêlée, à demi collée par la sueur sur son visage anguleux barré d’une grosse moustache fauve tâchée de tabac, au dessus d’un sourire lippu à lèvres rouges, aux larges dents jaunes, poitrail velu, à demi dénudé sous une grossière chemise à carreaux rouges et noirs, battoirs énormes pendus le long des hanches, bras moussus, roussis, musculeux et durs, immobiles, large pantalon de toile grossière, informe, flottant autour de ses jambes bien écartées, soudées au sol, petits yeux gris sidérurgie, vides d’expression, l’air toujours un peu étonné, tombant sur elle. Jacotte le voyait immense alors qu’il était de taille moyenne, large, trapu, épais sous tous les angles. Von Bingen de son nom, soudard de vocation, était un de ces déserteurs fuyant la guerre à l’avoir trop faite, qui s’était enfin posé, au hasard de sa fuite, après avoir subsisté des mois, vivant de chasses et de rapines, à travers bois. Tombé dans cette ferme un soir de grand froid, épuisé, affamé, à bout de forces. Les fermiers l’avait caché, le temps que la guerre se lasse. Ces gens étaient bons, de cette bonté simple de ceux qui connaissent la misère et la faim. Depuis, le teuton faisait partie de la famille. Pas tout à fait, mais presque presque. Le petit colosse était tombé du ciel noir à point nommé, le travail à la ferme ne manquait pas, les paysans avaient fait d’une bonté deux coups. Tôt le matin, jusqu’à très tard le soir, il abattait un travail Tudesque, ne rechignant jamais, taiseux, dur au mal, fort comme un Suève, il dormait au fond de la grange sommairement aménagée, au milieu des bottes de paille, sur un bat-flanc odorant de foin épais, sous une mince couverture de laine, hiver comme été. Dans la cour, dès l’aube, il faisait sa toilette à la fontaine, nu comme un innocent, la peau rougie par le froid et la pierre ponce savonneuse, avec la même ardeur qu’il mettait à fendre les bûches et défoncer les champs. Matin, midi et soir, il était copieusement nourri à la table commune, les coudes sur la table, les épaules baissées et la trogne frôlant le fricot, il dévorait à la cuillère, la nourriture épaisse et fumante qui débordait de son assiette. Cette vie rude et simple satisfaisait pleinement les ambitions qu’il n’avait pas.

Or donc la souris des champs et l’aigle Alaman se regardèrent un moment sans sourire, graves comme des Burgraves, concentrés comme des lutteurs avant l’assaut qui savent l’importance du moment. Kurt fit un pas en arrière et ouvrit l’un des battants de la porte. La sourijocette démarra sur les chapeaux de ses sabots de bois grossier qui chuintèrent sur le sol mouillé, elle faillit déchausser deux fois, trébucha, fléchissant du jarret, dut lâcher sa jupe pour reprendre de justesse son équilibre, se rétablit en rabotant le sol, eut peur de paraître ridicule, mais le visage du Suève ne broncha pas d’un pli, il tendit à peine la main. La grange était éclairée par deux fenêtres hautes sur chacun des grands murs, et quelques rais tombaient d’un oculus grossier au-dessus de la grande porte. C’est dire que la lumière, chiche en ce jours gris, éclairait à peine la resserre, un peu de jour filtrait aussi entre les planches mal jointes du porche. Au bout de sa course, Josette dérapa sur la paille sèche, volta, et se retrouva coincée entre les deux bras de bois patiné d’une charrette, face à l’homme qui venait de barrer bruyamment la porte. La lourde barre de bois sec tinta contre les crochets de suspension. Seule sa respiration courte répondit, un peu rauque, dans le silence humide qui s’était installé. L’homme, tout près d’elle à la coller, ne bougeait pas et restait silencieux. D’un geste timide et gauche, elle fit mine de remonter sa jupe. Alors Kurt, se baissant à peine, la lui releva brutalement, entraînant son jupon de flanelle. Josette, bouleversée par l’émotion, avait inconsciemment levé les bras, ses seins déjà tombants supportaient mal le coton grossier du surcot qui les abritait encore, sensibles, ils la brûlaient, de longs frissons la parcouraient, des aisselles jusqu’au bas de ses fruits pesants, ses tétins agacés, plantés sur de larges aréoles sombres se redressaient, intumescents et fragiles, attendant les doigts lourds qui les pinceraient au sang. Le regard fixe aux paupières rouges de Kurt s’arrêta un court instant sur la large culotte à ceinture boutonnée qui grisait, parcourue de reflets blancs, trémulant sous la lumière hachée qui sourdait de la porte doucement agitée par une brise soudaine. La lumière qui tombait des hauteurs accentuait les courbes, les reliefs, les ombres, tournaient velours, et les clartés laiteuses fouettaient les couleurs et les humeurs, arrondissant encore la silhouette épaisse de Josette. Elle haletait doucement, attendant qu’il veuille bien. Elle ferma les yeux. Derrière ses yeux, clos pour refouler le diable, elle pensa fortement au paradis. L’odeur lourde et musquée de Kurt lui piqua les narines, elle sentit fondre ses chairs en fusion …

MARTIN PAUVRE PÊCHEUR …

Jean Fouquet

Jean Fouquet. Portrait.

 

CHAPITRE 6.

Martin Pêcheur était du genre taiseux, il parlait avec ses yeux, il fallait du temps avant qu’un son ne sorte de sa bouche, mais il n’était pas avare de gestes précis et expressifs pour autant. Comme un muet capable de parler … d’une certaine façon. Le plus souvent il souriait, même au plus fort de ses rares cachinnations, ses yeux, eux, restaient invariablement figés et durs, comme un piano désaccordé à la parfaite dentition d’ébène et d’ivoire, au coffre solide mais au son légèrement décalé, ce qui lui donnait un air particulier, entre étrange et inquiétant. C’était un être affectueux cependant, attentif à son trio de mouflets, qui ne l’étaient plus tout à fait, mais il ne s’en rendait pas compte, et prenait volontiers les filles sur ses genoux. Xéresse, innocente et sensuelle, ne s’en souciait pas, tout ce qui était vaguement trouble lui plaisait, mais Mathilde elle, s’en régalait, et se tortillait mine de rien, se frottant, se déhanchant, l’embrassant dans le cou, pour rire. D’un rire particulier, le grincement d’une tourterelle allemande qui aurait avalé des consonnes, des « q » et des « k » principalement, un rire en courtes rafales, métallique et chantilly à la fois. D’ordinaire, elle ne riait pas, se contentant de décliner à l’infini toute la gamme des sourires possibles, de l’infâme rictus vulgaire, au sourire plus extatique encore que celui de l’ange au tympan de la Cathédrale de Reims. Elle réservait ses gloussements aux câlins que lui prodiguait Martin. De plus en plus souvent.

Depuis quelque temps déjà, Martin devait quitter la cuisine quand les filles faisaient leur grande toilette du samedi. Gracieux lui, dès le petit déjeuner, bâclé à toute vitesse ce jour-là, lui qui aimait tant à dessiner des formes vagues sur les parois de son bol gras de lait et de miettes collées, se carapatait sans un mot, l’oeil humide et les épaules voûtées, la main droite enfoncée à fond la poche, à se tordre la pine. Oui « la pine », un nouveau mot ajouté à son court vocabulaire, entendu dans la cour de l’école, son lieu favori d’apprentissage, aéré, sans tables ni chaises, qu’il préférait nettement à l’espace confiné et plein de pièges de la salle de classe. Josette repoussait les hommes derrière la porte de la cuisine et s’affairait sur les filles, durement comme à son habitude. Fallait qu’elle récure, Josette, les sols, les murs comme comme les peaux tendues, que ça brille, que ça rutile. Et ça suintait sans qu’elle le sache, quand elle briquait à reluire, les soies douces, les retroussis sensibles, les ourlets délicats, les mamelons naissants et autres goussets fumants des pucelles. Un jour que la porte était restée entrebâillée, Martin en passant d’une pièce à l’autre, surprit le spectacle des fesses de Xéresse, rondes et dodues, brillantes de savon mousseux, qui tressautaient sous la poigne ferme de sa femme. Il recula dans l’ombre, mais Mathilde ,qui prenait à l’instant la place de Xéresse ruisselante d’eau chaude, chatoyante comme un amour neuf, l’avait entraperçu du coin des cils. Elle fut troublée et gênée un instant, faillit demander que l’on ferme mieux le battant de la porte, puis souriant finement, se laissa briquer en prenant bien soin de se cambrer, de gigoter, de présenter sa face nord, son amphore, qu’elle tendait aux doigts fureteurs de Josette, mais en tournant le torse pour que ses tétins se voient un peu, par instants, en laissant à l’imagination du voyeur le soin de tourner autour de l’hologramme. Le samedi à confesse, Martin se gardait bien d’en parler, se contentant d’avouer d’une voix contrite, combien il aimait tant prendre sa Josette, d’un bon coup de rein violent, qui se baissait pour remonter ses chaussettes, quand elle frottait, suante, le pavé gris de la cuisine. Monsieur le curé le tançait un peu, le regard trouble et la chasuble tremblante, et vantait, lui l’orthodoxe, les plaisirs simples et classiques du missionnaire, une fois par jour.

Certes Martin était un brave bougre, ouvrier du bâtiment, il trimait dur pour trois sous, et redoutait par dessus tout les « intempéries » qui lui faisaient des mois peau de chagrin. A la différence de bien des tâcherons de ses connaissances, il ne picolait pas pour oublier l’à peu près misère de son quotidien, un verre de vin par repas, quand il y en avait. Il avait peu de goûts, et pas de distractions, quand la maison ne réclamait pas ses menues compétences de bricoleur grossier, il aimait à lire et à relire la bible, c’est dire comme il lui arrivait souvent de traîner sa carcasse, au cœur de l’hiver, quand il pleuvait des mers entières et qu’il regardait, l’oeil sanguin, son pré plat, jusqu’à la lisière des arbres noirs et luisants de froid. Quand le travail manquait, quand l’oisiveté lui serrait le cœur et lui mettait en tête comme un dégoût qu’il ne comprenait pas, alors il guettait Josette, histoire de lui en mettre un bon coup, un de ces coups qui vous secouent la moelle et vous lavent la cervelle. Quoi qu’elle fut occupée à faire, Josette ne disait jamais non, elle avait l’amour résigné, l’amour du devoir, l’amour de la pratiquante, l’amour qui obéissait, l’amour enseigné par l’air du temps et celui de la religion. Selon les humeurs de Martin, elle lâchait son tricot, posait sa cuillère, quittait sa lessive, posait la brosse ou la serpillière, laissait le fricot en plan, sans jamais rechigner, attendant que son bouc ait fini son affaire. Elle ne se plaignit jamais qu’il ne fût qu’un lapin, cela l’arrangeait bien, elle pouvait reprendre sa tâche, un court instant interrompue. Ah oui, elle poussait un petit cri quand il se vidait, elle avait remarqué qu’il aimait bien, ça lui mettait un peu de vie au front, et l’ébauche d’un demi sourire aux lèvres. Elle se méfiait quand même parfois, surtout quand elle frottait la dalle, valait mieux qu’elle s’arrange pour rester dos au mur, sinon, il lui soulevait les frusques et choisissait le cul, elle n’aimait pas ça, tendue, dure comme elle était, ça lui faisait mal, mais elle n’en laissait rien paraître. Et poussait quand même son petit cri, quand il s’essuyait le tringlot dans sa jupe. Faut dire aussi que Josette avait bien compris qu’il aimait ce coin là, le trou à crotte comme disait Gracieux, alors de temps à autre, elle faisait semblant de ne pas l’avoir vu venir, grimaçait et serrait les dents à grincer, se laissait faire, sans bien arriver à se cambrer un peu, c’est qu’à force d’être courbée sur le turbin, elle devenait toute raide.

Martin ne l’avait jamais vue nue, ça semblait ne pas l’inquiéter, et Josette préférait, elle n’avait pas de temps à perdre à la copulation. A se faire aléser le rectum, encore moins. Enfin, à choisir, pas avec lui. C’est qu’avec ses allures de souillon affairée du soir au matin, elle avait bien ses quelques pauvres petits secrets la Josette …