Littinéraires viniques » 2010 » août

LE GORGEON DE GORGEOIS DE BREGEON…

 Munch. Ashes.

 

Les ciels uniformément se succèdent et lâchent en zébrures serrées, leurs eaux lustrales. Depuis la couette, les succions régulières des boules d’eau qui s’écrasent grassement sur le bitume glacé, me sortent de mes torpeurs nocturnes. Un petit air frais que la pluie mouille, se glisse comme un coulis discret par ma fenêtre entrebâillée. Sur les murs de la chambre, les couleurs de l’aube grisonnent et matifient le décor d’ordinaire coloré, au creux duquel je me blottis encore. L’air est lourd du silence humide de ce petit matin. Les souvenirs, en boules de laine mêlées, roulent, incohérents, dans ma conscience renaissante. La finale d’un Gorgeois aux fruits épicés me revient en bouche tandis que je m’enroule dans l’édredon, comme le boa frileux qui se lovait en plumes violines sur les épaules dorées et souriantes de Joséphine Baker.

C’était il y a peu…

Un matin qu’un printemps précoce ensoleillait, je téléphonai, sur un coup de cœur, comme ça pour voir, entendre et sentir le bonhomme. Un ami plutôt félin, m’avait appâté (normal pour un félin apprivoisé) après qu’il eût visité ce vigneron. Mais je connais mon Margay – il est un peu comme moi en plus jeune – quand il aime, il met le paquet!!!!

Bon, il y avait aussi les avis d’autres arpenteurs, de ces amoureux fous mais lucides de leurs horizons. Des gars du cru, des bouillants, des bourrus, des écarquillés, des fondus du melon, qui fouillent le vignoble et sont de vrais amants subtils, inconditionnels mais lucides, des jus du petit Mus. Des tenaces, des sincères. Des costauds, des solides, des impliqués. Des cascadeurs du Muscadet…

À les lire, les relire, ils m’ont emporté dans leurs délires, c’est dire…

Alors, ni une ni deux, j’ai tendu la main vers le bigo.

L’André-Michel Brégeon décroche. A vrai dire j’étais un peu circonspect. Ce prénom, du genre Bobo qui sur le tard tombe amoureux du cul des vaches, ça m’inquiétait…. Encore un écolo-parisien-cadre-supérieur qui vend son vélo Hollandais pour s’acheter des biquettes, me disais-je in peto. Mais foutre d’Archevêque!! L’angoisse fut fugace. Immédiatement cramée par la vie qui sourdait de la voix du gaillard. Les atomes que l’on dit crochus, se foutent pas mal des distances et de ce que nos yeux de chair prennent pour de l’absence… Il n’y a pas que l’image, cette p…..n d’apparence qui corrompt souvent les relations, tant elle est vénérée, adulée, trafiquée et polluante. Désolé mais ce soir je suis un peu chaud. Sans doute ce Muscadoche du-feu-de-Dieu-de-Gabbro-Pluto-magmatique qui m’allume les sangs. Faut dire que du jus de concression grenue, conglomérat de plagioclase, de pyroxène et d’olivine, ça pulse dans les aortes! Je sens comme la caillasse verte de ce vin élevé cinq ans en cuve, qui m’inonde les rétro-fusées. La poudre de pavé me décape les neurones et m’aiguise la perception…Je dois être un peu “touché”.

Je digresse, je digresse, je dois faire c…r tout le monde.

Or donc, L’André et moi ça fonctionne. A ma première finesse à deux balles, il démarre pied au plancher. Et que j’te double, que j’te mets un tête-à-queue, un freinage tardif! On s’marre bien et même plus, parce qu’affinités! Ça dure une bonne quarantaine de minutes avant que je lui demande un peu de son vin, dont il trouve à me dire – un pur anti-commercial! – pis que pendre… Oualà! Pas besoin de Publireportage «Grand-Tasting» pour s’astiquer les neurones et épater le banc et l’arrière banc du gratin de VIP à la sauce Américaine, que j’te Cheers Darling à tous les coins de lounge…

Avec tout ça j’ai trop rien dit du vin, ce Muscadet, ce Gorgeois 1996. Comme un Meursault qu’aurait trahi son Chardonnay pour un Melon de Bourgogne! Pas envie de disséquer… Comment réduire à ses parties ce vin insécable, qu’il serait fou de figer par l’analyse. Ce vin est un aboutissement complexe et évident à la fois, une quadrature, une ronde de fruits jaunes mûrs, juteux et un vin sec en même temps, un jus de pierre et d’épices qu’affinent et allongent avec subtilité, un soupçon de réglisse saupoudré de poivre blanc très frais. L’expression quasi parfaite de la rencontre entre une terre, un raisin et un vigneron.

La perfection est le plus souvent proche de la simplicité. *

PS : * Ne l’ouvrez pas, il vous aura…

EGORMOTIGEECONE.

LA SÈVE DE SANG DES TERRES NOIRES…

 Lumière de l’ombre.

 

 Tard le soir, les cardes épineuses des chimères aux brandons ardents, vous prennent à la moelle.

Dans la moiteur des nuits suffocantes, les forces anarcho-anabolisantes du chaos se liquéfient, et gouttent  jusqu’à vous gorger comme une éponge écarlate, de peurs bleues et de soleils flavescents. Les barrières s’éffondrent. L’Œuvre est au Rouge. le Noir est en Œuvre. Le cramoisi, le feu, la sève – forces vitales – fécondent le ventre glabre du monde. Chutes, vertiges, basculements, incandescences, forces primordiales, tellurisme, jaillissements, éruptions, implosions, brûlures, plaisirs et douleurs, vous rongent les chairs, vous cryogénisent les sangs, et vous mordent à l’âme. Heures d’effroi. Instants de terreur. Délectations acides. Le fuligineux est né du rouge, comme le fut le charbon du feu, et l’obsidienne noire, du volcan. Quand viennent les ténèbres, remontent des fosses que l’on croyait à jamais dévasées, le bacchanal de la nuit des âges. Lignes et courbes s’opposent et s’épousent. Les solitudes s’éclairent, de toutes les nitescentes dissolutions dépravées de l’esprit festinant…Il faut bien chasser la mort, la maritorne aux yeux de jais. Sous les halètements conjugués des chairs en fusion, les magmas globulaires bouillonnent, dans les caquelons rougeoyants des démons déchaînés.

Vous n’êtes plus que mollesses pantelantes, et peaux distendues!

J’ouvre les yeux et dessoude les mâchoires que je tenais serrées. Au centre de l’aréole de cristal de mon verre, comme un téton céleste, une goutte incarnate subsiste, telle l’œil de Dieu au cœur de la sphère. Mon verre est vide et je suis sidéré, comme celle qui fut faite sel, pour avoir osé se retourner! Je ne sais si je remonte ou redescends d’autres mondes. C’est un retour que je fais, du centre de la terre, ou de je ne sais quelle puissante galaxie, nouvelle née.

Les temps étaient tristes. Je m’étais dit qu’une gorgée de bon vin m’aiderait à traverser l’épaisseur touffue de ces heures térébrantes. Sans l’avoir vraiment choisie, c’est une bouteille de la Tenuta delle Terre Nere que j’ouvrais. Humour noir! Une sélection parcellaire en fait, la «Calderara Sottana» 2007, sombre Sicilienne, qui suinte de vieilles vignes, à flanc nord d’Etna. Les respirations apaisées d’Encelade portent, à 650 mètres d’altitude, les vieux ceps de Nerello Mascalese et Capuccio dont les jus incarnats sourdent des terres volcaniques, tel un magma sublimé…

Dans les rondeurs apaisantes du verre, le rubis grenat liquide épouse le rose fuchsia. La belle eau limpide du vin, est tout juste percée par la lumière de ce jour aveuglant qui peine à effleurer son cœur.

Somptueux! Que dire d’autre de ce bouquet odorant qu’exhale le vin, tandis qu’il s’ouvre, comme la corolle d’une pivoine issante dans la rosée d’une aube humide. Le temps du vin n’est pas le notre… C’est une ode à la cerise noire, tout d’abord. Dans son expression la plus subtile. Comme le substrat quintessencié de toutes les variétés, élégamment entrelacées. Puis en foule, des notes de framboise, de cassis, de liqueur de noisette apparaissent. Plus avant, des touches de poivre, de terre broyée, de réglisse, de truffe, de cuir, de cendre, de goudron, de fumée légère et d’huile de cade, endiablent le nez.

En bouche, le vin se fait suave, acide, granuleux et puissant, tout à la fois. La matière, imposante mais élégante, est hérissée de petits tannins «à la Barolo», taillés fins, mûrs, crayeux – comme une soie de ponce – qui percent la boule de fruits rouges fumés, comme une volée d’aiguilles fraîches et minérales. Elles tendent le vin. Derrière mes yeux clos, fugace, l’image d’un gymnaste qui fait le pont. Les embruns que les vents du nord portent jusqu’aux flancs élevés de l’Etna, laissent sur mes lèvres le souvenir ailé de la mer proche. La finale, oblonguissime, sur la réglisse fumée, me caresse le palais de sa langue de feu noir…

Tard le soir, le Guépard élégant de Visconti me regarde….

 

EEMOVATINOUCOIENE.

B.B ON MY MIND…

B.B King. Yann Dubois.

Six jours de cette musique!

Douleur, espoir, joie mêlés. La chronique des drames humains et des amours rédemptrices, coule dans les rues de la ville.

On a vu certaines années, des passions défaillantes renaître et d’autres rejoindre les flots épais des souvenirs déchirants. Ma disparue était ma force, ma substance, ma grâce, mon envie, mon désir et ma paix.

Au cœur de la cité, sur les gradins herbeux qui descendent en demi-cercles doux vers la scène, le public paisible s’étale chaque soir. Sur les pelouses vertes, le long des allées arborées, comme sous les frondaisons des vieux troncs vainqueurs de toutes les tempêtes, de loin en loin, les tâches blanches des Tivoli légers accueillent de petits concerts de pure et vieille musique, dès le matin. Mini concerts de proximité vraie. Loin des rituels et des caprices programmés des étoiles pâles du système. Les mains noueuses et les trognes uniques des jeunes pousses ou des légendes obstinées, tirent des guitares usées et des harmonicas acides de quoi bercer tous les désespoirs. Sourires émouvants, dents d’or et d’argent, «élégances» Américaines, mais cœurs tendus, ouverts comme des figues mûres, hors du temps, des modes et des banalités affligeantes. Les papys fatigués et leurs émules fringants donnent, donnent et donnent encore le meilleur de leurs âmes lumineuses.

Encore une fois, la musique du Diable nous dit que la vie est ombre et lumière, indistinctement accouplées dans les dédales inconnus de nos consciences peu éclairées. Douloureuse banalité.

Moments de grâce et de pur partage.

Le soir les grands aigles sombres des talents disparus fulgurent, planent et jouent dans les nuées humides qui roulent leurs eaux noires au dessus de la scène. Ils protègent et inspirent celles ou ceux, qui sous la lumière des sunlights aveuglants, enchainent riffs rageurs et voix de cuivre brut. Suzan Tedeschi est sous leurs ailes. Théodis Ealey derrière qui, la pauvre Duffy, oie égarée chez les grands fauves, a bêlé, comme un canard aux navets sa musique de pré-ado, Jacky Payne, W. Wolfman Washington le seront aussi. Tous seront inspirés.

Peu de dindes on the ground, in the afternoon. Celles qui s’y égarent dénotent. Perchées sur leur échasses, elles traversent l’enfer à longs pas pressés. L’œil fixe et semi vitreux, dans le reflet duquel se mirent les huîtres de la côte, elles passent, dédaigneuses et rejettent les caresses qu’elles recherchent. Que de regards durs et parfois vides derrière le blush. Les parachutes dorés, les jetons sans peur ni honte de tous les conseils d’administration, de la région et d’ailleurs, habillent leur longues silhouettes évaporées des atours encensés par les revues glacées. Élevées à l’ombre des chais, derrière les tiroirs caisses des quelques commerces florissants, elles préfèrent les affres des soldes chics et les terrasses alanguies de la grand place, aux foules cosmopolites, cosmo-ethniques, cosmo-éclatées pour certaines, aux dreadlocks épaisses, aux cow-boys fatigués – la vie multicolore et souriante en somme – qui hantent comme autant de vieilles âmes rassemblées, les voix de velours des jardins.

En ces temps de Blues à Cognac, les anges ont déserté les fûts. Ils tourbillonnent, invisibles, entre les branches agitées par les vents sonores des trombones baryton aux bronzes lourds, et les soupirs ambrés des saxos énamourés.

Ce soir, le blues est en moi. Il exacerbe et panse mes plaies tout à la fois. J.C is on my side, but the Devil’s voice continue de susurrer à mon oreille ses litanies méphitiques.

Vu de haut, les gradins sont noirs, denses, compacts. Plus un brin d’herbe n’est visible. Le grand drap blême des chairs indistinctes, remonte la pente douce de l’amphithéâtre naturel et déroule ses plis, loin sur les hauteurs que dominent, remués par le vent frais, les grands arbres noirs attentifs. Dans la lumière diffuse que pulse la scène par à-coups, épaules contre épaules, c’est un seul grand corps qui m’effraie. L’histoire remonte à ma mémoire. Les grands chaos, les grandes folies, tout comme les grands rassemblements qui ont troublé les siècles et justifié tant de massacres, défilent à toute vitesse devant mes yeux.

Épouvantable stroboscope. Je frissonne.

Mais la foule s’agite. Le voici.

Soutenu d’un bras par un colosse placide, il s’arrête à l’entrée de la scène, élégant comme un dictateur Africain. Panama blanc bordé de noir, redingote gris anthracite, dont on le débarrasse promptement. Une invraisemblable veste brodée de fleurs et d’argent recouvre le bouddha. C’est un très gros B.B qui s’assied au centre de la scène sur un fauteuil bleu électrique, comme le vieux pilote d’un de ces grands rafiots désuets qui sillonnent le Mississippi. En trois notes, le Band, la vieille troupe noire, blanchie sous la poussière de craie broyée des routes interminables, a entrouvert la boite des arcs-en-ciel rauques et soyeux à venir…

La Messe de toutes les messes.

Le Roi des Bleus à l’âme, rond comme un lion repu, immobile, regarde l’humanité aux yeux écarquillés qui l’attend. Le culbuto d’amour, le vieil enfant espiègle, d’un geste gauche, prend dans ses bras épais la guitare d’ébène, ourlée de blanc qu’on lui tend. «Lucille» la noire. Elle est pleine à craquer, des velours, des soies, des satins, des taffetas, des pongés, des chanvres bien sûr, et des dentelles diaphanes des crinolines fragiles du vieux Sud. De toutes les misères rauques des peuples en souffrance. De tous les cris d’agonie. De tous les désespoirs du monde aussi. Il la serre contre son corps, lourd de toutes les agilités qui l’ont nourrit, puis sa main droite se crispe sur son cœur. Certes il l’aura cherchée longtemps, mais elle là enfin, cette foutue jeunesse! Celle qui met tant de temps à s’installer, pour ne plus qu’on puisse la quitter.

Il est au centre. Du public. De la scène. Et ce soir, de la musique bleue. Derrière lui le vieux Band, agrégat de solistes d’expérience et de talent. Ça envoie! Une puissance, une énergie maîtrisées. Les années on the road again and again, les concerts enchaînés, les coups durs, le sacrifice des joies ordinaires, rien ni personne, n’a pu éroder, déliter, corrompre, l’indéfectible passion qui les anime. Ça assure grave. Le respect, voire la dévotion que le B.Boss leur inspire, transpire de la moindre de leurs notes, du plus petit de leurs déhanchements boudinés.

Tout le monde, celui du subtil, de l’invisible est là. Les Hiérarchies sont en visite et planent comme autant de vortex rutilants aux dessus des têtes blanches. On leur a donné bien des noms, bien des desseins depuis les origines. On a tué en leur honneur, on les a aimés, adulés, on a menti, on a cru les utiliser, les asservir. Naïvetés! Les légions n’ont pas de maître sur terre et sont sourdes aux élucubrations étriquées de l’entendement fini des hommes. Ce soir, elles protègent et exaltent les vieux missionnaires du Blues. Allah, alias God, Bouddha, Zoroastre, Zeus, Jupiter, Adonaï. YHVWH, est là. Il anime, sans les guider, les mains des porteurs de lumière, de ceux dont les pieds sont ancrés dans la terre, et dont les têtes s’abreuvent aux arpèges surnaturelles.

Le rythme du Diable est dans les souliers vernis de B.B. Ben oui, il est comme ça le Diable. Du genre à choisir les souliers, les croquenots, les godasses, les pompes, qu’on ne regarde jamais, mais qui pourtant tracent la route bleue. Ce sont eux qui dirigent la manœuvre. On ne voit qu’eux, grands panards habillés de nuit flamboyante, habités par l’incoercible passion du rythme. Ils battent à l’infini et pour l’infini, comme deux cœurs noirs de velours moiré.

Du cœur de l’amphi, B.B est au théâtre. «Deus ex machina», il est entré sur scène, a salué la foule et d’un petit geste de la main, l’a prise en main. Tout au long du spectacle, car c’est bien d’un spectacle qu’il s’agit, rôdé, carré, à l’américaine, il jouera gentiment avec le public. Grand moment que celui de la présentation des musiciens qu’il maltraite, avec humour et tendresse. Miracle des miracles, son bavardage incessant que malaxe l’accent grasseyant du Sud, est compris de tous. Les rires fusent pile-poil!!! Et surtout, oui surtout, B.B réussit à donner le bon tempo. Tout le monde bat des mains en rythme.

Et ça Madame, jamais vu je n’avais!

Un quart d’heure d’une heure et demie, qui s’en est allé, comme une eau claire, dénouer ma gorge serrée.

Rock me baby, but rock me slow…

EVENIMOVENITIVICICONE.