LES PETITS JEUX DU DIABLE AU FOND DU BOIS …
Dante-Gabriel Rossetti. A vision of Fiammetta.
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CHAPITRE 4.
La maison de la famille Pêcheur donnait sur une grande prairie, close par un petit bois touffu au cœur duquel pointait un bouquet de grands arbres, aux troncs si serrés, qu’on pouvait aisément s’y cacher. Au centre de cette cathédrale feuillue, que le soleil de midi perçait un peu, le sol, tapissé d’herbes folles, de fleurs, de tapis moelleux et moussus, servait de refuge aux filles. Elles y passaient des heures à cueillir des bouquets d’efflorescences qu’elles transformaient en parures multicolores. Xéresse, agenouillée dans l’herbe, ne bougeait pas, faisait la chose, Mathilde, comme à l’habitude, dirigeait les jeux. Elle avait décidé d’être Morgane la fée, et Xéresse serait Clochette. Le temps passait sans qu’elles s’en aperçoivent, fleur après fleur l’enfantelette se transformait en bouquet vivant. Mathilde avait un goût sûr et une inclination naturelle pour l’arc-en-ciel des couleurs, elle piquetait la petite d’altheas, d’oeillets des Chartreux, d’antirrhinums, de renoncules, de campanules, de digitales, de gueules de loup, d’ancolies et autres jacinthes ou centaurées, jusqu’à ce qu’elle flamboie sous la lumière dorée du soleil couchant qui, perçant la futaie, donnait à la scène champêtre des allures proprement magiques. L’âme immortelle de Merlin planait sur la frondaison. Mathilde finissait son œuvre en tressant des couronnes d’herbes séchées mêlées aux feuilles mortes, dont les dégradés rouille vibraient sous les rayons tremblants de l’astre rougeoyant. Alors elle psalmodiait de fausses incantations, s’agenouillait devant la statue vivante irradiée et tremblante, se dénudait jusqu’à la taille, la roussette la caressait doucement, la touffe de chiendent aux épis rudes lui piquait la peau jusqu’à l’agacer, et les petits bouts roses de ses mamelons fragiles se raidissaient un peu. Xéresse se plaignait assez vite d’avoir mal au bras, mais Mathilde, d’un œil inflexible, lui enjoignait de poursuivre. Et la petite chouinait, pleurnichait, puis finissait par gémir quand la main de la grande, adroite et fureteuse, qui s’était glissée sous sa jupette, lui mettait les cuisses en eau. A cet instant précis Xéresse se cambrait de plaisir, à ce moment là seulement, elle se sentait exister pleinement dans le regard des êtres et du monde.
Gracieux fuyait les filles, il n’y pensait que le soir. Son asticot s’était fait lombric et commençait à l’agacer, il lui arrivait même de couler la nuit ce qui le mettait en grande inquiétude. Il réparait discrètement les dégâts au mouchoir trempé dans l’eau, il frottait comme un beau diable, non diable non, plutôt comme un furieux, jusqu’à râper le drap, alors qu’un peu d’eau fraîche eût bien suffi à laver sa couche ! Ah oui la peur du diable et les sermons du curé au cathé, comme en chaire, lui mettaient une telle peur au ventre, qu’à cette seule pensée, son lombric rentrait sous terre. Pourtant quand elle s’isolaient dans le petit bois derrière chez lui, le garçon mourrait d’envie d’y aller voir, Xéresse était à cent lieues, mais Mathilde s’en doutait, et le matin comme à tous les coins de la journée, elle faisait tout, voire même plus, pour alimenter sa curiosité, lui mettre cœur à la chamade et lombric à l’émotion. Il lui arrivait de se planter devant lui et de le regarder, sourcils froncés et regard perçant – au fond duquel elle laissait quand même passer un filet d’huile d’olive douce – pendant au moins trente secondes. Gracieux, ne bougeait pas, flageolait, baissait les yeux, puis restait pétrifié comme une souris devant un cobra. Elle aimait aussi le frôler au détour d’un couloir, ou en plein milieu d’une pièce, quand il y avait pourtant bien de la place pour dix personnes, elle aimait le voir tomber en panique, mais plus que tout elle se régalait les sens quand l’odeur aigrelette du garçon lui montait au nez. Histoire d’en profiter plus longtemps, elle marchait sur lui jusqu’à le coincer au fond la pièce, à ne plus pouvoir bouger, s’approchait au plus près et se penchait sur son cou, à sentir sa chaleur et se gaver de vinaigre sale, pendant que tout à la terreur qui le sidérait, affolé par cette peau qui le frôlait, il fermait les yeux et priait vaguement. Elle poussa même l’audace une fois jusqu’à enfoncer le bout d’un doigt entre les lèvres du garçon, qui toussa de surprise, avalant de travers, et s’enfuit en courant, la bousculant au passage. Xéresse qui n’était jamais bien loin, riait nerveusement, trépignait sur place et se tordait les doigts. Mathilde aimait les odeurs fortes, aussi elle préférait coincer Gracieux en fin de semaine, quand son fumet de petit mâle, longuement faisandé, avait mariné un gros temps, jours et nuits, dans ses habits comme sous les draps. Alors là c’était purs délices ! C’était, dans sa vie de jeunette privée de presque toutes les douceurs de la bouche, son bonbon, sa friandise, son chocolat. Gracieux, atterré et ravi à la fois, se réfugiait dans sa chambre, la tête en feu et le diable au corps.
Une après-midi qu’il n’y tenait plus, il mit le diable au fond de sa poche avec ses prières par dessus, laissa les filles s’enfoncer dans leur repaire moussu, et se glissa tout suant dans le petit bois. Le ciel était limpide, des lames de lumière aveuglantes jouaient avec les feuilles agitées par un vent léger, et ces lames incandescentes semblaient mettre le feu aux arbres comme à ses joues. Il brûlait de partout. De honte, d’émotions étrangement nouvelles, et de peur, en flots mêlées. Mathilde s’était assise au pied d’un gros chêne, ses bras entouraient le torse fleuri de Xéresse, allongée sur son giron. Le soleil cru et mouvant jouait sur leurs corps, elles ressemblaient à deux chatonnes ocellées de chrysocale en fusion. Gracieux en oubliait de respirer, et la tête lui tournait, la scène devenait floue, changeante, ombres et lumières dessinaient des formes en mouvement, des anges aux ailes vibrantes et des diables menaçants tournaient comme des spirales furieuses, les branches des arbres tordillonnaient comme des bras torturés. Au bord de l’étouffement, il ferma et rouvrit les yeux à plusieurs reprises, finit par inspirer un grand coup en s’essuyant le visage à grandes brassées d’herbes grasses qui lui griffèrent la peau. La main de Mathilde s’était glissée sous la blouse de sa chose, et le mouvement lent de ses doigts délicats mettait aux lèvres charnues de Xéresse un sourire béat. Gracieux céda devant tant de grâce ambiguë, rampa à reculons, s’arrachant les genoux jusqu’en lisière de bois, se releva, et prit ses jambes à son cou. Une incoercible terreur le poussait, il tomba plusieurs fois, se releva, se retenant de hurler, le diable lui mordait les fesses.
Cette Xeresse …! Je l’attends. Impatiemment!
J’aime la lumière auréolant ces premiers émois, la lumière partout.
Je ne sais pas ce que tu envisages mais tu nous plonges dans quelque chose de pas mal du tout là!
Je ne crois pas me tromper mais, à la lecture de ce chapitre où je découvre davantage gracieux, je crois que cette histoire est bougrement autobiographique. Ce Gracieux, c’est toi. C’est l’auteur en personne: “fuyait les filles”, “n’y pensait que le soir”, “il mit le diable au fond de sa poche”… Merci encore à toi pour cette saga si romantique.
Hey monsieur ou madame Padec, vous pensez que c’est notre Christian? Gracieux Christian Bétourné Pêcheur?