MOTS, HUMEURS, COULEURS, EN ROMANÉE…
Kats. Ryan Juli Cady.
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Le temps serait incolore et s’écoulerait – serein – à la vitesse de la clepsydre ancienne, comme à l’amble de la plus rutilante des montres atomiquement pilotées ? Seule exception à la mesure, la démesure vulgaire de l’Oyster – il s’affiche plutôt qu’il n’affiche – qui compte les billets plutôt que les secondes. Les hommes inondent le temps de leurs babils bavards, ils l’habillent de grandes envolées, le tissent de murmures tendres, et dans tous les cas de figures, ils l’empêchent d’apparaître au grand jour sidérant du silence. Rien n’effraie plus les humains que le grand blanc d’un mot tu. La plus banale des conversations prend un tour dramatique, quand une transparence s’installe. Pire que tous les bafouillages, les énormités, les insultes. C’est que le temps qui se tait, c’est la mort qui ricane. Le Motus renvoie son Monde à l’inéductablité de la fin, et les autruches, la tête dans les sables mouvants des agitations souvent vaines, n’aiment rien moins que cela ! Le blanc les mets dans une peur bleue. Alors ils se bourrent à la blanche, pour oublier que l’aiguille les faucardera un jour. C’est alors qu’un ange passe, car l’ange se rit de la faucheuse, quand le primate craint la trotteuse. Sur l’écran blanc de mes nuits noires, le temps se fige.
A ma vérité, le temps est blanc.
Le sang est rouge écarlate quand il circule dans les artères de nos villes de chairs molles. Pourtant, quand l’inquiétude s’installe, quand la crainte griffe les boyaux, brassant la merde qui fait les yeux chassieux, quand la peur pousse le bout de sa mouillure jusques aux reins, le bipède se fait un sang d’encre, puis un sang noir. Comme un sang carmin qui aurait de la veine. Le rouge coule dans les veines et les verres, dans les ruisseaux des villes en feu, musarde en Musigny, mord la vie en Somalie, et se perd en alertes vaines.
A ma vérité, sang rouge vire au noir.
La Terre amoureuse est sinople étiqueté de jade et d’argent, elle pousse le bout de ses arborescences aux quatre cardinaux. Maltraitée, défoncée, irradiée, printemps venant, elle chante la vie en vert et contre tout et comble ses hôtes de ses pommes d’Amour. Mais le vert est aussi de rage et de peur, quand l’homme se l’approprie. La rage et la peur virent à la mort. Les asticots blancs tracent leur route dans les chairs marinées, molles et vertes d’envies inabouties.
A ma vérité, vert est pur amour rageur.
La vigne lilliputienne de Chassagne-Montrachet, microscopique dentelle verte Bourguignonne, noyée dans le vignoble hexagonal, lui même hors monde, vu des cieux, bras noirs aux griffes tordues l’hiver, verdoyante au printemps, qui s’empourpre d’érubescences progressives à l’automne, pour renaître, dans une flamboyante flavescente, jusqu’à mourir, exténuée, au bout de ses derniers feux rubigineux… Pour y dissoudre, avant que survienne la mort blanche, sang rouge et rage verte. L’ami Thibaut qui fait bon, Morey-Coffinet de son nom, a glissé, sourire muet aux lèvres, au creux de ma cave, sa « Romanée » 2006.
Le temps est venu d’y noyer les hivernales.
Par une de ces alchimies fines que réserve le vin à celui qui s’en délecte, la bouteille embuée, du centre de la table, de son regard ensoleillé, dissout déjà les nimbus menaçants qui m’embrumaient à l’instant.
La parure citron de ce premier cru se moire de vagues vertes qui ondoient au gré changeant du verre tournoyant. Elles ont les infinies délicatesses d’une sonate de Scarlatti ces subtiles touches fleuries fugaces, qui laissent au premier nez une pure eau de chèvrefeuille. Puis vient le temps des fruits, velouté comme le saxo de Stan Getz, qui roule la poire mûre, l’ananas, pour finir au coing. Élégance extravertie de Chassagne la riche.
L’attaque en bouche est subtile, l’équilibre est son nom. Le vin se roule en bouche. Comme l’Oud d’Anouar Brahem, il enivre de son gras, il est riche et vif à la fois. Réapparaît l’ananas qu’affine la poire, ils s’étirent à deux et rebondissent sous le fouet du zan, et la lame acide qui finit d’allonger le vin. Une bouche digne de la plus voluptueuse bayadère, et j’en ai connues d’ondulantes par temps de grand blanc, sous la voûte Bourguignonne.. Et la finale, oui la finale, sans laquelle le plaisir est incomplet ? Marquée par le calcaire, elle s’installe, se resserre et lâche ses épices réglissées, doucement…
Le ciel cérule, les lourds cotons noirs des orages ont disparu. L’âme au diapason, je jubile, yeux clos. Sur mes lèvres qui sourient, ma langue se régale du sel de la vie…