AVEC DEPEYRE, PAS DE BILE À SE FAIRE…
Nikki. L’Agly, pool.
Un domaine de treize hectares conduit en tandem par Serge Depeyre et Brigitte Bile, donc… Créé en 2002 et sis dans une maison parmi d’autres, au milieu des rochers (Cases de Pène) dans la vallée de l’Agly, en Roussillon. Sur les terres avoisinantes de marnes, de schistes noirs et argilo-calcaires aussi, des lambrusques, devenues vignes à force de soins, qui peuvent être vieilles, voire canoniques (plus de 80 ans pour certaines), croissent dans la douleur et les forts vents méditerranéens. C’est ainsi que le duo veille amoureusement sur une armée de ceps qui sont grenache gris, blanc, noir, syrah, carignan, ainsi que mourvèdre. Quelques cousins Ibériques de lladoner pelut, par-ci, par-là.
Les gens d’expérience sont souvent raisonnables, c’est pourquoi le couple travaille en lutte raisonnée. Pas de traitements systématiques, pas d’engrais chimiques, analyses régulières des sols, feuilles et grappes. Labourage à la mule, sans chenilles donc ! Vendanges manuelles en caissettes et égrappage intégral, pressoir vertical traditionnel en bois et vinification traditionnelle elle aussi, sans intrants. Vins non filtrés et non collés. Des rendements drastiques… De 14,5 à 30 hectos à l’hectare : 14,5 pour «Symphonie» 2009 et «Rubia Tinctoria» 2009, 25 pour «Sainte Colombe» 2008 et 30 pour la cuvée «Domaine Depeyre» 2009. De là à dire, que par là-bas les vignes ont la prostate fragile…
Le Domaine n’est pas grand consommateur de bois neuf que seule connaît «Symphonie», de grenache blanc et gris issue. Il est vrai que les vignes de 80 ans, «ça ne craint pas»… Un VDP des Côtes Catalanes qui fait ses dents en barriques et demi-muids neufs. Dans le millésime 2009 qui demande un carafage conséquent, ce jus d’or pâle au nez de fleurs, de fruits jaunes, d’amande amère, d’écorce d’orange et de réglisse anisée, vous emplit la bouche d’une matière conséquente, grasse, onctueuse, riche d’abricots mûrs, de confits, que rehausse la réglisse épicée. Un vin «cabot» qui ne veut pas quitter la bouche et qui éteint, plus que très lentement, ses lumières de réglisse fumée. Puissance et finesse habilement conjuguées.
Après que le blanc, impressionnant, a baissé son pavillon de pierres épicées, c’est le début du voyage au pays des robes impénétrables… Place au rouge de la cuvée «Domaine Depeyre», assemblage de syrah, grenache noir et carignan à proportion de 50, 25 et 25%. Un vin qui bien que de pure cuve, demande un bon carafage. Mais avec tous les vins – certes jeunes – du domaine, patience est souvent mère de plaisir décuplés par l’attente. Vent et soleil marquent le vin de leur puissance sauvage fruitée et maîtrisée.
«Sainte Colombe», c’est un degré de plus dans l’expression du terroir. Syrah, grenache, carignan à proportions égales et 10% de mourvèdre. Fruits noirs, cerise mûre, pierre sèche, réglisse fine et poivre dominent. Le toucher de bouche est caresse fluide, d’une onctueuse élégance, la matière est conséquente mais sans affectation. Cerise noire juteuse à nouveau. La finale, aux tannins fondus, empourpre la bouche d’épices longues, réglissées, poivrées, légèrement fumées. Au bout du bout subsiste au palais, une violette. Une fleur d’avenir…
«Rubia Tinctoria», 80% syrah, mourvèdre et grenache à 10%, garance teinturière entre les rangs des vignes, mais pas gros qui tâche en bouche pour autant. Vin de pure cuve, jus de jais à peine ourlé de violet. Joli fumet de fourrure de lièvre à l’ouverture qui laisse rapidement place à des arômes de prune, de bigarreau et de cassis très frais. Une matière fluide et onctueuse en bouche, qui allie légèreté et puissance contenue. Une eau de vin soyeuse, précise, gourmande qui caresse le palais de sa volée de fruits et laisse à la finale de petits tannins délicats et goûteux. Une syrah du sud mutine, fraîche comme une crinoline sous le vent.
Les vins de Serge et de Brigitte sont aux Roussillon de naguère ce que la plume est au burin…