DÉFIÉ SOIT QUI MAL Y PENSE.

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Alexandre Cabanel. Nu à demi bâché.

FRONSAC, un nom qui claque, des vins tanniques, que le temps, mais pas toujours, civilise. FONTENIL, le Château, sur sols lourds et frais, argilo-calcaires ou molasses du Fronsadais, c’est 9,40 hectares de vignes, vénérables pour la plupart. C’est dire que les années pluvieuses, les argiles peinent à digérer les eaux.

Or donc, les propriétaires de ces lieux, Dany et Michel Rolland, regrettent, le temps passant, l’expérience venant, la connaissance de leur terroir s’affinant qu’après de beaux étés, parfois la pluie – certaines années – que la terre retient, affecte la parfaite maturité des raisins. Ingénieux, voire « débrouillards », ils bâchent, de plastique, histoire de voir, 1,60 hectares de merlot, en fin de cycle.

Et ceci fut fait entre du 8 août au 25 septembre 1999, date des vendanges. Les jus magnifiés de ces raisins plus sucrés, concentrés, aux tannins mûrs, furent incorporés au vin du Château Fontenil. En 2000, l’expérience se poursuit, la vigne a été de nouveau bâchée. Du 23 août au 25 septembre.

Mais foutre de moine cacochyme, les foudres de la tradition se déchaînent alors et boum, badaboum, voici, voila que le millésime 2000 est déclassé par l’INAO en Vin de Table ! Résolus à poursuivre leur expérience, tout comme à Ronceveaux, les Rolland persistent, signent et défient l’Institut, mais au contraire de leur légendaire homonyme, les Chevaliers du vin ne périssent pas en haut du col …

Et voilà pour la grande petit histoire de rien.

Jusqu’en 2004 les vignes furent donc bâchées quand le temps l’exigeait. Et l’expérience prit fin en 2005, mais les vins demeurent classés en Vin de table de France. Le DÉFI de FONTENIL, tête de cuvée du château, était né. Et rien ne le ferait, bâché ou pas, dévier de sa route.

Bon c’est pas tout ça, la petite histoire, mais les vins rebelles sont-ils bons, ont-ils goût de bâche, de bêche, de bêcheuse ?

C’était un jour, il faisait soir, une main aux attaches fines, élégamment manucurée, dépose entre mes bras qui n’en demandaient pas tant deux bouteilles. Lourdes, vraiment lourdes. Des eaux bénites, les larmes de Bernadette ? Non point, mais deux grosses bouteilles remplies de vins noirs. Forcément c’était un soir. Et le soir tous les chats sont noirs. Encensoirs, génitoires, tout ce qui est noir est mystique, mystérieux, voire voluptueux, à faire dresser les poils noirs sur la peau qui fut blanche de mes vieux bras. Un don du ciel que ces bouteilles, un ange de passage ? Je ne sais plus, j’ai, entre autres faiblesses, la mémoire qui flanche.

Le temps a passé, les bouteilles, au frais de la cave, ont prit le temps de se reposer. Sous le verre sombre les vins ont continué leur vie secrète et leur lente maturation. Et voici venu, après avoir patienté ( la patience une vertu qui se perd …), le temps de les désincarcérer, de les aérer judicieusement, d’y plonger le nez, les naseaux bien écartés, avant de les mettre en bouche.

Le Défi de Fontenil 2000 : Jolie robe sombre d’un grenat profond qu’éclaire à peine un liseré vieux rose. Le millésime se donne généreusement, des effluves gourmandes de fruits noirs, de purée de mûres et de cerises, s’échappent en nappes successives. Et mon appendice nasal s’en régale. Autour et derrière les fragrances du jardin apparaissent des épices douces, de la régisse et quelques notes fumées, puis florales, qui m’envoient, mais je n’en suis pas certain (?), flâner du côté de Toulouse …

La matière conséquente du vin s’étale en bouche, abondamment, une texture de velours à faire frémir un Cardinal. Au cœur de cette chair goûteuse qui fait la boule comme un chat, les tannins enrobés ne sont pas au bout de leur âge, et la fraîcheur du vin les accompagne en relançant le jus jusqu’à l’avalée. La finale est longue et laisse au palais une résille de tannins dont la fermeté relative prendra le temps que le temps voudra pour se polir plus encore. Un vin de quinze ans qui est encore loin d’être un vin de vieillard. Et pas un vin de bâche, assurément !

Le Défi de Fontenil 2005 : Cinq ans plus tard, cadeau de Dame Nature, un très beau millésime si je me souviens bien. Le Défi, en robe noire brillante, à décolleté sanguin, tourne dans le verre comme un derviche profane. Dans la lignée de son aîné des parfums de fruits noirs au cœur desquels la cerise domine. Et des épices, abondantes, et de la réglisse aussi. La matière est à la hauteur du millésime, riche, charnue, voluptueuse. C’est une odalisque opulente qui danse dans la bouche. Qui s’en plaindrait ? Quand elle se dévêt, ses rondeurs jaillissent et remplissent l’avaloir d’une chair pulpeuse à souhait … Après que le jus a basculé derrière la glotte, il laisse derrière lui, tout aussi enrobés que la belle orientale, un tapis de tannins en foule, encore dans la toute jeunesse. La finale est persistante, fraîche ce qu’il faut, éclatante comme la dernière salve d’un feu d’artifice estival. Un vin de dix ans mais pas un jus d’enfant de cœur pour autant !

Les vins de Fronsac ont la réputation d’être des vins très, parfois trop, tanniques. Et cela est vrai dans la majorité des cas. Mais certains, et Le Défi en est, travaillés par d’habiles dompteurs aux mains fermes mais douces, échappent à la rusticité ordinaire, gardent leur fougue, mais gagnent en race et en élégance.

Allez en paix, et n’oubliez pas : Pour prendre une « bâche » qui vous déclasse illico de l’appellation FRONSAC pour vous reléguer en VIN DE FRANCE, c’est simple, couvrez d’une bâche protectrice le sol entre vos rangs de vignes en fin de cycle. Mais si le vin est bon, voire excellent, il s’envolera quand même aux quatre arcs du monde …

PS : Les vins de Fontenil, pas des vins de mollasses !!!

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