ET L’ARNO COULA …
Dante-Gabriel Rossetti.
CHAPITRE 5.
Gracieux regagna sa chambre, le souffle court, le ventre brûlant, les jambes plus dures que les bois du bois, le diable riait sous cape et le tenait, terrorisé, entre ses griffes. Sa chambre n’était que la gueule puante, béante, du démon aux ténèbres de laquelle il s’était innocemment réfugié comme un oisillon halluciné, il avait si peur, tout recroquevillé au pied de son lit, qu’il baissait la tête et appuyait de toutes ses forces ses mains sur ses yeux. Mais le diable, ce malin, s’était glissé sous ses paupières et riait à sabots fendus …
Le soir au souper, Xéresse avait les joues rouges et le regard vague, l’oeil encore à demi éteint d’une noyée juste sortie des eaux. Josette versait le café dans les bols, y ajoutait à peine une lichette de lait frais, et tranchait d’un poignet sûr le gros pain qui faisait la semaine. Ce soir c’était fête au logis, elle avait posé sur les tartines épaisses une fine tranche translucide d’un fromage que la bravasse de la ferme d’à côté lui cédait à bas prix. Gracieux, penché sur son bol, évitant les regards, l’avait englouti d’une bouchée, Xéresse, tout à son bien être, les yeux à demi révulsés, n’avait encore touché à rien, Mathilde, elle, était bien là, qui épiait tout le monde à l’abri de ses longs cils, elle savourait la chair crémeuse de la tomme, à petites bouchées économiques, la suçant longuement, bouche grasse, elle se maquillait les lèvres, attendant que le Gracieux hypnotisé lève les yeux de son bol vide, bouche ouverte et poings serrés. Elle le tenait, l’asservissait, comme ça, sans même avoir besoin d’ourdir, d’instinct. Ses terribles manières clouait le garçon à ses lèvres. Gracieux, plongé dans son bol, protégé par sa tignasse rouge, comme une autruche martienne, avait disparu, il avait quitté le présent insupportable du repas. Mathilde observait le seul lambeau de peau encore visible malgré ses efforts, entre sa flambée de cheveux hirsutes et sa chemise, un mince ruban, devenu écarlate sous l’emprise de la colère, de la peur, ajoutés à quelque émotion indicible, mais si puissante, qu’elle le tenait ployé, broyé, entre ses mâchoires implacables. Entre ses jambes aux genoux serrés, une tâche humide, l’oeil de son désir, s’étalait sur l’étoffe épaisse de son pantalon. Sur les parois intérieures de son bol de faïence craquelée, le garçon pleurait sa honte. Et ce diable qui ricanait et le mordait sous le tissu …
Un froid bleu rendait le ciel mordant depuis quelques jours, les filles ne quittaient pas le bois, Xéresse, peu couverte tous ces temps, en était tombée fiévreuse, tousseuse et cracheuse, ses grands yeux ronds brillaient d’une fièvre brûlante qu’elle endurait sans une plainte, comme une fatalité. Josette aimait ses gosses, d’ordinaire peu encline à la douceur, elle élevait les enfants plutôt à la dure, mais ce jour là elle avait forcé la petite qui n’avait pas résisté – elle ne résistait jamais – à garder le lit. Elle resta plusieurs jours allongée à suer entre semi veille et sommeil léger. Pour atteindre la ferme voisine, il fallait longer le petit bois, Josette, trop affairée, avait ordonné à Gracieux et à Mathilde d’aller y chercher deux lourds brocs de lait frais. Gracieux avait bien tenté d’échapper à la compagnie de la grande fille, mais sa mère, d’une bourrade, l’avait redressé. En lisière du bois, Mathilde prit la main du béjaune, d’un coup de hanche elle l’entraîna sous le couvert, jusqu’au champ, ce jour là défleuri, de ses jeux habituels. Elle se mit à genoux, le tira vers elle, il tomba. Malgré le froid, elle dégrafa sa blouse, devant les yeux affolés du garçon ses deux petits fruits blancs apparurent, sa peau rosit un peu à l’air frais pinçant, puis elle força la main raidie de Gracieux à l’approcher plus encore, jusqu’à ce qu’il finisse par effleurer, le temps d’une seconde furtive, la rustine gonflée de son sein droit. Le petit téton renflé gonfla un peu plus, et se piqueta de minuscules taches couleur d’églantine, elle ferma les yeux ostensiblement, en respirant exagérément. Au contact, pourtant si furtif de cette chair tendre, Gracieux se referma comme l’huître au sec, en rendant son eau. Mathilde rouvrit les yeux qu’elle gardât baissés, son index droit se ficha durement sur l’auréole qui maculait le pantalon clair, Gracieux prit en plein visage le regard de la drôlesse qui relevait la tête d’un bloc. Il poussa un cri étranglé, se redressa d’un coup de rein et fila au travers des arbres, comme un lapin au bruit d’un fusil. Il hurlait, s’étranglait à demi tout en détalant, avec, fiché dans son crâne par un clou de bronze, les iris jaunes de Mathilde, fendues, moqueuses, humiliantes, féroces, qui lui dévoraient la tête. Le diable, loin derrière lui, riait comme une folle.
Le soir, elle ne dit rien à Xéresse abrutie de fièvre, elle se contenta de la bercer, en chantonnant une mélopée douce qu’elle inventait au fur et à mesure. La petite s’endormait, pendant qu’elle l’enjôlait la paume fraîche de la grande lui caressait légèrement le front, ça l’apaisait. Mathilde souriait doucement, sa peau frémissait au souvenir de la main du garçon, maladroite et ingrate pourtant. Alors elle se repassa la scène de l’après midi, s’inventa un bel homme jeune, à son goût. L’adolescent agenouillé devant elle la dépassait d’une demi tête, il avait les épaules larges sous un pourpoint rouge qui découvrait des bras à la musculature fine et bien dessinée, son cou d’ivoire supportait un beau visage d’ange du quattrocento, au sourire à peine ébauché, au nez fin, au dessus duquel souriaient niaisement en la regardant, deux yeux céladons, sur son front droit tombaient en mèches moutonnantes, d’émouvants cheveux noirs qui reflétaient une lumière sanguine, moirée de reflets mauves, glorifiant sa toison épaisse d’une aura cérulescente, si douce qu’elle en perdait le souffle. Le soleil déclinant, dans son souvenir inventé, déflagrait, et ruisselait dans son cœur extasié comme un miel sucré. Elle laissa sa main descendre sous le patchwork pour se caresser. L’Arno d’argento coulait entre ses doigts …