Littinéraires viniques » 2007

C’EST BON, UN GRAND COUP DE MAILLET DERRIERE LA GLOTTE!!!

Van Gogh. Tournesols.

La première fois, c’était en 2004.

Après avoir tourné en rond un moment – faut dire que le sens de l’orientation n’est pas ma vertu cardinale – je m’étais arrêté devant le Domaine, à tout hasard. Heureusement que ce foutu «hasard» est une daube pour crétins. Pour les âmes errantes, qui volent au travers de l’intemporel à longueur d’infini, ça n’existe pas, Dieu merci!!!

Un gaillard, plutôt de chêne que de balsa, est sorti de derrière ses cuves, à petits pas précautionneux. Une tête de gamin costaud, le Nicolas Maillet, et une démarche de vieillard… ce jour là.

A la vérité, je n’avais pas téléphoné, je ne pensais vraiment pas verser du côté de Verzé. C’est dire comme j’étais dans mes petits souliers. Je l’abordai donc, et lui dis mes errements. J’accompagnai misérablement mes explications laborieuses, d’un de ces regards larmoyants, dont les caniches enveloppent leurs vieilles dames. Poli comme un vigneron qui sait, il m’écoutait le buste un peu penché, s’appuyant tantôt sur une jambe, tantôt sur l’autre, la main droite, appuyée sur les reins. A part la posture, rien à voir avec la Goulue… J’en revins difficilement, lorsqu’après cinq minutes, il remit son rendez-vous médical, pour m’ouvrir sa cave!!! La ronde enchanteresse des 2002 m’attendait. Des blancs purs cuves, comme ça… Moi, qui coulais tout juste de la Côte Orienne, ça m’a cloué sur place. Je goûtais et sifflais la pipette généreuse, oubliant un peu vite le crachoir, préférant celui de Nicolas, qui n’était pas avare…

Oui bon, ben… c’est bien beau de ramer sur son clavier, mais n’est pas Balzac qui veut les gars. Le corps a ses raisons, que la raison ignore… La chambre de bonne, la plume taillée – régulièrement ça fait du bien – la cafetière, les pages et les pages, allégrement descendues par l’ogre. Oui d’accord mais bon, j’ai faim moi, misérable petit tâcheron. Je croûte donc. Pourtant très vite, j’ai le regard attiré par le minuscule bout de jardin que j’aperçois de derrière mon assiette. L’après midi a été belle, en ce mois de Février, après les fortes pluies des derniers jours. La nature envoie dur. L’herbe s’extrait de l’hiver. Les pâquerettes, les fleurs jaunes, roses, bleues, tachent le vert majoritaire – de droite donc encore quelques temps – de leur irrespect salutaire. Merci la vie!!! Ça pulse à donf. Ça sent l’énergie à plein nez. T’imagine pas la force!!! Ces milliards de tonnes que la terre expulse, pure fertilité originelle. Waowww, de la centrale nucléaire à gogo, du pétrole à s’engorger les coffres, tout ça en silence, sans espoir de rapports ou d’intérêts. Le pur Amour, celui qui nous dépasse, qui nous fait pleurer sans savoir pourquoi, devant un paysage, en haut d’une montagne, devant les fleurs peintes par un rouquin maudit. La très grande classe, la vraie la seule, celle qui ne s’affiche pas.

Entre une poignée d’herbe et le tronc malingre d’un poirier des villes, passe en sautillant un merle. Oui, un de ces merles tout con, qu’on ne voit même plus. Pétrifiant de beauté l’oiseau. Une ligne si simple qu’elle en paraît évidente. Comme le jeu du Barça un soir de grâce. Noir c’est noir, éclairé par la touche effilée d’un bec jaune. A côté de ça, la Ferrari ressemble à une caisse à roulettes. Ça me fait penser au requin aussi. Ah oui les «pointes noires», ou «blanches» – à vot’ service – qui surgissent au détour d’un récif, pétrifiants de beauté glaçante, par trente mètres de fond. La rencontre furtive et effrayante de la perfection.

Pendant ce temps là, l’oiseau s’affaire. Simple l’oiseau, pas un de ces merles à Ray-Ban, pas un de ces merles «envuitonnés», «guccisés», enturbannés, comme ces précieux intemporels, qui traversent l’Histoire immuablement, à jamais falots et insipides. Pas un de ces «Lagermerles», indigne des plus tristes dénouements du dernier des romans de Huysmans, qui se haussent du col, sur les pages glacées de nos inconsistances. Non, un putain de merle simplement, mais un autre, que je reconnais à son bec presque orangé.

Salut l’oiseau, que ton plumage est beau…

Les 2007 sont rentrés il y a quelques mois. Je prends le temps de les «expertiser», un à un, tout cool. Il a encore progressé le Nicolas. De l’Aligoté au «Chemin Blanc», sur ce millésime pas facile, tout est bel et bien beau et bon, voire très. Pas un bout de bois pourtant, pour arrondir les angles.

Du raisin et des cuves.

Ça me fait penser à Steinbeck. C’est bête!!!

Le premier de la série c’est son Aligoté.

La robe est jaune, pâle, rehaussée de reflets verts. Le nez est très élégant, vibrant, pur, sur l’acacia, la pêche blanche, les agrumes, la banane mûre, le coing. C’est cristallin comme un Chardonnay du Jura!!! Une belle fraîcheur, autour de tout ça, qui fait saliver. La bouche est à l’unisson. C’est bon, poire, agrumes, citron, c’est puissant, vif. Ça se boit avec plaisir et gourmandise, et ça peut s’enchainer grave!!! Un vin qui rit dans la bouche. C’est long, fruité, frais. Un des tous meilleurs Aligotés de l’année.

Le deuxième est un Mâcon-Village.

Les jeunes vignes du domaine. Le nez est tout en subtilité. Sa finesse, de fruits blancs et de poire mêlés est délicatissime. L’attaque est franche, fraîche et fruitée. La matière est plus que correcte, élégante, en parfaite équilibre avec le nez. Belle finale revigorante.

Le troisième est un Mâcon-Verzé.

Le nez, ici aussi, se distingue par sa grande finesse. Fleurs blanches, et poire. L’attaque en bouche est franche, nerveuse, ronde à souhait. Le vin passe et vous fait sourire. La finale est tendue, crayeuse, fruitée; elle vous laisse les papilles propres, comme un Euro de petit porteur.

Le dernier est un Mâcon-Verzé «Le chemin blanc».

Le nez, fin et complexe, dévoile des arômes de pêche blanche, de poire, et de fleur d’acacia. La bouche est puissante, avec une bonne rondeur «roulante», qui s’installe et ne vous quitte qu’à regret. Finale sur des notes d’agrumes et d’anis. Belle bouteille, qui se dévoilera complétement dans un an ou deux

Une superbe série de vins sincères et droits. Rien, aucune intervention appuyée, ne vient altérer la qualité et le naturel des raisins. Tous sont à leur place dans la gamme et la justifient pleinement à la dégustation. Non, j’ai beau chercher, pas de fausses notes. Des jus cristallins, vibrants, purs, élégants, équilibrés. Inutile de vous parler des prix, cela pourrait donner des idées et des complexes (non je blague!) aux «Seigneurs, blasonnés de gueules d’Or en Côte, écartelés en Chardonnay et Pinot flamboyants

EMOUSMOTICONILLEE.

ET DIEU CREA LA CÔTE…

Bartolomeo Veneto. Lucrèce Borgia.

 Dieu, qui ne manque pas d’humour – Lumière suprême,  il joue avec les ombres –, a chopé Adam (l’innocent gambadait comme un con dans les verts pâturages…) par la nuque. L’ancêtre, confiant, s’est laissé faire en souriant. D’un coup sec et d’un seul, Adonaï lui arracha une Côte, proche du Py, qui n’était pas vitale, grâce à Dieu!!!

Et YAHVÉ-ELOHIM créa la femme.

Que ceux, qui se demandent toujours, pourquoi Monique ne refuse jamais un petit coup de rouquin, avant comme après la bataille, cessent de se torturer les méninges. Ils ont enfin la réponse à leur vague-à-l’âme post coïtal…

Quelques éternités plus tard, par un petit matin, l’œil chassieux et la barbe aussi dure que l’analyse cruelle d’un serial financier – manieur de fond de pensions voués aux développements durables -, lisant le Financial Times au bar du Fouquet’s, Jean Marc, enfile ses chaussettes de laine vierge. Il est temps pour lui, d’aller biner ses chers ceps, au pied de la Croix. Le millésime 2009 promet d’être grand. Entre ses doigts gourds et raidis par les tannins, la tasse de café brûlant irradie. La chaleur douce des plateaux Éthiopiens, monte, sensuelle et revigorante, le long de ses bras engourdis. Sous la couette de duvet bio, sa femme continue paisiblement sa nuit. C’est qu’elle est belle sa Christine. C’est par elle qu’il a conquis le Py… C’est pour elle, autant que par amour du sang de la messe, qu’il a pouponné ses lambrusques, pour en faire de vieilles souches tourmentées et souffrantes. Plus il les taille, plus elles se tordent sous les morsures amoureuses de son sécateur, plus elles pleurent au fil des ans, un jus riche et goûteux.

Va comprendre Alexandre!!!

L’hiver est coruscant cette année. Ça brille à vous consumer le cristallin. Les brumes du petit matin étêtent les collines alentour. Les vignes dénudées crèvent la neige fraîche comme autant de doigts arthrosés. De loin, on dirait un tapis de clous de vieilles girofles, égarées en Antarctique. Ce matin la Croix du Py est remontée au ciel. Nul doute qu’Adam, au dessus des nuages bas qui rognent le paysage, se gratte les flancs du bout du crucifix. Sur sa peau éternelle, la cicatrice pâle de l’Ève à tout jamais perdue, le démange. Comme une trace de l’enfer évité de justesse.

Dieu est grand, qui a créé le Py!!!

A la même latitude, mais sept cent kilomètres plus à l’ouest, le temps des hommes s’en va, tout aussi lentement. De la klepsydra invisible, qui marque les vies des bipèdes insolents que nous sommes, l’eau paisible qui s’écoule en silence, marque midi. Une mi-journée, lourde de tous les nuages sombres des amours légères, que les vents emportent, comme autant de feuilles décomposées.

«Mieux vaut boire seul que mal accompagné» se dit-il pensivement. De sa main gauche, ordinairement malhabile, il enroule le métal brillant de la vrille acérée, dans le bouchon tendre, qui se lamente doucement. «Quoi de plus sensuel quand on n’a plus que ses yeux pour pleurer?» pense t-il, s’esclaffant en silence. Le Côte du Py 2007 de J.M Burgaud a tant à donner qu’il croit le bouchon… comme repoussé par le vin. Il se marre derechef, heureux que personne ne puisse lire, derrière son front plissé, les stupidités qui l’assaillent. Ça sent bon la raviole fraîche et les aiguillettes rôties, sur la table. Une rasade de Morgon et ça va vibrer sur les papilles. D’un geste presque brutal, il verse à gros bouillons le vin, dans l’aiguière aux formes chastes et déliées. Du col effilé, montent en fragrances pures, la framboise fraîche, encore humide de la rosée du septembre d’alors. Dans le verre, replet comme un cul de contrebasse, le grenat sombre, agité de reflets violets, du vin à peine versé, tremble de tous ses atomes amoureusement brutalisés. Il contemple le disque brillant, dont la limpidité obscure, semble le remercier de l’avoir ainsi aéré. L’homme et le vin entrent en dialogue. Quoi de plus intime, quoi de plus musical que cet échange secret, assourdissant et silencieux? Émus, ils se regardent et se hument, comme deux amants frissonnants d’impatience. Les phéromones se toisent et s’attendent, pour mieux s’attirer. Le premier, le vin se donne. Sous les narines dilatées de l’homme aux yeux fermés, montent en vagues courtes et odorantes, les parfums frais de la framboise écrasée. Elle s’écarte aussitôt, libérant le sucre acide de la gariguette de Mai. Les fruits rouges du printemps embaument en ce triste jour de Février. C’est comme un soleil rouge, d’une totale pureté de fruit, qui lui déconnecte l’hypothalamus. S’ensuit une giclée d’endorphines, qui lui embrasent le corps et l’âme. Pâmé, il s’envole un instant. Sept euros cinquante le snif…

Ça va te mettre tous les dealers au chômedu, c’te bombe là!

Insensiblement, irrésistiblement, sa bouche s’approche, puis caresse d’une lèvre humide, le buvant du verre. Il l’humecte du bout de la langue, furtivement, puis s’écarte et replonge le nez vers le disque, au travers duquel, un soleil timide berce de fugaces lueurs incarnates. Lâchant prise, d’un geste maîtrisé, il relève le verre. Une gorgée de jus frais lui emplit la bouche. Surtout ne pas bouger, garder les yeux fermés, laisser le vin prendre place, s’insinuer, baigner langue, palais, joues et muqueuses. Puis, rouler tendrement la matière ronde et mûre, qui enfle comme un air-bag délicieux puis s’étire… à n’en plus finir… Certes le vin est jeune, mais le plaisir immédiat qu’il donne laisse espérer des lendemains enchantés. L’équilibre est magistral, entre les fruits mélés, la chair tendre et intense, les tannins polis au double zéro. Rien ne dépasse, tout s’accorde et joue ensemble le même concerto de plaisir… en raisin majeur!!!

Le jour où le Jean Marc a croisé la Christine, Dieu avait une idée derrière le cep.

Assurément.

EBEMOATITECONE.

MAIS QUI C’EST QUI M’A FAIT ÇA???

Véronèse. Mars et Vénus.

 

Ne vous attendez pas à monts et merveilles, mais à merveille peut-être.

Vous le croirez si vous voudrez…(les puristes me pardonneront, mais je l’entends à longueur de journée, même dans les lieux les plus «in», que je fréquente assidument, cela va de soi).

Pas de Montrachet dans ma cave, et nulle âme généreuse, nul GJE à l’horizon qui me supplie de partager la moindre bouteille… Point de Prince qui me sourit. Faut dire que… question Princesse, point très crédible ne suis. Point de mécène, point d’Arnault. Lequel, ébloui par la sûreté de mon palais, l’élégance discrète de ma plume, jette à mes pieds, quelques caisses qu’il me demande de sublimer par la magie de mon verbe, as generous as a Montrachet… Point de Libanaise pulpeuse qui m’enlève et me jette sous les douze mats de son yacht, me demandant de faire le treizième, les lombaires tendues à craquer, récompensé (moi, pas mes lombaires) par quelque flacon rare de chez Leroy venu, histoire de me refaire la moelle avant de retourner au turbin. Même pas une vieille rombière décatie à la poitrine aussi flasque que mon compte en banque, mais à la carte bleue aussi rigide que… la Justice. Laquelle, en larmes devant ma majesté, remplirait jusqu’à plus soif, mon immense Riedel – taillé «all exclusive» dans un diamant Sud Africain, gros comme un ballon de rugby – du plus immmmense, du plus intennnse, du plus subtiiil, du plus rarissiiiime des Montrachet, que vous – pauvres hères – puissiez imaginer. Tout droit sorti d’un domaine dont nul n’a jamais bu ou boira les vins, et dont je me gaverais jusqu’à rouler sous la table d’albâtre oriental, sur laquelle trôneraient en rangs serrés, langues de colibris, cervelles de cancrelats, magrets de Châs, mollets de serins, triceps de phasmes et autres nombreuses succulences térébreuses. Alors, comme la plus odieuse des stars de l’inutile, comme le plus people des égotiques, comme la plus hypocrite des ONG, j’humilierais la pauvre vieille veuve richissime, en recrachant son vin!!!

Oui, c’est pas très beau, pas très correct tout ça, mais ça me console.

La robe de ce vin «dit blanc», brille, limpide. Elle est d’un bel or pâle comme le teint de Marguerite. Les jolis reflets verts qui la nuancent, annoncent que la Margot (pas le vin), crachera ses jeunes os dans les camélias, sous peu.

Point d’erreur possible.

C’est un Chardonnay, or de la Côte si bonne, qui fume et s’ouvre sous mon nez. Le bougre n’est pas pingre et exhale de généreux arômes, complexes comme ceux des plus beaux des crus. Impression d’élégance, de finesse, de fruits à point. Fleur d’acacia, zeste et jus de citron mûr, pêche blanche, se donnent timidement. Un nez de bonne «facture»*, vibrant, fringant, délicat et tendu. L’aération et la montée en température libèrent quelques discrètes fragrances exotiques, un soupçon de vanille itou. Encore un qu’il va falloir attendre un peu…

Délicieusement gras et frais en bouche, le jus roule tout seul. Équilibré, il récite sa gamme, en tout point conforme aux prémisses olfactives. Puis il fait la boule, s’ouvre et s’étale. Une matière moyenne, certes, mais bien dans l’esprit général du vin. Agrumes et fruits tapissent et séduisent le gosier avec subtilité. Subsistent longuement, le poivre blanc, une belle acidité et un petit goût de craie qui s’incruste longuement.

Un Bourgogne « blanc » (des fois que ça s’rait pas clair…) 2007 du Domaine Buisson-Battault, tout ce qu’il y a de plus générique et qui m’en donne bien plus que mes sept euros cinquante*.

Un peu après, sur mes lèvres, le sel dont la vie est souvent avare, me régale.

 

EENMOBUISSOTINEECONE.